Conseil d'État
N° 432216
ECLI:FR:CEORD:2019:432216.20191108
Inédit au recueil Lebon
M. Gilles Pellissier, rapporteur public
SCP FOUSSARD, FROGER ; SCP MELKA - PRIGENT ; SCP CELICE, SOLTNER, TEXIDOR, PERIER, avocats
Lecture du vendredi 8 novembre 2019
Vu les procédures suivantes :
La société Martiniquaise de Distribution et de Services a demandé au juge des référés du tribunal administratif de la Martinique, dans le dernier état de ses écritures, d'annuler, sur le fondement de l'article L. 551-18 du code de justice administrative, le contrat de concession du service public de fourniture d'eau potable communautaire conclu le 29 mai 2019 entre la communauté d'agglomération du Pays Nord Martinique et la société Martiniquaise des Eaux.
Par une ordonnance n° 1900335 du 18 juin 2019, le juge des référés du tribunal administratif de la Martinique a annulé ce contrat.
1° Sous le n° 432216, par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 3 juillet, 18 juillet et 19 septembre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la communauté d'agglomération du Pays Nord Martinique demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) statuant en référé, de rejeter la demande de la société Martiniquaise de Distribution et de Services ;
3°) de mettre à la charge de la société Martiniquaise de Distribution et de Services la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
2° Sous le n° 432223, par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 3 juillet, 17 juillet et 21 octobre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Martiniquaise des Eaux demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) statuant en référé, de rejeter la demande de la société Martiniquaise de Distribution et de Services ;
3°) de mettre à la charge de la société Martiniquaise de Distribution et de Services la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
....................................................................................
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- l'ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 ;
- le décret n° 2016-86 du 1er février 2016 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jean Sirinelli, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Gilles Pellissier, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la communauté d'agglomération du Pays Nord Martinique, à la SCP Melka-Prigent, avocat de la société Martiniquaise de Distribution et de Services, et à la SCP Célice, Soltner, Texidor, Perier, avocat de la société Martiniquaise des Eaux ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 23 octobre 2019, présentée par la société Martiniquaise de Distribution et de Services ;
Considérant ce qui suit :
1. Les pourvois de la communauté d'agglomération du Pays Nord Martinique et de la société Martiniquaise des Eaux sont dirigés contre la même décision. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.
2. Aux termes de l'article L. 551-13 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi, une fois conclu l'un des contrats mentionnés aux articles L. 551-1 et L. 551-5, d'un recours régi par la présente section ". Aux termes de l'article L. 551-18 du code de justice administrative : " Le juge prononce la nullité du contrat lorsqu'aucune des mesures de publicité requises pour sa passation n'a été prise, ou lorsque a été omise une publication au Journal officiel de l'Union européenne dans le cas où une telle publication est prescrite. / La même annulation est prononcée lorsque ont été méconnues les modalités de remise en concurrence prévues pour la passation des contrats fondés sur un accord-cadre ou un système d'acquisition dynamique. / Le juge prononce également la nullité du contrat lorsque celui-ci a été signé avant l'expiration du délai exigé après l'envoi de la décision d'attribution aux opérateurs économiques ayant présenté une candidature ou une offre ou pendant la suspension prévue à l'article L. 551-4 ou à l'article L. 551-9 si, en outre, deux conditions sont remplies : la méconnaissance de ces obligations a privé le demandeur de son droit d'exercer le recours prévu par les articles L. 551-1 et L. 551-5, et les obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles sa passation est soumise ont été méconnues d'une manière affectant les chances de l'auteur du recours d'obtenir le contrat ".
3. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de la Martinique que la communauté d'agglomération du Pays Nord Martinique (CAP Nord) a lancé une consultation en vue de procéder à la délégation du service public de fourniture d'eau potable communautaire pour une durée de quatre ans. A la suite de l'admission de sa candidature, l'offre de la société Martiniquaise de Distribution et de Services (SMDS) a été examinée et rejetée, le conseil communautaire ayant approuvé celle de la société Martiniquaise des Eaux (SME). Par l'ordonnance attaquée, contre laquelle la CAP Nord et la SME se pourvoient en cassation, le juge des référés a annulé à la demande de la SMDS, sur le fondement du 3ème alinéa de l'article L. 551-18 du code de justice administrative, le contrat de concession du service public de fourniture d'eau potable communautaire en litige conclu entre la CAP Nord et la SME.
Sur les pourvois :
4. D'une part, selon l'article 9 du décret du 1er février 2016 relatif aux contrats de concession, alors applicable : " Les contrats de concession sont passés dans le respect des règles procédurales communes prévues par le présent chapitre. / Le présent chapitre fixe également les règles de passation particulières respectivement applicables : / 1° Aux contrats dont la valeur estimée hors taxe est égale ou supérieure au seuil européen publié au Journal officiel de la République française ; 2° Aux contrats définis à l'article 10 ". L'article 10 du même décret dispose que : " Les contrats de concession mentionnés au 2° de l'article 9 sont les contrats suivants : (...) / 2° Les contrats de concession qui ont, quelle que soit leur valeur estimée, pour objet : / a) Les activités relevant du 3° du I de l'article 11 de l'ordonnance du 29 janvier 2016 susvisée ". Aux termes de l'article 11 de l'ordonnance du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession, alors applicable : " I. - Sont des activités d'opérateur de réseaux au sens de la présente ordonnance : / (...) / 3° La mise à disposition, l'exploitation ou l'alimentation de réseaux fixes destinés à fournir un service au public dans le domaine de la production, du transport ou de la distribution d'eau potable ".
5. D'autre part, aux termes de l'article 27 du même décret : " I. - Pour attribuer le contrat de concession, l'autorité concédante se fonde, conformément aux dispositions de l'article 47 de l'ordonnance du 29 janvier 2016 susvisée, sur une pluralité de critères non discriminatoires. (...) / Les critères et leur description sont indiqués dans l'avis de concession, dans l'invitation à présenter une offre ou dans tout autre document de la consultation. / II. - Pour les contrats de concession qui relèvent du 1° de l'article 9, l'autorité concédante fixe les critères d'attribution par ordre décroissant d'importance. Leur hiérarchisation est indiquée dans l'avis de concession, dans l'invitation à présenter une offre ou dans tout autre document de la consultation ". Aux termes de l'article 29 du même décret : " I. - Pour les contrats de concession dont la valeur est égale ou supérieure au seuil visé à l'article 9, à l'exception des contrats de concession relevant du a et du b du 2° de l'article 10, l'autorité concédante, dès qu'elle a fait son choix pour une candidature ou une offre, notifie à tous les autres candidats et soumissionnaires le rejet de leur candidature ou de leur offre. Cette notification précise les motifs de ce rejet et, pour les soumissionnaires, le nom du ou des attributaires ainsi que les motifs qui ont conduit au choix de l'offre. / Un délai d'au moins seize jours est respecté entre la date d'envoi de la notification et la date de conclusion du contrat de concession. Ce délai est réduit à au moins onze jours en cas de transmission électronique de cette notification à l'ensemble des candidats et soumissionnaires intéressés. / La notification de l'attribution du contrat de concession comporte l'indication de la durée du délai de suspension que l'autorité concédante s'impose, eu égard notamment au mode de transmission retenu ".
6. En renvoyant aux activités mentionnées au 3° du I de l'article 11 de l'ordonnance du 29 janvier 2016, l'article 10 du décret du 1er février 2016 s'est fondé sur le critère matériel de l'objet du contrat pour exclure l'application des règles de passation particulières applicables aux contrats dont la valeur estimée hors taxe est égale ou supérieure au seuil européen, au nombre desquelles figurent l'obligation pour l'autorité concédante, prévue au II de l'article 27 du décret, de fixer les critères d'attribution du contrat par ordre décroissant d'importance ainsi que l'obligation prévue au I de l'article 29 de notifier aux soumissionnaires la décision d'attribution de la concession et de respecter un délai de suspension d'au moins onze jours entre la date d'envoi de la notification et la date de conclusion du contrat de concession, aux contrats relatifs à la mise à disposition, à l'exploitation ou à l'alimentation de réseaux fixes destinés à fournir un service au public dans le domaine de la production, du transport ou de la distribution d'eau potable, quelle que soit leur valeur estimée et qu'ils soient conclus par un pouvoir adjudicateur ou une entité adjudicatrice. Contrairement à ce qui est soutenu par la SMDS, l'exclusion des concessions relevant du secteur de l'eau potable de ces obligations n'est contraire ni au principe d'égalité devant la loi ni aux principes du droit de la commande publique ni au droit à un recours effectif.
7. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que le contrat de concession en litige a pour objet la délégation du service public de fourniture d'eau potable communautaire de la CAP Nord. Un contrat ayant un tel objet est au nombre de ceux que vise le 2° de l'article 10 du décret du 1er février 2016 cité ci-dessus.
8. Dès lors, il résulte de ce qui a été dit au point 6 que le juge des référés du tribunal administratif de la Martinique a commis une erreur de droit en estimant que s'imposait au contrat en litige, eu égard à sa valeur, l'obligation de prévoir et d'indiquer la hiérarchie des critères de sélection des offres prévue aux dispositions précitées de l'article 27 du décret du 1er février 2016 et que cette obligation avait été méconnue par la CAP Nord, et en annulant pour ce motif, sur le fondement du 3ème alinéa de l'article L. 551-18 du code de justice administrative, le contrat de délégation de service public conclu entre la CAP Nord et la société Martiniquaise des Eaux.
9. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens des pourvois, que la CAP Nord et la SME sont fondées à demander l'annulation de l'ordonnance qu'elles attaquent.
10. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée.
Sur la recevabilité de la demande de la SMDS :
11. Aux termes de l'article L. 551-14 du code de justice administrative : " Les personnes habilitées à agir sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d'être lésées par des manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles sont soumis ces contrats, ainsi que le représentant de l'Etat dans le cas des contrats passés par une collectivité territoriale ou un établissement public local. / Toutefois, le recours régi par la présente section n'est pas ouvert au demandeur ayant fait usage du recours prévu à l'article L. 551-1 ou à l'article L. 551-5 dès lors que le pouvoir adjudicateur ou l'entité adjudicatrice a respecté la suspension prévue à l'article L. 551-4 ou à l'article L. 551-9 et s'est conformé à la décision juridictionnelle rendue sur ce recours ". Aux termes de l'article L. 551-15 du même code : " Le recours régi par la présente section ne peut être exercé ni à l'égard des contrats dont la passation n'est pas soumise à une obligation de publicité préalable lorsque le pouvoir adjudicateur ou l'entité adjudicatrice a, avant la conclusion du contrat, rendu publique son intention de le conclure et observé un délai de onze jours après cette publication, ni à l'égard des contrats soumis à publicité préalable auxquels ne s'applique pas l'obligation de communiquer la décision d'attribution aux candidats non retenus lorsque le pouvoir adjudicateur ou l'entité adjudicatrice a accompli la même formalité (...) ". Aux termes de l'article R. 551-7-1 de ce code : " Pour pouvoir se prévaloir des dispositions du premier alinéa de l'article L. 551-15, le pouvoir adjudicateur ou l'entité adjudicatrice publie au Journal officiel de l'Union européenne un avis, conforme au modèle fixé par le règlement de la Commission européenne établissant les formulaires standard pour la publication d'avis en matière de marchés publics et de contrats de concession, relatif à son intention de conclure un contrat. Il respecte un délai d'au moins onze jours entre la date de publication de cet avis et la date de conclusion du contrat ".
12. Il résulte des dispositions citées au point précédent qu'un soumissionnaire qui a engagé un référé précontractuel postérieurement à la signature d'un contrat de concession ayant pour objet les activités relevant du 3° du I de l'article 11 de l'ordonnance du 29 janvier 2016, qui ainsi qu'il a été dit n'est pas soumise à l'obligation de notifier aux soumissionnaires la décision d'attribution du contrat, est recevable à saisir le juge du référé contractuel d'une demande dirigée contre cette concession lorsque le pouvoir adjudicateur n'a pas rendu publique son intention de conclure le contrat dans les conditions prévues par l'article R. 551-7-1 du code de justice administrative et n'a pas observé, avant de le signer, le délai d'au moins onze jours entre la date de publication de l'avis et la date de conclusion du contrat prévu par cet article.
13. Il résulte de l'instruction que la CAP Nord, qui s'est bornée à publier un avis d'appel public à concurrence le 21 juin 2018 au bulletin officiel des annonces de marchés publics, n'a pas rendu publique son intention de conclure la concession litigieuse dans les conditions prévues par l'article R. 551-7-1 du code de justice administrative avant de signer le contrat, le 29 mai 2019. Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que la SMDS, bien qu'ayant introduit un référé précontractuel le 5 juin 2019, est recevable à demander, sur le fondement de l'article L. 551-13 du code de justice administrative, l'annulation du contrat de concession conclu entre la CAP Nord et la SME.
Sur les manquements invoqués par la SMDS :
14. Il résulte des dispositions citées au point 11 que, s'agissant des concessions ayant pour objet les activités relevant du 3° du I de l'article 11 de l'ordonnance du 29 janvier 2016, qui ne sont pas soumises à l'obligation, pour l'autorité concédante, de notifier aux soumissionnaires, avant la signature du contrat, la décision d'attribution, l'annulation d'un tel contrat ne peut, en principe, résulter que du constat du manquement mentionné au 1er alinéa de l'article L. 551-18 du code de justice administrative, c'est-à-dire de l'absence des mesures de publicité requises pour sa passation. Le juge du référé contractuel doit également annuler une telle concession, sur le fondement des dispositions du 3ème alinéa de l'article L. 551-18 du même code, ou prendre l'une des autres mesures mentionnées à l'article L. 551-20 dans l'hypothèse où, si un recours en référé précontractuel a été formé, l'autorité concédante n'a pas respecté la suspension de signature du contrat prévue aux articles L. 551-4 ou L. 551-9 ou ne s'est pas conformée à la décision juridictionnelle rendue sur ce référé.
15. Il résulte de l'instruction, d'une part, que la CAP Nord a publié un avis d'appel public à concurrence le 21 juin 2018 au bulletin officiel des annonces de marchés publics et, d'autre part, que la CAP Nord n'a pas méconnu l'obligation de suspension de signature du contrat prévue à l'article L. 551-4 du code de justice administrative, la SMDS ayant introduit son référé précontractuel après la signature du contrat de concession en litige.
16. La SMDS se prévaut uniquement de manquements visés au 3ème alinéa de l'article L. 551-18 du code de justice administrative. Dès lors, il résulte de ce qui a été dit aux points 14 et 15 que les manquements invoqués ne relèvent d'aucune des hypothèses dans lesquelles le juge du référé contractuel peut exercer son office. Par suite, la demande de la SMDS tendant à ce que soit prononcée l'annulation du marché ne peut qu'être rejetée.
17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la CAP Nord et de la SME, qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance, le versement des sommes demandées par la SMDS au titre de ces dispositions. Il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la SMDS, au titre des mêmes dispositions, le versement à la CAP Nord et de la SME d'une somme de 4 000 euros chacune pour la procédure suivie devant le Conseil d'Etat et devant le juge des référés du tribunal administratif de la Martinique.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de la Martinique du 18 juin 2019 est annulée.
Article 2 : La demande de la société Martiniquaise de Distribution et de Services devant le juge des référés du tribunal administratif de la Martinique et ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La société Martiniquaise de Distribution et de Services versera à la communauté d'agglomération du Pays Nord Martinique, d'une part, et à la société Martiniquaise des Eaux, d'autre part, une somme de 4 000 euros chacune, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la communauté d'agglomération du Pays Nord Martinique, à la société Martiniquaise de Distribution et de Services et à la société Martiniquaise des Eaux.
N° 432216
ECLI:FR:CEORD:2019:432216.20191108
Inédit au recueil Lebon
M. Gilles Pellissier, rapporteur public
SCP FOUSSARD, FROGER ; SCP MELKA - PRIGENT ; SCP CELICE, SOLTNER, TEXIDOR, PERIER, avocats
Lecture du vendredi 8 novembre 2019
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu les procédures suivantes :
La société Martiniquaise de Distribution et de Services a demandé au juge des référés du tribunal administratif de la Martinique, dans le dernier état de ses écritures, d'annuler, sur le fondement de l'article L. 551-18 du code de justice administrative, le contrat de concession du service public de fourniture d'eau potable communautaire conclu le 29 mai 2019 entre la communauté d'agglomération du Pays Nord Martinique et la société Martiniquaise des Eaux.
Par une ordonnance n° 1900335 du 18 juin 2019, le juge des référés du tribunal administratif de la Martinique a annulé ce contrat.
1° Sous le n° 432216, par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 3 juillet, 18 juillet et 19 septembre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la communauté d'agglomération du Pays Nord Martinique demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) statuant en référé, de rejeter la demande de la société Martiniquaise de Distribution et de Services ;
3°) de mettre à la charge de la société Martiniquaise de Distribution et de Services la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
2° Sous le n° 432223, par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 3 juillet, 17 juillet et 21 octobre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Martiniquaise des Eaux demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) statuant en référé, de rejeter la demande de la société Martiniquaise de Distribution et de Services ;
3°) de mettre à la charge de la société Martiniquaise de Distribution et de Services la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
....................................................................................
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- l'ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 ;
- le décret n° 2016-86 du 1er février 2016 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jean Sirinelli, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Gilles Pellissier, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la communauté d'agglomération du Pays Nord Martinique, à la SCP Melka-Prigent, avocat de la société Martiniquaise de Distribution et de Services, et à la SCP Célice, Soltner, Texidor, Perier, avocat de la société Martiniquaise des Eaux ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 23 octobre 2019, présentée par la société Martiniquaise de Distribution et de Services ;
Considérant ce qui suit :
1. Les pourvois de la communauté d'agglomération du Pays Nord Martinique et de la société Martiniquaise des Eaux sont dirigés contre la même décision. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.
2. Aux termes de l'article L. 551-13 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi, une fois conclu l'un des contrats mentionnés aux articles L. 551-1 et L. 551-5, d'un recours régi par la présente section ". Aux termes de l'article L. 551-18 du code de justice administrative : " Le juge prononce la nullité du contrat lorsqu'aucune des mesures de publicité requises pour sa passation n'a été prise, ou lorsque a été omise une publication au Journal officiel de l'Union européenne dans le cas où une telle publication est prescrite. / La même annulation est prononcée lorsque ont été méconnues les modalités de remise en concurrence prévues pour la passation des contrats fondés sur un accord-cadre ou un système d'acquisition dynamique. / Le juge prononce également la nullité du contrat lorsque celui-ci a été signé avant l'expiration du délai exigé après l'envoi de la décision d'attribution aux opérateurs économiques ayant présenté une candidature ou une offre ou pendant la suspension prévue à l'article L. 551-4 ou à l'article L. 551-9 si, en outre, deux conditions sont remplies : la méconnaissance de ces obligations a privé le demandeur de son droit d'exercer le recours prévu par les articles L. 551-1 et L. 551-5, et les obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles sa passation est soumise ont été méconnues d'une manière affectant les chances de l'auteur du recours d'obtenir le contrat ".
3. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de la Martinique que la communauté d'agglomération du Pays Nord Martinique (CAP Nord) a lancé une consultation en vue de procéder à la délégation du service public de fourniture d'eau potable communautaire pour une durée de quatre ans. A la suite de l'admission de sa candidature, l'offre de la société Martiniquaise de Distribution et de Services (SMDS) a été examinée et rejetée, le conseil communautaire ayant approuvé celle de la société Martiniquaise des Eaux (SME). Par l'ordonnance attaquée, contre laquelle la CAP Nord et la SME se pourvoient en cassation, le juge des référés a annulé à la demande de la SMDS, sur le fondement du 3ème alinéa de l'article L. 551-18 du code de justice administrative, le contrat de concession du service public de fourniture d'eau potable communautaire en litige conclu entre la CAP Nord et la SME.
Sur les pourvois :
4. D'une part, selon l'article 9 du décret du 1er février 2016 relatif aux contrats de concession, alors applicable : " Les contrats de concession sont passés dans le respect des règles procédurales communes prévues par le présent chapitre. / Le présent chapitre fixe également les règles de passation particulières respectivement applicables : / 1° Aux contrats dont la valeur estimée hors taxe est égale ou supérieure au seuil européen publié au Journal officiel de la République française ; 2° Aux contrats définis à l'article 10 ". L'article 10 du même décret dispose que : " Les contrats de concession mentionnés au 2° de l'article 9 sont les contrats suivants : (...) / 2° Les contrats de concession qui ont, quelle que soit leur valeur estimée, pour objet : / a) Les activités relevant du 3° du I de l'article 11 de l'ordonnance du 29 janvier 2016 susvisée ". Aux termes de l'article 11 de l'ordonnance du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession, alors applicable : " I. - Sont des activités d'opérateur de réseaux au sens de la présente ordonnance : / (...) / 3° La mise à disposition, l'exploitation ou l'alimentation de réseaux fixes destinés à fournir un service au public dans le domaine de la production, du transport ou de la distribution d'eau potable ".
5. D'autre part, aux termes de l'article 27 du même décret : " I. - Pour attribuer le contrat de concession, l'autorité concédante se fonde, conformément aux dispositions de l'article 47 de l'ordonnance du 29 janvier 2016 susvisée, sur une pluralité de critères non discriminatoires. (...) / Les critères et leur description sont indiqués dans l'avis de concession, dans l'invitation à présenter une offre ou dans tout autre document de la consultation. / II. - Pour les contrats de concession qui relèvent du 1° de l'article 9, l'autorité concédante fixe les critères d'attribution par ordre décroissant d'importance. Leur hiérarchisation est indiquée dans l'avis de concession, dans l'invitation à présenter une offre ou dans tout autre document de la consultation ". Aux termes de l'article 29 du même décret : " I. - Pour les contrats de concession dont la valeur est égale ou supérieure au seuil visé à l'article 9, à l'exception des contrats de concession relevant du a et du b du 2° de l'article 10, l'autorité concédante, dès qu'elle a fait son choix pour une candidature ou une offre, notifie à tous les autres candidats et soumissionnaires le rejet de leur candidature ou de leur offre. Cette notification précise les motifs de ce rejet et, pour les soumissionnaires, le nom du ou des attributaires ainsi que les motifs qui ont conduit au choix de l'offre. / Un délai d'au moins seize jours est respecté entre la date d'envoi de la notification et la date de conclusion du contrat de concession. Ce délai est réduit à au moins onze jours en cas de transmission électronique de cette notification à l'ensemble des candidats et soumissionnaires intéressés. / La notification de l'attribution du contrat de concession comporte l'indication de la durée du délai de suspension que l'autorité concédante s'impose, eu égard notamment au mode de transmission retenu ".
6. En renvoyant aux activités mentionnées au 3° du I de l'article 11 de l'ordonnance du 29 janvier 2016, l'article 10 du décret du 1er février 2016 s'est fondé sur le critère matériel de l'objet du contrat pour exclure l'application des règles de passation particulières applicables aux contrats dont la valeur estimée hors taxe est égale ou supérieure au seuil européen, au nombre desquelles figurent l'obligation pour l'autorité concédante, prévue au II de l'article 27 du décret, de fixer les critères d'attribution du contrat par ordre décroissant d'importance ainsi que l'obligation prévue au I de l'article 29 de notifier aux soumissionnaires la décision d'attribution de la concession et de respecter un délai de suspension d'au moins onze jours entre la date d'envoi de la notification et la date de conclusion du contrat de concession, aux contrats relatifs à la mise à disposition, à l'exploitation ou à l'alimentation de réseaux fixes destinés à fournir un service au public dans le domaine de la production, du transport ou de la distribution d'eau potable, quelle que soit leur valeur estimée et qu'ils soient conclus par un pouvoir adjudicateur ou une entité adjudicatrice. Contrairement à ce qui est soutenu par la SMDS, l'exclusion des concessions relevant du secteur de l'eau potable de ces obligations n'est contraire ni au principe d'égalité devant la loi ni aux principes du droit de la commande publique ni au droit à un recours effectif.
7. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que le contrat de concession en litige a pour objet la délégation du service public de fourniture d'eau potable communautaire de la CAP Nord. Un contrat ayant un tel objet est au nombre de ceux que vise le 2° de l'article 10 du décret du 1er février 2016 cité ci-dessus.
8. Dès lors, il résulte de ce qui a été dit au point 6 que le juge des référés du tribunal administratif de la Martinique a commis une erreur de droit en estimant que s'imposait au contrat en litige, eu égard à sa valeur, l'obligation de prévoir et d'indiquer la hiérarchie des critères de sélection des offres prévue aux dispositions précitées de l'article 27 du décret du 1er février 2016 et que cette obligation avait été méconnue par la CAP Nord, et en annulant pour ce motif, sur le fondement du 3ème alinéa de l'article L. 551-18 du code de justice administrative, le contrat de délégation de service public conclu entre la CAP Nord et la société Martiniquaise des Eaux.
9. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens des pourvois, que la CAP Nord et la SME sont fondées à demander l'annulation de l'ordonnance qu'elles attaquent.
10. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée.
Sur la recevabilité de la demande de la SMDS :
11. Aux termes de l'article L. 551-14 du code de justice administrative : " Les personnes habilitées à agir sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d'être lésées par des manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles sont soumis ces contrats, ainsi que le représentant de l'Etat dans le cas des contrats passés par une collectivité territoriale ou un établissement public local. / Toutefois, le recours régi par la présente section n'est pas ouvert au demandeur ayant fait usage du recours prévu à l'article L. 551-1 ou à l'article L. 551-5 dès lors que le pouvoir adjudicateur ou l'entité adjudicatrice a respecté la suspension prévue à l'article L. 551-4 ou à l'article L. 551-9 et s'est conformé à la décision juridictionnelle rendue sur ce recours ". Aux termes de l'article L. 551-15 du même code : " Le recours régi par la présente section ne peut être exercé ni à l'égard des contrats dont la passation n'est pas soumise à une obligation de publicité préalable lorsque le pouvoir adjudicateur ou l'entité adjudicatrice a, avant la conclusion du contrat, rendu publique son intention de le conclure et observé un délai de onze jours après cette publication, ni à l'égard des contrats soumis à publicité préalable auxquels ne s'applique pas l'obligation de communiquer la décision d'attribution aux candidats non retenus lorsque le pouvoir adjudicateur ou l'entité adjudicatrice a accompli la même formalité (...) ". Aux termes de l'article R. 551-7-1 de ce code : " Pour pouvoir se prévaloir des dispositions du premier alinéa de l'article L. 551-15, le pouvoir adjudicateur ou l'entité adjudicatrice publie au Journal officiel de l'Union européenne un avis, conforme au modèle fixé par le règlement de la Commission européenne établissant les formulaires standard pour la publication d'avis en matière de marchés publics et de contrats de concession, relatif à son intention de conclure un contrat. Il respecte un délai d'au moins onze jours entre la date de publication de cet avis et la date de conclusion du contrat ".
12. Il résulte des dispositions citées au point précédent qu'un soumissionnaire qui a engagé un référé précontractuel postérieurement à la signature d'un contrat de concession ayant pour objet les activités relevant du 3° du I de l'article 11 de l'ordonnance du 29 janvier 2016, qui ainsi qu'il a été dit n'est pas soumise à l'obligation de notifier aux soumissionnaires la décision d'attribution du contrat, est recevable à saisir le juge du référé contractuel d'une demande dirigée contre cette concession lorsque le pouvoir adjudicateur n'a pas rendu publique son intention de conclure le contrat dans les conditions prévues par l'article R. 551-7-1 du code de justice administrative et n'a pas observé, avant de le signer, le délai d'au moins onze jours entre la date de publication de l'avis et la date de conclusion du contrat prévu par cet article.
13. Il résulte de l'instruction que la CAP Nord, qui s'est bornée à publier un avis d'appel public à concurrence le 21 juin 2018 au bulletin officiel des annonces de marchés publics, n'a pas rendu publique son intention de conclure la concession litigieuse dans les conditions prévues par l'article R. 551-7-1 du code de justice administrative avant de signer le contrat, le 29 mai 2019. Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que la SMDS, bien qu'ayant introduit un référé précontractuel le 5 juin 2019, est recevable à demander, sur le fondement de l'article L. 551-13 du code de justice administrative, l'annulation du contrat de concession conclu entre la CAP Nord et la SME.
Sur les manquements invoqués par la SMDS :
14. Il résulte des dispositions citées au point 11 que, s'agissant des concessions ayant pour objet les activités relevant du 3° du I de l'article 11 de l'ordonnance du 29 janvier 2016, qui ne sont pas soumises à l'obligation, pour l'autorité concédante, de notifier aux soumissionnaires, avant la signature du contrat, la décision d'attribution, l'annulation d'un tel contrat ne peut, en principe, résulter que du constat du manquement mentionné au 1er alinéa de l'article L. 551-18 du code de justice administrative, c'est-à-dire de l'absence des mesures de publicité requises pour sa passation. Le juge du référé contractuel doit également annuler une telle concession, sur le fondement des dispositions du 3ème alinéa de l'article L. 551-18 du même code, ou prendre l'une des autres mesures mentionnées à l'article L. 551-20 dans l'hypothèse où, si un recours en référé précontractuel a été formé, l'autorité concédante n'a pas respecté la suspension de signature du contrat prévue aux articles L. 551-4 ou L. 551-9 ou ne s'est pas conformée à la décision juridictionnelle rendue sur ce référé.
15. Il résulte de l'instruction, d'une part, que la CAP Nord a publié un avis d'appel public à concurrence le 21 juin 2018 au bulletin officiel des annonces de marchés publics et, d'autre part, que la CAP Nord n'a pas méconnu l'obligation de suspension de signature du contrat prévue à l'article L. 551-4 du code de justice administrative, la SMDS ayant introduit son référé précontractuel après la signature du contrat de concession en litige.
16. La SMDS se prévaut uniquement de manquements visés au 3ème alinéa de l'article L. 551-18 du code de justice administrative. Dès lors, il résulte de ce qui a été dit aux points 14 et 15 que les manquements invoqués ne relèvent d'aucune des hypothèses dans lesquelles le juge du référé contractuel peut exercer son office. Par suite, la demande de la SMDS tendant à ce que soit prononcée l'annulation du marché ne peut qu'être rejetée.
17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la CAP Nord et de la SME, qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance, le versement des sommes demandées par la SMDS au titre de ces dispositions. Il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la SMDS, au titre des mêmes dispositions, le versement à la CAP Nord et de la SME d'une somme de 4 000 euros chacune pour la procédure suivie devant le Conseil d'Etat et devant le juge des référés du tribunal administratif de la Martinique.
D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de la Martinique du 18 juin 2019 est annulée.
Article 2 : La demande de la société Martiniquaise de Distribution et de Services devant le juge des référés du tribunal administratif de la Martinique et ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La société Martiniquaise de Distribution et de Services versera à la communauté d'agglomération du Pays Nord Martinique, d'une part, et à la société Martiniquaise des Eaux, d'autre part, une somme de 4 000 euros chacune, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la communauté d'agglomération du Pays Nord Martinique, à la société Martiniquaise de Distribution et de Services et à la société Martiniquaise des Eaux.