Conseil d'État
N° 349789
ECLI:FR:CEASS:2014:349789.20140730
Publié au recueil Lebon
Assemblée
M. Thierry Carriol, rapporteur
Mme Delphine Hedary, rapporteur public
SCP MEIER-BOURDEAU, LECUYER, avocats
Lecture du mercredi 30 juillet 2014
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Mme G...D...et Mme A... B...ont demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 8 octobre 2004 du ministre des affaires étrangères rejetant leur demande tendant à la restitution de trois oeuvres d'art inscrites au répertoire Musées Nationaux Récupération (MNR). Par un jugement n° 0508189/7-1 du 6 décembre 2007, le tribunal administratif de Paris a rejeté cette demande.
Par un arrêt n° 08PA00661 du 21 mars 2011, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par Mme D... et Mme B... contre ce jugement n° 0508189/7-1 du 6 décembre 2007 et leurs conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint au ministre des affaires étrangères de restituer les oeuvres d'art litigieuses ou, à titre subsidiaire, de procéder à une nouvelle instruction de la demande de restitution.
Procédure devant le Conseil d'Etat
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et deux nouveaux mémoires, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 1er juin 2011, 1er septembre 2011, 7 février 2014 et 30 juin 2014, Mme D... et Mme B... demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt n° 08PA00661 du 21 mars 2011 de la cour administrative d'appel de Paris ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leur appel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 16 juillet 2014, présentée pour Mme D... et MmeB... ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu l'ordonnance du 12 novembre 1943 sur la nullité des actes de spoliation accomplis par l'ennemi ou sous son contrôle ;
Vu l'ordonnance du 14 novembre 1944 portant première application de l'ordonnance du 12 novembre 1943 sur la nullité des actes de spoliation accomplis par l'ennemi et sous son contrôle ;
Vu l'ordonnance n° 45-624 du 11 avril 1945 relative à la dévolution de certains biens meubles récupérés par l'Etat à la suite d'actes de pillage commis par l'occupant ;
Vu l'ordonnance n° 45-770 du 21 avril 1945 portant deuxième application de l'ordonnance du 12 novembre 1943 sur la nullité des actes de spoliation accomplis par l'ennemi ou sous son contrôle et édictant la restitution aux victimes de ces actes de leurs biens qui ont fait l'objet d'actes de disposition ;
Vu l'ordonnance n° 45-1224 du 9 juin 1945 portant troisième application de l'ordonnance du 12 novembre 1943 sur la nullité des actes de spoliation et édictant la nullité des actes de spoliation accomplis par l'ennemi à son profit ;
Vu le décret n° 46-1542 du 22 juin 1946 relatif à la restitution des biens spoliés en France et transférés hors du territoire national par l'ennemi ;
Vu le décret n° 47-2105 du 29 octobre 1947 relatif à la restitution des biens spoliés par l'ennemi ;
Vu le décret n° 49-1344 du 30 septembre 1949 relatif à la fin des opérations de la commission de récupération artistique ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Thierry Carriol, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de Mme Delphine Hedary, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Meier-Bourdeau, Lecuyer, avocat de Mmes D...etB... ;
1. Considérant qu'il résulte des pièces du dossier soumis au juge du fond que trois oeuvres, un dessin intitulé " Etudes de têtes, peut-être des avocats ' " attribué à Daumier, un dessin intitulé " Paysan derrière une palissade" de Van Ostade, un dessin " Vieille femme en prière " de Goya ,ont été achetées à Paris, en 1940 et 1941, à M.E..., galeriste de double nationalité américaine et allemande, par M.C..., galeriste autrichien, mandaté à cette fin par le gauleiter de Salzbourg en vue de constituer un musée régional ; que M. C...a cédé ces oeuvres en juillet 1944 à M. F... ; que l'intéressé en a cédé au moins une à la galerie publique de l'Albertina et faussement déclaré les deux autres comme ayant été détruites par des bombardements ; que les trois oeuvres, soupçonnées d'être issues de spoliations des autorités allemandes d'occupation en France, ont été saisies par les forces américaines d'occupation en Autriche et remises aux autorités françaises d'occupation dans ce pays ; que ces oeuvres ont été rapatriées en France et répertoriées " Musées Nationaux récupération " (MNR) et, à ce titre, attribuées au musée du Louvre ; que Mme D... et Mme B..., ayants droit de M. F..., ont demandé en 1998 au ministre des affaires étrangères la restitution de ces oeuvres, qui leur a été refusée par une décision du 8 octobre 2004 ; qu'elles demandent au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté leur demande d'annulation du jugement du tribunal administratif de Paris ayant refusé d'annuler cette décision du ministre ;
Sur la motivation de l'arrêt attaqué :
2. Considérant que la cour a expressément énoncé dans son arrêt qu'elle ne regardait pas les requérantes comme de légitimes propriétaires et exposé les motifs pour lesquels, au vu des pièces du dossier, elle jugeait fondée la décision de refus de restitution des oeuvres revendiquées au regard des conditions de transaction initiales ; qu'elle a, se faisant, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, suffisamment motivé son arrêt ;
Sur le refus de la cour de procéder à une expertise :
3. Considérant qu'il appartient au juge du fond de compléter son information en procédant le cas échéant aux mesures d'instruction qu'il estime utiles et nécessaires ; que l'appréciation qu'il porte sur cette nécessité et cette utilité n'est pas, en l'absence de dénaturation, susceptible d'être discutée devant le juge de cassation ; qu'en l'espèce, le dossier soumis au juge du fond ne comportait aucun élément relatif à la propriété des oeuvres revendiquées, antérieurement à leur cession par M. E...à M. C...; qu' au regard des éléments soumis à son examen, la cour, en s'abstenant d'ordonner une expertise, n'a pas porté, sur l'utilité et la nécessité d'une telle mesure d'instruction, une appréciation entachée de dénaturation ; que les requérantes ne sont donc pas fondées à soutenir que la cour aurait statué irrégulièrement en s'abstenant d'ordonner au préalable une expertise ;
Sur l'erreur de droit entachant l'appréciation de la légalité de la décision du ministre :
4. Considérant qu'aux termes de l'article L. 2112-1 du code général des propriétés publiques : " Sans préjudice des dispositions applicables en matière de protection des biens culturels, font partie du domaine public mobilier de la personne publique propriétaire les biens présentant un intérêt public du point de vue de l'histoire, de l'art, de l'archéologie, de la science ou de la technique, notamment : (les propriétaires légitimes) / 8° Les collections des musées (les propriétaires légitimes) " ; qu'il résulte de ces dispositions que, à moins que le législateur n'en dispose autrement, les oeuvres détenues par une personne morale de droit public, y compris lorsqu'elle les a acquises dans le cadre ou à l'issue d'opérations de guerre ou dans des circonstances relevant de l'exercice de la souveraineté nationale à l'occasion desquelles elle se les est appropriées, appartiennent au domaine public et sont, de ce fait, inaliénables ; que si les actes qui ont conduit à l'incorporation de ces biens au domaine peuvent être discutés devant le juge de l'excès de pouvoir, toute demande de restitution par une personne se prévalant d'en avoir été le propriétaire ou de venir aux droits de celui-ci est, après expiration des délais de recours pour contester les modalités de cette incorporation, tardive et, par suite, irrecevable ;
5. Considérant, toutefois, qu'aux termes de l'article 1er de l'ordonnance du 12 novembre 1943 sur la nullité des actes de spoliation accomplis par l'ennemi ou sous son contrôle : " Recevra sa pleine et entière exécution la déclaration solennelle signée le 5 janvier 1943 à Londres par le Comité national français et par dix-sept gouvernements alliés, déclaration dont le texte est annexé à la présente ordonnance " ; qu'aux termes de la déclaration interalliée du 5 janvier 1943 : " (les propriétaires légitimes) les Gouvernements signataires de cette déclaration et le Comité National Français se réservent tous droits de déclarer non valables tous transferts ou transactions relatifs à la propriété, aux droits et aux intérêts de quelque nature qu'ils soient, qui sont ou étaient dans les territoires sous l'occupation ou le contrôle, direct ou indirect des gouvernements avec lesquels ils sont en guerre, ou qui appartiennent ou ont appartenu aux personnes (y compris les personnes juridiques) résidant dans ces territoires. Cet avertissement s'applique tant aux transferts ou transactions se manifestant sous forme de pillage avoué ou de mise à sac, qu'aux transactions d'apparence légale, même lorsqu'elles se présentent comme ayant été effectuées avec le consentement des victimes. " ; qu'aux termes de l'article 1er de l'ordonnance du 14 novembre 1944 : " Sous réserve des autres dispositions qui seront prises ultérieurement pour l'application de l'ordonnance du 12 novembre 1943 (...) et de l'ordonnance du 9 août 1944 relative au rétablissement de la légalité républicaine sur le territoire continental, toutes les personnes physiques ou morales ou leurs ayants cause dont les biens ont été l'objet de mesures de séquestre, d'administration provisoire, de gestion, de liquidation exorbitantes du droit commun, en vertu soit des actes dits " lois, décrets ou règlements " du prétendu gouvernement de Vichy, soit du fait des autorités occupantes, rentrent de plein droit en possession de leurs biens, droits et intérêts qui n'ont pas fait l'objet de mesures de liquidation ou d'actes de disposition à la date de la mise en vigueur de l'ordonnance du 9 août 1944 susvisée " ; qu'aux termes de l'article 1er de l'ordonnance du 21 avril 1945 susvisée : " Les personnes physiques ou morales ou leurs ayants cause dont les biens, droits ou intérêts ont été l'objet, même avec leur concours matériel, d'actes de disposition accomplis en conséquence de mesure de séquestre, d'administration provisoire, de gestion, de liquidation, de confiscation ou de toutes autres mesures exorbitantes du droit commun en vigueur au 16 juin 1940 et accomplis, soit en vertu des prétendus lois, décrets et arrêtés, règlements ou décisions de l'autorité de fait se disant gouvernement de l'Etat français, soit par l'ennemi, sur son ordre ou sous son inspiration, pourront, sur le fondement, tant de l'ordonnance du 12 novembre 1943 relative à la nullité des actes de spoliation accomplis par l'ennemi ou sous son contrôle, que de l'ordonnance du 9 août 1944 relative au rétablissement de la légalité républicaine sur le territoire continental, en faire constater la nullité. / Cette nullité est de droit. " ;
6. Considérant que par son article 1er, le décret du 30 septembre 1949 a mis fin à l'activité de la commission de récupération artistique, qui avait été créée pour procéder aux saisies d'oeuvres présumées spoliées, en France et dans les zones d'occupation françaises en Allemagne et en Autriche, ou pour se les voir remettre, par les services alliés analogues, après les saisies opérées dans leur propre zone de combat ou d'occupation ; que le même décret a prévu, dans son article 5, à compter du 31 décembre 1949, que : " Sous réserve de la législation relative aux biens spoliés, une commission présidée par le directeur général des arts et lettres procèdera à un choix des oeuvres d'art retrouvées hors de France, qui n'auront pas été restituées à leur propriétaire. Les oeuvres d'art choisies par la commission seront attribuées par l'office des biens et intérêts privés à la direction des musées de France, à charge pour elle de procéder dans un délai de trois mois à leur affectation ou à leur mise en dépôt dans les musées nationaux ou musées de province. / Ces oeuvres d'art seront exposées dès leur entrée dans ces musées et inscrites sur un inventaire provisoire qui sera mis à la disposition des collectionneurs pillés ou spoliés jusqu'à l'expiration du délai légal de revendication. " ;
7. Considérant qu'il résulte de l'ensemble des dispositions concernant les oeuvres répertoriées MNR que l'Etat n'a pas entendu s'en attribuer la propriété, ni par suite les incorporer au domaine public ; qu'il s'en est seulement institué le gardien à fin de restitution aux propriétaires spoliés par les actes de la puissance occupante, et à leurs ayants droit en mettant en place un service public de la conservation et de la restitution de ces oeuvres ; que les autorités compétentes sont tenues de restituer les oeuvres aux propriétaires légitimes, puis à leurs ayants droit, sur leur demande, soit qu'ils aient été victimes d'une telle spoliation, soit qu'aucune spoliation n'ayant eu lieu, ils en étaient et demeurent... ; qu'en l'absence de dispositions législatives contraires, et dans la mesure où une restitution demeure en principe envisageable et s'avère d'ailleurs effectivement possible, aucune prescription particulière ou de droit commun ne peut être opposée à cette demande ; qu'un refus, décision administrative prise dans l'exercice de la mission du service public de conservation et de restitution des oeuvres MNR, peut être contesté par la voie du recours pour excès de pouvoir ;
8. Considérant que les oeuvres répertoriées MNR ont été saisies par les forces alliées de la France, dans les zones de combat ou d'occupation, ou par les administrations françaises placées sous l'autorité du commandement militaire pendant les opérations de guerre ou d'occupation ; que les actes de saisie de ces oeuvres sont dès lors inséparables de la conduite des opérations de guerre et des relations internationales et ne sont par suite pas susceptibles d'être discutés devant le juge de l'excès de pouvoir ; qu'en revanche, les motifs du refus de procéder à une restitution peuvent être critiqués à l'occasion d'un recours pour excès de pouvoir, les difficultés sérieuses pouvant s'élever à cette occasion en matière de propriété ou de régularité des transactions devant être portées, par la voie d'une question préjudicielle, devant le juge judiciaire ;
9. Considérant que la conservation des oeuvres répertoriées MNR en vue de leur restitution à leurs légitimes propriétaires ou à leurs ayants droit s'impose dans les cas où les spoliations sont établies ; qu'elle est également légalement fondée lorsqu' un faisceau d'indices, tirés notamment de la date des transactions opérées, après le 16 juin 1940, des parties à la transaction, connues pour leur implication auprès de la puissance occupante, et des conditions, motifs et buts de la transaction, destinée aux territoires et aux intérêts de la puissance occupante, permet de présumer l'existence d'une spoliation, que celle-ci résulte d'agissements d'appropriation ou de transactions ayant les apparences de la régularité mais accomplies sous la contrainte ou l'inspiration de cette puissance ;
10. Considérant, en l'espèce, qu'en jugeant légal le refus de faire droit à la demande de restitution des trois oeuvres en cause, au motif qu'en l'absence d'indication sur l'origine de propriété de ces oeuvres détenues par M.E..., les transactions étaient intervenues à une période qui permettait de présumer que l'achat initial des oeuvres avait été contraint, et alors que le dossier qui lui était soumis indiquait que les marchands d'art allemand et autrichien ayant procédé aux transactions étaient connus pour leurs relations privilégiées avec les dirigeants nazis et que les transactions avaient été opérées, pour des prix trois à quatre fois supérieurs au prix d'achat, à la demande, avec les fonds et pour satisfaire les attentes de responsables nazis en Autriche, la cour, alors même que l'existence d'une spoliation n'était pas établie, n'a pas commis d'erreur de droit ;
Sur la méconnaissance des stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de son premier protocole additionnel :
Sans qu'il soit besoin d'examiner l'applicabilité de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de son premier protocole au litige concernant un ressortissant autrichien au regard de la réserve d'interprétation de l'Autriche formulée lors de la signature de la convention et relative au traité de Vienne du 15 mai 1955 portant rétablissement d'une Autriche indépendante et démocratique ;
11. Considérant qu'aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens (les propriétaires légitimes). Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. " ; que si la récupération des oeuvres d'art et leur conservation par l'Etat constitue une atteinte substantielle au droit de propriété des personnes dans les mains desquelles elles sont saisies, au sens et pour l'application de ces stipulations, elle ne peut toutefois être regardée comme le méconnaissant en violation de ces stipulations, dès lors que cette détention est rendue nécessaire par l'objectif de restaurer les droits des légitimes propriétaires, niés par les régimes ayant tenté d'asservir et de dégrader la personne humaine, notamment en s'appropriant les biens de personnes vouées à l'extermination ; que la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ayant été conclue pour tirer les conséquences des agissements de telles puissances, l'objectif de restitution des oeuvres d'art, qui passe par le placement provisoire de celles-ci sous la garde de l'Etat, contribue, au regard de ses motifs, à la mise en oeuvre de la convention et justifie la conservation des oeuvres, même pendant une longue période, pourvu qu'un recours soit possible aussi longtemps que la garde des oeuvres se prolonge et à la condition que ce recours permette de faire valoir les droits du propriétaire légal et de lui allouer, le cas échéant, une réparation équitable ;
12. Considérant que, dans le cas où une spoliation est intervenue, les acquéreurs ultérieurs de l'oeuvre, même de bonne foi, ne peuvent être regardés comme privés de leur légitime propriété ; qu'il leur appartient, dès lors, de saisir le juge compétent pour constater la nullité de la transaction par laquelle ils avaient acquis l'oeuvre spoliée et obtenir la restitution du prix payé ; que dans le cas où aucune spoliation n'est intervenue, il est loisible au propriétaire de contester le refus de restitution devant le juge administratif et de demander par cette voie l'indemnisation à laquelle il estime avoir droit pour la durée de la période durant laquelle il a été irrégulièrement privé de son bien, c'est-à-dire depuis le moment où il est établi qu'aucune spoliation n'a eu lieu ou ne pouvait être légalement présumée ;
13. Considérant qu'en l'espèce la cour administrative d'appel de Paris a jugé que la présomption de spoliation à l'origine des transactions à l'issue desquelles les requérantes sont devenues propriétaires des trois oeuvres revendiquées justifiait légalement le refus de restitution ; que la cour a relevé que les requérantes avaient disposé, dès la confiscation des oeuvres, du droit de rechercher la responsabilité du cédant auprès duquel elles les avaient acquises ; qu'il est établi que leur ascendant, après avoir faussement déclaré deux oeuvres perdues et cédé une autre, dont les requérantes allèguent qu'elle leur a été restituée après annulation de la vente, ne s'était pas opposé à la restitution, puis s'était abstenu de la contester ; que la cour a pris en compte qu'il n'a pas plus recherché alors la responsabilité du vendeur, dont il est établi qu'il pouvait facilement être attrait devant un tribunal, dès lors qu'il résidait alors en Autriche et, détenu par les puissances alliées, prenait part à la restitution des oeuvres qu'il avait importées après des transactions participant des spoliations de l'occupant en France ; que la cour a enfin relevé que les requérantes s'étaient abstenues d'exercer ces droits avant les seize dernières années ; qu'en prenant ainsi en considération tant l'objectif poursuivi pour refuser la restitution que les conditions effectives de recours dont disposaient les requérantes, la cour qui, par une simple erreur de plume a mentionné que les oeuvres avaient été acquises en Allemagne par la Landesgalerie de Bavière, n'a pas dénaturé les pièces du dossier et n'a commis aucune erreur de droit en écartant le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de son premier protocole additionnel ;
Sur les conclusions de Mme D... et de Mme B... présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
14. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de Mme D... et Mme B... est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme G...D..., à Mme A...B..., au ministre des affaires étrangères et du développement international et à la ministre de la culture et de la communication.
N° 349789
ECLI:FR:CEASS:2014:349789.20140730
Publié au recueil Lebon
Assemblée
M. Thierry Carriol, rapporteur
Mme Delphine Hedary, rapporteur public
SCP MEIER-BOURDEAU, LECUYER, avocats
Lecture du mercredi 30 juillet 2014
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Mme G...D...et Mme A... B...ont demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 8 octobre 2004 du ministre des affaires étrangères rejetant leur demande tendant à la restitution de trois oeuvres d'art inscrites au répertoire Musées Nationaux Récupération (MNR). Par un jugement n° 0508189/7-1 du 6 décembre 2007, le tribunal administratif de Paris a rejeté cette demande.
Par un arrêt n° 08PA00661 du 21 mars 2011, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par Mme D... et Mme B... contre ce jugement n° 0508189/7-1 du 6 décembre 2007 et leurs conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint au ministre des affaires étrangères de restituer les oeuvres d'art litigieuses ou, à titre subsidiaire, de procéder à une nouvelle instruction de la demande de restitution.
Procédure devant le Conseil d'Etat
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et deux nouveaux mémoires, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 1er juin 2011, 1er septembre 2011, 7 février 2014 et 30 juin 2014, Mme D... et Mme B... demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt n° 08PA00661 du 21 mars 2011 de la cour administrative d'appel de Paris ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leur appel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 16 juillet 2014, présentée pour Mme D... et MmeB... ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu l'ordonnance du 12 novembre 1943 sur la nullité des actes de spoliation accomplis par l'ennemi ou sous son contrôle ;
Vu l'ordonnance du 14 novembre 1944 portant première application de l'ordonnance du 12 novembre 1943 sur la nullité des actes de spoliation accomplis par l'ennemi et sous son contrôle ;
Vu l'ordonnance n° 45-624 du 11 avril 1945 relative à la dévolution de certains biens meubles récupérés par l'Etat à la suite d'actes de pillage commis par l'occupant ;
Vu l'ordonnance n° 45-770 du 21 avril 1945 portant deuxième application de l'ordonnance du 12 novembre 1943 sur la nullité des actes de spoliation accomplis par l'ennemi ou sous son contrôle et édictant la restitution aux victimes de ces actes de leurs biens qui ont fait l'objet d'actes de disposition ;
Vu l'ordonnance n° 45-1224 du 9 juin 1945 portant troisième application de l'ordonnance du 12 novembre 1943 sur la nullité des actes de spoliation et édictant la nullité des actes de spoliation accomplis par l'ennemi à son profit ;
Vu le décret n° 46-1542 du 22 juin 1946 relatif à la restitution des biens spoliés en France et transférés hors du territoire national par l'ennemi ;
Vu le décret n° 47-2105 du 29 octobre 1947 relatif à la restitution des biens spoliés par l'ennemi ;
Vu le décret n° 49-1344 du 30 septembre 1949 relatif à la fin des opérations de la commission de récupération artistique ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Thierry Carriol, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de Mme Delphine Hedary, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Meier-Bourdeau, Lecuyer, avocat de Mmes D...etB... ;
1. Considérant qu'il résulte des pièces du dossier soumis au juge du fond que trois oeuvres, un dessin intitulé " Etudes de têtes, peut-être des avocats ' " attribué à Daumier, un dessin intitulé " Paysan derrière une palissade" de Van Ostade, un dessin " Vieille femme en prière " de Goya ,ont été achetées à Paris, en 1940 et 1941, à M.E..., galeriste de double nationalité américaine et allemande, par M.C..., galeriste autrichien, mandaté à cette fin par le gauleiter de Salzbourg en vue de constituer un musée régional ; que M. C...a cédé ces oeuvres en juillet 1944 à M. F... ; que l'intéressé en a cédé au moins une à la galerie publique de l'Albertina et faussement déclaré les deux autres comme ayant été détruites par des bombardements ; que les trois oeuvres, soupçonnées d'être issues de spoliations des autorités allemandes d'occupation en France, ont été saisies par les forces américaines d'occupation en Autriche et remises aux autorités françaises d'occupation dans ce pays ; que ces oeuvres ont été rapatriées en France et répertoriées " Musées Nationaux récupération " (MNR) et, à ce titre, attribuées au musée du Louvre ; que Mme D... et Mme B..., ayants droit de M. F..., ont demandé en 1998 au ministre des affaires étrangères la restitution de ces oeuvres, qui leur a été refusée par une décision du 8 octobre 2004 ; qu'elles demandent au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté leur demande d'annulation du jugement du tribunal administratif de Paris ayant refusé d'annuler cette décision du ministre ;
Sur la motivation de l'arrêt attaqué :
2. Considérant que la cour a expressément énoncé dans son arrêt qu'elle ne regardait pas les requérantes comme de légitimes propriétaires et exposé les motifs pour lesquels, au vu des pièces du dossier, elle jugeait fondée la décision de refus de restitution des oeuvres revendiquées au regard des conditions de transaction initiales ; qu'elle a, se faisant, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, suffisamment motivé son arrêt ;
Sur le refus de la cour de procéder à une expertise :
3. Considérant qu'il appartient au juge du fond de compléter son information en procédant le cas échéant aux mesures d'instruction qu'il estime utiles et nécessaires ; que l'appréciation qu'il porte sur cette nécessité et cette utilité n'est pas, en l'absence de dénaturation, susceptible d'être discutée devant le juge de cassation ; qu'en l'espèce, le dossier soumis au juge du fond ne comportait aucun élément relatif à la propriété des oeuvres revendiquées, antérieurement à leur cession par M. E...à M. C...; qu' au regard des éléments soumis à son examen, la cour, en s'abstenant d'ordonner une expertise, n'a pas porté, sur l'utilité et la nécessité d'une telle mesure d'instruction, une appréciation entachée de dénaturation ; que les requérantes ne sont donc pas fondées à soutenir que la cour aurait statué irrégulièrement en s'abstenant d'ordonner au préalable une expertise ;
Sur l'erreur de droit entachant l'appréciation de la légalité de la décision du ministre :
4. Considérant qu'aux termes de l'article L. 2112-1 du code général des propriétés publiques : " Sans préjudice des dispositions applicables en matière de protection des biens culturels, font partie du domaine public mobilier de la personne publique propriétaire les biens présentant un intérêt public du point de vue de l'histoire, de l'art, de l'archéologie, de la science ou de la technique, notamment : (les propriétaires légitimes) / 8° Les collections des musées (les propriétaires légitimes) " ; qu'il résulte de ces dispositions que, à moins que le législateur n'en dispose autrement, les oeuvres détenues par une personne morale de droit public, y compris lorsqu'elle les a acquises dans le cadre ou à l'issue d'opérations de guerre ou dans des circonstances relevant de l'exercice de la souveraineté nationale à l'occasion desquelles elle se les est appropriées, appartiennent au domaine public et sont, de ce fait, inaliénables ; que si les actes qui ont conduit à l'incorporation de ces biens au domaine peuvent être discutés devant le juge de l'excès de pouvoir, toute demande de restitution par une personne se prévalant d'en avoir été le propriétaire ou de venir aux droits de celui-ci est, après expiration des délais de recours pour contester les modalités de cette incorporation, tardive et, par suite, irrecevable ;
5. Considérant, toutefois, qu'aux termes de l'article 1er de l'ordonnance du 12 novembre 1943 sur la nullité des actes de spoliation accomplis par l'ennemi ou sous son contrôle : " Recevra sa pleine et entière exécution la déclaration solennelle signée le 5 janvier 1943 à Londres par le Comité national français et par dix-sept gouvernements alliés, déclaration dont le texte est annexé à la présente ordonnance " ; qu'aux termes de la déclaration interalliée du 5 janvier 1943 : " (les propriétaires légitimes) les Gouvernements signataires de cette déclaration et le Comité National Français se réservent tous droits de déclarer non valables tous transferts ou transactions relatifs à la propriété, aux droits et aux intérêts de quelque nature qu'ils soient, qui sont ou étaient dans les territoires sous l'occupation ou le contrôle, direct ou indirect des gouvernements avec lesquels ils sont en guerre, ou qui appartiennent ou ont appartenu aux personnes (y compris les personnes juridiques) résidant dans ces territoires. Cet avertissement s'applique tant aux transferts ou transactions se manifestant sous forme de pillage avoué ou de mise à sac, qu'aux transactions d'apparence légale, même lorsqu'elles se présentent comme ayant été effectuées avec le consentement des victimes. " ; qu'aux termes de l'article 1er de l'ordonnance du 14 novembre 1944 : " Sous réserve des autres dispositions qui seront prises ultérieurement pour l'application de l'ordonnance du 12 novembre 1943 (...) et de l'ordonnance du 9 août 1944 relative au rétablissement de la légalité républicaine sur le territoire continental, toutes les personnes physiques ou morales ou leurs ayants cause dont les biens ont été l'objet de mesures de séquestre, d'administration provisoire, de gestion, de liquidation exorbitantes du droit commun, en vertu soit des actes dits " lois, décrets ou règlements " du prétendu gouvernement de Vichy, soit du fait des autorités occupantes, rentrent de plein droit en possession de leurs biens, droits et intérêts qui n'ont pas fait l'objet de mesures de liquidation ou d'actes de disposition à la date de la mise en vigueur de l'ordonnance du 9 août 1944 susvisée " ; qu'aux termes de l'article 1er de l'ordonnance du 21 avril 1945 susvisée : " Les personnes physiques ou morales ou leurs ayants cause dont les biens, droits ou intérêts ont été l'objet, même avec leur concours matériel, d'actes de disposition accomplis en conséquence de mesure de séquestre, d'administration provisoire, de gestion, de liquidation, de confiscation ou de toutes autres mesures exorbitantes du droit commun en vigueur au 16 juin 1940 et accomplis, soit en vertu des prétendus lois, décrets et arrêtés, règlements ou décisions de l'autorité de fait se disant gouvernement de l'Etat français, soit par l'ennemi, sur son ordre ou sous son inspiration, pourront, sur le fondement, tant de l'ordonnance du 12 novembre 1943 relative à la nullité des actes de spoliation accomplis par l'ennemi ou sous son contrôle, que de l'ordonnance du 9 août 1944 relative au rétablissement de la légalité républicaine sur le territoire continental, en faire constater la nullité. / Cette nullité est de droit. " ;
6. Considérant que par son article 1er, le décret du 30 septembre 1949 a mis fin à l'activité de la commission de récupération artistique, qui avait été créée pour procéder aux saisies d'oeuvres présumées spoliées, en France et dans les zones d'occupation françaises en Allemagne et en Autriche, ou pour se les voir remettre, par les services alliés analogues, après les saisies opérées dans leur propre zone de combat ou d'occupation ; que le même décret a prévu, dans son article 5, à compter du 31 décembre 1949, que : " Sous réserve de la législation relative aux biens spoliés, une commission présidée par le directeur général des arts et lettres procèdera à un choix des oeuvres d'art retrouvées hors de France, qui n'auront pas été restituées à leur propriétaire. Les oeuvres d'art choisies par la commission seront attribuées par l'office des biens et intérêts privés à la direction des musées de France, à charge pour elle de procéder dans un délai de trois mois à leur affectation ou à leur mise en dépôt dans les musées nationaux ou musées de province. / Ces oeuvres d'art seront exposées dès leur entrée dans ces musées et inscrites sur un inventaire provisoire qui sera mis à la disposition des collectionneurs pillés ou spoliés jusqu'à l'expiration du délai légal de revendication. " ;
7. Considérant qu'il résulte de l'ensemble des dispositions concernant les oeuvres répertoriées MNR que l'Etat n'a pas entendu s'en attribuer la propriété, ni par suite les incorporer au domaine public ; qu'il s'en est seulement institué le gardien à fin de restitution aux propriétaires spoliés par les actes de la puissance occupante, et à leurs ayants droit en mettant en place un service public de la conservation et de la restitution de ces oeuvres ; que les autorités compétentes sont tenues de restituer les oeuvres aux propriétaires légitimes, puis à leurs ayants droit, sur leur demande, soit qu'ils aient été victimes d'une telle spoliation, soit qu'aucune spoliation n'ayant eu lieu, ils en étaient et demeurent... ; qu'en l'absence de dispositions législatives contraires, et dans la mesure où une restitution demeure en principe envisageable et s'avère d'ailleurs effectivement possible, aucune prescription particulière ou de droit commun ne peut être opposée à cette demande ; qu'un refus, décision administrative prise dans l'exercice de la mission du service public de conservation et de restitution des oeuvres MNR, peut être contesté par la voie du recours pour excès de pouvoir ;
8. Considérant que les oeuvres répertoriées MNR ont été saisies par les forces alliées de la France, dans les zones de combat ou d'occupation, ou par les administrations françaises placées sous l'autorité du commandement militaire pendant les opérations de guerre ou d'occupation ; que les actes de saisie de ces oeuvres sont dès lors inséparables de la conduite des opérations de guerre et des relations internationales et ne sont par suite pas susceptibles d'être discutés devant le juge de l'excès de pouvoir ; qu'en revanche, les motifs du refus de procéder à une restitution peuvent être critiqués à l'occasion d'un recours pour excès de pouvoir, les difficultés sérieuses pouvant s'élever à cette occasion en matière de propriété ou de régularité des transactions devant être portées, par la voie d'une question préjudicielle, devant le juge judiciaire ;
9. Considérant que la conservation des oeuvres répertoriées MNR en vue de leur restitution à leurs légitimes propriétaires ou à leurs ayants droit s'impose dans les cas où les spoliations sont établies ; qu'elle est également légalement fondée lorsqu' un faisceau d'indices, tirés notamment de la date des transactions opérées, après le 16 juin 1940, des parties à la transaction, connues pour leur implication auprès de la puissance occupante, et des conditions, motifs et buts de la transaction, destinée aux territoires et aux intérêts de la puissance occupante, permet de présumer l'existence d'une spoliation, que celle-ci résulte d'agissements d'appropriation ou de transactions ayant les apparences de la régularité mais accomplies sous la contrainte ou l'inspiration de cette puissance ;
10. Considérant, en l'espèce, qu'en jugeant légal le refus de faire droit à la demande de restitution des trois oeuvres en cause, au motif qu'en l'absence d'indication sur l'origine de propriété de ces oeuvres détenues par M.E..., les transactions étaient intervenues à une période qui permettait de présumer que l'achat initial des oeuvres avait été contraint, et alors que le dossier qui lui était soumis indiquait que les marchands d'art allemand et autrichien ayant procédé aux transactions étaient connus pour leurs relations privilégiées avec les dirigeants nazis et que les transactions avaient été opérées, pour des prix trois à quatre fois supérieurs au prix d'achat, à la demande, avec les fonds et pour satisfaire les attentes de responsables nazis en Autriche, la cour, alors même que l'existence d'une spoliation n'était pas établie, n'a pas commis d'erreur de droit ;
Sur la méconnaissance des stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de son premier protocole additionnel :
Sans qu'il soit besoin d'examiner l'applicabilité de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de son premier protocole au litige concernant un ressortissant autrichien au regard de la réserve d'interprétation de l'Autriche formulée lors de la signature de la convention et relative au traité de Vienne du 15 mai 1955 portant rétablissement d'une Autriche indépendante et démocratique ;
11. Considérant qu'aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens (les propriétaires légitimes). Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. " ; que si la récupération des oeuvres d'art et leur conservation par l'Etat constitue une atteinte substantielle au droit de propriété des personnes dans les mains desquelles elles sont saisies, au sens et pour l'application de ces stipulations, elle ne peut toutefois être regardée comme le méconnaissant en violation de ces stipulations, dès lors que cette détention est rendue nécessaire par l'objectif de restaurer les droits des légitimes propriétaires, niés par les régimes ayant tenté d'asservir et de dégrader la personne humaine, notamment en s'appropriant les biens de personnes vouées à l'extermination ; que la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ayant été conclue pour tirer les conséquences des agissements de telles puissances, l'objectif de restitution des oeuvres d'art, qui passe par le placement provisoire de celles-ci sous la garde de l'Etat, contribue, au regard de ses motifs, à la mise en oeuvre de la convention et justifie la conservation des oeuvres, même pendant une longue période, pourvu qu'un recours soit possible aussi longtemps que la garde des oeuvres se prolonge et à la condition que ce recours permette de faire valoir les droits du propriétaire légal et de lui allouer, le cas échéant, une réparation équitable ;
12. Considérant que, dans le cas où une spoliation est intervenue, les acquéreurs ultérieurs de l'oeuvre, même de bonne foi, ne peuvent être regardés comme privés de leur légitime propriété ; qu'il leur appartient, dès lors, de saisir le juge compétent pour constater la nullité de la transaction par laquelle ils avaient acquis l'oeuvre spoliée et obtenir la restitution du prix payé ; que dans le cas où aucune spoliation n'est intervenue, il est loisible au propriétaire de contester le refus de restitution devant le juge administratif et de demander par cette voie l'indemnisation à laquelle il estime avoir droit pour la durée de la période durant laquelle il a été irrégulièrement privé de son bien, c'est-à-dire depuis le moment où il est établi qu'aucune spoliation n'a eu lieu ou ne pouvait être légalement présumée ;
13. Considérant qu'en l'espèce la cour administrative d'appel de Paris a jugé que la présomption de spoliation à l'origine des transactions à l'issue desquelles les requérantes sont devenues propriétaires des trois oeuvres revendiquées justifiait légalement le refus de restitution ; que la cour a relevé que les requérantes avaient disposé, dès la confiscation des oeuvres, du droit de rechercher la responsabilité du cédant auprès duquel elles les avaient acquises ; qu'il est établi que leur ascendant, après avoir faussement déclaré deux oeuvres perdues et cédé une autre, dont les requérantes allèguent qu'elle leur a été restituée après annulation de la vente, ne s'était pas opposé à la restitution, puis s'était abstenu de la contester ; que la cour a pris en compte qu'il n'a pas plus recherché alors la responsabilité du vendeur, dont il est établi qu'il pouvait facilement être attrait devant un tribunal, dès lors qu'il résidait alors en Autriche et, détenu par les puissances alliées, prenait part à la restitution des oeuvres qu'il avait importées après des transactions participant des spoliations de l'occupant en France ; que la cour a enfin relevé que les requérantes s'étaient abstenues d'exercer ces droits avant les seize dernières années ; qu'en prenant ainsi en considération tant l'objectif poursuivi pour refuser la restitution que les conditions effectives de recours dont disposaient les requérantes, la cour qui, par une simple erreur de plume a mentionné que les oeuvres avaient été acquises en Allemagne par la Landesgalerie de Bavière, n'a pas dénaturé les pièces du dossier et n'a commis aucune erreur de droit en écartant le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de son premier protocole additionnel ;
Sur les conclusions de Mme D... et de Mme B... présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
14. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de Mme D... et Mme B... est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme G...D..., à Mme A...B..., au ministre des affaires étrangères et du développement international et à la ministre de la culture et de la communication.