Conseil d'État
N° 433130
ECLI:FR:CECHR:2020:433130.20200205
Publié au recueil Lebon
6ème - 5ème chambres réunies
Mme Catherine Moreau, rapporteur
M. Louis Dutheillet de Lamothe, rapporteur public
Lecture du mercredi 5 février 2020
Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 30 juillet et 19 novembre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 29 mai 2019 du Président de la République mettant fin à ses fonctions de directeur de l'Etablissement national des invalides de la marine ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi du 22 avril 1905 ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 2010-1009 du 30 août 2010 ;
- le décret n° 2010-1035 du 1er septembre 2010 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Catherine Moreau, conseiller d'Etat en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Louis Dutheillet de Lamothe, rapporteur public ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 10 janvier 2020, présentée par la ministre des solidarités et de la santé ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier que M. B... a été nommé directeur de l'Etablissement national des invalides de la marine par un décret du 8 décembre 2016 pour une durée de trois ans. Les ministres chargés de la tutelle de cet établissement, après que des signalements eurent fait état de ce que des situations pouvant constituer des faits de harcèlement à l'encontre de certains membres du personnel de cet établissement étaient reprochés à M. B..., ont confié à l'inspection générale des affaires sociales et le conseil général de l'environnement et du développement durable une mission d'enquête administrative sur la manière dont l'intéressé assurait la direction de l'établissement. Le rapport de la mission d'inspection, rendu aux ministres en avril 2019, a recommandé qu'il soit mis fin aux fonctions de M. B.... Par la présente requête, ce dernier demande l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 29 mai 2019 ayant mis fin à ses fonctions.
2. En vertu de l'article 65 de la loi du 22 avril 1905, un agent public faisant l'objet d'une mesure prise en considération de sa personne, qu'elle soit ou non justifiée par l'intérêt du service, doit être mis à même d'obtenir communication de son dossier.
3. Lorsqu'une enquête administrative a été diligentée sur le comportement d'un agent public, y compris lorsqu'elle a été confiée à des corps d'inspection, le rapport établi à l'issue de cette enquête, ainsi que, lorsqu'ils existent, les procès-verbaux des auditions des personnes entendues sur le comportement de l'agent faisant l'objet de l'enquête font partie des pièces dont ce dernier doit recevoir communication en application de l'article 65 de la loi du 22 avril 1905, sauf si la communication de ces procès-verbaux serait de nature à porter gravement préjudice aux personnes qui ont témoigné.
4. D'une part, il ressort des pièces du dossier que la décision de mettre fin aux fonctions de M. B... a été prise au vu du rapport d'inspection, mentionné précédemment, qui, s'il a écarté l'imputation à l'intéressé de faits de harcèlement sexuel à l'origine de l'enquête administrative, a fait état d'un comportement et d'un mode de direction ayant causé des difficultés parfois graves à plusieurs agents de l'établissement et a préconisé le départ de l'intéressé, regardé comme nécessaire pour engager au plus tôt les mesures permettant de rétablir le bon fonctionnement de l'établissement. La décision de mettre fin aux fonctions de M. B... ayant été prise, à la suite de ce rapport, en considération de son comportement, quand bien même elle a eu pour seul objet de veiller à l'intérêt du service, devait être précédée de la formalité instituée par l'article 65 de la loi du 22 avril 1905.
5. D'autre part, il ressort des pièces du dossier et il n'est pas contesté qu'après avoir été destinataire, le 9 avril 2019, du rapport d'inspection, M. B... a été informé par un courrier du 23 avril 2019 de la directrice de la sécurité sociale du ministère des solidarités et de la santé et du directeur des affaires maritimes du ministère de la transition écologique et solidaire qu'il allait être proposé au Président de la République de mettre fin à ses fonctions de directeur de l'Etablissement national des invalides de la marine et qu'il avait la possibilité de consulter son dossier administratif et de formuler des observations. L'intéressé a alors consulté son dossier administratif le 16 mai 2019 et présenté des observations par une lettre du 23 mai 2019. Cependant, ni son dossier administratif ni le rapport d'inspection qui lui avait été communiqué ne comprenaient les cinquante-cinq procès-verbaux d'audition des agents de l'Etablissement national des invalides de la marine établis dans le cadre de la mission d'enquête administrative. La demande de l'intéressé tendant à recevoir communication de ces pièces a, par la suite, fait l'objet d'une décision de refus.
6. Dans ces conditions, M. B..., qui n'a, ainsi, pas reçu communication de l'ensemble des pièces qu'il était en droit d'obtenir, en vertu de l'article 65 de la loi du 22 avril 1905, préalablement à l'intervention de la décision ayant mis fin à ses fonctions, est fondé à soutenir que cette décision a été prise au terme d'une procédure irrégulière. Par suite, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de sa requête, il est fondé à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret qu'il attaque.
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros à verser à M. B..., au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Le décret du 29 mai 2019 mettant fin aux fonctions de M. B... en qualité de directeur de l'Etablissement national des invalides de la marine est annulé.
Article 2 : L'Etat versera à M. B... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. A... B..., au Premier ministre, à la ministre de la transition écologique et solidaire, à la ministre des solidarités et de la santé et au ministre de l'action et des comptes publics.
N° 433130
ECLI:FR:CECHR:2020:433130.20200205
Publié au recueil Lebon
6ème - 5ème chambres réunies
Mme Catherine Moreau, rapporteur
M. Louis Dutheillet de Lamothe, rapporteur public
Lecture du mercredi 5 février 2020
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 30 juillet et 19 novembre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 29 mai 2019 du Président de la République mettant fin à ses fonctions de directeur de l'Etablissement national des invalides de la marine ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi du 22 avril 1905 ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 2010-1009 du 30 août 2010 ;
- le décret n° 2010-1035 du 1er septembre 2010 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Catherine Moreau, conseiller d'Etat en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Louis Dutheillet de Lamothe, rapporteur public ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 10 janvier 2020, présentée par la ministre des solidarités et de la santé ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier que M. B... a été nommé directeur de l'Etablissement national des invalides de la marine par un décret du 8 décembre 2016 pour une durée de trois ans. Les ministres chargés de la tutelle de cet établissement, après que des signalements eurent fait état de ce que des situations pouvant constituer des faits de harcèlement à l'encontre de certains membres du personnel de cet établissement étaient reprochés à M. B..., ont confié à l'inspection générale des affaires sociales et le conseil général de l'environnement et du développement durable une mission d'enquête administrative sur la manière dont l'intéressé assurait la direction de l'établissement. Le rapport de la mission d'inspection, rendu aux ministres en avril 2019, a recommandé qu'il soit mis fin aux fonctions de M. B.... Par la présente requête, ce dernier demande l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 29 mai 2019 ayant mis fin à ses fonctions.
2. En vertu de l'article 65 de la loi du 22 avril 1905, un agent public faisant l'objet d'une mesure prise en considération de sa personne, qu'elle soit ou non justifiée par l'intérêt du service, doit être mis à même d'obtenir communication de son dossier.
3. Lorsqu'une enquête administrative a été diligentée sur le comportement d'un agent public, y compris lorsqu'elle a été confiée à des corps d'inspection, le rapport établi à l'issue de cette enquête, ainsi que, lorsqu'ils existent, les procès-verbaux des auditions des personnes entendues sur le comportement de l'agent faisant l'objet de l'enquête font partie des pièces dont ce dernier doit recevoir communication en application de l'article 65 de la loi du 22 avril 1905, sauf si la communication de ces procès-verbaux serait de nature à porter gravement préjudice aux personnes qui ont témoigné.
4. D'une part, il ressort des pièces du dossier que la décision de mettre fin aux fonctions de M. B... a été prise au vu du rapport d'inspection, mentionné précédemment, qui, s'il a écarté l'imputation à l'intéressé de faits de harcèlement sexuel à l'origine de l'enquête administrative, a fait état d'un comportement et d'un mode de direction ayant causé des difficultés parfois graves à plusieurs agents de l'établissement et a préconisé le départ de l'intéressé, regardé comme nécessaire pour engager au plus tôt les mesures permettant de rétablir le bon fonctionnement de l'établissement. La décision de mettre fin aux fonctions de M. B... ayant été prise, à la suite de ce rapport, en considération de son comportement, quand bien même elle a eu pour seul objet de veiller à l'intérêt du service, devait être précédée de la formalité instituée par l'article 65 de la loi du 22 avril 1905.
5. D'autre part, il ressort des pièces du dossier et il n'est pas contesté qu'après avoir été destinataire, le 9 avril 2019, du rapport d'inspection, M. B... a été informé par un courrier du 23 avril 2019 de la directrice de la sécurité sociale du ministère des solidarités et de la santé et du directeur des affaires maritimes du ministère de la transition écologique et solidaire qu'il allait être proposé au Président de la République de mettre fin à ses fonctions de directeur de l'Etablissement national des invalides de la marine et qu'il avait la possibilité de consulter son dossier administratif et de formuler des observations. L'intéressé a alors consulté son dossier administratif le 16 mai 2019 et présenté des observations par une lettre du 23 mai 2019. Cependant, ni son dossier administratif ni le rapport d'inspection qui lui avait été communiqué ne comprenaient les cinquante-cinq procès-verbaux d'audition des agents de l'Etablissement national des invalides de la marine établis dans le cadre de la mission d'enquête administrative. La demande de l'intéressé tendant à recevoir communication de ces pièces a, par la suite, fait l'objet d'une décision de refus.
6. Dans ces conditions, M. B..., qui n'a, ainsi, pas reçu communication de l'ensemble des pièces qu'il était en droit d'obtenir, en vertu de l'article 65 de la loi du 22 avril 1905, préalablement à l'intervention de la décision ayant mis fin à ses fonctions, est fondé à soutenir que cette décision a été prise au terme d'une procédure irrégulière. Par suite, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de sa requête, il est fondé à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret qu'il attaque.
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros à verser à M. B..., au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Le décret du 29 mai 2019 mettant fin aux fonctions de M. B... en qualité de directeur de l'Etablissement national des invalides de la marine est annulé.
Article 2 : L'Etat versera à M. B... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. A... B..., au Premier ministre, à la ministre de la transition écologique et solidaire, à la ministre des solidarités et de la santé et au ministre de l'action et des comptes publics.