Conseil d'État
N° 415400
ECLI:FR:CEORD:2017:415400.20171113
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés, formation collégiale
Mme Catherine de Salins, rapporteur
SCP WAQUET, FARGE, HAZAN ; SCP LESOURD, avocats
Lecture du lundi 13 novembre 2017
Vu la procédure suivante :
La société Les Productions de la Plume et M. D...M'A... M'A... ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Marseille, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une part, de suspendre l'exécution de la décision du 18 septembre 2017 par laquelle le maire de la commune de Marseille a annulé le contrat de location de la salle " Le Dôme " pour le spectacle de M. D...M'A... M'A... intitulé " D...dans la guerre " prévu le 19 novembre 2017 dans cette commune et, d'autre part, d'enjoindre au maire de permettre le déroulement de ce spectacle dans la salle du Dôme à Marseille. Par une ordonnance n° 1708148 du 19 octobre 2017, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a fait droit à cette demande.
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 2 et 6 novembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de Marseille demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) de rejeter la demande présentée sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative par la société Les Productions de la Plume et M. D... M' A... M'A... ;
3°) de mettre à la charge de la société Les Productions de la Plume et de M. D... M'A... M'A... la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la condition d'urgence n'est pas remplie dès lors que les circonstances de l'espèce ne justifient pas l'intervention du juge des référés dans le délai de quarante huit heures prévu à l'article L. 521-2 du code de justice administrative ;
- l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Marseille est entachée d'une erreur de droit en ce que celui-ci a déduit de l'atteinte à une liberté fondamentale la condition d'urgence ;
- il n'est porté aucune atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale dès lors que le maire de Marseille a résilié pour un motif d'intérêt général un contrat portant occupation du domaine public, par nature précaire et révocable et que le risque de trouble à l'ordre public justifiait en tout état de cause cette décision, le spectacle litigieux portant atteinte à la dignité humaine et incitant à la haine et à la discrimination raciales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 novembre 2017, la société Les Productions de la Plume et M. D... M'A... M'A... concluent au rejet de la requête et à ce que la somme de 4 000 euros soit mise à la charge de la commune de Marseille. Ils font valoir que la condition d'urgence est remplie et qu'il est porté une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales que constituent la liberté d'expression, la liberté du travail, composante de la liberté du commerce et de l'industrie, et la liberté de réunion alors que le risque de trouble à l'ordre public n'est pas avéré.
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la commune de Marseille, d'autre part, la société Les Productions de la Plume et M. D...M'A... M'A... ;
Vu le procès-verbal de l'audience publique du mercredi 8 novembre 2017 à 16 heures au cours de laquelle ont été entendus :
- Me Hazan, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la commune de Marseille ;
- Me Lesourd, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la société Les Productions de la Plume et de M. D... M'A... M'A... ;
- le représentant de la société Les Productions de la Plume et de M. D... M'A... M'A... ;
et à l'issue de laquelle les juges des référés ont différé la clôture de l'instruction jusqu'au 9 novembre 2017 à 18 heures ;
Vu le nouveau mémoire, enregistré le 9 novembre 2017, présenté par la société Les Productions de la Plume et M. D... M'A... M'A... ;
Vu le nouveau mémoire, enregistré le 9 novembre 2017, présenté par la commune de Marseille ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, notamment ses articles 10 et 17 ;
- le code de justice administrative ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ".
2. Il résulte de l'instruction que la commune de Marseille, qui gère en régie la salle de spectacle du Dôme, d'une capacité de 5 000 personnes, lui appartenant, a conclu le 21 avril 2017 avec la société Les Productions de la Plume un contrat de mise à disposition de cette salle en vue de la tenue du spectacle " D...dans la guerre " de M. D... M'A... M'A... prévu le 19 novembre 2017, dans le cadre d'une tournée organisée pour ce spectacle dans différentes villes de France. Par un communiqué de presse du 13 septembre 2017, il a été annoncé que " La Ville de Marseille n'accueillera pas le spectacle deD... ". Par un courrier du 18 septembre 2017, le maire de Marseille a informé la société Les Productions de la Plume de sa décision de résilier unilatéralement le contrat de location de la salle du Dôme du 21 avril 2017, compte tenu des risques de troubles à l'ordre public qu'est susceptible d'engendrer la tenue de ce spectacle. Par une ordonnance n° 1708148 du 19 octobre 2017, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a, d'une part, suspendu l'exécution de la décision du 18 septembre 2017 et, d'autre part, enjoint au maire de la commune de Marseille de respecter la convention de location de la salle du Dôme et de laisser s'y dérouler, le 19 novembre 2017, le spectacle " D...dans la guerre ". La commune de Marseille relève appel de cette ordonnance.
3. La commune de Marseille fait valoir en premier lieu qu'elle s'est bornée à résilier unilatéralement le contrat de mise à disposition de la salle pour un motif d'intérêt général.
4. Toutefois, il ressort des éléments du dossier, ainsi que l'a relevé le juge des référés du tribunal administratif de Marseille, que le maire de Marseille, après avoir annoncé dans un communiqué de presse du 13 septembre 2017 que le spectacle " D...dans la guerre " prévu le 19 novembre 2017 dans la salle de spectacle du Dôme n'aurait pas lieu compte tenu des " réelles menaces à l'ordre public " liées à sa tenue, s'est notamment fondé sur ce motif pour résilier le contrat de location signé le 21 avril 2017. Le maire de Marseille a ainsi entendu faire usage, d'une part, des prérogatives qu'il tient de sa qualité de gestionnaire du domaine public et, d'autre part, des pouvoirs de police administrative qui lui sont conférés. Dans les circonstances particulières de l'espèce, eu égard tant à la date de la résiliation du contrat qu'aux motifs qui en constituent le fondement, la décision du 18 septembre 2017 a eu pour objet et pour effet d'interdire la tenue du spectacle et doit être regardée comme une mesure de police.
Sur la condition d'urgence :
5. La commune de Marseille conteste l'existence de circonstances particulières caractérisant la nécessité pour la société Les Productions de la Plume et M. D...M'A... M'A... de bénéficier à très bref délai d'une mesure de la nature de celles qui peuvent être ordonnées sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative. Elle soutient en outre que les intéressés ont délibérément contribué à créer la situation d'urgence dont ils se prévalent en ne formant leur recours qu'un mois après que le maire de Marseille les a informés de la résiliation du contrat de location.
6. La condition d'urgence posée par l'article L. 521-2 du code de justice administrative s'apprécie objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de chaque espèce. En particulier, le requérant qui saisit le juge des référés sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative doit justifier des circonstances particulières caractérisant la nécessité pour lui de bénéficier à très bref délai d'une mesure de la nature de celles qui peuvent être ordonnées sur le fondement de cet article. Lorsqu'un requérant fonde son action, non sur la procédure de suspension régie par l'article L. 521-1 du même code, mais sur la procédure particulière instituée par l'article L. 521-2, il lui appartient de justifier de circonstances caractérisant une situation d'urgence qui implique, sous réserve que les autres conditions posées par cette disposition soient remplies, qu'une mesure visant à sauvegarder une liberté fondamentale doive être prise dans les quarante-huit heures.
7. En l'espèce, la société Les Productions de la Plume et M. D...M'A... M'A... font valoir que la seule annonce de la décision du maire de Marseille a provoqué une interruption des réservations pour le spectacle programmé le 19 novembre 2017 et était de nature à faire ainsi obstacle, dès sa prise d'effet, à la vente du plus grand nombre possible des places de la salle louée pour cette date. Ils établissent également qu'à la date de la décision litigieuse, aucune autre salle équivalente n'était disponible à Marseille ou aux environs pour accueillir le spectacle à la même date, de sorte que cette décision entraînait l'annulation du spectacle. Il résulte enfin de l'instruction qu'à ce jour, compte tenu de la suspension ordonnée par le juge des référés, environ 3 000 places ont déjà été achetées. Par suite, la condition d'urgence particulière requise par l'article L. 521-2 du code de justice administrative doit être regardée comme remplie, sans que la commune de Marseille puisse utilement se prévaloir de la circonstance qu'une autre salle située à Marseille, d'une capacité sensiblement inférieure à celle du Dôme, se soit très récemment libérée.
Sur l'atteinte grave et manifestement illégale :
8. L'exercice de la liberté d'expression est une condition de la démocratie et l'une des garanties du respect des autres droits et libertés. Il appartient aux autorités chargées de la police administrative de prendre les mesures nécessaires à l'exercice de la liberté de réunion. Les atteintes portées, pour des exigences d'ordre public, à l'exercice de ces libertés fondamentales doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées.
9. Il résulte de l'instruction que pour justifier sa décision, le maire de Marseille évoque la circonstance que l'annonce de la programmation de ce spectacle a engendré " une profonde émotion parmi les Marseillais et au-delà, de nombreuses réactions de nature à créer de réelle menaces de trouble à l'ordre public ", qu'elle " ne veut pas être confrontée sur le parvis du Dôme, ni à l'intérieur de celui-ci, à de violentes réactions et manifestations susceptibles de se produire du fait des tensions provoquées par la tenue même de ce spectacle " et que " Marseille ne peut donc pas accepter un spectacle qui, au prétexte d'humour divise, fracture et oppose [...] proposé par un homme déjà condamné pour incitation à la haine raciale et antisémitisme ".
10. Toutefois, ainsi que l'a d'ailleurs relevé le juge des référés du tribunal administratif de Marseille, il ne résulte ni des pièces du dossier ni des échanges tenus au cours de l'audience publique que le spectacle "D...dans la guerre ", qui a déjà été donné à plusieurs reprises à Paris au mois de juillet 2017, ainsi que les 7, 14 et 28 octobre 2017 à Metz, Strasbourg et Grenoble, y aurait suscité, en raison de son contenu, des troubles à l'ordre public, ni qu'il ait donné lieu à des plaintes ou des condamnations pénales. Si la commune fait valoir que l'affiche du spectacle revêtirait une connotation antisémite, une telle critique n'est, à la supposer fondée, pas de nature, à elle seule et en l'absence de toute référence au contenu du spectacle, à justifier une mesure d'interdiction de celui-ci. La commune n'établit pas davantage le risque de troubles à l'ordre public en se référant à une vidéo de M. D...M'A... M'A... publiée sur internet le 4 juillet 2007 et relative au décès de Mme C...B...ainsi qu'à une nouvelle chanson intitulée " c'est mon choa " dont il ne résulte pas de l'instruction qu'elles seraient reprises dans le spectacle ni en invoquant diverses condamnations pénales prononcées contre M. D...M'A... M'A... ou des poursuites dont il fait l'objet devant le juge pénal pour d'autres faits, qui sont sans rapport avec le spectacle programmé. En outre, si elle fait état de nombreuses protestations et d'une vive émotion suscitées par la tenue de ce spectacle, elle ne produit en ce sens qu'un communiqué de presse qui n'évoque pas même l'éventualité d'une manifestation de protestation. Enfin, si un risque de désordre ne peut être complètement exclu, il ne résulte pas de l'instruction que le maire de Marseille ne pourrait y faire face par de simples mesures de sécurité.
11. Il suit de là que la décision du 18 septembre 2017, en interdisant la tenue du spectacle à Marseille, constitue une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d'expression.
12. Il résulte de ce qui précède que la commune de Marseille n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a suspendu l'exécution de la décision de résiliation du 18 septembre 2017. Sa requête, doit, par suite, être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Marseille le versement à la société Les Productions de la Plume et à M. D... M'A... M'A... de la somme de 1 000 euros chacun au titre de ces dispositions.
O R D O N N E :
------------------
Article 1er : La requête de la commune de Marseille est rejetée.
Article 2 : La commune de Marseille versera à la société Les Productions de la Plume et à M. D... M'A... M'A... la somme de 1 000 euros chacun au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la commune de Marseille, à la société Les Productions de la Plume et à M. D...M'A... M'A....
N° 415400
ECLI:FR:CEORD:2017:415400.20171113
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés, formation collégiale
Mme Catherine de Salins, rapporteur
SCP WAQUET, FARGE, HAZAN ; SCP LESOURD, avocats
Lecture du lundi 13 novembre 2017
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
La société Les Productions de la Plume et M. D...M'A... M'A... ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Marseille, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une part, de suspendre l'exécution de la décision du 18 septembre 2017 par laquelle le maire de la commune de Marseille a annulé le contrat de location de la salle " Le Dôme " pour le spectacle de M. D...M'A... M'A... intitulé " D...dans la guerre " prévu le 19 novembre 2017 dans cette commune et, d'autre part, d'enjoindre au maire de permettre le déroulement de ce spectacle dans la salle du Dôme à Marseille. Par une ordonnance n° 1708148 du 19 octobre 2017, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a fait droit à cette demande.
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 2 et 6 novembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de Marseille demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) de rejeter la demande présentée sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative par la société Les Productions de la Plume et M. D... M' A... M'A... ;
3°) de mettre à la charge de la société Les Productions de la Plume et de M. D... M'A... M'A... la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la condition d'urgence n'est pas remplie dès lors que les circonstances de l'espèce ne justifient pas l'intervention du juge des référés dans le délai de quarante huit heures prévu à l'article L. 521-2 du code de justice administrative ;
- l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Marseille est entachée d'une erreur de droit en ce que celui-ci a déduit de l'atteinte à une liberté fondamentale la condition d'urgence ;
- il n'est porté aucune atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale dès lors que le maire de Marseille a résilié pour un motif d'intérêt général un contrat portant occupation du domaine public, par nature précaire et révocable et que le risque de trouble à l'ordre public justifiait en tout état de cause cette décision, le spectacle litigieux portant atteinte à la dignité humaine et incitant à la haine et à la discrimination raciales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 novembre 2017, la société Les Productions de la Plume et M. D... M'A... M'A... concluent au rejet de la requête et à ce que la somme de 4 000 euros soit mise à la charge de la commune de Marseille. Ils font valoir que la condition d'urgence est remplie et qu'il est porté une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales que constituent la liberté d'expression, la liberté du travail, composante de la liberté du commerce et de l'industrie, et la liberté de réunion alors que le risque de trouble à l'ordre public n'est pas avéré.
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la commune de Marseille, d'autre part, la société Les Productions de la Plume et M. D...M'A... M'A... ;
Vu le procès-verbal de l'audience publique du mercredi 8 novembre 2017 à 16 heures au cours de laquelle ont été entendus :
- Me Hazan, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la commune de Marseille ;
- Me Lesourd, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la société Les Productions de la Plume et de M. D... M'A... M'A... ;
- le représentant de la société Les Productions de la Plume et de M. D... M'A... M'A... ;
et à l'issue de laquelle les juges des référés ont différé la clôture de l'instruction jusqu'au 9 novembre 2017 à 18 heures ;
Vu le nouveau mémoire, enregistré le 9 novembre 2017, présenté par la société Les Productions de la Plume et M. D... M'A... M'A... ;
Vu le nouveau mémoire, enregistré le 9 novembre 2017, présenté par la commune de Marseille ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, notamment ses articles 10 et 17 ;
- le code de justice administrative ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ".
2. Il résulte de l'instruction que la commune de Marseille, qui gère en régie la salle de spectacle du Dôme, d'une capacité de 5 000 personnes, lui appartenant, a conclu le 21 avril 2017 avec la société Les Productions de la Plume un contrat de mise à disposition de cette salle en vue de la tenue du spectacle " D...dans la guerre " de M. D... M'A... M'A... prévu le 19 novembre 2017, dans le cadre d'une tournée organisée pour ce spectacle dans différentes villes de France. Par un communiqué de presse du 13 septembre 2017, il a été annoncé que " La Ville de Marseille n'accueillera pas le spectacle deD... ". Par un courrier du 18 septembre 2017, le maire de Marseille a informé la société Les Productions de la Plume de sa décision de résilier unilatéralement le contrat de location de la salle du Dôme du 21 avril 2017, compte tenu des risques de troubles à l'ordre public qu'est susceptible d'engendrer la tenue de ce spectacle. Par une ordonnance n° 1708148 du 19 octobre 2017, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a, d'une part, suspendu l'exécution de la décision du 18 septembre 2017 et, d'autre part, enjoint au maire de la commune de Marseille de respecter la convention de location de la salle du Dôme et de laisser s'y dérouler, le 19 novembre 2017, le spectacle " D...dans la guerre ". La commune de Marseille relève appel de cette ordonnance.
3. La commune de Marseille fait valoir en premier lieu qu'elle s'est bornée à résilier unilatéralement le contrat de mise à disposition de la salle pour un motif d'intérêt général.
4. Toutefois, il ressort des éléments du dossier, ainsi que l'a relevé le juge des référés du tribunal administratif de Marseille, que le maire de Marseille, après avoir annoncé dans un communiqué de presse du 13 septembre 2017 que le spectacle " D...dans la guerre " prévu le 19 novembre 2017 dans la salle de spectacle du Dôme n'aurait pas lieu compte tenu des " réelles menaces à l'ordre public " liées à sa tenue, s'est notamment fondé sur ce motif pour résilier le contrat de location signé le 21 avril 2017. Le maire de Marseille a ainsi entendu faire usage, d'une part, des prérogatives qu'il tient de sa qualité de gestionnaire du domaine public et, d'autre part, des pouvoirs de police administrative qui lui sont conférés. Dans les circonstances particulières de l'espèce, eu égard tant à la date de la résiliation du contrat qu'aux motifs qui en constituent le fondement, la décision du 18 septembre 2017 a eu pour objet et pour effet d'interdire la tenue du spectacle et doit être regardée comme une mesure de police.
Sur la condition d'urgence :
5. La commune de Marseille conteste l'existence de circonstances particulières caractérisant la nécessité pour la société Les Productions de la Plume et M. D...M'A... M'A... de bénéficier à très bref délai d'une mesure de la nature de celles qui peuvent être ordonnées sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative. Elle soutient en outre que les intéressés ont délibérément contribué à créer la situation d'urgence dont ils se prévalent en ne formant leur recours qu'un mois après que le maire de Marseille les a informés de la résiliation du contrat de location.
6. La condition d'urgence posée par l'article L. 521-2 du code de justice administrative s'apprécie objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de chaque espèce. En particulier, le requérant qui saisit le juge des référés sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative doit justifier des circonstances particulières caractérisant la nécessité pour lui de bénéficier à très bref délai d'une mesure de la nature de celles qui peuvent être ordonnées sur le fondement de cet article. Lorsqu'un requérant fonde son action, non sur la procédure de suspension régie par l'article L. 521-1 du même code, mais sur la procédure particulière instituée par l'article L. 521-2, il lui appartient de justifier de circonstances caractérisant une situation d'urgence qui implique, sous réserve que les autres conditions posées par cette disposition soient remplies, qu'une mesure visant à sauvegarder une liberté fondamentale doive être prise dans les quarante-huit heures.
7. En l'espèce, la société Les Productions de la Plume et M. D...M'A... M'A... font valoir que la seule annonce de la décision du maire de Marseille a provoqué une interruption des réservations pour le spectacle programmé le 19 novembre 2017 et était de nature à faire ainsi obstacle, dès sa prise d'effet, à la vente du plus grand nombre possible des places de la salle louée pour cette date. Ils établissent également qu'à la date de la décision litigieuse, aucune autre salle équivalente n'était disponible à Marseille ou aux environs pour accueillir le spectacle à la même date, de sorte que cette décision entraînait l'annulation du spectacle. Il résulte enfin de l'instruction qu'à ce jour, compte tenu de la suspension ordonnée par le juge des référés, environ 3 000 places ont déjà été achetées. Par suite, la condition d'urgence particulière requise par l'article L. 521-2 du code de justice administrative doit être regardée comme remplie, sans que la commune de Marseille puisse utilement se prévaloir de la circonstance qu'une autre salle située à Marseille, d'une capacité sensiblement inférieure à celle du Dôme, se soit très récemment libérée.
Sur l'atteinte grave et manifestement illégale :
8. L'exercice de la liberté d'expression est une condition de la démocratie et l'une des garanties du respect des autres droits et libertés. Il appartient aux autorités chargées de la police administrative de prendre les mesures nécessaires à l'exercice de la liberté de réunion. Les atteintes portées, pour des exigences d'ordre public, à l'exercice de ces libertés fondamentales doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées.
9. Il résulte de l'instruction que pour justifier sa décision, le maire de Marseille évoque la circonstance que l'annonce de la programmation de ce spectacle a engendré " une profonde émotion parmi les Marseillais et au-delà, de nombreuses réactions de nature à créer de réelle menaces de trouble à l'ordre public ", qu'elle " ne veut pas être confrontée sur le parvis du Dôme, ni à l'intérieur de celui-ci, à de violentes réactions et manifestations susceptibles de se produire du fait des tensions provoquées par la tenue même de ce spectacle " et que " Marseille ne peut donc pas accepter un spectacle qui, au prétexte d'humour divise, fracture et oppose [...] proposé par un homme déjà condamné pour incitation à la haine raciale et antisémitisme ".
10. Toutefois, ainsi que l'a d'ailleurs relevé le juge des référés du tribunal administratif de Marseille, il ne résulte ni des pièces du dossier ni des échanges tenus au cours de l'audience publique que le spectacle "D...dans la guerre ", qui a déjà été donné à plusieurs reprises à Paris au mois de juillet 2017, ainsi que les 7, 14 et 28 octobre 2017 à Metz, Strasbourg et Grenoble, y aurait suscité, en raison de son contenu, des troubles à l'ordre public, ni qu'il ait donné lieu à des plaintes ou des condamnations pénales. Si la commune fait valoir que l'affiche du spectacle revêtirait une connotation antisémite, une telle critique n'est, à la supposer fondée, pas de nature, à elle seule et en l'absence de toute référence au contenu du spectacle, à justifier une mesure d'interdiction de celui-ci. La commune n'établit pas davantage le risque de troubles à l'ordre public en se référant à une vidéo de M. D...M'A... M'A... publiée sur internet le 4 juillet 2007 et relative au décès de Mme C...B...ainsi qu'à une nouvelle chanson intitulée " c'est mon choa " dont il ne résulte pas de l'instruction qu'elles seraient reprises dans le spectacle ni en invoquant diverses condamnations pénales prononcées contre M. D...M'A... M'A... ou des poursuites dont il fait l'objet devant le juge pénal pour d'autres faits, qui sont sans rapport avec le spectacle programmé. En outre, si elle fait état de nombreuses protestations et d'une vive émotion suscitées par la tenue de ce spectacle, elle ne produit en ce sens qu'un communiqué de presse qui n'évoque pas même l'éventualité d'une manifestation de protestation. Enfin, si un risque de désordre ne peut être complètement exclu, il ne résulte pas de l'instruction que le maire de Marseille ne pourrait y faire face par de simples mesures de sécurité.
11. Il suit de là que la décision du 18 septembre 2017, en interdisant la tenue du spectacle à Marseille, constitue une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d'expression.
12. Il résulte de ce qui précède que la commune de Marseille n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a suspendu l'exécution de la décision de résiliation du 18 septembre 2017. Sa requête, doit, par suite, être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Marseille le versement à la société Les Productions de la Plume et à M. D... M'A... M'A... de la somme de 1 000 euros chacun au titre de ces dispositions.
O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de la commune de Marseille est rejetée.
Article 2 : La commune de Marseille versera à la société Les Productions de la Plume et à M. D... M'A... M'A... la somme de 1 000 euros chacun au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la commune de Marseille, à la société Les Productions de la Plume et à M. D...M'A... M'A....