Conseil d'État
N° 412039
ECLI:FR:CECHR:2018:412039.20180627
Publié au recueil Lebon
7ème - 2ème chambres réunies
M. Jean-Yves Ollier, rapporteur
M. Gilles Pellissier, rapporteur public
SCP MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE, avocats
Lecture du mercredi 27 juin 2018
Vu la procédure suivante :
Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 3 juillet et 31 août 2017 et le 21 mars 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Union des associations diocésaines de France et Monseigneur A...B..., archevêque de X..., demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2017-756 du 3 mai 2017 relatif aux aumôniers militaires, hospitaliers et pénitentiaires et à leur formation civile et civique, ainsi que l'arrêté interministériel du 5 mai 2017 relatif aux diplômes de formation civile et civique suivie par les aumôniers militaires d'active et les aumôniers hospitaliers et pénitentiaires et fixant les modalités d'établissement de la liste de ces formations ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 1er ;
- le code de la défense ;
- le code de l'éducation ;
- le code de procédure pénale ;
- le code de la santé publique ;
- la loi du 9 juillet 1880 relative à l'abrogation de la loi des 20 mai - 3 juin 1874 sur l'aumônerie militaire ;
- la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat ;
- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;
- la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009
- le décret n° 64-498 du 1er juin 1964 ;
- le décret n° 91-155 du 6 février 1991 ;
- le décret n° 2008-1524 du 30 décembre 2008 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jean-Yves Ollier, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Gilles Pellissier, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat de l'Union des associations diocésaines de France et de MonseigneurB....
Vu la note en délibéré, enregistrée le 18 juin 2018, présentée par l'Union des associations diocésaines de France et MonseigneurB....
1. Considérant qu'aux termes de l'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi " ; qu'aux termes de l'article 1er de la Constitution : " La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens, sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances (...) " ; qu'aux termes de l'article 2 de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat : " La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront supprimées des budgets de l'Etat, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l'exercice des cultes. / Pourront toutefois être inscrites auxdits budgets les dépenses relatives à des services d'aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons " ;
Sur les conclusions tendant à l'annulation du décret du 3 mai 2017 :
En ce qui concerne le moyen tiré de l'incompétence du pouvoir réglementaire :
2. Considérant que les dispositions des articles 2 et 3 du décret attaqué et celles, ajoutées par ce décret, au décret du 30 décembre 2008 relatif aux aumôniers militaires et à l'article D. 439 du code de procédure pénale ont pour objet de soumettre à une condition d'obtention d'un diplôme de formation civile et civique figurant sur une liste déterminée selon des modalités fixées par un arrêté interministériel, d'une part, le recrutement par contrat des aumôniers militaires d'active et des aumôniers des établissements hospitaliers, d'autre part, l'indemnisation des aumôniers agréés des établissements pénitentiaires ;
3. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article L. 4121-2 du code de la défense : " Les opinions ou croyances, notamment philosophiques, religieuses ou politiques, sont libres. / Elles ne peuvent cependant être exprimées qu'en dehors du service et avec la réserve exigée par l'état militaire. Cette règle s'applique à tous les moyens d'expression. Elle ne fait pas obstacle au libre exercice des cultes dans les enceintes militaires et à bord des bâtiments de la flotte. " ; qu'aux termes de l'article 2 de la loi du 8 juillet 1880 relative à l'abrogation de la loi des 20 mai - 3 juin 1874 sur l'aumônerie militaire : " Il sera attaché des ministres des différents cultes aux camps, forts détachés et aux garnisons placées hors de l'enceinte des villes, comportant un rassemblement de deux mille hommes aux moins et éloignés des églises paroissiales et des temples de plus de trois kilomètres, ainsi qu'aux hôpitaux et pénitenciers militaires " ; qu'aux termes de l'article 3 de cette même loi : " En cas de mobilisation, des ministres des différents cultes seront attachés aux armées, corps d'armée et divisions en campagne, mais sans aucune distinction hiérarchique. Un décret en Conseil d'Etat déterminera le mode de recrutement et le nombre de ces ministres " ; qu'en application de ces dispositions, il appartient au pouvoir réglementaire de déterminer par un décret en Conseil d'Etat les conditions de recrutement des ministres du culte attachés aux armées ; que ces conditions de recrutement sont fixées par le décret du 30 décembre 2008 relatif aux aumôniers militaires, que le décret attaqué a complété ;
4. Considérant, en deuxième lieu, que l'article R. 1112-46 du code de la santé publique dispose que : " Les hospitalisés doivent être mis en mesure de participer à l'exercice de leur culte. Ils reçoivent, sur demande de leur part adressée à l'administration de l'établissement, la visite du ministre du culte de leur choix " ; qu'aux termes de l'article 9 de la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière : " Par dérogation à l'article 3 du titre Ier du statut général, les emplois permanents mentionnés au premier alinéa de l'article 2 peuvent être occupés par des agents contractuels lorsque la nature des fonctions ou les besoins du service le justifient, notamment lorsqu'il n'existe pas de corps de fonctionnaires hospitaliers susceptibles d'assurer ces fonctions (...)" ; que l'article 10 de la même loi dispose que : " Un décret en Conseil d'Etat pris après avis du Conseil supérieur de la fonction publique hospitalière fixe les dispositions générales applicables aux agents contractuels recrutés dans les conditions prévues aux articles 9 et 9-1 " ; que, les aumôniers des établissements hospitaliers étant recrutés dans le cadre de contrats, il est loisible au pouvoir réglementaire de déterminer par un décret en Conseil d'Etat les conditions de recrutement de ces agents, en dérogeant, le cas échéant, aux dispositions générales applicables aux agents contractuels de ces établissements ;
5. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article 26 de la loi du 24 novembre 2009 pénitentiaire : " Les personnes détenues ont droit à la liberté d'opinion, de conscience et de religion. Elles peuvent exercer le culte de leur choix, selon les conditions adaptées à l'organisation des lieux, sans autres limites que celles imposées par la sécurité et le bon ordre de l'établissement " ; qu'en application de ces dispositions, les deux premiers alinéas de l'article D. 439 du code de procédure pénale prévoient que les aumôniers des établissements pénitentiaires sont agréés par le directeur interrégional des services pénitentiaires, après avis du préfet, sur proposition de l'aumônier national du culte concerné ; que les dispositions précitées de l'article 2 de la loi du 9 décembre 1905 donnent à l'autorité compétente la faculté d'inscrire au budget les dépenses relatives à des services d'aumônerie dans les établissements pénitentiaires, mais ne l'y obligent pas, dès lors que le libre exercice du culte y est assuré ; que l'indemnité créée par le décret attaqué, qui se substitue à l'indemnité allouée aux ministres du culte des aumôneries de ces établissements par le décret du 8 décembre 2005, qu'il abroge, est destinée à permettre aux aumôniers agréés d'assurer les missions qui leur sont confiées ; que la création et la définition des conditions d'octroi d'une telle indemnité relèvent de la compétence du pouvoir réglementaire ;
6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de ce que le pouvoir réglementaire n'était pas compétent pour définir ou préciser les conditions auxquelles est subordonnée l'intervention des aumôniers dans les armées, les établissements hospitaliers et les établissements pénitentiaires doit être écarté ;
En ce qui concerne les autres moyens dirigés contre le décret :
7. Considérant que, compte tenu de leur ministère religieux, les aumôniers militaires et les aumôniers hospitaliers ne peuvent être recrutés par l'administration que sur proposition d'une autorité représentative de leur culte ; qu'il en va de même pour les aumôniers pénitentiaires, qui ne sont agréés par l'Etat que sur proposition de l'aumônier national du culte concerné ; que cette règle ne fait pas obstacle à ce que le pouvoir réglementaire soumette leur recrutement ou, pour les aumôniers pénitentiaires, leur indemnisation, d'une part, aux conditions applicables à la catégorie d'agents publics dont, le cas échéant, ils relèvent, pour autant que ces conditions ne soient pas incompatibles avec leur ministère, d'autre part, à des conditions particulières liées aux exigences propres aux services publics au sein desquels ils interviennent et aux publics auxquels ils s'adressent ;
8. Considérant que la mission des aumôniers militaires, des aumôniers hospitaliers et des aumôniers pénitentiaires est d'assurer le libre exercice du culte ainsi qu'un soutien spirituel auprès des militaires des armées et des formations rattachées, des patients des établissements hospitaliers et des personnes détenues ; qu'en imposant une obligation de détention d'un diplôme de formation civile et civique pour les aumôniers recrutés par les armées ou les établissements hospitaliers et pour ceux des aumôniers des établissements pénitentiaires bénéficiaires d'une indemnité, le pouvoir réglementaire a ajouté une condition supplémentaire au recrutement ou à l'indemnisation de ces aumôniers, qui repose sur la poursuite d'objectifs d'intérêt général et de sauvegarde de l'ordre public en lien avec la mission de ces aumôniers, qui interviennent dans des lieux fermés ou isolés, auprès d'agents ou de publics dont la liberté de mouvement est limitée, afin de leur permettre le libre exercice de leur culte ; que l'institution d'une telle condition n'a par ailleurs pour effet ni d'encadrer l'exercice des cultes au sein des armées ou des formations rattachées, des établissements hospitaliers et des établissements pénitentiaires, ni de substituer l'appréciation de l'administration à celle de l'aumônier national ou des autorités cultuelles, auxquels il appartient de proposer les candidats aux fonctions d'aumônier ; que la formation en matière civile et civique visée par le décret, qui ne porte pas sur leur ministère religieux, mais sur l'environnement social, institutionnel et juridique dans lequel s'exerce leur activité d'aumônier et n'implique pas que l'administration, comme les enseignants y participant, porte une appréciation sur le contenu des croyances concernées, peut, par suite, être assurée, financée ou réglementée par une collectivité publique sans méconnaître le principe posé par l'article 2 de la loi du 9 décembre 1905 ; qu'en conséquence, le moyen tiré de ce qu'en instituant cette condition de diplôme, le pouvoir réglementaire se serait immiscé dans l'organisation des cultes ou aurait entaché son appréciation d'une erreur manifeste doit être écarté ;
9. Considérant, enfin, que les dispositions citées au point 1 de l'article 2 de la loi du 9 décembre 1905 donnent à l'autorité compétente la faculté d'inscrire à son budget des dépenses relatives aux services d'aumônerie, mais ne l'y obligent pas, dès lors que le libre exercice des cultes est assuré dans les établissements qu'elles visent ; que si, en créant une obligation de formation, le décret institue une différence de traitement entre des personnes susceptibles de remplir les missions d'aumônerie, la différence de traitement ainsi instituée est en rapport direct avec l'objet du décret, qui est pour l'Etat de s'assurer des connaissances dans les domaines civil et civique des personnes devant intervenir dans des lieux fermés ou isolés, auprès d'agents ou de publics dont la liberté de mouvement est limitée, afin de leur permettre le libre exercice de leur culte, et n'est pas manifestement disproportionnée au regard des objectifs poursuivis par l'Etat ;
Sur les conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du 5 mai 2017 :
10. Considérant, en premier lieu, que le moyen tiré de ce que l'arrêté serait illégal par voie de conséquence de l'illégalité entachant le décret du 3 mai 2017 doit, pour les motifs énoncés ci-dessus, être écarté ;
11. Considérant, en deuxième lieu, que les établissements d'enseignement supérieur peuvent délivrer, outre des diplômes nationaux dont la liste est établie par décret et pour la délivrance desquels les établissements doivent être accrédités, des diplômes propres ; que l'article L. 613-2 du code de l'éducation relatif aux règles générales de délivrance de ces diplômes propres dispose que : " Les établissements peuvent aussi organiser, sous leur responsabilité, des formations conduisant à des diplômes qui leur sont propres ou préparant à des examens ou des concours. / Les présidents et directeurs d'établissements publics d'enseignement supérieur rendent publique sur leur site internet la liste des diplômes qui leur sont propres et des enseignants intervenant dans ces formations " ; que les dispositions des articles 2 et 3 du décret attaqué, ainsi que celles de l'article 8 du décret du 30 décembre 2008 et de l'article D. 349 du code de procédure pénale issues de ce décret, renvoient à un arrêté interministériel la fixation des modalités de détermination de la liste des diplômes de " formation civile et civile " qui constituent une condition de recrutement ou d'indemnisation des aumôniers ; que les dispositions de l'arrêté pris en application de ces dispositions n'ont pas pour objet de réglementer l'organisation de diplômes propres délivrés par les établissements d'enseignement supérieur, mais seulement de fixer les critères et les procédures permettant à de tels diplômes d'être inscrits sur cette liste ; que les requérants ne sont, par suite, pas fondés à soutenir que ces dispositions méconnaîtraient les dispositions précitées de l'article L. 613-2 du code de l'éducation ni le principe d'autonomie des établissements d'enseignement supérieur ;
12. Considérant, en troisième lieu, que le décret attaqué dispose que ces diplômes sanctionnent une formation civile et civique ; que les dispositions de l'arrêté attaqué précisent que ces formations comprennent des enseignements relatifs aux institutions de la République et à la laïcité, aux grands principes du droit des cultes et aux sciences humaines et sociales des religions ; que l'article 1er de l'arrêté attaqué prévoit que le diplôme peut également être obtenu par la voie de la validation des études antérieures ou des acquis de l'expérience dans les conditions fixées par les dispositions de droit commun des articles R. 613-32 et suivants du code de l'éducation, qui confient cette compétence et la définition des règles de validation de ces acquis aux instances de chaque université ; que, par suite, le moyen tiré de ce que l'arrêté ne préciserait pas les critères de validation des expériences professionnelles ou des acquis personnels et abandonnerait le choix de ces critères au pouvoir discrétionnaire des ministres concernés ne peut qu'être écarté ;
13. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la requête de l'Union des associations diocésaines de France et de Monseigneur B...doit être rejetée ; que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font, par suite, obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance ;
D E C I D E :
--------------
Article 1er : La requête de l'Union des associations diocésaines de France et de Monseigneur B...est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'Union des associations diocésaines de France, à Monseigneur A...B..., au Premier ministre, au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, à la garde des sceaux, ministre de la justice, à la ministre des armées, à la ministre des solidarités et de la santé et à la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation.
N° 412039
ECLI:FR:CECHR:2018:412039.20180627
Publié au recueil Lebon
7ème - 2ème chambres réunies
M. Jean-Yves Ollier, rapporteur
M. Gilles Pellissier, rapporteur public
SCP MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE, avocats
Lecture du mercredi 27 juin 2018
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 3 juillet et 31 août 2017 et le 21 mars 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Union des associations diocésaines de France et Monseigneur A...B..., archevêque de X..., demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2017-756 du 3 mai 2017 relatif aux aumôniers militaires, hospitaliers et pénitentiaires et à leur formation civile et civique, ainsi que l'arrêté interministériel du 5 mai 2017 relatif aux diplômes de formation civile et civique suivie par les aumôniers militaires d'active et les aumôniers hospitaliers et pénitentiaires et fixant les modalités d'établissement de la liste de ces formations ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 1er ;
- le code de la défense ;
- le code de l'éducation ;
- le code de procédure pénale ;
- le code de la santé publique ;
- la loi du 9 juillet 1880 relative à l'abrogation de la loi des 20 mai - 3 juin 1874 sur l'aumônerie militaire ;
- la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat ;
- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;
- la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009
- le décret n° 64-498 du 1er juin 1964 ;
- le décret n° 91-155 du 6 février 1991 ;
- le décret n° 2008-1524 du 30 décembre 2008 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jean-Yves Ollier, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Gilles Pellissier, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat de l'Union des associations diocésaines de France et de MonseigneurB....
Vu la note en délibéré, enregistrée le 18 juin 2018, présentée par l'Union des associations diocésaines de France et MonseigneurB....
1. Considérant qu'aux termes de l'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi " ; qu'aux termes de l'article 1er de la Constitution : " La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens, sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances (...) " ; qu'aux termes de l'article 2 de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat : " La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront supprimées des budgets de l'Etat, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l'exercice des cultes. / Pourront toutefois être inscrites auxdits budgets les dépenses relatives à des services d'aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons " ;
Sur les conclusions tendant à l'annulation du décret du 3 mai 2017 :
En ce qui concerne le moyen tiré de l'incompétence du pouvoir réglementaire :
2. Considérant que les dispositions des articles 2 et 3 du décret attaqué et celles, ajoutées par ce décret, au décret du 30 décembre 2008 relatif aux aumôniers militaires et à l'article D. 439 du code de procédure pénale ont pour objet de soumettre à une condition d'obtention d'un diplôme de formation civile et civique figurant sur une liste déterminée selon des modalités fixées par un arrêté interministériel, d'une part, le recrutement par contrat des aumôniers militaires d'active et des aumôniers des établissements hospitaliers, d'autre part, l'indemnisation des aumôniers agréés des établissements pénitentiaires ;
3. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article L. 4121-2 du code de la défense : " Les opinions ou croyances, notamment philosophiques, religieuses ou politiques, sont libres. / Elles ne peuvent cependant être exprimées qu'en dehors du service et avec la réserve exigée par l'état militaire. Cette règle s'applique à tous les moyens d'expression. Elle ne fait pas obstacle au libre exercice des cultes dans les enceintes militaires et à bord des bâtiments de la flotte. " ; qu'aux termes de l'article 2 de la loi du 8 juillet 1880 relative à l'abrogation de la loi des 20 mai - 3 juin 1874 sur l'aumônerie militaire : " Il sera attaché des ministres des différents cultes aux camps, forts détachés et aux garnisons placées hors de l'enceinte des villes, comportant un rassemblement de deux mille hommes aux moins et éloignés des églises paroissiales et des temples de plus de trois kilomètres, ainsi qu'aux hôpitaux et pénitenciers militaires " ; qu'aux termes de l'article 3 de cette même loi : " En cas de mobilisation, des ministres des différents cultes seront attachés aux armées, corps d'armée et divisions en campagne, mais sans aucune distinction hiérarchique. Un décret en Conseil d'Etat déterminera le mode de recrutement et le nombre de ces ministres " ; qu'en application de ces dispositions, il appartient au pouvoir réglementaire de déterminer par un décret en Conseil d'Etat les conditions de recrutement des ministres du culte attachés aux armées ; que ces conditions de recrutement sont fixées par le décret du 30 décembre 2008 relatif aux aumôniers militaires, que le décret attaqué a complété ;
4. Considérant, en deuxième lieu, que l'article R. 1112-46 du code de la santé publique dispose que : " Les hospitalisés doivent être mis en mesure de participer à l'exercice de leur culte. Ils reçoivent, sur demande de leur part adressée à l'administration de l'établissement, la visite du ministre du culte de leur choix " ; qu'aux termes de l'article 9 de la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière : " Par dérogation à l'article 3 du titre Ier du statut général, les emplois permanents mentionnés au premier alinéa de l'article 2 peuvent être occupés par des agents contractuels lorsque la nature des fonctions ou les besoins du service le justifient, notamment lorsqu'il n'existe pas de corps de fonctionnaires hospitaliers susceptibles d'assurer ces fonctions (...)" ; que l'article 10 de la même loi dispose que : " Un décret en Conseil d'Etat pris après avis du Conseil supérieur de la fonction publique hospitalière fixe les dispositions générales applicables aux agents contractuels recrutés dans les conditions prévues aux articles 9 et 9-1 " ; que, les aumôniers des établissements hospitaliers étant recrutés dans le cadre de contrats, il est loisible au pouvoir réglementaire de déterminer par un décret en Conseil d'Etat les conditions de recrutement de ces agents, en dérogeant, le cas échéant, aux dispositions générales applicables aux agents contractuels de ces établissements ;
5. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article 26 de la loi du 24 novembre 2009 pénitentiaire : " Les personnes détenues ont droit à la liberté d'opinion, de conscience et de religion. Elles peuvent exercer le culte de leur choix, selon les conditions adaptées à l'organisation des lieux, sans autres limites que celles imposées par la sécurité et le bon ordre de l'établissement " ; qu'en application de ces dispositions, les deux premiers alinéas de l'article D. 439 du code de procédure pénale prévoient que les aumôniers des établissements pénitentiaires sont agréés par le directeur interrégional des services pénitentiaires, après avis du préfet, sur proposition de l'aumônier national du culte concerné ; que les dispositions précitées de l'article 2 de la loi du 9 décembre 1905 donnent à l'autorité compétente la faculté d'inscrire au budget les dépenses relatives à des services d'aumônerie dans les établissements pénitentiaires, mais ne l'y obligent pas, dès lors que le libre exercice du culte y est assuré ; que l'indemnité créée par le décret attaqué, qui se substitue à l'indemnité allouée aux ministres du culte des aumôneries de ces établissements par le décret du 8 décembre 2005, qu'il abroge, est destinée à permettre aux aumôniers agréés d'assurer les missions qui leur sont confiées ; que la création et la définition des conditions d'octroi d'une telle indemnité relèvent de la compétence du pouvoir réglementaire ;
6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de ce que le pouvoir réglementaire n'était pas compétent pour définir ou préciser les conditions auxquelles est subordonnée l'intervention des aumôniers dans les armées, les établissements hospitaliers et les établissements pénitentiaires doit être écarté ;
En ce qui concerne les autres moyens dirigés contre le décret :
7. Considérant que, compte tenu de leur ministère religieux, les aumôniers militaires et les aumôniers hospitaliers ne peuvent être recrutés par l'administration que sur proposition d'une autorité représentative de leur culte ; qu'il en va de même pour les aumôniers pénitentiaires, qui ne sont agréés par l'Etat que sur proposition de l'aumônier national du culte concerné ; que cette règle ne fait pas obstacle à ce que le pouvoir réglementaire soumette leur recrutement ou, pour les aumôniers pénitentiaires, leur indemnisation, d'une part, aux conditions applicables à la catégorie d'agents publics dont, le cas échéant, ils relèvent, pour autant que ces conditions ne soient pas incompatibles avec leur ministère, d'autre part, à des conditions particulières liées aux exigences propres aux services publics au sein desquels ils interviennent et aux publics auxquels ils s'adressent ;
8. Considérant que la mission des aumôniers militaires, des aumôniers hospitaliers et des aumôniers pénitentiaires est d'assurer le libre exercice du culte ainsi qu'un soutien spirituel auprès des militaires des armées et des formations rattachées, des patients des établissements hospitaliers et des personnes détenues ; qu'en imposant une obligation de détention d'un diplôme de formation civile et civique pour les aumôniers recrutés par les armées ou les établissements hospitaliers et pour ceux des aumôniers des établissements pénitentiaires bénéficiaires d'une indemnité, le pouvoir réglementaire a ajouté une condition supplémentaire au recrutement ou à l'indemnisation de ces aumôniers, qui repose sur la poursuite d'objectifs d'intérêt général et de sauvegarde de l'ordre public en lien avec la mission de ces aumôniers, qui interviennent dans des lieux fermés ou isolés, auprès d'agents ou de publics dont la liberté de mouvement est limitée, afin de leur permettre le libre exercice de leur culte ; que l'institution d'une telle condition n'a par ailleurs pour effet ni d'encadrer l'exercice des cultes au sein des armées ou des formations rattachées, des établissements hospitaliers et des établissements pénitentiaires, ni de substituer l'appréciation de l'administration à celle de l'aumônier national ou des autorités cultuelles, auxquels il appartient de proposer les candidats aux fonctions d'aumônier ; que la formation en matière civile et civique visée par le décret, qui ne porte pas sur leur ministère religieux, mais sur l'environnement social, institutionnel et juridique dans lequel s'exerce leur activité d'aumônier et n'implique pas que l'administration, comme les enseignants y participant, porte une appréciation sur le contenu des croyances concernées, peut, par suite, être assurée, financée ou réglementée par une collectivité publique sans méconnaître le principe posé par l'article 2 de la loi du 9 décembre 1905 ; qu'en conséquence, le moyen tiré de ce qu'en instituant cette condition de diplôme, le pouvoir réglementaire se serait immiscé dans l'organisation des cultes ou aurait entaché son appréciation d'une erreur manifeste doit être écarté ;
9. Considérant, enfin, que les dispositions citées au point 1 de l'article 2 de la loi du 9 décembre 1905 donnent à l'autorité compétente la faculté d'inscrire à son budget des dépenses relatives aux services d'aumônerie, mais ne l'y obligent pas, dès lors que le libre exercice des cultes est assuré dans les établissements qu'elles visent ; que si, en créant une obligation de formation, le décret institue une différence de traitement entre des personnes susceptibles de remplir les missions d'aumônerie, la différence de traitement ainsi instituée est en rapport direct avec l'objet du décret, qui est pour l'Etat de s'assurer des connaissances dans les domaines civil et civique des personnes devant intervenir dans des lieux fermés ou isolés, auprès d'agents ou de publics dont la liberté de mouvement est limitée, afin de leur permettre le libre exercice de leur culte, et n'est pas manifestement disproportionnée au regard des objectifs poursuivis par l'Etat ;
Sur les conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du 5 mai 2017 :
10. Considérant, en premier lieu, que le moyen tiré de ce que l'arrêté serait illégal par voie de conséquence de l'illégalité entachant le décret du 3 mai 2017 doit, pour les motifs énoncés ci-dessus, être écarté ;
11. Considérant, en deuxième lieu, que les établissements d'enseignement supérieur peuvent délivrer, outre des diplômes nationaux dont la liste est établie par décret et pour la délivrance desquels les établissements doivent être accrédités, des diplômes propres ; que l'article L. 613-2 du code de l'éducation relatif aux règles générales de délivrance de ces diplômes propres dispose que : " Les établissements peuvent aussi organiser, sous leur responsabilité, des formations conduisant à des diplômes qui leur sont propres ou préparant à des examens ou des concours. / Les présidents et directeurs d'établissements publics d'enseignement supérieur rendent publique sur leur site internet la liste des diplômes qui leur sont propres et des enseignants intervenant dans ces formations " ; que les dispositions des articles 2 et 3 du décret attaqué, ainsi que celles de l'article 8 du décret du 30 décembre 2008 et de l'article D. 349 du code de procédure pénale issues de ce décret, renvoient à un arrêté interministériel la fixation des modalités de détermination de la liste des diplômes de " formation civile et civile " qui constituent une condition de recrutement ou d'indemnisation des aumôniers ; que les dispositions de l'arrêté pris en application de ces dispositions n'ont pas pour objet de réglementer l'organisation de diplômes propres délivrés par les établissements d'enseignement supérieur, mais seulement de fixer les critères et les procédures permettant à de tels diplômes d'être inscrits sur cette liste ; que les requérants ne sont, par suite, pas fondés à soutenir que ces dispositions méconnaîtraient les dispositions précitées de l'article L. 613-2 du code de l'éducation ni le principe d'autonomie des établissements d'enseignement supérieur ;
12. Considérant, en troisième lieu, que le décret attaqué dispose que ces diplômes sanctionnent une formation civile et civique ; que les dispositions de l'arrêté attaqué précisent que ces formations comprennent des enseignements relatifs aux institutions de la République et à la laïcité, aux grands principes du droit des cultes et aux sciences humaines et sociales des religions ; que l'article 1er de l'arrêté attaqué prévoit que le diplôme peut également être obtenu par la voie de la validation des études antérieures ou des acquis de l'expérience dans les conditions fixées par les dispositions de droit commun des articles R. 613-32 et suivants du code de l'éducation, qui confient cette compétence et la définition des règles de validation de ces acquis aux instances de chaque université ; que, par suite, le moyen tiré de ce que l'arrêté ne préciserait pas les critères de validation des expériences professionnelles ou des acquis personnels et abandonnerait le choix de ces critères au pouvoir discrétionnaire des ministres concernés ne peut qu'être écarté ;
13. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la requête de l'Union des associations diocésaines de France et de Monseigneur B...doit être rejetée ; que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font, par suite, obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance ;
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de l'Union des associations diocésaines de France et de Monseigneur B...est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'Union des associations diocésaines de France, à Monseigneur A...B..., au Premier ministre, au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, à la garde des sceaux, ministre de la justice, à la ministre des armées, à la ministre des solidarités et de la santé et à la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation.