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Ariane Web: Conseil d'État 423164, lecture du 11 mars 2020, ECLI:FR:Code Inconnu:2020:423164.20200311

Décision n° 423164
11 mars 2020
Conseil d'État

N° 423164
ECLI:FR:Code Inconnu:2020:423164.20200311
Mentionné aux tables du recueil Lebon
6ème - 5ème chambres réunies
Mme Fanélie Ducloz, rapporteur
M. Louis Dutheillet de Lamothe, rapporteur public
SCP COLIN-STOCLET ; SCP L. POULET-ODENT, avocats


Lecture du mercredi 11 mars 2020
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 423164, M. BZ... BD..., Mme AS... BE..., M. G... CH..., Mme AA... DI..., Mme CF... DI...-DY..., Mme W... CW..., M. DO... T..., M. D... BG..., L'association des Résidents de La Garenne, M. AT... DS..., M. K... DK..., M. CB... U..., M. AK... DL..., M. AF... BH..., M. DJ... V..., Mme DM... CJ..., M. DR... CX..., M. DA... CY..., Mme AW... CY..., M. J... Y..., M. Q... Z..., M. AZ... CK..., M. AG... BK..., M. G... CL..., Mme DW...-EA... AB..., M. AL... DQ..., M. BR... AC..., Mme BJ... AD..., M. DD...-AT... BN..., M. BC... CM..., M. et Mme CP..., M. C... BO..., M. CN... AH..., Mme H... CR..., Mme AQ... L..., M. CO... A..., Mme BI... AM..., M. CG... DP..., M. BQ... CS..., M. et Mme AR... BS..., M. BF... CT..., Mme BM... B..., Mme DC... DE..., M. CV... DN..., M. AZ... AN..., M. BC... AO...-DX..., M. BF... AP..., M. CZ... AP..., M. DD...-DZ... AP..., M. BF... DF..., Mme BX... DF..., l'association "Mat-Ré Pour La Qualité De L'environnement Mer Air Et Terre", M. DT..., M. AT... M..., M. X... BW..., M. DD...-DJ... N..., M. DD...-DZ... N..., Mme BT... BY..., M. DD...-DW... O..., M. BL... P..., Mme BJ... CA..., M. AF... CA..., l'association "Ré Nature Environnement", Mme CD... AU..., M. CI... CC..., M. BU... AV..., M. X... DG..., M. BP... CU..., M. DD...-DW... AX..., Mme AI... R..., M. CQ... DU..., Mme DA... DH..., M. BV... E..., M. et Mme CE..., M. DD...-AR... AY..., Mme DB... F..., l'association "Pêche Et Nautisme Rivedousais", Mme BA... BB... et M. AE... AJ..., ont demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler l'arrêté du 6 décembre 2010 par lequel le préfet de la Charente-Maritime a autorisé la société Ciments de la Rochelle, à laquelle s'est substituée, le 18 novembre 2013, la société Holcim France, devenue la société Eqiom, à exploiter une installation de production de ciments et de liants hydrauliques par broyage sur le territoire de la commune de La Rochelle. Par un jugement n° 1101501 du 2 avril 2015, le tribunal administratif a rejeté leur demande.

Par un arrêt n° 15BX01823 du 12 juin 2018, la cour administrative d'appel de Bordeaux a, sur appel de M. DD...-X... T..., M. AF... BH..., M. J... Y..., Mme S... I..., M. CG... DP... M. et Mme BW..., Mme BJ... AD... M. et Mme BO..., M. CO... A..., M. et Mme BS..., M. BC... AO...-DX..., M. CZ... AP..., Mme BX... DF..., l'association " Mat-Ré Pour La Qualité De L'environnement Mer Air Et Terre ", M. AT... M..., M. BL... P..., l'association " Ré Nature environnement ", Mme CD... AU..., l'association " Pêche Nature Rivedousais ", M. DV... N..., Mme DA... CY... et Mme AW... CY..., annulé ce jugement et l'arrêté du 6 décembre 2010 du préfet de la Charente-Maritime.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 13 août et 13 novembre 2018 et le 18 septembre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Eqiom demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de M. A..., M. T..., M. BH..., M. Y..., Mme I..., M. DP..., M. et Mme BW..., Mme AD..., M. et Mme BO..., M. et Mme BS..., M. AO...-DX..., M. AP..., Mme DF..., l'association "Mat-Ré pour la qualité de l'environnement mer air terre", M. M..., M. P..., l'association "Ré nature environnement", Mme AU..., l'association "Pêche nature rivedousais", M. CY..., Mme CY..., et de M. N..., la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 423165, la commune de Rivedoux-Plage et la communauté de communes de l'Ile de Ré ont demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler le même arrêté du préfet de la Charente-Maritime. Par un jugement n° 1102674 du 13 mai 2015, le tribunal administratif a annulé l'arrêté préfectoral et ordonné que les effets de cette annulation soient différés pour une durée de douze mois à compter de la notification de la décision.

Par un arrêt n° 15BX02192 du 12 juin 2018, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté l'appel de la société Eqiom.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 13 août et 13 novembre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Eqiom demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de la commune de Rivedoux-Plage et de la communauté de communes de l'île de Ré la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- le code de l'environnement ;
- l'ordonnance n° 2017-80 du 26 janvier 2017 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Fanélie Ducloz, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Louis Dutheillet de Lamothe, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Colin-Stoclet, avocat de la société Eqiom et à la SCP L. Poulet, Odent, avocat de M. A... et autres ;

Vu les notes en délibéré, enregistrées le 12 février 2020, présentées par la société Eqiom ;



Considérant ce qui suit :

1. Les pourvois visés ci-dessus présentent à juger les mêmes questions. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

2. Il ressort des pièces des dossiers soumis aux juges du fond que le préfet de la Charente-Maritime a, par un arrêté du 6 décembre 2010 pris au titre de la législation des installations classées pour la protection de l'environnement, autorisé la société Ciments de La Rochelle, filiale à 100 % de la société Holcim France, à exploiter une unité de production de ciment et de liants hydrauliques par broyage sur le site de l'Anse Saint-Marc, dans la zone portuaire de La Rochelle et que la société Holcim France, devenue la société Eqiom, s'est, le 18 novembre 2013, substituée à la société Ciments de La Rochelle en tant qu'exploitant de l'installation. Le tribunal administratif de Poitiers a, par un jugement du 2 avril 2015, rejeté la demande de M. A... et autres aux fins d'annulation de l'arrêté préfectoral du 6 décembre 2010. Ce même tribunal a cependant, par un jugement du 13 mai 2015, annulé, à la demande de la commune de Rivedoux-Plage et de la communauté de communes de l'île de Ré, le même arrêté préfectoral et ordonné que les effets de l'annulation soient différés pour une durée de douze mois à compter de la notification de son jugement. Par un premier arrêt du 12 juin 2018, la cour administrative d'appel de Bordeaux a, sur appel de M. A... et autres, annulé le jugement du 2 avril 2015 ainsi que l'arrêté préfectoral du 6 décembre 2010. Par un second arrêt du même jour, la cour a rejeté l'appel de la société Eqiom formé contre le jugement du 13 mai 2015 et prononcé un non-lieu à statuer sur les conclusions de l'appel incident formé par la commune de Rivedoux-Plage et la communauté de communes de l'Ile de Ré. La société Eqiom se pourvoit en cassation contre ces deux arrêts de la cour administrative d'appel de Bordeaux.

3. En premier lieu, il appartient au juge du plein contentieux des installations classées pour la protection de l'environnement d'apprécier le respect des règles relatives à la forme et à la procédure régissant la demande d'autorisation au regard des circonstances de fait et de droit en vigueur à la date de délivrance de l'autorisation et celui des règles de fond régissant le projet en cause au regard des circonstances de fait et de droit en vigueur à la date à laquelle il se prononce, sous réserve du respect des règles d'urbanisme, qui s'apprécie au regard des circonstances de fait et de droit applicables à la date de l'autorisation. Les obligations relatives à la composition du dossier de demande d'autorisation d'une installation classée relèvent des règles de procédure. Les inexactitudes, omissions ou insuffisances affectant ce dossier ne sont susceptibles de vicier la procédure et ainsi d'entacher d'irrégularité l'autorisation que si elles ont eu pour effet de nuire à l'information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l'autorité administrative. Eu égard à son office, le juge du plein contentieux des installations classées peut prendre en compte la circonstance, appréciée à la date à laquelle il statue, que de telles irrégularités ont été régularisées.

4. En vertu du 5° de l'article R. 512-3 du code de l'environnement, dans sa rédaction applicable à la date de délivrance de l'autorisation attaquée, la demande d'autorisation mentionne " les capacités techniques et financières de l'exploitant ". Il résulte de ces dispositions que le pétitionnaire est tenu de fournir, à l'appui de sa demande, des indications précises et étayées sur ses capacités techniques et financières. Si cette règle a été ultérieurement modifiée par le décret du 26 janvier 2017 relatif à l'autorisation environnementale, qui a créé l'article D. 181-15-2 du code de l'environnement en vertu duquel le dossier comprend une description des capacités techniques et financières dont le pétitionnaire dispose, ou, lorsque ces capacités ne sont pas constituées au dépôt de la demande d'autorisation, les modalités prévues pour en justifier, l'exploitant devant, dans ce dernier cas, adresser au préfet les éléments justifiant de ses capacités techniques et financières au plus tard à la mise en service de l'installation, cette évolution de la règle de droit ne dispense pas le pétitionnaire de l'obligation de régulariser une irrégularité dans la composition du dossier au vu des règles applicables à la date de délivrance de l'autorisation dès lors que l'irrégularité en cause a eu pour effet de nuire à l'information complète du public.

5. Il ressort des énonciations des arrêts attaqués que le dossier de demande d'autorisation soumis à enquête publique indiquait le montant du capital social de la société Ciments de La Rochelle, précisait qu'elle était une filiale à 100 % de la société Holcim France et se bornait, pour le reste, à mentionner le chiffre d'affaires réalisé par le groupe Holcim et son résultat net sur les trois dernières années. Pour déduire de ces constatations que le dossier soumis à enquête publique était incomplet et que, par suite, la procédure au terme de laquelle était intervenu l'arrêté litigieux était irrégulière, la cour administrative d'appel a relevé, par une décision suffisamment motivée et sans dénaturer les faits qui lui étaient soumis, que, en indiquant que la société Ciments de La rochelle était une filiale de la société Holcim France, sans préciser s'il existait un engagement financier de la mère à l'égard de sa fille, le dossier de demande ne pouvait être regardé comme suffisamment précis et étayé sur les capacités dont la société Ciments de La Rochelle était effectivement en mesure de disposer et que cette insuffisance avait été de nature à nuire à l'information complète du public. Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que c'est sans erreur de droit que la cour, qui s'est bornée à contrôler le contenu du dossier de demande, sans rechercher, contrairement à ce qui est soutenu, si, au regard des règles de fond, les capacités financières de la société bénéficiaire étaient suffisantes, a fait application, s'agissant de règles de procédure, des dispositions applicables à la date de délivrance de l'autorisation, alors même que les règles de composition du dossier avaient évolué à la date à laquelle elle a statué.

6. En second lieu, aux termes de l'article L. 181-18 du code de l'environnement, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 26 janvier 2017 : " I.- Le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre une autorisation environnementale, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés : / 1° Qu'un vice n'affecte qu'une phase de l'instruction de la demande d'autorisation environnementale, ou une partie de cette autorisation, peut limiter à cette phase ou à cette partie la portée de l'annulation qu'il prononce et demander à l'autorité administrative compétente de reprendre l'instruction à la phase ou sur la partie qui a été entachée d'irrégularité ; / 2° Qu'un vice entraînant l'illégalité de cet acte est susceptible d'être régularisé par une autorisation modificative peut, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, surseoir à statuer jusqu'à l'expiration du délai qu'il fixe pour cette régularisation. Si une telle autorisation modificative est notifiée dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations. (...) ".

7. La faculté ouverte par les dispositions précitées du 2° du I de l'article L. 181-18 du code de l'environnement, relève de l'exercice d'un pouvoir propre du juge, qui n'est pas subordonné à la présentation de conclusions en ce sens. Lorsqu'il n'est pas saisi de telles conclusions, le juge du fond peut toujours mettre en oeuvre cette faculté, mais il n'y est pas tenu, son choix relevant d'une appréciation qui échappe au contrôle du juge de cassation. En revanche, lorsqu'il est saisi de conclusions en ce sens, le juge est tenu de mettre en oeuvre les pouvoirs qu'il tient du 2° du I de l'article L. 181-18-du code de l'environnement si les vices qu'il retient apparaissent, au vu de l'instruction, régularisables.

8. Il ressort des pièces du dossier qui lui était soumis que la cour administrative d'appel de Bordeaux n'a pas été saisie de conclusions tendant à ce qu'elle mette en oeuvre le pouvoir que ces dispositions lui confèrent. Par suite, le moyen tiré de ce que la cour a commis une erreur de droit en annulant l'arrêté litigieux alors que le vice qu'elle avait relevé, tiré du défaut de d'information du public, était régularisable, doit être écarté.

9. Il résulte de ce qui précède que les pourvois de la société Eqiom doivent être rejetés, y compris les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Eqiom le versement de la somme globale de 3 000 euros à M. A... et autres au titre de ces mêmes dispositions.



D E C I D E :
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Article 1er : Les pourvois de la société Eqiom sont rejetés.
Article 2 : La société Eqiom versera à M. DD...-X... T..., M. AF... BH..., M. J... Y..., Mme S... I..., M. CG... DP... M. et Mme X... BW..., Mme BJ... AD..., M. et Mme C... BO..., M. CO... A..., M. et Mme AR... BS..., M. BC... AO...-DX..., M. CZ... AP..., Mme BX... DF..., l'association "Mat-Ré Pour La Qualité De L'environnement Mer Air Et Terre", M. AT... M..., M. BL... P..., l'association " Ré Nature environnement ", Mme CD... AU..., et à l'association " Pêche Nature Rivedousais ", la somme globale de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Eqiom, à M. CO... A..., premier dénommé, pour tous ses cosignataires, à la commune de Rivedoux-Plage, à la communauté de communes de l'île de Ré, et à la ministre de la transition écologique et solidaire.




Voir aussi