Conseil d'État
N° 426162
ECLI:FR:CECHR:2020:426162.20200228
Mentionné aux tables du recueil Lebon
7ème - 2ème chambres réunies
M. Gilles Pellissier, rapporteur public
SCP CELICE, TEXIDOR, PERIER ; SCP COLIN-STOCLET, avocats
Lecture du vendredi 28 février 2020
Vu la procédure suivante :
La société Régal des Iles a demandé au tribunal administratif de La Réunion d'annuler le contrat de délégation de service public relatif à la gestion du service de restauration municipale, conclu le 8 janvier 2014 par la commune de Saint-Benoît avec la société Gestion des Cuisines Centrales Réunion, et de condamner la commune à lui verser la somme de 8 758 890 euros en réparation des préjudices subis du fait de son éviction. Par un jugement n° 1400212 du 31 mars 2016, rectifié par une ordonnance du 13 juin 2016, le tribunal administratif de La Réunion a prononcé la résiliation du contrat, qu'elle a requalifié en marché public, à compter du premier jour du sixième mois suivant la notification de son jugement et rejeté le surplus des conclusions de la société.
Par un arrêt n° 16BX02772 du 8 octobre 2018, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté l'appel principal et l'appel incident formés contre ce jugement, respectivement par la commune de Saint-Benoît et la société Régal des Iles.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 10 décembre 2018 et 11 mars 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Régal des Iles demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt en tant qu'il a rejeté son appel incident ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses conclusions d'appel ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Benoît la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des marchés publics ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jean Sirinelli, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Gilles Pellissier, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de la société Régal des Iles et à la SCP Colin-Stoclet, avocat de la commune de Saint-Benoît ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier du dossier soumis aux juges du fond que la commune de Saint-Benoît a, par un avis d'appel public à la concurrence publié le 30 juillet 2013, lancé une procédure ouverte de passation d'une convention de délégation de service public pour la gestion de son service de restauration municipale. Par une lettre du 2 décembre 2013, la société Régal des Iles a été informée par le maire de cette commune que son offre n'avait pas été retenue. La société Régal des Iles a présenté devant le tribunal administratif de La Réunion un recours en contestation de la validité de ce contrat, conclu le 8 janvier 2014 par la commune de Saint-Benoît avec la société SOGECCIR, assorti d'une demande indemnitaire d'un montant de 8 758 890 euros en réparation de son préjudice résultant, d'une part, de son manque à gagner sur dix ans et, d'autre part, des frais engagés pour la présentation de son offre. Par un jugement du 31 mars 2016, rectifié par une ordonnance du 13 juin 2016, le tribunal administratif de La Réunion, après avoir requalifié le contrat litigieux en marché public et estimé que celui-ci était affecté de plusieurs vices présentant un caractère d'une particulière gravité, a prononcé la résiliation du contrat à compter du premier jour du sixième mois suivant la notification du jugement et rejeté le surplus de sa demande. Par l'arrêt du 8 octobre 2018, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté l'appel principal et l'appel incident formés contre ce jugement, respectivement, par la commune de Saint-Benoît et la société Régal des Iles. Cette dernière se pourvoit en cassation contre cet arrêt en tant qu'il a rejeté ses conclusions d'appel incident tendant à la condamnation de la commune à lui verser une somme de 8 758 890 euros.
2. Lorsqu'un candidat à l'attribution d'un contrat public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce contrat et qu'il existe un lien direct de causalité entre la faute résultant de l'irrégularité et les préjudices invoqués par le requérant à cause de son éviction, il appartient au juge de vérifier si le candidat était ou non dépourvu de toute chance de remporter le contrat. En l'absence de toute chance, il n'a droit à aucune indemnité. Dans le cas contraire, il a droit en principe au remboursement des frais qu'il a engagés pour présenter son offre. Il convient en outre de rechercher si le candidat irrégulièrement évincé avait des chances sérieuses d'emporter le contrat conclu avec un autre candidat. Si tel est le cas, il a droit à être indemnisé de son manque à gagner, incluant nécessairement, puisqu'ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l'offre, lesquels n'ont donc pas à faire l'objet, sauf stipulation contraire du contrat, d'une indemnisation spécifique. En revanche, le candidat ne peut prétendre à une indemnisation de ce manque à gagner si la personne publique renonce à conclure le contrat pour un motif d'intérêt général.
3. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que, par des motifs non contestés dans le cadre du présent pourvoi, la cour administrative d'appel de Bordeaux a requalifié le contrat de délégation de service public en marché public et a relevé que ce contrat, conclu sans que le contenu et les conditions de mise en oeuvre des critères de sélection des offres n'aient été définis et sans publication d'un avis d'attribution de niveau européen, était affecté de plusieurs vices présentant un caractère d'une particulière gravité.
4. Il ressort des pièces du dossier qui lui était soumis que la cour n'a pas commis d'erreur de droit ni dénaturé les pièces du dossier en estimant que les irrégularités mentionnées ci-dessus n'avaient pas privé la société Régal des Iles d'une chance sérieuse d'emporter le marché en litige, alors même que cette société a, postérieurement à la résiliation du contrat en litige, conclu avec la commune de Saint-Benoît un marché public pour la gestion du service de restauration municipale. La cour, qui a suffisamment motivé son arrêt, n'a pas davantage méconnu la portée des écritures de la requérante sur ce point.
5. En revanche, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Régal des Iles a été admise à présenter une offre dans le cadre de la procédure de conclusion du contrat de délégation en litige, que cette offre a été classée en deuxième position et, ainsi qu'il vient d'être dit, que la société requérante s'est vue attribuer le marché public pour la gestion du service de restauration municipale de la commune de Saint-Benoît. Dans ces conditions, la cour administrative d'appel de Bordeaux a dénaturé les pièces du dossier en estimant, pour rejeter les conclusions indemnitaires de la société Régal des Iles au titre des frais qu'elle a engagés pour présenter son offre, que le recours irrégulier à la procédure de passation des délégations de service public par la commune de Saint-Benoît n'était pas susceptible d'avoir eu une incidence sur l'éviction de la société Régal des Iles et que celle-ci était dépourvue de toute chance d'obtenir ce marché.
6. Il résulte de ce qui précède que la société Régal des Iles est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque en tant seulement qu'il a rejeté ses conclusions, présentées par la voie de l'appel incident, tendant à l'indemnisation des frais engagés pour la présentation de son offre.
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Saint-Benoît la somme de 3 000 euros à verser à la société Régal des Iles, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société Régal des Iles qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt du 8 octobre 2018 de la cour administrative d'appel de Bordeaux est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de la société Régal des Iles tendant à l'indemnisation des frais engagés pour la présentation de son offre.
Article 2 : L'affaire est renvoyée dans cette mesure à la cour administrative d'appel de Bordeaux.
Article 3 : La commune de Saint-Benoît versera à la société Régal des Iles une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ses conclusions présentées sur le même fondement sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Régal des Iles et à la commune de Saint-Benoît.
Copie en sera adressée à la société Gestion Cuisines Centrales Réunion.
N° 426162
ECLI:FR:CECHR:2020:426162.20200228
Mentionné aux tables du recueil Lebon
7ème - 2ème chambres réunies
M. Gilles Pellissier, rapporteur public
SCP CELICE, TEXIDOR, PERIER ; SCP COLIN-STOCLET, avocats
Lecture du vendredi 28 février 2020
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
La société Régal des Iles a demandé au tribunal administratif de La Réunion d'annuler le contrat de délégation de service public relatif à la gestion du service de restauration municipale, conclu le 8 janvier 2014 par la commune de Saint-Benoît avec la société Gestion des Cuisines Centrales Réunion, et de condamner la commune à lui verser la somme de 8 758 890 euros en réparation des préjudices subis du fait de son éviction. Par un jugement n° 1400212 du 31 mars 2016, rectifié par une ordonnance du 13 juin 2016, le tribunal administratif de La Réunion a prononcé la résiliation du contrat, qu'elle a requalifié en marché public, à compter du premier jour du sixième mois suivant la notification de son jugement et rejeté le surplus des conclusions de la société.
Par un arrêt n° 16BX02772 du 8 octobre 2018, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté l'appel principal et l'appel incident formés contre ce jugement, respectivement par la commune de Saint-Benoît et la société Régal des Iles.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 10 décembre 2018 et 11 mars 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Régal des Iles demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt en tant qu'il a rejeté son appel incident ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses conclusions d'appel ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Benoît la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des marchés publics ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jean Sirinelli, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Gilles Pellissier, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de la société Régal des Iles et à la SCP Colin-Stoclet, avocat de la commune de Saint-Benoît ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier du dossier soumis aux juges du fond que la commune de Saint-Benoît a, par un avis d'appel public à la concurrence publié le 30 juillet 2013, lancé une procédure ouverte de passation d'une convention de délégation de service public pour la gestion de son service de restauration municipale. Par une lettre du 2 décembre 2013, la société Régal des Iles a été informée par le maire de cette commune que son offre n'avait pas été retenue. La société Régal des Iles a présenté devant le tribunal administratif de La Réunion un recours en contestation de la validité de ce contrat, conclu le 8 janvier 2014 par la commune de Saint-Benoît avec la société SOGECCIR, assorti d'une demande indemnitaire d'un montant de 8 758 890 euros en réparation de son préjudice résultant, d'une part, de son manque à gagner sur dix ans et, d'autre part, des frais engagés pour la présentation de son offre. Par un jugement du 31 mars 2016, rectifié par une ordonnance du 13 juin 2016, le tribunal administratif de La Réunion, après avoir requalifié le contrat litigieux en marché public et estimé que celui-ci était affecté de plusieurs vices présentant un caractère d'une particulière gravité, a prononcé la résiliation du contrat à compter du premier jour du sixième mois suivant la notification du jugement et rejeté le surplus de sa demande. Par l'arrêt du 8 octobre 2018, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté l'appel principal et l'appel incident formés contre ce jugement, respectivement, par la commune de Saint-Benoît et la société Régal des Iles. Cette dernière se pourvoit en cassation contre cet arrêt en tant qu'il a rejeté ses conclusions d'appel incident tendant à la condamnation de la commune à lui verser une somme de 8 758 890 euros.
2. Lorsqu'un candidat à l'attribution d'un contrat public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce contrat et qu'il existe un lien direct de causalité entre la faute résultant de l'irrégularité et les préjudices invoqués par le requérant à cause de son éviction, il appartient au juge de vérifier si le candidat était ou non dépourvu de toute chance de remporter le contrat. En l'absence de toute chance, il n'a droit à aucune indemnité. Dans le cas contraire, il a droit en principe au remboursement des frais qu'il a engagés pour présenter son offre. Il convient en outre de rechercher si le candidat irrégulièrement évincé avait des chances sérieuses d'emporter le contrat conclu avec un autre candidat. Si tel est le cas, il a droit à être indemnisé de son manque à gagner, incluant nécessairement, puisqu'ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l'offre, lesquels n'ont donc pas à faire l'objet, sauf stipulation contraire du contrat, d'une indemnisation spécifique. En revanche, le candidat ne peut prétendre à une indemnisation de ce manque à gagner si la personne publique renonce à conclure le contrat pour un motif d'intérêt général.
3. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que, par des motifs non contestés dans le cadre du présent pourvoi, la cour administrative d'appel de Bordeaux a requalifié le contrat de délégation de service public en marché public et a relevé que ce contrat, conclu sans que le contenu et les conditions de mise en oeuvre des critères de sélection des offres n'aient été définis et sans publication d'un avis d'attribution de niveau européen, était affecté de plusieurs vices présentant un caractère d'une particulière gravité.
4. Il ressort des pièces du dossier qui lui était soumis que la cour n'a pas commis d'erreur de droit ni dénaturé les pièces du dossier en estimant que les irrégularités mentionnées ci-dessus n'avaient pas privé la société Régal des Iles d'une chance sérieuse d'emporter le marché en litige, alors même que cette société a, postérieurement à la résiliation du contrat en litige, conclu avec la commune de Saint-Benoît un marché public pour la gestion du service de restauration municipale. La cour, qui a suffisamment motivé son arrêt, n'a pas davantage méconnu la portée des écritures de la requérante sur ce point.
5. En revanche, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Régal des Iles a été admise à présenter une offre dans le cadre de la procédure de conclusion du contrat de délégation en litige, que cette offre a été classée en deuxième position et, ainsi qu'il vient d'être dit, que la société requérante s'est vue attribuer le marché public pour la gestion du service de restauration municipale de la commune de Saint-Benoît. Dans ces conditions, la cour administrative d'appel de Bordeaux a dénaturé les pièces du dossier en estimant, pour rejeter les conclusions indemnitaires de la société Régal des Iles au titre des frais qu'elle a engagés pour présenter son offre, que le recours irrégulier à la procédure de passation des délégations de service public par la commune de Saint-Benoît n'était pas susceptible d'avoir eu une incidence sur l'éviction de la société Régal des Iles et que celle-ci était dépourvue de toute chance d'obtenir ce marché.
6. Il résulte de ce qui précède que la société Régal des Iles est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque en tant seulement qu'il a rejeté ses conclusions, présentées par la voie de l'appel incident, tendant à l'indemnisation des frais engagés pour la présentation de son offre.
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Saint-Benoît la somme de 3 000 euros à verser à la société Régal des Iles, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société Régal des Iles qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt du 8 octobre 2018 de la cour administrative d'appel de Bordeaux est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de la société Régal des Iles tendant à l'indemnisation des frais engagés pour la présentation de son offre.
Article 2 : L'affaire est renvoyée dans cette mesure à la cour administrative d'appel de Bordeaux.
Article 3 : La commune de Saint-Benoît versera à la société Régal des Iles une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ses conclusions présentées sur le même fondement sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Régal des Iles et à la commune de Saint-Benoît.
Copie en sera adressée à la société Gestion Cuisines Centrales Réunion.