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Ariane Web: Conseil d'État 406279, lecture du 3 octobre 2018, ECLI:FR:CECHR:2018:406279.20181003

Décision n° 406279
3 octobre 2018
Conseil d'État

N° 406279
ECLI:FR:CECHR:2018:406279.20181003
Inédit au recueil Lebon
6ème et 5ème chambres réunies
M. Cyrille Beaufils, rapporteur
M. Louis Dutheillet de Lamothe, rapporteur public
SCP WAQUET, FARGE, HAZAN, avocats


Lecture du mercredi 3 octobre 2018
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 23 décembre 2016, 2 mai 2017 et 13 juin 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société d'exercice libéral par actions simplifiée (SELAS) AGN Avocats demande au Conseil d'État :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le Conseil national des barreaux (CNB) sur la demande qu'elle lui a faite le 6 octobre 2016 d'abroger les mots " à la plaque professionnelle située à l'entrée de l'immeuble où est exercée l'activité du cabinet et " figurant à l'article 10.6.2 du règlement intérieur national de la profession d'avocat (RIN) dans sa rédaction issue de la décision n° 2014-001 du 13 novembre 2014 portant réforme de ce règlement ;

2°) d'enjoindre au CNB d'abroger les mots litigieux, dans un délai de deux mois, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 ;
- la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ;
- le décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 ;
- le décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005 ;
- le décret n° 2012-342 du 30 mars 2012 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Cyrille Beaufils, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Louis Dutheillet de Lamothe, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat du Conseil national des barreaux.



Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article 10.6.1 du règlement intérieur national de la profession d'avocat, intitulé " Documents destinés à la correspondance ", dans sa rédaction résultant de la décision du Conseil national des barreaux du 13 novembre 2014 : " Tout document destiné à la correspondance postale ou électronique de l'avocat doit satisfaire aux dispositions communes à toute communication. / Il doit faire une présentation sincère et loyale du cabinet. / Il peut présenter notamment, à la condition que les mentions aient un lien avec l'exercice de la profession d'avocat, l'organisation du cabinet, ses structures, les membres qui le composent ou qui y ont exercé. / Il peut notamment faire mention, pour chaque avocat : / - de sa ou ses spécialisations régulièrement obtenues et non invalidées à l'exclusion de ses domaines d'activité ; / - des missions visées à l'article 6 du présent règlement qui peuvent lui être confiées. Lorsqu'il agit dans le strict cadre d'une telle mission, il doit l'indiquer expressément. ". L'article 10.6.2 du même règlement dispose que : " Les dispositions relatives à la correspondance postale ou électronique de l'avocat s'appliquent à la plaque professionnelle située à l'entrée de l'immeuble où est exercée l'activité du cabinet et aux cartes de visite. ". La SELAS AGN Avocats a demandé au Conseil national des barreaux d'abroger cet article 10.6.2 en tant qu'il étend l'application des dispositions de l'article 10.6.1 à la plaque professionnelle. Elle demande l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite de rejet opposée à sa demande.

2. L'article 53 de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques dispose que : " Dans le respect de l'indépendance de l'avocat, de l'autonomie des conseils de l'ordre et du caractère libéral de la profession, des décrets en Conseil d'Etat fixent les conditions d'application du présent titre. / Ils précisent notamment : (...) / 2° Les règles de déontologie (...) / 10° Les conditions de délivrance d'un certificat de spécialisation et les cas et les conditions dans lesquels une mention de spécialisation pourra être adjointe à la dénomination d'avocat et les dérogations qui pourront y être apportées (...) ". L'article 21-1 de la même loi, dans sa rédaction applicable au litige, ajoute que : " Dans le respect des dispositions législatives et réglementaires en vigueur, le Conseil national des barreaux unifie par voie de dispositions générales les règles et usages de la profession d'avocat. (...) Il détermine les conditions générales d'obtention des mentions de spécialisation, dresse la liste nationale des membres du jury prévu au premier alinéa de l'article 12-1 ainsi que la liste nationale des avocats titulaires de mentions de spécialisation (...). ".

3. Il résulte de ces dispositions que le Conseil national des barreaux est investi par la loi d'un pouvoir réglementaire, qui s'exerce en vue d'unifier les règles et usages des barreaux et dans le cadre des lois et règlements qui régissent la profession. Ce pouvoir trouve cependant sa limite dans les droits et libertés qui appartiennent aux avocats et dans les règles essentielles de l'exercice de la profession. Le Conseil national des barreaux ne peut légalement fixer des prescriptions nouvelles qui mettraient en cause la liberté d'exercice de la profession d'avocat ou les règles essentielles qui la régissent et qui n'auraient aucun fondement dans les règles législatives ou dans celles fixées par les décrets en Conseil d'Etat prévus par l'article 53 de la loi du 31 décembre 1971, ou ne seraient pas une conséquence nécessaire d'une règle figurant au nombre des traditions de la profession.

Sur les vitrines des cabinets d'avocats :

4. Contrairement à ce que soutient la requérante, il résulte des termes mêmes des dispositions contestées qu'elles étendent l'application des règles relatives à la correspondance de l'avocat aux plaques professionnelles et non aux vitrines des cabinets d'avocats. Les moyens dirigés contre l'article 10.6.2 en tant qu'il régirait ce type de support ne peuvent, dès lors, qu'être écartés comme inopérants.

Sur les plaques professionnelles des avocats :

5. En premier lieu, les dispositions de l'article 10.6.2 du règlement intérieur national de la profession d'avocat citées au point 1 relatives aux plaques professionnelles visent à assurer, dans l'intérêt général de la profession, l'objectivité de l'information délivrée ainsi que le respect tant des principes essentiels qui régissent la profession d'avocat que des exigences déontologiques. En particulier, elles tendent à empêcher que, par la mention de domaines d'activité, un cabinet ou une société d'exercice puisse s'attribuer une compétence spécifique hors de toute reconnaissance officielle au risque de créer la confusion dans l'esprit du public au détriment d'autres avocats en bénéficiant. Il s'ensuit que le Conseil national des barreaux était compétent pour édicter, au titre de sa mission d'harmonisation des usages et règles de la profession, les règles contestées, qui ne subordonnent pas à des conditions nouvelles l'exercice de la profession d'avocat et ne méconnaissent ni la liberté d'exercice de la profession d'avocat ni les règles essentielles qui la régissent.

6. En deuxième lieu, il résulte des dispositions du paragraphe 12 de l'article 4 de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 que la plaque professionnelle par laquelle, à des fins d'information du public, un avocat se signale à l'entrée de l'immeuble où il exerce son activité ne constitue pas une " communication commerciale " au sens de ce texte. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 24 de la même directive 2006/123/CE relatives aux communications commerciales des professions réglementées ne peut qu'être écarté.

7. En troisième lieu, les dispositions de l'article L. 111-1 du code de la consommation, qui définissent les informations qui doivent être communiquées au consommateur avant qu'il ne soit lié par un contrat de vente de biens ou de fourniture de services, notamment les caractéristiques essentielles du bien ou du service, son prix, le délai d'exécution et l'identification du professionnel, ne peuvent être utilement invoquées à l'encontre de supports d'information professionnelle tels que la plaque professionnelle, qui sont uniquement destinés à identifier le professionnel.

8. En quatrième lieu, les restrictions résultant des dispositions attaquées de l'article 10.6.2. du règlement intérieur national de la profession d'avocat, relatives notamment aux mentions qui peuvent figurer sur la plaque professionnelle, visent à assurer, dans l'intérêt général de la profession, l'objectivité de l'information délivrée ainsi que le respect tant des principes essentiels qui régissent la profession d'avocat que des exigences déontologiques, ainsi que cela été dit au point 5. Elles ne portent à la liberté d'entreprendre aucune atteinte disproportionnée au regard de cet objectif. Dès lors, le moyen tiré de ce qu'elles seraient, pour ce motif, illégales doit être écarté.

9. En dernier lieu, les dispositions contestées ne créent pas de différence de traitement entre avocats dès lors qu'elles sont applicables dans les mêmes conditions à tous. Elles ne créent pas, par ailleurs, de différence de traitement par rapport aux experts-comptables, praticiens habilités à exercer le droit de manière accessoire, soumis à des règles similaires par l'article 152 du décret du 30 mars 2012 relatif à l'exercice de l'activité d'expertise comptable et au demeurant placés dans une situation différente. Le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité doit, par suite, être écarté.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la SELAS AGN Avocats n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision qu'elle attaque. Sa requête ne peut donc qu'être rejetée.

11. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par le Conseil national des barreaux au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : La requête de la SELAS AGN Avocats est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par le Conseil national des barreaux au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la SELAS AGN Avocats et au Conseil national des barreaux.
Copie en sera adressée à la garde des sceaux, ministre de la justice.






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