Conseil d'État
N° 399834
ECLI:FR:CESEC:2016:399834.20160713
Inédit au recueil Lebon
Section
Mme Marie Sirinelli, rapporteur
M. Jean Lessi, rapporteur public
SCP GARREAU, BAUER-VIOLAS, FESCHOTTE-DESBOIS ; SCP SEVAUX, MATHONNET, avocats
Lecture du mercredi 13 juillet 2016
Vu la procédure suivante :
M. A...C...et Mme B...C...ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Clermont-Ferrand, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre au département du Puy-de-Dôme de leur fournir à nouveau sans délai le financement d'un hébergement de type hôtelier par l'attribution d'aides financières mensuelles.
Par une ordonnance n° 1600719 du 29 avril 2016, le juge des référés a enjoint au département du Puy-de-Dôme de rétablir, dès la notification de son ordonnance, une aide financière à M. et Mme C...pour se loger avec leurs deux enfants mineurs.
Par une requête, deux nouveaux mémoires et un mémoire en réplique, enregistrés les 17 mai, 24 mai, 2 juin et 29 juin 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le département du Puy-de-Dôme demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L.521-2 du code de justice administrative :
1°) d'annuler ou de réformer cette ordonnance ;
2°) de rejeter la demande de première instance de M. et Mme C....
Il soutient que :
- le juge des référés a insuffisamment motivé son ordonnance et méconnu son office, en ne constatant pas l'urgence à statuer et en n'identifiant pas la liberté fondamentale justifiant l'injonction prononcée à son encontre ;
- il a commis une erreur de droit en le jugeant compétent, à titre supplétif, pour assurer l'hébergement d'urgence, et non uniquement l'hébergement d'insertion, des personnes sans abri en situation de détresse, sur le fondement des articles L. 345-2 et L. 345-2-2 du code de l'action sociale et des familles ;
- il a commis une erreur de droit en ne recherchant pas, avant de lui enjoindre d'accorder une aide financière aux requérants, si ces derniers justifiaient de circonstances exceptionnelles susceptibles de faire obstacle à leur départ volontaire du territoire ;
- il a commis une erreur de droit en lui enjoignant d'accorder aux requérants une aide financière au seul motif que l'absence d'examen de la situation particulière de la famille porterait une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, alors au surplus que cette injonction ne pouvait que revêtir un caractère provisoire ;
- en cas d'annulation de l'ordonnance, la demande de première instance des requérants devrait être rejetée, aucun des moyens soulevés devant le tribunal ne pouvant être accueilli.
Par deux mémoires en défense, enregistrés les 24 mai et 14 juin 2016, M. et Mme C...concluent au rejet de la requête et demandent, en outre, au juge des référés du Conseil d'Etat :
1°) de faire droit à leurs demandes de première instance dans l'hypothèse où il annulerait l'ordonnance attaquée et, subsidiairement, d'enjoindre à l'Etat de leur assurer un hébergement d'urgence ;
2°) de mettre à la charge du département du Puy-de-Dôme et, le cas échéant, de l'Etat, la somme de 1 500 euros à verser à la SCP Sevaux, Mathonnet, leur avocat, au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Vu le procès-verbal de l'audience publique du 25 mai 2016 et les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Marie Sirinelli, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Jean Lessi, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Garreau, Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, avocat du département du Puy-de-Dôme, à la SCP Sevaux, Mathonnet, avocat de M. et Mme C...;
1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures " ;
2. Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. et MmeC..., ressortissants albanais, parents de deux enfants mineurs, ont vu leurs demandes d'asile rejetées par la Cour nationale du droit d'asile le 27 février 2015 ; qu'ils bénéficiaient, depuis le mois de novembre 2014, d'un accompagnement social ainsi que de la prise en charge, par le département du Puy-de-Dôme, du financement de leur hébergement à l'hôtel ; qu'un courrier du département du Puy-de-Dôme du 23 mars 2016 les a informés que la prise en charge du financement de leur hébergement à l'hôtel prendrait fin le 26 avril 2016, conformément aux dispositions du nouveau règlement départemental d'aide sociale limitant la durée de ce type de financement ; qu'ayant sollicité le " 115 ", service téléphonique de coordination de l'hébergement d'urgence, ils ont bénéficié d'un hébergement durant la nuit du 26 au 27 avril seulement ; qu'ils ont saisi le 28 avril, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, le juge des référés du tribunal administratif de Clermont-Ferrand d'une demande tendant à ce qu'il soit enjoint au département du Puy-de-Dôme de leur fournir, sans délai, un hébergement, notamment par le biais d'une aide financière mensuelle ; que le département du Puy-de-Dôme relève appel de l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 29 avril 2016, qui lui a enjoint d'accorder à M. et MmeC..., dès la notification de son ordonnance, une aide financière afin qu'ils puissent se loger avec leurs enfants ;
Sur l'intervention de l'Assemblée des départements de France :
3. Considérant que l'Assemblée des départements de France justifie, eu égard à son objet statutaire et aux questions soulevées par le litige, d'un intérêt suffisant pour intervenir au soutien de l'appel du département du Puy-de-Dôme ; qu'ainsi, son intervention est recevable ;
Sur l'appel du département :
4. Considérant, d'une part, que l'article L. 345-2 du code de l'action sociale et des familles prévoit que, dans chaque département, est mis en place, sous l'autorité du préfet, " un dispositif de veille sociale chargé d'accueillir les personnes sans abri ou en détresse " ; que l'article L. 345-2-2 dispose que : " Toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique ou sociale a accès, à tout moment, à un dispositif d'hébergement d'urgence (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 345-2-3 : " Toute personne accueillie dans une structure d'hébergement d'urgence doit pouvoir y bénéficier d'un accompagnement personnalisé et y demeurer, dès lors qu'elle le souhaite, jusqu'à ce qu'une orientation lui soit proposée (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 121-7 du même code : " Sont à la charge de l'Etat au titre de l'aide sociale : (...) 8° Les mesures d'aide sociale en matière de logement, d'hébergement et de réinsertion, mentionnées aux articles L. 345-1 à L. 345-3 (...) " ;
5. Considérant, d'autre part, qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 222-2 du code de l'action sociale et des familles : " L'aide à domicile est attribuée sur sa demande, ou avec son accord, à la mère, au père ou, à défaut, à la personne qui assume la charge effective de l'enfant, lorsque la santé de celui-ci, sa sécurité, son entretien ou son éducation l'exigent et, pour les prestations financières, lorsque le demandeur ne dispose pas de ressources suffisantes " ; qu'aux termes de l'article L. 222-3 du même code : " L'aide à domicile comporte, ensemble ou séparément : (...) - le versement d'aides financières, effectué sous forme soit de secours exceptionnels, soit d'allocations mensuelles, à titre définitif ou sous condition de remboursement, éventuellement délivrés en espèces " ; qu'aux termes de l'article L. 222-5 du même code : " Sont pris en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance sur décision du président du conseil départemental : 1° Les mineurs qui ne peuvent demeurer provisoirement dans leur milieu de vie habituel et dont la situation requiert un accueil (...) 4° Les femmes enceintes et les mères isolées avec leurs enfants de moins de trois ans qui ont besoin d'un soutien matériel et psychologique, notamment parce qu'elles sont sans domicile (...) " ; qu'il résulte des dispositions de l'article L. 122-1 du même code que les prestations légales versées au titre de l'aide sociale à l'enfance sont à la charge du département dans lequel les bénéficiaires ont leur domicile de secours ou, à défaut, dans lequel ils résident au moment de leur demande d'admission à l'aide sociale ;
6. Considérant qu'il appartient aux autorités de l'Etat, sur le fondement des dispositions citées au point 4, de mettre en oeuvre le droit à l'hébergement d'urgence reconnu par la loi à toute personne sans abri qui se trouve en situation de détresse médicale, psychique ou sociale ; qu'une carence caractérisée dans l'accomplissement de cette mission peut faire apparaître, pour l'application de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale lorsqu'elle entraîne des conséquences graves pour la personne intéressée ; qu'il incombe au juge des référés d'apprécier dans chaque cas les diligences accomplies par l'administration en tenant compte des moyens dont elle dispose ainsi que de l'âge, de l'état de la santé et de la situation de famille de la personne intéressée ; que, les ressortissants étrangers qui font l'objet d'une obligation de quitter le territoire français ou dont la demande d'asile a été définitivement rejetée et qui doivent ainsi quitter le territoire en vertu des dispositions de l'article L. 743-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'ayant pas vocation à bénéficier du dispositif d'hébergement d'urgence, une carence constitutive d'une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ne saurait être caractérisée, à l'issue de la période strictement nécessaire à la mise en oeuvre de leur départ volontaire, qu'en cas de circonstances exceptionnelles ; que constitue une telle circonstance, en particulier lorsque, notamment du fait de leur très jeune âge, une solution appropriée ne pourrait être trouvée dans leur prise en charge hors de leur milieu de vie habituel par le service de l'aide sociale à l'enfance, l'existence d'un risque grave pour la santé ou la sécurité d'enfants mineurs, dont l'intérêt supérieur doit être une considération primordiale dans les décisions les concernant ;
7. Considérant, enfin, que la compétence de l'Etat en matière d'hébergement d'urgence n'exclut pas l'intervention du département par la voie d'aides financières destinées à permettre temporairement l'hébergement des familles lorsque la santé des enfants, leur sécurité, leur entretien ou leur éducation l'exigent, sur le fondement de l'article L. 222-3 précité du code de l'action sociale et des familles ; que, toutefois, de telles prestations ne sont pas d'une nature différente de celles que l'Etat pourrait fournir en cas de saturation des structures d'hébergement d'urgence ; que les besoins des enfants ne sauraient faire l'objet d'une appréciation différente selon la collectivité amenée à prendre en charge, dans l'urgence, l'hébergement de la famille ; qu'ainsi, dès lors que ne sont en cause ni des mineurs relevant d'une prise en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance en application de l'article L. 222-5 du même code, ni des femmes enceintes ou des mères isolées avec leurs enfants de moins de trois ans mentionnées au 4° du même article, l'intervention du département ne revêt qu'un caractère supplétif, dans l'hypothèse où l'Etat n'aurait pas accompli les diligences qui lui reviennent, et ne saurait entraîner une quelconque obligation à la charge du département dans le cadre d'une procédure d'urgence qui a précisément pour objet de prescrire, à l'autorité principalement compétente, les diligences qui s'avéreraient nécessaires ;
8. Considérant que la demande de M. et Mme C...portait seulement sur la fourniture d'un hébergement d'urgence pour leur famille ou de prestations équivalentes ; qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens soulevés par le département du Puy-de-Dôme et par l'Assemblée des départements de France, que c'est à tort que le juge des référés a constaté l'existence d'une carence caractérisée de l'administration départementale dans la mise en oeuvre du droit de M. et Mme C...à l'hébergement d'urgence, constitutive d'une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, et a enjoint au département de leur accorder une aide financière pour se loger avec leurs enfants mineurs ; qu'il y a lieu, par suite, d'annuler les articles 2 et 3 de l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 29 avril 2016 ;
Sur les conclusions de M. et Mme C...dirigées contre l'Etat :
9. Considérant que ces conclusions sont nouvelles en appel et, par suite, irrecevables ;
Sur les conclusions présentées au titre des articles L.761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
10. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit à la demande de l'avocat de M. et Mme C... présentée au titre de cet article et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'intervention de l'Assemblée des départements de France est admise.
Article 2 : Les articles 2 et 3 de l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 29 avril 2016 sont annulés.
Article 3 : La demande présentée par M. et Mme C...devant le juge des référés du tribunal administratif de Clermont-Ferrand sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative et leurs conclusions présentées devant le juge des référés du Conseil d'Etat sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au département du Puy-de-Dôme, à M. A...C...et Mme B...C..., à la ministre des affaires sociales et de la santé et à l'Assemblée des départements de France.
N° 399834
ECLI:FR:CESEC:2016:399834.20160713
Inédit au recueil Lebon
Section
Mme Marie Sirinelli, rapporteur
M. Jean Lessi, rapporteur public
SCP GARREAU, BAUER-VIOLAS, FESCHOTTE-DESBOIS ; SCP SEVAUX, MATHONNET, avocats
Lecture du mercredi 13 juillet 2016
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
M. A...C...et Mme B...C...ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Clermont-Ferrand, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre au département du Puy-de-Dôme de leur fournir à nouveau sans délai le financement d'un hébergement de type hôtelier par l'attribution d'aides financières mensuelles.
Par une ordonnance n° 1600719 du 29 avril 2016, le juge des référés a enjoint au département du Puy-de-Dôme de rétablir, dès la notification de son ordonnance, une aide financière à M. et Mme C...pour se loger avec leurs deux enfants mineurs.
Par une requête, deux nouveaux mémoires et un mémoire en réplique, enregistrés les 17 mai, 24 mai, 2 juin et 29 juin 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le département du Puy-de-Dôme demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L.521-2 du code de justice administrative :
1°) d'annuler ou de réformer cette ordonnance ;
2°) de rejeter la demande de première instance de M. et Mme C....
Il soutient que :
- le juge des référés a insuffisamment motivé son ordonnance et méconnu son office, en ne constatant pas l'urgence à statuer et en n'identifiant pas la liberté fondamentale justifiant l'injonction prononcée à son encontre ;
- il a commis une erreur de droit en le jugeant compétent, à titre supplétif, pour assurer l'hébergement d'urgence, et non uniquement l'hébergement d'insertion, des personnes sans abri en situation de détresse, sur le fondement des articles L. 345-2 et L. 345-2-2 du code de l'action sociale et des familles ;
- il a commis une erreur de droit en ne recherchant pas, avant de lui enjoindre d'accorder une aide financière aux requérants, si ces derniers justifiaient de circonstances exceptionnelles susceptibles de faire obstacle à leur départ volontaire du territoire ;
- il a commis une erreur de droit en lui enjoignant d'accorder aux requérants une aide financière au seul motif que l'absence d'examen de la situation particulière de la famille porterait une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, alors au surplus que cette injonction ne pouvait que revêtir un caractère provisoire ;
- en cas d'annulation de l'ordonnance, la demande de première instance des requérants devrait être rejetée, aucun des moyens soulevés devant le tribunal ne pouvant être accueilli.
Par deux mémoires en défense, enregistrés les 24 mai et 14 juin 2016, M. et Mme C...concluent au rejet de la requête et demandent, en outre, au juge des référés du Conseil d'Etat :
1°) de faire droit à leurs demandes de première instance dans l'hypothèse où il annulerait l'ordonnance attaquée et, subsidiairement, d'enjoindre à l'Etat de leur assurer un hébergement d'urgence ;
2°) de mettre à la charge du département du Puy-de-Dôme et, le cas échéant, de l'Etat, la somme de 1 500 euros à verser à la SCP Sevaux, Mathonnet, leur avocat, au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Vu le procès-verbal de l'audience publique du 25 mai 2016 et les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Marie Sirinelli, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Jean Lessi, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Garreau, Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, avocat du département du Puy-de-Dôme, à la SCP Sevaux, Mathonnet, avocat de M. et Mme C...;
1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures " ;
2. Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. et MmeC..., ressortissants albanais, parents de deux enfants mineurs, ont vu leurs demandes d'asile rejetées par la Cour nationale du droit d'asile le 27 février 2015 ; qu'ils bénéficiaient, depuis le mois de novembre 2014, d'un accompagnement social ainsi que de la prise en charge, par le département du Puy-de-Dôme, du financement de leur hébergement à l'hôtel ; qu'un courrier du département du Puy-de-Dôme du 23 mars 2016 les a informés que la prise en charge du financement de leur hébergement à l'hôtel prendrait fin le 26 avril 2016, conformément aux dispositions du nouveau règlement départemental d'aide sociale limitant la durée de ce type de financement ; qu'ayant sollicité le " 115 ", service téléphonique de coordination de l'hébergement d'urgence, ils ont bénéficié d'un hébergement durant la nuit du 26 au 27 avril seulement ; qu'ils ont saisi le 28 avril, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, le juge des référés du tribunal administratif de Clermont-Ferrand d'une demande tendant à ce qu'il soit enjoint au département du Puy-de-Dôme de leur fournir, sans délai, un hébergement, notamment par le biais d'une aide financière mensuelle ; que le département du Puy-de-Dôme relève appel de l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 29 avril 2016, qui lui a enjoint d'accorder à M. et MmeC..., dès la notification de son ordonnance, une aide financière afin qu'ils puissent se loger avec leurs enfants ;
Sur l'intervention de l'Assemblée des départements de France :
3. Considérant que l'Assemblée des départements de France justifie, eu égard à son objet statutaire et aux questions soulevées par le litige, d'un intérêt suffisant pour intervenir au soutien de l'appel du département du Puy-de-Dôme ; qu'ainsi, son intervention est recevable ;
Sur l'appel du département :
4. Considérant, d'une part, que l'article L. 345-2 du code de l'action sociale et des familles prévoit que, dans chaque département, est mis en place, sous l'autorité du préfet, " un dispositif de veille sociale chargé d'accueillir les personnes sans abri ou en détresse " ; que l'article L. 345-2-2 dispose que : " Toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique ou sociale a accès, à tout moment, à un dispositif d'hébergement d'urgence (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 345-2-3 : " Toute personne accueillie dans une structure d'hébergement d'urgence doit pouvoir y bénéficier d'un accompagnement personnalisé et y demeurer, dès lors qu'elle le souhaite, jusqu'à ce qu'une orientation lui soit proposée (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 121-7 du même code : " Sont à la charge de l'Etat au titre de l'aide sociale : (...) 8° Les mesures d'aide sociale en matière de logement, d'hébergement et de réinsertion, mentionnées aux articles L. 345-1 à L. 345-3 (...) " ;
5. Considérant, d'autre part, qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 222-2 du code de l'action sociale et des familles : " L'aide à domicile est attribuée sur sa demande, ou avec son accord, à la mère, au père ou, à défaut, à la personne qui assume la charge effective de l'enfant, lorsque la santé de celui-ci, sa sécurité, son entretien ou son éducation l'exigent et, pour les prestations financières, lorsque le demandeur ne dispose pas de ressources suffisantes " ; qu'aux termes de l'article L. 222-3 du même code : " L'aide à domicile comporte, ensemble ou séparément : (...) - le versement d'aides financières, effectué sous forme soit de secours exceptionnels, soit d'allocations mensuelles, à titre définitif ou sous condition de remboursement, éventuellement délivrés en espèces " ; qu'aux termes de l'article L. 222-5 du même code : " Sont pris en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance sur décision du président du conseil départemental : 1° Les mineurs qui ne peuvent demeurer provisoirement dans leur milieu de vie habituel et dont la situation requiert un accueil (...) 4° Les femmes enceintes et les mères isolées avec leurs enfants de moins de trois ans qui ont besoin d'un soutien matériel et psychologique, notamment parce qu'elles sont sans domicile (...) " ; qu'il résulte des dispositions de l'article L. 122-1 du même code que les prestations légales versées au titre de l'aide sociale à l'enfance sont à la charge du département dans lequel les bénéficiaires ont leur domicile de secours ou, à défaut, dans lequel ils résident au moment de leur demande d'admission à l'aide sociale ;
6. Considérant qu'il appartient aux autorités de l'Etat, sur le fondement des dispositions citées au point 4, de mettre en oeuvre le droit à l'hébergement d'urgence reconnu par la loi à toute personne sans abri qui se trouve en situation de détresse médicale, psychique ou sociale ; qu'une carence caractérisée dans l'accomplissement de cette mission peut faire apparaître, pour l'application de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale lorsqu'elle entraîne des conséquences graves pour la personne intéressée ; qu'il incombe au juge des référés d'apprécier dans chaque cas les diligences accomplies par l'administration en tenant compte des moyens dont elle dispose ainsi que de l'âge, de l'état de la santé et de la situation de famille de la personne intéressée ; que, les ressortissants étrangers qui font l'objet d'une obligation de quitter le territoire français ou dont la demande d'asile a été définitivement rejetée et qui doivent ainsi quitter le territoire en vertu des dispositions de l'article L. 743-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'ayant pas vocation à bénéficier du dispositif d'hébergement d'urgence, une carence constitutive d'une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ne saurait être caractérisée, à l'issue de la période strictement nécessaire à la mise en oeuvre de leur départ volontaire, qu'en cas de circonstances exceptionnelles ; que constitue une telle circonstance, en particulier lorsque, notamment du fait de leur très jeune âge, une solution appropriée ne pourrait être trouvée dans leur prise en charge hors de leur milieu de vie habituel par le service de l'aide sociale à l'enfance, l'existence d'un risque grave pour la santé ou la sécurité d'enfants mineurs, dont l'intérêt supérieur doit être une considération primordiale dans les décisions les concernant ;
7. Considérant, enfin, que la compétence de l'Etat en matière d'hébergement d'urgence n'exclut pas l'intervention du département par la voie d'aides financières destinées à permettre temporairement l'hébergement des familles lorsque la santé des enfants, leur sécurité, leur entretien ou leur éducation l'exigent, sur le fondement de l'article L. 222-3 précité du code de l'action sociale et des familles ; que, toutefois, de telles prestations ne sont pas d'une nature différente de celles que l'Etat pourrait fournir en cas de saturation des structures d'hébergement d'urgence ; que les besoins des enfants ne sauraient faire l'objet d'une appréciation différente selon la collectivité amenée à prendre en charge, dans l'urgence, l'hébergement de la famille ; qu'ainsi, dès lors que ne sont en cause ni des mineurs relevant d'une prise en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance en application de l'article L. 222-5 du même code, ni des femmes enceintes ou des mères isolées avec leurs enfants de moins de trois ans mentionnées au 4° du même article, l'intervention du département ne revêt qu'un caractère supplétif, dans l'hypothèse où l'Etat n'aurait pas accompli les diligences qui lui reviennent, et ne saurait entraîner une quelconque obligation à la charge du département dans le cadre d'une procédure d'urgence qui a précisément pour objet de prescrire, à l'autorité principalement compétente, les diligences qui s'avéreraient nécessaires ;
8. Considérant que la demande de M. et Mme C...portait seulement sur la fourniture d'un hébergement d'urgence pour leur famille ou de prestations équivalentes ; qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens soulevés par le département du Puy-de-Dôme et par l'Assemblée des départements de France, que c'est à tort que le juge des référés a constaté l'existence d'une carence caractérisée de l'administration départementale dans la mise en oeuvre du droit de M. et Mme C...à l'hébergement d'urgence, constitutive d'une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, et a enjoint au département de leur accorder une aide financière pour se loger avec leurs enfants mineurs ; qu'il y a lieu, par suite, d'annuler les articles 2 et 3 de l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 29 avril 2016 ;
Sur les conclusions de M. et Mme C...dirigées contre l'Etat :
9. Considérant que ces conclusions sont nouvelles en appel et, par suite, irrecevables ;
Sur les conclusions présentées au titre des articles L.761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
10. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit à la demande de l'avocat de M. et Mme C... présentée au titre de cet article et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'intervention de l'Assemblée des départements de France est admise.
Article 2 : Les articles 2 et 3 de l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 29 avril 2016 sont annulés.
Article 3 : La demande présentée par M. et Mme C...devant le juge des référés du tribunal administratif de Clermont-Ferrand sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative et leurs conclusions présentées devant le juge des référés du Conseil d'Etat sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au département du Puy-de-Dôme, à M. A...C...et Mme B...C..., à la ministre des affaires sociales et de la santé et à l'Assemblée des départements de France.