Conseil d'État
N° 397890
ECLI:FR:CEORD:2016:397890.20160330
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
SCP MASSE-DESSEN, THOUVENIN, COUDRAY, avocats
Lecture du mercredi 30 mars 2016
Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 14 mars 2016 au secrétariat du Conseil d'Etat, l'association des musulmans de Lagny-sur-Marne demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code justice administrative :
1°) d'ordonner la suspension de l'exécution du décret du Président de la République du 14 janvier 2016 en tant qu'il porte dissolution de l'"Association des musulmans de Lagny-sur-Marne " ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la condition d'urgence est remplie eu égard, d'une part, à l'obstacle que constitue la dissolution litigieuse pour l'exercice du culte musulman dans la commune de Lagny-sur-Marne et, d'autre part, aux conséquences matérielles et financières qu'elle entraîne ;
- les moyens qu'elle soulève sont de nature à susciter un doute sérieux sur la légalité du décret du 14 janvier 2016 ;
- en effet, il est insuffisamment motivé en méconnaissance de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration ;
- il méconnaît l'article L. 121-1 du même code, en l'absence de réception par le ministre de l'intérieur des observations qu'elle a produites le 11 décembre 2015 ;
- il est entaché de plusieurs erreurs de fait et d'appréciation desquelles il résulte que la dissolution litigieuse n'entre dans aucun des cas prévus par l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure ;
Par un mémoire en défense, enregistré le 22 mars 2016, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- la condition d'urgence n'est pas remplie, dès lors que l'association requérante n'apporte pas d'éléments précis à l'appui de ses allégations ; qu'elle a tardé à agir devant le juge des référés ; qu'en tout état de cause, la suspension de l'exécution du décret ayant dissous l'association requérante ne permettra pas la reprise du culte dans la mosquée de Lagny-sur-Marne qui fait l'objet d'un arrêté de fermeture administrative ; qu'il y a lieu de prendre en compte l'existence d'un intérêt public à exécuter le décret litigieux ;
- aucun des moyens de la requête n'est de nature à susciter un doute sérieux sur la légalité du décret litigieux ; que le décret litigieux est suffisamment motivé ; que l'association requérante a pu faire valoir ses observations ; que si ces dernières n'ont pas été prises en compte, à la suite de la perte du courrier adressé au ministère de l'intérieur, il ressort de la confrontation entre leur contenu, d'une part, et les motifs retenus pour prononcer la dissolution, d'autre part, que cette irrégularité de procédure n'a eu aucune incidence sur le sens du décret litigieux ; que, par suite, la requérante n'a été effectivement privée d'aucune garantie ; que les faits relevés à l'encontre de l'association requérante ne sont entachés d'aucune inexactitude matérielle et sont de nature à justifier sa dissolution sur le fondement des 6° et 7° de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, et notamment son préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, l'association des musulmans de Lagny-sur-Marne, d'autre part, le Premier ministre ainsi que le ministre de l'intérieur ;
Vu le procès-verbal de l'audience publique du 23 mars 2016 à 14 heures 30 au cours de laquelle ont été entendus :
- Me Coudray, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de l'association des musulmans de Lagny-sur-Marne ;
- la représentante du ministre de l'intérieur ;
et à l'issue de laquelle le juge des référés a clôturé l'instruction ;
1. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision " ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure : " Sont dissous, par décret en conseil des ministres, toutes les associations ou groupements de fait : / ( ...) 6° ( ...) qui, soit provoquent à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, soit propagent des idées ou théories tendant à justifier ou encourager cette discrimination, cette haine ou cette violence ; / 7° Ou qui se livrent, sur le territoire français ou à partir de ce territoire, à des agissements en vue de provoquer des actes de terrorisme en France ou à l'étranger. (...)" ; que, par décret du 14 janvier 2016, publié au Journal officiel le 15 janvier 2016, le Président de la République a, sur le fondement des dispositions des 6° et 7° de l'article L. 212-1 précité, prononcé la dissolution de l'"Association des musulmans de Lagny-sur-Marne " ;
3. Considérant, en premier lieu, que l'atteinte qui est nécessairement portée à la liberté d'association par l'exécution d'un décret prononçant la dissolution d'une association est, en principe, constitutive d'une situation d'urgence ;
4. Considérant, en second lieu, qu'il ressort des pièces du dossier et des éléments recueillis lors de l'audience publique que, par un courrier du ministre de l'intérieur en date du 4 décembre 2015, l'association des musulmans de Lagny-sur-Marne a été informée que sa dissolution était envisagée et invitée à produire ses observations ; que si les observations qu'elle a produites pour sa défense ont été effectivement reçues au ministère de l'intérieur ainsi qu'en atteste l'avis de réception daté du 14 décembre 2015 qui figure au dossier, ce courrier s'est ensuite perdu ; que les observations de l'association n'ont par suite, ainsi que le reconnaît le ministre de l'intérieur, pas été prises en compte avant que ne soit édicté le décret du 14 janvier 2016 prononçant sa dissolution ; que, dans ces conditions, le moyen tiré de ce que le décret litigieux a été pris à l'issue d'une procédure irrégulière est propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à sa légalité ;
5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de sa requête, l'association des musulmans de Lagny-sur-Marne est fondée à demander la suspension de l'exécution du décret du 14 janvier 2016 en tant qu'il prononce sa dissolution ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à l'association des musulmans de Lagny-sur-Marne d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
O R D O N N E :
------------------
Article 1er : Jusqu'à ce que le Conseil d'Etat, statuant au contentieux ait statué sur sa légalité, l'exécution du décret du 14 janvier 2016 est suspendue en tant qu'il porte dissolution de l'association des musulmans de Lagny-sur-Marne.
Article 2 : L'Etat versera à l'association des musulmans de Lagny-sur-Marne une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à l'association des musulmans de Lagny-sur-Marne, au Premier ministre et au ministre de l'intérieur.
N° 397890
ECLI:FR:CEORD:2016:397890.20160330
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
SCP MASSE-DESSEN, THOUVENIN, COUDRAY, avocats
Lecture du mercredi 30 mars 2016
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 14 mars 2016 au secrétariat du Conseil d'Etat, l'association des musulmans de Lagny-sur-Marne demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code justice administrative :
1°) d'ordonner la suspension de l'exécution du décret du Président de la République du 14 janvier 2016 en tant qu'il porte dissolution de l'"Association des musulmans de Lagny-sur-Marne " ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la condition d'urgence est remplie eu égard, d'une part, à l'obstacle que constitue la dissolution litigieuse pour l'exercice du culte musulman dans la commune de Lagny-sur-Marne et, d'autre part, aux conséquences matérielles et financières qu'elle entraîne ;
- les moyens qu'elle soulève sont de nature à susciter un doute sérieux sur la légalité du décret du 14 janvier 2016 ;
- en effet, il est insuffisamment motivé en méconnaissance de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration ;
- il méconnaît l'article L. 121-1 du même code, en l'absence de réception par le ministre de l'intérieur des observations qu'elle a produites le 11 décembre 2015 ;
- il est entaché de plusieurs erreurs de fait et d'appréciation desquelles il résulte que la dissolution litigieuse n'entre dans aucun des cas prévus par l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure ;
Par un mémoire en défense, enregistré le 22 mars 2016, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- la condition d'urgence n'est pas remplie, dès lors que l'association requérante n'apporte pas d'éléments précis à l'appui de ses allégations ; qu'elle a tardé à agir devant le juge des référés ; qu'en tout état de cause, la suspension de l'exécution du décret ayant dissous l'association requérante ne permettra pas la reprise du culte dans la mosquée de Lagny-sur-Marne qui fait l'objet d'un arrêté de fermeture administrative ; qu'il y a lieu de prendre en compte l'existence d'un intérêt public à exécuter le décret litigieux ;
- aucun des moyens de la requête n'est de nature à susciter un doute sérieux sur la légalité du décret litigieux ; que le décret litigieux est suffisamment motivé ; que l'association requérante a pu faire valoir ses observations ; que si ces dernières n'ont pas été prises en compte, à la suite de la perte du courrier adressé au ministère de l'intérieur, il ressort de la confrontation entre leur contenu, d'une part, et les motifs retenus pour prononcer la dissolution, d'autre part, que cette irrégularité de procédure n'a eu aucune incidence sur le sens du décret litigieux ; que, par suite, la requérante n'a été effectivement privée d'aucune garantie ; que les faits relevés à l'encontre de l'association requérante ne sont entachés d'aucune inexactitude matérielle et sont de nature à justifier sa dissolution sur le fondement des 6° et 7° de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, et notamment son préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, l'association des musulmans de Lagny-sur-Marne, d'autre part, le Premier ministre ainsi que le ministre de l'intérieur ;
Vu le procès-verbal de l'audience publique du 23 mars 2016 à 14 heures 30 au cours de laquelle ont été entendus :
- Me Coudray, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de l'association des musulmans de Lagny-sur-Marne ;
- la représentante du ministre de l'intérieur ;
et à l'issue de laquelle le juge des référés a clôturé l'instruction ;
1. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision " ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure : " Sont dissous, par décret en conseil des ministres, toutes les associations ou groupements de fait : / ( ...) 6° ( ...) qui, soit provoquent à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, soit propagent des idées ou théories tendant à justifier ou encourager cette discrimination, cette haine ou cette violence ; / 7° Ou qui se livrent, sur le territoire français ou à partir de ce territoire, à des agissements en vue de provoquer des actes de terrorisme en France ou à l'étranger. (...)" ; que, par décret du 14 janvier 2016, publié au Journal officiel le 15 janvier 2016, le Président de la République a, sur le fondement des dispositions des 6° et 7° de l'article L. 212-1 précité, prononcé la dissolution de l'"Association des musulmans de Lagny-sur-Marne " ;
3. Considérant, en premier lieu, que l'atteinte qui est nécessairement portée à la liberté d'association par l'exécution d'un décret prononçant la dissolution d'une association est, en principe, constitutive d'une situation d'urgence ;
4. Considérant, en second lieu, qu'il ressort des pièces du dossier et des éléments recueillis lors de l'audience publique que, par un courrier du ministre de l'intérieur en date du 4 décembre 2015, l'association des musulmans de Lagny-sur-Marne a été informée que sa dissolution était envisagée et invitée à produire ses observations ; que si les observations qu'elle a produites pour sa défense ont été effectivement reçues au ministère de l'intérieur ainsi qu'en atteste l'avis de réception daté du 14 décembre 2015 qui figure au dossier, ce courrier s'est ensuite perdu ; que les observations de l'association n'ont par suite, ainsi que le reconnaît le ministre de l'intérieur, pas été prises en compte avant que ne soit édicté le décret du 14 janvier 2016 prononçant sa dissolution ; que, dans ces conditions, le moyen tiré de ce que le décret litigieux a été pris à l'issue d'une procédure irrégulière est propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à sa légalité ;
5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de sa requête, l'association des musulmans de Lagny-sur-Marne est fondée à demander la suspension de l'exécution du décret du 14 janvier 2016 en tant qu'il prononce sa dissolution ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à l'association des musulmans de Lagny-sur-Marne d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
O R D O N N E :
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Article 1er : Jusqu'à ce que le Conseil d'Etat, statuant au contentieux ait statué sur sa légalité, l'exécution du décret du 14 janvier 2016 est suspendue en tant qu'il porte dissolution de l'association des musulmans de Lagny-sur-Marne.
Article 2 : L'Etat versera à l'association des musulmans de Lagny-sur-Marne une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à l'association des musulmans de Lagny-sur-Marne, au Premier ministre et au ministre de l'intérieur.