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Ariane Web: Conseil d'État 395414, lecture du 27 mai 2016, ECLI:FR:CECHR:2016:395414.20160527

Décision n° 395414
27 mai 2016
Conseil d'État

N° 395414
ECLI:FR:CECHR:2016:395414.20160527
Publié au recueil Lebon
7ème - 2ème chambres réunies
M. François Lelièvre, rapporteur
M. Gilles Pellissier, rapporteur public


Lecture du vendredi 27 mai 2016
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu les procédures suivantes :

1°) Sous le n° 395414, par une protestation et deux mémoires en réplique, enregistrés les 18 décembre 2015, 9 et 29 février 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A...-S... E...demande au Conseil d'Etat d'annuler l'élection de M. Q... M...au conseil régional de Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées lors des opérations électorales qui se sont déroulées les 6 et 13 décembre 2015.

2°) Sous le n° 395572, par une protestation enregistrée le 24 décembre 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme H...P...demande au Conseil d'Etat, à titre principal, d'annuler le second tour des opérations électorales qui se sont déroulées les 6 et 13 décembre 2015 dans la section départementale de Lozère, à titre subsidiaire, d'annuler l'élection de M. B...J..., élu sur la liste conduite par Mme G...D...pour la section de Lozère, en lui substituant M. A...O..., candidat sur la liste conduite par M. M...pour cette même section, et à titre infiniment subsidiaire de substituer à M. J...Mme N...L..., candidate suivante sur la liste conduite par Mme D...pour la section de Lozère.

....................................................................................


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. François Lelièvre, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Gilles Pellissier, rapporteur public ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 26 mai 2016, présentée par M.M... ;


1. Considérant que les deux protestations visées ci-dessus sont dirigées contre les opérations électorales qui ont eu lieu les 6 et 13 décembre 2015 en vue de l'élection des membres du conseil régional de la région Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

Sur la protestation n° 395414 :

En ce qui concerne la fin de non-recevoir opposée par M. M...à la protestation de M. E...:

2. Considérant qu'aux termes du quatrième alinéa de l'article L. 361 du code électoral : " La constatation par le Conseil d'Etat de l'inéligibilité d'un ou plusieurs candidats n'entraîne l'annulation de l'élection que du ou des élus inéligibles. Le Conseil d'Etat proclame en conséquence l'élection du ou des suivants de liste " ; qu'en application de ces dispositions, le juge de l'élection est valablement saisi par une protestation ne mettant en cause que l'éligibilité d'un candidat ; que, par suite, M. M...n'est pas fondé à soutenir que la protestation de M. E... serait irrecevable au motif qu'elle tend à l'annulation de sa seule élection comme conseiller régional, et non de l'ensemble des opérations électorales qui se sont déroulées les 6 et 13 décembre 2015 dans la région Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées ;

En ce qui concerne le grief tiré de l'inéligibilité de M. M...à la date de l'élection :

3. Considérant qu'aux termes de l'article L. 339 du code électoral : " Nul ne peut être élu conseiller régional s'il n'est âgé de dix-huit ans révolus. Sont éligibles au conseil régional tous les citoyens inscrits sur une liste électorale ou justifiant qu'ils devaient y être inscrits avant le jour de l'élection, qui sont domiciliés dans la région ou ceux qui, sans y être domiciliés, y sont inscrits au rôle d'une des contributions directes au 1er janvier de l'année dans laquelle se fait l'élection, ou justifient qu'ils devaient y être inscrits à ce jour " ;

4. Considérant qu'à l'appui de sa protestation dirigée contre l'élection de M. M..., qui conduisait la liste "Je m'engage pour ma région", comme conseiller régional, M. E... fait valoir que celui-ci ne satisfait pas aux conditions d'éligibilité fixées par l'article L. 339 du code électoral ; que, d'une part, il résulte de l'instruction que M. M...était inscrit sur une liste électorale ; que, d'autre part, M. M...n'allègue pas qu'il aurait satisfaisait à la condition d'inscription au rôle d'une des contributions directes dans la région Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées au 1er janvier 2015 ; que, par conséquent, en application des dispositions de l'article L. 339 du code électoral citées ci-dessus, la solution du litige est subordonnée au point de savoir si M. M...était, à la date de l'élection, domicilié dans la région pour y avoir son principal établissement au sens de l'article 102 du code civil, aux termes duquel: " Le domicile de tout Français, quant à l'exercice de ses droits civils, est au lieu où il a son principal établissement.(...) " ;

5. Considérant qu'il résulte de l'instruction que le 1er mars 2015, M. M...a conclu, avec une prise d'effet au 1er janvier 2015, un contrat de location, avec sa mère Mme R...M..., portant sur une chambre individuelle et une salle de douche et WC, situés dans l'habitation de Mme M...à Onet-le-Château ; qu'il a produit pour justifier de sa domiciliation dans cette commune, une déclaration du bail de location à la direction départementale des finances publiques de l'Aveyron datée du 19 juin 2015 et une demande de renseignement complémentaire de cette dernière en date du 29 juin 2015, une carte d'identité délivrée le 29 juin 2015 portant mention de son adresse à Onet-le-Château, un relevé d'identité bancaire non daté et un relevé bancaire du 27 février 2015 adressés à son logement d'Onet-le-Château, un contrat d'abonnement téléphonique pour une ligne fixe à l'adresse en litige en date du 19 juin 2015 ainsi que les factures correspondantes, une copie de sa carte électorale et du registre de la liste électorale de la commune, un échange de courriers avec Electricité de France établissant la reprise à son nom du contrat d'électricité correspondant au logement de Mme M..., des factures du service des eaux du syndicat intercommunal en date des 28 mai et 31 juillet 2015 et enfin copie de plusieurs enveloppes provenant de membres de l'Assemblée nationale libellées à son adresse à Onet-le-Château ; que toutefois, eu égard aux conditions matérielles sommaires de l'installation de M. M...à Onet-le-Château décrites dans son contrat de location, à la durée relativement courte de son habitation dans cette commune au jour de l'élection, qui ne permet pas lui conférer un caractère de stabilité suffisant, à la circonstance, non contestée, que le lieu d'exercice de son activité professionnelle était toujours situé à Paris ainsi qu'à Villejuif (Val- de- Marne), siège de plusieurs sociétés créées par M. M... et lieu d'activité non contesté de sa femme, dont il n'allègue pas être séparé, à la circonstance que le relevé de propriété établi pour l'année 2015 par la direction générale des finances publiques indique l'existence d'une propriété aux noms de M.M..., de sa femme et de son fils dans la commune de Villejuif, et enfin, à la nature des attaches familiales de M. M... à Onet-le-Château au regard de celles qu'il a en région parisienne, M. M...ne justifie pas, par les pièces qu'il produit, avoir eu son lieu principal d'établissement à Onet-le-Château au jour de l'élection ;

6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. M...ne satisfait pas aux conditions d'éligibilité posées par l'article L. 339 du code électoral ; que par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs de la protestation, M. E...est fondé à demander l'annulation de son élection en qualité de conseiller régional de la région Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées ; qu'en application du dernier alinéa de l'article L. 361 du code électoral, il y a lieu pour le Conseil d'Etat de proclamer élu M. U...T...-S..., qui figurait immédiatement après le dernier élu de la liste conduite par M. M...dans la même section départementale que ce dernier ;

En ce qui concerne les conclusions d'inscription de faux de M. M...:

7. Considérant que la solution du litige ne dépend pas de la consultation d'avocat datée du 13 mai 2015 produite par M. E...et arguée de faux par M. M...; que, dès lors, les conclusions présentées par M. M...et tendant, sur le fondement de l'article R. 633-1 du code de justice administrative, à l'inscription de faux de cette consultation doivent être rejetées ;




Sur la protestation n° 395572 :

En ce qui concerne le grief tiré de l'existence de manoeuvres ayant altéré la sincérité du scrutin dans le département de la Lozère :

8. Considérant qu'aux termes de l'article L. 338 du code électoral : " Les conseillers régionaux sont élus dans chaque région au scrutin de liste à deux tours sans adjonction ni suppression de noms et sans modification de l'ordre de présentation. Chaque liste est constituée d'autant de sections qu'il y a de départements dans la région (... ) " ; qu'aux termes de l'article L. 338-1 du même code : " Les sièges attribués à chaque liste en application de l'article L. 338 sont répartis entre les sections départementales qui la composent au prorata des voix obtenues par la liste dans chaque département (...). Si, après la répartition des sièges prévue au premier alinéa, un département dont la population est inférieure à 100 000 habitants ne compte pas au moins deux conseillers régionaux, un ou plusieurs sièges attribués à la liste arrivée en tête au niveau régional sont réattribués à la ou aux sections départementales de cette liste afin que chaque département dispose de deux sièges au moins (...) " ; qu'en vertu de l'article L. 346 du même code : " (...) Seules peuvent se présenter au second tour les listes ayant obtenu au premier tour un nombre de suffrages au moins égal à 10 % des suffrages exprimés. (...) La composition de ces listes peut être modifiée pour comprendre les candidats ayant figuré au premier tour sur d'autres listes, sous réserve que celles-ci aient obtenu au premier tour au moins 5 % des suffrages exprimés et ne se présentent pas au second tour. En cas de modification de la composition d'une liste, le titre de la liste et l'ordre de présentation des candidats peuvent également être modifiés (...) " ; qu'enfin, il résulte de l'article R. 186 du même code que pour l'élection des conseillers régionaux, les bulletins de vote comportent " le titre de la liste, les noms et prénoms du candidat désigné tête de liste ainsi que les noms et prénoms de chacun des candidats composant la liste, répartis par section départementale et dans l'ordre de présentation tel qu'il résulte de la publication prévue à l'article R. 184 " ;

9. Considérant qu'il résulte de ces dispositions ainsi que celles citées au point 3 de l'article L. 339 du code électoral que les conseillers régionaux sont élus sur une liste régionale unique, et non dans des circonscriptions départementales ; que si le législateur a entendu, par la loi du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral, instaurer un nombre minimum de conseillers régionaux issus de chacune des sections départementales d'une région, il n'a toutefois pas exigé que les candidats pour une section départementale soient inscrits sur la liste électorale d'une commune de ce département ni résident dans ce département ; qu'en cas de fusion de listes électorales au second tour, le titre de la liste et l'ordre de présentation des candidats peuvent être modifiés ; que, par suite, aucune disposition ne fait obstacle à ce que les candidats ayant figuré au premier tour sur une liste au titre d'une section départementale figurent au second tour, lorsque cette liste a fusionné avec une autre liste, dans une section départementale différente ;

10. Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'au second tour des élections régionales qui ont eu lieu dans la région Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées, la liste " Notre Sud, une région forte, créative et solidaire " conduite par Mme D...et la liste " Nouveau Monde en commun " conduite par M. I...K...ont fusionné ; qu'à cette occasion, un candidat figurant au premier tour sur la liste de Mme D...dans la section départementale de la Lozère a été remplacé, en position éligible, par un candidat qui figurait au premier tour sur la même liste dans la section départementale de l'Hérault ; que Mme P...soutient que le silence gardé par les membres de la liste sur cette modification a créé une confusion dans l'esprit des électeurs de la section Lozère et a constitué une manoeuvre délibérée destinée à altérer les résultats du second tour des élections régionales ; que toutefois, la seule circonstance que la composition de la section départementale de Lozère de la liste conduite par Mme D...ait été modifiée à l'issue du premier tour des opérations électorales, après fusion de cette liste avec la liste conduite par M. K..., pour inclure légalement un candidat qui s'était présenté au premier tour sur la liste de Mme D...dans une autre section départementale, ne peut en soi être constitutive d'une manoeuvre susceptible de porter atteinte à la sincérité du scrutin ; que par suite, la protestation de MmeP..., qui n'apporte aucun autre élément au soutien de son grief, doit être rejetée ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

11. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de M.E..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par Mme D...au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


D E C I D E :
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Article 1er : La protestations de Mme P...est rejetée.
Article 2 : L'élection de M. M...en qualité de conseiller régional de la région Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées à l'issue des opérations électorales qui se sont déroulées dans cette région les 6 et 13 décembre 2015 est annulée.
Article 3 : M. T...-S... est proclamé élu en qualité de conseiller régional de la région Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées.
Article 4 : Les conclusions de M. M...présentées sur le fondement de l'article R. 633-1 du code de justice administrative et sur le fondement de l'article L. 761-1 du même code sont rejetées.
Article 5 : Les conclusions de Mme D...présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à M. A...-S...E..., à Mme H...P..., à Mme G...D..., à M. F...C..., à M. Q...M..., à M. U...T...-S... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques.


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