Conseil d'État
N° 406437
ECLI:FR:CECHR:2017:406437.20170626
Publié au recueil Lebon
9ème - 10ème chambres réunies
M. Jean-Luc Matt, rapporteur
Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public
SCP MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE, avocats
Lecture du lundi 26 juin 2017
Vu la procédure suivante :
La société BPCE a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2007. Par un jugement n° 1407475 du 8 octobre 2015, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 15VE03739 du 2 novembre 2016, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par la société BPCE contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 30 décembre 2016 et 27 mars 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société BPCE demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un mémoire et un nouveau mémoire, enregistrés les 27 mars et 3 mai 2017, présentés en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, la société BPCE demande au Conseil d'Etat, à l'appui de son pourvoi, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des a et b du 1 de l'article 220 du code général des impôts.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code général des impôts ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jean-Luc Matt, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat de la société Banque Populaire Caisse d'épargne ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.
2. Aux termes de l'article 220 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au litige : " 1. a) Sur justifications, la retenue à la source à laquelle ont donné ouverture les revenus des capitaux mobiliers, visés aux articles 108 à 119, 238 septies B et 1678 bis, perçus par la société ou la personne morale est imputée sur le montant de l'impôt à sa charge en vertu du présent chapitre. / Toutefois, la déduction à opérer de ce chef ne peut excéder la fraction de ce dernier impôt correspondant au montant desdits revenus. / b) En ce qui concerne les revenus de source étrangère visés aux articles 120 à 123, l'imputation est limitée au montant du crédit correspondant à l'impôt retenu à la source à l'étranger ou à la décote en tenant lieu, tel qu'il est prévu par les conventions internationales. ".
3. La société BPCE soutient que ces dispositions méconnaissent les principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques, garantis respectivement par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen, et le droit de propriété, garanti par les articles 2 et 17 de la même Déclaration, ainsi que la compétence du législateur, prévue par l'article 34 de la Constitution, en ce qu'elles ne prévoient pas la possibilité, pour les contribuables assujettis à l'impôt sur les sociétés bénéficiaires de revenus de capitaux mobiliers qui ont supporté des retenues à la source, d'imputer ces dernières sur l'impôt dû, quel que soit le taux auquel il est calculé, ni de reporter sur les exercices suivants la fraction de ces retenues qui n'aurait pu être imputée. Eu égard à l'argumentation ainsi développée, la société BPCE doit être regardée comme contestant seulement la constitutionnalité des dispositions du a du 1 de l'article 220 du code général des impôts.
4. Il résulte de ces dispositions que l'imputation de l'impôt retenu à la source sur les revenus de source française et sur les revenus de source étrangère perçus au cours d'un exercice, s'opère sur l'impôt sur les sociétés à la charge du bénéficiaire de ces revenus au titre de cet exercice, sans qu'il y ait lieu de distinguer selon que cet impôt est dû au taux normal ou au taux réduit.
5. Les dispositions du a du 1 de l'article 220 du code général des impôts, qui ont valeur législative, sont applicables au litige et n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel. Ainsi qu'il a été dit au point 4 ci-dessus, l'imputation des retenues à la source que ces dispositions prévoient s'opère sur l'impôt sur les sociétés dû au titre de l'exercice de perception des revenus, quel que soit le taux auquel il est calculé. En revanche, les moyens tirés de ce qu'en ne prévoyant pas la possibilité pour les contribuables qui n'ont pu imputer en tout ou partie ces retenues à la source sur l'impôt sur les sociétés dû au titre du même exercice d'en reporter la fraction non utilisée sur les exercices suivants, ces dispositions méconnaissent les principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques garantis par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ainsi que le droit de propriété garanti par les articles 2 et 17 de cette Déclaration soulèvent une question qui présente un caractère sérieux. Par suite, il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : La question de la conformité à la Constitution du a du 1 de l'article 220 du code général des impôts est renvoyée au Conseil constitutionnel.
Article 2 : Il est sursis à statuer sur le pourvoi de la société BPCE jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question prioritaire de constitutionnalité ainsi soulevée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société BPCE, au ministre de l'économie et au ministre de l'action et des comptes publics.
Copie en sera adressée au Premier ministre.
N° 406437
ECLI:FR:CECHR:2017:406437.20170626
Publié au recueil Lebon
9ème - 10ème chambres réunies
M. Jean-Luc Matt, rapporteur
Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public
SCP MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE, avocats
Lecture du lundi 26 juin 2017
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
La société BPCE a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2007. Par un jugement n° 1407475 du 8 octobre 2015, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 15VE03739 du 2 novembre 2016, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par la société BPCE contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 30 décembre 2016 et 27 mars 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société BPCE demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un mémoire et un nouveau mémoire, enregistrés les 27 mars et 3 mai 2017, présentés en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, la société BPCE demande au Conseil d'Etat, à l'appui de son pourvoi, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des a et b du 1 de l'article 220 du code général des impôts.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code général des impôts ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jean-Luc Matt, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat de la société Banque Populaire Caisse d'épargne ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.
2. Aux termes de l'article 220 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au litige : " 1. a) Sur justifications, la retenue à la source à laquelle ont donné ouverture les revenus des capitaux mobiliers, visés aux articles 108 à 119, 238 septies B et 1678 bis, perçus par la société ou la personne morale est imputée sur le montant de l'impôt à sa charge en vertu du présent chapitre. / Toutefois, la déduction à opérer de ce chef ne peut excéder la fraction de ce dernier impôt correspondant au montant desdits revenus. / b) En ce qui concerne les revenus de source étrangère visés aux articles 120 à 123, l'imputation est limitée au montant du crédit correspondant à l'impôt retenu à la source à l'étranger ou à la décote en tenant lieu, tel qu'il est prévu par les conventions internationales. ".
3. La société BPCE soutient que ces dispositions méconnaissent les principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques, garantis respectivement par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen, et le droit de propriété, garanti par les articles 2 et 17 de la même Déclaration, ainsi que la compétence du législateur, prévue par l'article 34 de la Constitution, en ce qu'elles ne prévoient pas la possibilité, pour les contribuables assujettis à l'impôt sur les sociétés bénéficiaires de revenus de capitaux mobiliers qui ont supporté des retenues à la source, d'imputer ces dernières sur l'impôt dû, quel que soit le taux auquel il est calculé, ni de reporter sur les exercices suivants la fraction de ces retenues qui n'aurait pu être imputée. Eu égard à l'argumentation ainsi développée, la société BPCE doit être regardée comme contestant seulement la constitutionnalité des dispositions du a du 1 de l'article 220 du code général des impôts.
4. Il résulte de ces dispositions que l'imputation de l'impôt retenu à la source sur les revenus de source française et sur les revenus de source étrangère perçus au cours d'un exercice, s'opère sur l'impôt sur les sociétés à la charge du bénéficiaire de ces revenus au titre de cet exercice, sans qu'il y ait lieu de distinguer selon que cet impôt est dû au taux normal ou au taux réduit.
5. Les dispositions du a du 1 de l'article 220 du code général des impôts, qui ont valeur législative, sont applicables au litige et n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel. Ainsi qu'il a été dit au point 4 ci-dessus, l'imputation des retenues à la source que ces dispositions prévoient s'opère sur l'impôt sur les sociétés dû au titre de l'exercice de perception des revenus, quel que soit le taux auquel il est calculé. En revanche, les moyens tirés de ce qu'en ne prévoyant pas la possibilité pour les contribuables qui n'ont pu imputer en tout ou partie ces retenues à la source sur l'impôt sur les sociétés dû au titre du même exercice d'en reporter la fraction non utilisée sur les exercices suivants, ces dispositions méconnaissent les principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques garantis par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ainsi que le droit de propriété garanti par les articles 2 et 17 de cette Déclaration soulèvent une question qui présente un caractère sérieux. Par suite, il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : La question de la conformité à la Constitution du a du 1 de l'article 220 du code général des impôts est renvoyée au Conseil constitutionnel.
Article 2 : Il est sursis à statuer sur le pourvoi de la société BPCE jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question prioritaire de constitutionnalité ainsi soulevée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société BPCE, au ministre de l'économie et au ministre de l'action et des comptes publics.
Copie en sera adressée au Premier ministre.