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Ariane Web: Conseil d'État 419516, lecture du 24 octobre 2019, ECLI:FR:CECHS:2019:419516.20191024

Décision n° 419516
24 octobre 2019
Conseil d'État

N° 419516
ECLI:FR:CECHS:2019:419516.20191024
Inédit au recueil Lebon
3ème chambre
M. Sylvain Monteillet, rapporteur
Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteur public
SCP COLIN-STOCLET ; SCP DELAMARRE, JEHANNIN, avocats


Lecture du jeudi 24 octobre 2019
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Caen, d'une part, d'annuler la décision du 6 juillet 2015 par laquelle le président du conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) du Calvados a prononcé son licenciement et de lui enjoindre de la réintégrer et de reconstituer sa carrière et, d'autre part, d'annuler la décision du 30 juillet 2015 par laquelle le président du conseil d'administration du SDIS du Loir-et-Cher a prononcé son licenciement et de lui enjoindre de la réintégrer et de reconstituer sa carrière.

Par un jugement n°s 1501750, 1501752 du 15 mars 2016, le tribunal administratif de Caen a rejeté ces demandes comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître.

Par un arrêt n° 16NT01549 du 2 février 2018, la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté l'appel formé par Mme A... contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 3 avril 2018, 2 juillet 2018 et 1er juillet 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge solidaire du SDIS du Calvados et du SDIS du Loir-et-Cher la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Sylvain Monteillet, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Monod, Colin, Stoclet, avocat de Mme A... et à la SCP Delamarre, Jéhannin, avocat du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) du Calvados et du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) du Loir-et-Cher ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite de la reprise en régie directe par le service départemental d'incendie et de secours (SDIS) du Calvados et le SDIS du Loir-et-Cher de leur service public de la formation des sapeurs-pompiers professionnels et volontaires, ces établissements publics ont été tenus par le dispositif d'un arrêt du 16 janvier 2015 de la cour d'appel de Caen de proposer à Mme B... A... un contrat de travail unique de droit public en exécution de leur obligation d'assurer la continuité des contrats de travail de droit privé précédemment conclus dans le cadre de l'exécution déléguée du service public. A l'issue de leurs pourparlers avec Mme A..., les deux SDIS lui ont notifié la rupture de son contrat de travail par des décisions prises, respectivement, les 6 et 30 juillet 2015. Par un jugement du 15 mars 2016, le tribunal administratif de Caen a rejeté les demandes de Mme A... dirigées contre ces décisions comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître. Mme A... se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 2 février 2018 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a confirmé ce jugement.

2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ". Il ressort de la minute de l'arrêt attaqué que celle-ci a été signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions manque en fait.

3. En second lieu, aux termes de l'article L. 1224-1 du code du travail : " Lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l'entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise ". Aux termes de l'article L. 1224-3 du même code : " Lorsque l'activité d'une entité économique employant des salariés de droit privé est, par transfert de cette entité, reprise par une personne publique dans le cadre d'un service public administratif, il appartient à cette personne publique de proposer à ces salariés un contrat de droit public, à durée déterminée ou indéterminée selon la nature du contrat dont ils sont titulaires. / Sauf disposition légale ou conditions générales de rémunération et d'emploi des agents non titulaires de la personne publique contraires, le contrat qu'elle propose reprend les clauses substantielles du contrat dont les salariés sont titulaires, en particulier celles qui concernent la rémunération. / Les services accomplis au sein de l'entité économique d'origine sont assimilés à des services accomplis au sein de la personne publique d'accueil. / En cas de refus des salariés d'accepter le contrat proposé, leur contrat prend fin de plein droit. La personne publique applique les dispositions relatives aux agents licenciés prévues par le droit du travail et par leur contrat ".

4. Il résulte des dispositions citées au point 3 que, lorsque l'activité d'une entité économique employant des salariés de droit privé est, par transfert de cette entité, reprise par une personne publique dans le cadre d'un service public administratif, il appartient à cette personne de proposer à ces salariés un contrat de droit public, à durée déterminée ou indéterminée selon la nature du contrat dont ils sont titulaires et en reprenant leurs clauses substantielles, en particulier celles relatives à la rémunération. En cas de refus des salariés d'accepter ces offres, le contrat prend fin de plein droit et la personne publique applique les dispositions relatives aux agents licenciés prévues par le droit du travail et par leur contrat. Tant que les salariés concernés n'ont pas été placés sous un régime de droit public, leurs contrats demeurent des contrats de droit privé de sorte que le juge judiciaire est seul compétent pour statuer sur les litiges nés du refus de l'un ou l'autre des deux employeurs successifs de poursuivre l'exécution de ces contrats de travail, qui ne mettent en cause, jusqu'à la mise en oeuvre du régime de droit public, que des rapports de droit privé.

5. La cour a relevé que, par une lettre du 11 mars 2015, le seul président du conseil d'administration du SDIS du Calvados a adressé à Mme A... une proposition, dénuée de toute signature, d'un contrat de travail de droit public à durée indéterminée destiné à la lier au SDIS du Calvados et au SDIS du Loir-et-Cher. Le 18 mars 2015, dans une lettre au président du conseil d'administration du SDIS du Calvados, puis le 15 avril 2015, dans une lettre aux présidents du conseil d'administration des deux SDIS, Mme A..., qui a retourné ce contrat aux SDIS après l'avoir signé le 23 mars 2015, a cependant fait valoir plusieurs réserves mettant en cause le contrat de travail qui lui était proposé, tant en ce qui concerne sa validité juridique que ses modalités matérielles d'exécution. Ce contrat de travail n'a jamais été signé par les présidents de ces deux établissements publics. Par une lettre du 19 mai 2015 du président du conseil d'administration du SDIS du Calvados et par une lettre du 27 mai 2015 du président du conseil d'administration du SDIS du Loir-et-Cher, chacun d'eux a adressé à Mme A... un nouveau projet de contrat de travail de droit public, qu'il avait signé et qui était destiné à la lier au SDIS qu'il représentait. Mme A... a refusé de signer ces deux contrats par deux lettres, respectivement des 25 mai et 5 juin 2015.

6. La cour n'a ni inexactement qualifié ces faits, qu'elle a souverainement appréciés sans les dénaturer, en en déduisant qu'alors même que la lettre du 11 mars 2015 proposant le contrat de travail était signée par l'autorité responsable du SDIS du Calvados, aucun contrat de travail de droit public n'avait été conclu dès lors qu'il n'avait pas été signé par les trois parties et que Mme A... avait exprimé des réserves ni commis en conséquence d'erreur de droit. Elle n'a ni insuffisamment motivé son arrêt ni commis d'erreur de droit en jugeant que la circonstance que Mme A... avait été rémunérée à compter du mois d'avril 2015 par les SDIS n'était pas de nature à établir l'existence d'un contrat de droit public, dès lors qu'en vertu de l'arrêt de la cour d'appel de Caen, les SDIS étaient tenus de la rémunérer en application de son contrat de droit privé, sans qu'ait d'influence à cet égard le fait que les bulletins de paie mentionnaient des cotisations sociales applicables aux agents de droit public. Elle n'a pas davantage commis d'erreur de droit en jugeant, de manière suffisamment motivée, que le SDIS du Calvados avait régulièrement retiré, par sa lettre du 19 mai 2015, la proposition de contrat qu'il avait faite le 11 mars 2015, laquelle n'était pas créatrice de droits, et qu'en conséquence, Mme A... était demeurée placée sous un régime de droit privé. Enfin, compte tenu de ce qui vient d'être dit et alors qu'il ressort des écritures devant la cour que la requérante se bornait à soutenir qu'elle ne pouvait signer les nouveaux contrats qui lui avaient été proposés en mai 2015 par chacun des deux SDIS au motif que ne pouvaient lui être soumis que des avenants dès lors qu'elle avait signé le premier contrat, la cour n'a pas dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis en estimant que Mme A... avait refusé de les signer.

7. Dans ces conditions, la cour n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que dès lors qu'aucun contrat de travail de droit public n'a été conclu entre Mme A... et les deux SDIS, le juge judiciaire est seul compétent pour connaître du litige relatif à la rupture du contrat de travail de celle-ci, qui ne met en cause que des rapports de droit privé.

8. Il résulte de ce qui précède que le pourvoi de Mme A... doit être rejeté.

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme A... la somme de 1 000 euros à verser au SDIS du Calvados et la somme de 1 000 euros à verser au SDIS du Loir-et-Cher au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge des SDIS du Calvados et du Loir-et-Cher qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes.



D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de Mme A... est rejeté.
Article 2 : Mme A... versera la somme de 1 000 euros au service départemental d'incendie et de secours du Calvados et la somme de 1 000 euros au service départemental d'incendie et de secours du Loir-et-Cher au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme B... A..., au service départemental d'incendie et de secours du Calvados et au service départemental d'incendie et de secours du Loir-et-Cher.