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Ariane Web: Conseil d'État 421189, lecture du 24 juillet 2019, ECLI:FR:CECHR:2019:421189.20190724

Décision n° 421189
24 juillet 2019
Conseil d'État

N° 421189
ECLI:FR:CECHR:2019:421189.20190724
Mentionné aux tables du recueil Lebon
5ème et 6ème chambres réunies
M. Marc Lambron, rapporteur
M. Nicolas Polge, rapporteur public
SCP PIWNICA, MOLINIE, avocats


Lecture du mercredi 24 juillet 2019
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Mme A...B...a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui verser la somme de 10 000 euros et 3 000 euros pour chacun de ses enfants mineurs en réparation des préjudices résultant de son absence de relogement. Par un jugement n° 1611663/3-3 du 30 janvier 2018, le tribunal administratif lui a accordé une indemnité de 2 400 euros et rejeté le surplus de ses conclusions.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 4 juin 2018 et 4 septembre 2018, Mme B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 000 euros à verser à la SCP Piwnica et Molinié au titre des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de la construction et de l'habitation ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Marc Lambron, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Nicolas Polge, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de MmeB....



1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme B... a été reconnue comme prioritaire et devant être relogée en urgence, sur le fondement de l'article L. 411-2-3 du code de la construction et de l'habitation, par une décision du 26 juillet 2013 de la commission de médiation, au motif qu'elle résidait avec ses cinq enfants et son compagnon dans un logement sur-occupé avec au moins une personne mineure. En l'absence de proposition de relogement dans le délai de six mois imparti au préfet, elle a saisi le tribunal administratif de Paris d'un recours indemnitaire. Par un jugement du 30 janvier 2018, le tribunal a retenu que la responsabilité de l'Etat était engagée à compter du 26 janvier 2014, estimé qu'il n'y avait pas lieu de tenir compte, dans l'évaluation du préjudice subi, de la présence au foyer de deux enfants nés en 2014 et 2017, postérieurement à la décision de la commission de médiation, et condamné l'Etat à verser à l'intéressée une indemnité de 2 400 euros. Mme C...se pourvoit en cassation contre ce jugement en tant qu'il rejette le surplus de ses conclusions.

2. Lorsqu'une personne a été reconnue comme prioritaire et comme devant être logée ou relogée d'urgence par une commission de médiation, en application des dispositions de l'article L. 441-2-3 du code de la construction et de l'habitation, la carence fautive de l'Etat à exécuter cette décision dans le délai imparti engage sa responsabilité à l'égard du seul demandeur, au titre des troubles dans les conditions d'existence résultant du maintien de la situation qui a motivé la décision de la commission. Ces troubles doivent être appréciés en fonction des conditions de logement qui ont perduré du fait de la carence de l'Etat, de la durée de cette carence et du nombre de personnes composant le foyer du demandeur pendant la période de responsabilité de l'Etat, qui court à compter de l'expiration du délai de trois ou six mois à compter de la décision de la commission de médiation que les dispositions de l'article R. 441-16-1 du code de la construction et de l'habitation impartissent au préfet pour provoquer une offre de logement.

3. Les troubles dans les conditions d'existence subis par le demandeur du fait de l'absence de relogement devant, ainsi qu'il a été dit, être appréciés en fonction notamment du nombre de personnes composant le foyer pendant la période de responsabilité, il y a lieu de tenir compte, pour les évaluer, de l'évolution de la composition du foyer au cours de cette période. Il suit de là qu'en jugeant que la présence, au foyer de MmeB..., de deux enfants nés après l'intervention de la commission de médiation ne devait pas être prise en compte pour l'évaluation du préjudice subi par celle-ci, le tribunal administratif a entaché son jugement d'une erreur de droit. Dès lors, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen du pourvoi, Mme B... est fondée à demander l'annulation de ce jugement.

4. Il y a lieu de régler l'affaire au fond au titre de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

5. Il résulte de l'instruction que la responsabilité de l'Etat est engagée à l'égard de Mme B...à compter du 26 janvier 2014 et jusqu'à la date de la présente décision. Le foyer de Mme B...était composé de sept personnes au début de cette période, dont cinq enfants à sa charge. Elle a donné naissance à deux autres enfants respectivement le 12 novembre 2014 et le 23 avril 2017. Les documents fiscaux versés au dossier attestent que ses sept enfants sont restés à sa charge pendant la période de responsabilité. Il résulte par ailleurs des affirmations du ministre, non contredites par la requérante, que son conjoint a cessé de résider dans ce foyer au moins depuis le mois d'octobre 2018. Au regard de ces éléments, il y a lieu de considérer que le nombre de personnes occupant le foyer de Mme B...était de sept jusqu'en novembre 2014, de huit de décembre 2014 à avril 2017, de neuf de mai 2017 à octobre 2018, et de huit depuis novembre 2018 jusqu'à la date de la présente décision. Il y a lieu par suite de fixer l'indemnité due à Mme B..., à raison de 250 euros par personne composant le foyer et par an, à 11 170 euros.

6. Mme B...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la requérante, peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que la SCP Piwnica et Molinié renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la SCP Piwnica et Molinié.



D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du 30 janvier 2018 du tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 2 : L'Etat est condamné à verser à Mme B...la somme de 11 170 euros.
Article 3 : L'Etat versera à la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la requérante, la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la demande de Mme B...est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme A...B...et au ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.


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