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Ariane Web: Conseil d'État 396403, lecture du 13 juin 2016, ECLI:FR:CECHR:2016:396403.20160613

Décision n° 396403
13 juin 2016
Conseil d'État

N° 396403
ECLI:FR:CECHR:2016:396403.20160613
Inédit au recueil Lebon
7ème - 2ème chambres réunies
M. François Lelièvre, rapporteur
M. Olivier Henrard, rapporteur public
SCP JEAN-PHILIPPE CASTON, avocats


Lecture du lundi 13 juin 2016
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La société Latitudes a demandé au juge des référés du tribunal administratif d'Amiens, sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, d'ordonner au préfet de la région Nord - Pas-de-Calais - Picardie (direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement) de suspendre l'exécution de toute décision se rapportant à la passation d'un marché d'études d'aménagement foncier portant sur tout ou partie des communes de Talmas, La Vicogne, Beauval, Beauquesne, Candas, Naours, Rubempré, Wargnies, Flesselles et Villers-Bocage.

Par une ordonnance n° 1503722 du 11 janvier 2016, le juge des référés du tribunal administratif d'Amiens a rejeté cette demande.

Par un pourvoi, enregistré le 26 janvier 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Latitudes demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) réglant l'affaire au titre de la procédure de référé engagée, de faire droit à sa demande de première instance ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code des marchés publics ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. François Lelièvre, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Olivier Henrard, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Jean-Philippe Caston, avocat de la société Latitudes ;


1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, ou la délégation d'un service public (...) " ; qu'aux termes du I de l'article L. 551-2 de ce code : " Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations " ; qu'aux termes de l'article L. 551-10 du même code : " Les personnes habilitées à engager les recours prévus aux articles L. 551-1 et L. 551-5 sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d'être lésées par le manquement invoqué (...) " ;

2. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que pour rejeter la demande de la société Latitudes dirigée contre la procédure de passation d'un marché d'études d'aménagement foncier lancée par le préfet de la région Nord - Pas-de-Calais - Picardie, le juge du référé précontractuel du tribunal administratif d'Amiens a substitué, à la demande de l'administration, au motif, retenu initialement par le préfet, tiré de ce que l'offre de la société requérante n'était pas économiquement la plus avantageuse, celui tiré de ce que les capacités financières insuffisantes de cette société pour exécuter ce marché rendaient sa candidature irrégulière ; que le juge du référé précontractuel, saisi d'une argumentation en ce sens par le défendeur, ne peut substituer au motif retenu dans le document informant le candidat du rejet de son offre le motif tiré de l'insuffisance de ses capacités professionnelles, techniques ou financières que si le pouvoir adjudicateur s'est effectivement livré à une appréciation de ces capacités et qu'il les a, sans erreur manifeste d'appréciation, jugées insuffisantes ; qu'en faisant droit à la substitution de motifs demandée pour rejeter la demande sans rechercher si le préfet s'était livré, dès l'examen initial de la candidature de la société Latitudes, à l'appréciation de ses capacités financières, le juge des référés a entaché son ordonnance d'erreur de droit ; qu'il suit de là que la société Latitudes est fondée, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de son pourvoi, à en demander l'annulation ;

3. Considérant qu'il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée ;

Sur la substitution de motifs demandée par le préfet :

4. Considérant qu'aux termes de l'article 45 du code des marchés publics alors en vigueur : " Le pouvoir adjudicateur ne peut exiger des candidats que des renseignements ou documents permettant d'évaluer leur expérience, leurs capacités professionnelles, techniques et financières (...) La liste de ces renseignements est fixée par arrêté du ministre chargé de l'économie. Lorsque le pouvoir adjudicateur décide de fixer des niveaux minimaux de capacité, il ne peut être exigé que des niveaux minimaux de capacité liés et proportionnés à l'objet du marché. Lorsque le pouvoir adjudicateur demande un chiffre d'affaires annuel minimal donné, ce niveau minimal ne peut être supérieur à deux fois le montant estimé du marché ou du lot, sauf justifications liées à l'objet du marché ou à ses conditions d'exécution " ; qu'aux termes de l'article 52 du même code : " Les candidatures (...) sont examinées au regard des niveaux de capacités professionnelles, techniques et financières mentionnées dans l'avis d'appel public à la concurrence ou, s'il s'agit d'une procédure dispensée de l'envoi d'un tel avis, dans le règlement de la consultation. Les candidatures qui ne satisfont pas à ces niveaux de capacité sont éliminées (...) " ;

5. Considérant que l'avis d'appel public à la concurrence du marché litigieux comportait, sous la rubrique " conditions de participation ", les mentions suivantes : " Capacité économique et financière - références requises : Une déclaration concernant le chiffre d'affaires global et le chiffre d'affaires concernant les travaux objet du marché, réalisés au cours des 3 derniers exercices disponibles ; Capacité économique et financière - niveau(x) spécifique(s) minimal(aux) : Un chiffre d'affaires moyen au cours des 3 dernières années d'exercice supérieur ou égal à 400 k? TTC " ; que les mêmes niveaux de capacité financière étaient imposés aux candidats en vertu de l'article 4.3. du règlement de la consultation ;

6. Considérant que selon le rapport d'analyse des offres du 15 décembre 2015 produit devant le Conseil d'Etat par le ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargé des relations internationales sur le climat, la commission d'appel d'offres avait estimé que la candidature de la société Latitudes devait être éliminée comme irrégulière, faute pour celle-ci de justifier d'un chiffre d'affaires moyen concernant des études préalables d'aménagement foncier pendant les trois années précédentes supérieur au minimum de 400 000 euros fixé dans l'avis public d'appel à la concurrence ; que, par suite, la société Latitudes n'est pas fondée à soutenir que le préfet de la région Nord - Pas-de-Calais - Picardie ne se serait pas effectivement livré à une appréciation de ses capacités financières lors de l'examen initial de sa candidature ;

7. Mais considérant que si le ministre de l'environnement produit devant le Conseil d'Etat deux conventions qui mentionnent des prix de marchés d'études d'aménagement foncier supérieurs à 40 euros par hectares, ce qui conduirait à évaluer le montant du marché litigieux à au moins 200 000 euros, compte tenu de la superficie faisant l'objet de ce marché, le marché litigieux a été attribué à la société Axis - Conseils pour un prix de 84 504 euros ; que l'offre de la société Latitudes s'élevait quant à elle à 58 200 euros ; qu'il n'est pas soutenu en défense que les offres de ces sociétés auraient été anormalement basses ; qu'il suit de là qu'en évaluant le montant estimé du marché à 200 000 euros, le préfet de la région Nord - Pas-de-Calais - Picardie a, dans les circonstances de l'espèce, commis une erreur manifeste d'appréciation ; qu'il ne pouvait ainsi en déduire qu'en ne justifiant pas d'un chiffre d'affaires annuel minimal égal à deux fois le montant estimé des prestations annuelles faisant l'objet du marché, soit 400 000 euros, la société Latitudes ne satisfaisait pas aux niveaux de capacités financières mentionnés par l'avis public d'appel à la concurrence et le règlement de la consultation et que sa candidature devait être éliminée par application des dispositions de l'article 52 du code des marchés publics ; qu'au surplus, il ne résulte pas clairement de l'avis public d'appel à la concurrence et du règlement de la consultation que les candidats auraient été tenus de justifier d'un chiffre d'affaires annuel minimal afférant aux seules prestations faisant l'objet du marché et ne pouvaient se contenter, comme l'avait fait la société Latitudes, de justifier d'un chiffre d'affaires moyen global supérieur à 400 000 euros au cours des trois dernières années d'exercice ;

8. Considérant qu'il suit de là qu'il n'y a pas lieu de faire droit à la substitution de motifs demandée par le préfet ; que, par suite, la société Latitudes pouvait utilement contester le rejet de son offre ;

Sur la demande de la société Latitudes :

9. Considérant qu'aux termes du I de l'article 53 du code des marchés publics alors en vigueur : " Pour attribuer le marché au candidat qui a présenté l'offre économiquement la plus avantageuse, le pouvoir adjudicateur se fonde : 1° Soit sur une pluralité de critères non discriminatoires et liés à l'objet du marché (...) 2° Soit compte tenu de l'objet du marché, sur un seul critère, qui est celui du prix " ;

10. Considérant que l'article 5.2. du règlement de la consultation prévoit que la valeur technique des offres, pondérée à 40 %, est appréciée au regard de l'expérience, des capacités professionnelles et des capacités techniques des candidats, ainsi que de la " garantie de la qualité " ; que s'il est loisible au pouvoir adjudicateur de retenir au stade de l'examen de la valeur intrinsèque des offres, à la condition qu'ils soient non discriminatoires et liés à l'objet du marché, des critères relatifs aux moyens en personnel et en matériel affectés par le candidat à l'exécution des prestations mêmes qui font l'objet du marché, afin d'en garantir la qualité technique, il résulte des dispositions précitées du code des marchés publics qu'il ne peut, en revanche, se fonder sur des critères portant sur les capacités générales de l'entreprise qu'au stade de l'examen des candidatures ; qu'en se fondant ainsi sur des critères propres à l'examen des candidatures pour apprécier les offres, le préfet de la région Nord - Pas-de-Calais - Picardie a méconnu les dispositions du I de l'article 53 du code des marchés publics et manqué à ses obligations de publicité et de mise en concurrence ;

11. Considérant que, contrairement à ce que soutient le préfet en défense, il n'appartient pas au juge des référés de rechercher si le manquement invoqué a été susceptible de léser davantage le requérant que les autres candidats ; que le manquement en cause, eu égard à sa portée et au stade de la procédure auquel il se rapporte, est susceptible d'avoir lésé la société Latitudes ;

Sur la mise en oeuvre des pouvoirs conférés au juge des référés précontractuels par l'article L. 551-2 du code de justice administrative :

12. Considérant que le juge des référés précontractuels s'est vu conférer par les dispositions précitées de l'article L. 551-2 du code de justice administrative le pouvoir d'adresser des injonctions à l'administration, de suspendre la passation du contrat ou l'exécution de toute décision qui s'y rapporte, d'annuler ces décisions et de supprimer des clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat ; que, dès lors qu'il est régulièrement saisi, il dispose - sans toutefois pouvoir faire obstacle à la faculté, pour l'auteur du manquement, de renoncer à passer le contrat - de l'intégralité des pouvoirs qui lui sont ainsi conférés pour mettre fin, s'il en constate l'existence, aux manquements de l'administration à ses obligations de publicité et de mise en concurrence ; que le manquement tenant à l'irrégularité du choix des critères de jugement des offres, qui, conformément aux dispositions du code des marchés publics, ont été portés à la connaissance des candidats dès le début de la procédure, implique de prononcer son annulation intégrale, sans qu'y fasse obstacle la circonstance que la société Latitudes se borne à demander " au juge des référés précontractuels d'ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat " ; qu'il y a lieu ainsi, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens soulevés par la société Latitudes, d'annuler l'ensemble de la procédure de passation du marché ;

13. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à la société Latitudes d'une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance du 11 janvier 2016 du juge des référés du tribunal administratif d'Amiens est annulée.
Article 2 : La procédure de passation du marché d'études d'aménagement foncier sur tout ou partie des communes de Talmas, La Vicogne, Beauval, Beauquesne, Candas, Naours, Rubempré, Wargnies, Flesselles et Villers-Bocage lancée par le préfet de la région Nord - Pas-de-Calais - Picardie (DREAL Picardie) est annulée.
Article 3 : L'Etat versera la somme de 3 000 euros à la société Latitudes en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Latitudes et à la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat.
Copie en sera adressée à la société Axis conseils.