Conseil d'État
N° 424819
ECLI:FR:CECHR:2019:424819.20190111
Publié au recueil Lebon
9ème - 10ème chambres réunies
M. Nicolas Agnoux, rapporteur
Lecture du vendredi 11 janvier 2019
Vu les procédures suivantes :
1° Sous le numéro n° 424819, par un jugement n° 1704287 du 9 octobre 2018, enregistré le 11 octobre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le tribunal administratif de Montreuil, avant de statuer sur la demande de la société civile immobilière (SCI) Maximoise de création tendant à la décharge de la cotisation de contribution additionnelle à l'impôt sur les sociétés établie au titre de l'année 2012 et à ce qu'il soit donné acte à l'administration du dégrèvement prononcé en cours d'instance, a décidé, par application des dispositions de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, de transmettre le dossier de cette demande au Conseil d'Etat, en soumettant à son examen la question de savoir si une décision du Conseil constitutionnel constatant la non-conformité à la Constitution d'une disposition législative rendue à la suite d'une question prioritaire de constitutionnalité, constitue une décision juridictionnelle mentionnée au troisième alinéa de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales, insusceptible à ce titre de constituer un évènement propre à motiver une réclamation en matière d'impôts directs de nature à faire courir le délai de réclamation.
2° Sous le numéro n° 424821, par un jugement n° 1801500 du 9 octobre 2018, enregistré le 11 octobre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le tribunal administratif de Montreuil, avant de statuer sur la demande de la société par actions simplifiée (SAS) AEGIR tendant à la réduction des cotisations sur la valeur ajoutée des entreprises auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2014 et 2015, a décidé, par application des dispositions de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, de transmettre le dossier de cette demande au Conseil d'Etat, en soumettant à son examen la question de savoir si une décision du Conseil constitutionnel constatant la non-conformité à la Constitution d'une disposition législative rendue à la suite d'une question prioritaire de constitutionnalité, constitue une décision juridictionnelle mentionnée au troisième alinéa de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales, insusceptible à ce titre de constituer un évènement propre à motiver une réclamation en matière d'impôts directs locaux de nature à faire courir le délai de réclamation.
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la Constitution, notamment son article 62 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- les décisions du Conseil constitutionnel n° 2010-108 QPC et n° 2010-110 QPC du 25 mars 2011 ;
- le code de justice administrative, notamment son article L. 113-1 ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Nicolas Agnoux, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteur public.
REND L'AVIS SUIVANT :
1. Les jugements visés ci-dessus du tribunal administratif de Montreuil soumettent au Conseil d'Etat, sur le fondement de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, des questions analogues. Il y a lieu de les joindre pour qu'ils fassent l'objet d'un même avis.
2. Aux termes du deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : " Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause. " Ainsi que l'a jugé le Conseil constitutionnel, notamment dans ses décisions n° 2010-108 QPC et n° 2010-110 QPC du 25 mars 2011, la déclaration d'inconstitutionnalité doit, en principe, bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.
3. Aux termes des troisième et cinquième alinéas de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales : " Sont instruites et jugées selon les règles du présent chapitre toutes actions tendant à la décharge ou à la réduction d'une imposition ou à l'exercice de droits à déduction ou à la restitution d'impositions indues, fondées sur la non-conformité de la règle de droit dont il a été fait application à une règle de droit supérieure, révélée par une décision juridictionnelle ou par un avis rendu au contentieux. / (...) / Pour l'application du troisième alinéa, sont considérés comme des décisions juridictionnelles ou des avis rendus au contentieux les décisions du Conseil d'Etat ainsi que les avis rendus en application de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, les arrêts de la Cour de cassation ainsi que les avis rendus en application de l'article L. 441-1 du code de l'organisation judiciaire, les arrêts du Tribunal des conflits et les arrêts de la Cour de justice de l'Union européenne se prononçant sur un recours en annulation, sur une action en manquement ou sur une question préjudicielle ". Aux termes de l'article R. 196-1 du même livre : " Pour être recevables, les réclamations relatives aux impôts autres que les impôts directs locaux et les taxes annexes à ces impôts, doivent être présentées à l'administration au plus tard le 31 décembre de la deuxième année suivant celle, selon le cas : / a) De la mise en recouvrement du rôle ou de la notification d'un avis de mise en recouvrement ; / b) Du versement de l'impôt contesté lorsque cet impôt n'a pas donné lieu à l'établissement d'un rôle ou à la notification d'un avis de mise en recouvrement ; / c) De la réalisation de l'événement qui motive la réclamation. Ne constitue pas un tel événement une décision juridictionnelle ou un avis mentionné aux troisième et cinquième alinéas de l'article L. 190. (...) ". Enfin, aux termes de l'article R. 196-2 du même livre : " Pour être recevables, les réclamations relatives aux impôts directs locaux et aux taxes annexes doivent être présentées à l'administration des impôts au plus tard le 31 décembre de l'année suivant celle, selon le cas : / a) De la mise en recouvrement du rôle ou de la notification d'un avis de mise en recouvrement ; / b) De la réalisation de l'événement qui motive la réclamation ; ne constitue pas un tel événement une décision juridictionnelle ou un avis mentionné aux troisième et cinquième alinéas de l'article L. 190 ; (...) ".
4. Il résulte des dispositions citées au point 3 ci-dessus que les décisions du Conseil constitutionnel ne sont pas au nombre des décisions juridictionnelles ou avis mentionnés aux troisième et cinquième alinéas de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales, pour lesquels la deuxième phrase du c de l'article R. 196-1 et du b de l'article R. 196-2 du même livre écarte la qualification d'événement constituant le point de départ d'un nouveau délai de réclamation.
5. Toutefois, seuls doivent être regardés comme constituant le point de départ de ce délai les événements qui ont une incidence directe sur le principe même de l'imposition, son régime ou son mode de calcul. Une décision par laquelle le Conseil constitutionnel, statuant sur le fondement de l'article 61-1 de la Constitution, déclare inconstitutionnelle une disposition législative ne constitue pas en elle-même un tel événement susceptible d'ouvrir un nouveau délai de réclamation.
6. Il appartient au seul Conseil constitutionnel, lorsque, saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité, il a déclaré contraire à la Constitution la disposition législative ayant fondé l'imposition litigieuse, de prévoir si, et le cas échéant dans quelles conditions, les effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration sont remis en cause, au regard des règles, notamment de recevabilité, applicables à la date de sa décision.
Le présent avis sera notifié au tribunal administratif de Montreuil, à la SCI Maximoise de création, à la SAS AEGIR et au ministre de l'action et des comptes publics.
N° 424819
ECLI:FR:CECHR:2019:424819.20190111
Publié au recueil Lebon
9ème - 10ème chambres réunies
M. Nicolas Agnoux, rapporteur
Lecture du vendredi 11 janvier 2019
REPUBLIQUE FRANCAISE
Vu les procédures suivantes :
1° Sous le numéro n° 424819, par un jugement n° 1704287 du 9 octobre 2018, enregistré le 11 octobre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le tribunal administratif de Montreuil, avant de statuer sur la demande de la société civile immobilière (SCI) Maximoise de création tendant à la décharge de la cotisation de contribution additionnelle à l'impôt sur les sociétés établie au titre de l'année 2012 et à ce qu'il soit donné acte à l'administration du dégrèvement prononcé en cours d'instance, a décidé, par application des dispositions de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, de transmettre le dossier de cette demande au Conseil d'Etat, en soumettant à son examen la question de savoir si une décision du Conseil constitutionnel constatant la non-conformité à la Constitution d'une disposition législative rendue à la suite d'une question prioritaire de constitutionnalité, constitue une décision juridictionnelle mentionnée au troisième alinéa de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales, insusceptible à ce titre de constituer un évènement propre à motiver une réclamation en matière d'impôts directs de nature à faire courir le délai de réclamation.
2° Sous le numéro n° 424821, par un jugement n° 1801500 du 9 octobre 2018, enregistré le 11 octobre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le tribunal administratif de Montreuil, avant de statuer sur la demande de la société par actions simplifiée (SAS) AEGIR tendant à la réduction des cotisations sur la valeur ajoutée des entreprises auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2014 et 2015, a décidé, par application des dispositions de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, de transmettre le dossier de cette demande au Conseil d'Etat, en soumettant à son examen la question de savoir si une décision du Conseil constitutionnel constatant la non-conformité à la Constitution d'une disposition législative rendue à la suite d'une question prioritaire de constitutionnalité, constitue une décision juridictionnelle mentionnée au troisième alinéa de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales, insusceptible à ce titre de constituer un évènement propre à motiver une réclamation en matière d'impôts directs locaux de nature à faire courir le délai de réclamation.
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la Constitution, notamment son article 62 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- les décisions du Conseil constitutionnel n° 2010-108 QPC et n° 2010-110 QPC du 25 mars 2011 ;
- le code de justice administrative, notamment son article L. 113-1 ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Nicolas Agnoux, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteur public.
REND L'AVIS SUIVANT :
1. Les jugements visés ci-dessus du tribunal administratif de Montreuil soumettent au Conseil d'Etat, sur le fondement de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, des questions analogues. Il y a lieu de les joindre pour qu'ils fassent l'objet d'un même avis.
2. Aux termes du deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : " Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause. " Ainsi que l'a jugé le Conseil constitutionnel, notamment dans ses décisions n° 2010-108 QPC et n° 2010-110 QPC du 25 mars 2011, la déclaration d'inconstitutionnalité doit, en principe, bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.
3. Aux termes des troisième et cinquième alinéas de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales : " Sont instruites et jugées selon les règles du présent chapitre toutes actions tendant à la décharge ou à la réduction d'une imposition ou à l'exercice de droits à déduction ou à la restitution d'impositions indues, fondées sur la non-conformité de la règle de droit dont il a été fait application à une règle de droit supérieure, révélée par une décision juridictionnelle ou par un avis rendu au contentieux. / (...) / Pour l'application du troisième alinéa, sont considérés comme des décisions juridictionnelles ou des avis rendus au contentieux les décisions du Conseil d'Etat ainsi que les avis rendus en application de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, les arrêts de la Cour de cassation ainsi que les avis rendus en application de l'article L. 441-1 du code de l'organisation judiciaire, les arrêts du Tribunal des conflits et les arrêts de la Cour de justice de l'Union européenne se prononçant sur un recours en annulation, sur une action en manquement ou sur une question préjudicielle ". Aux termes de l'article R. 196-1 du même livre : " Pour être recevables, les réclamations relatives aux impôts autres que les impôts directs locaux et les taxes annexes à ces impôts, doivent être présentées à l'administration au plus tard le 31 décembre de la deuxième année suivant celle, selon le cas : / a) De la mise en recouvrement du rôle ou de la notification d'un avis de mise en recouvrement ; / b) Du versement de l'impôt contesté lorsque cet impôt n'a pas donné lieu à l'établissement d'un rôle ou à la notification d'un avis de mise en recouvrement ; / c) De la réalisation de l'événement qui motive la réclamation. Ne constitue pas un tel événement une décision juridictionnelle ou un avis mentionné aux troisième et cinquième alinéas de l'article L. 190. (...) ". Enfin, aux termes de l'article R. 196-2 du même livre : " Pour être recevables, les réclamations relatives aux impôts directs locaux et aux taxes annexes doivent être présentées à l'administration des impôts au plus tard le 31 décembre de l'année suivant celle, selon le cas : / a) De la mise en recouvrement du rôle ou de la notification d'un avis de mise en recouvrement ; / b) De la réalisation de l'événement qui motive la réclamation ; ne constitue pas un tel événement une décision juridictionnelle ou un avis mentionné aux troisième et cinquième alinéas de l'article L. 190 ; (...) ".
4. Il résulte des dispositions citées au point 3 ci-dessus que les décisions du Conseil constitutionnel ne sont pas au nombre des décisions juridictionnelles ou avis mentionnés aux troisième et cinquième alinéas de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales, pour lesquels la deuxième phrase du c de l'article R. 196-1 et du b de l'article R. 196-2 du même livre écarte la qualification d'événement constituant le point de départ d'un nouveau délai de réclamation.
5. Toutefois, seuls doivent être regardés comme constituant le point de départ de ce délai les événements qui ont une incidence directe sur le principe même de l'imposition, son régime ou son mode de calcul. Une décision par laquelle le Conseil constitutionnel, statuant sur le fondement de l'article 61-1 de la Constitution, déclare inconstitutionnelle une disposition législative ne constitue pas en elle-même un tel événement susceptible d'ouvrir un nouveau délai de réclamation.
6. Il appartient au seul Conseil constitutionnel, lorsque, saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité, il a déclaré contraire à la Constitution la disposition législative ayant fondé l'imposition litigieuse, de prévoir si, et le cas échéant dans quelles conditions, les effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration sont remis en cause, au regard des règles, notamment de recevabilité, applicables à la date de sa décision.
Le présent avis sera notifié au tribunal administratif de Montreuil, à la SCI Maximoise de création, à la SAS AEGIR et au ministre de l'action et des comptes publics.