Conseil d'État
N° 368676
ECLI:FR:CESSR:2013:368676.20131120
Publié au recueil Lebon
2ème et 7ème sous-sections réunies
Mme Airelle Niepce, rapporteur
Lecture du mercredi 20 novembre 2013
Vu la décision n° 12006532-12006533 du 15 mai 2013, enregistrée le 21 mai 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, par laquelle la Cour nationale du droit d'asile, avant de statuer sur les recours de M. B...A...et de Mme D...C...épouse A...tendant à l'annulation des décisions du 31 janvier 2012 par lesquelles le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a refusé de leur reconnaître le statut de réfugié ou, à défaut, de leur accorder le bénéfice de la protection subsidiaire, a décidé, en application de l'article L. 733-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de transmettre les dossiers au Conseil d'Etat en soumettant à son examen la question suivante :
Dans le cas où une enfant mineure s'est vu reconnaître la qualité de réfugié en raison de son appartenance à un groupe social d'enfants non mutilées et des risques de mutilations sexuelles féminines qu'elle encourt personnellement, le principe général du droit applicable aux réfugiés, résultant notamment des stipulations de la convention de Genève, impose-t-il, en vue d'assurer pleinement aux réfugiés la protection prévue par ladite convention, que la même qualité soit reconnue à la personne de même nationalité qui est père ou mère de l'enfant mineure à la date à laquelle elle a été reconnue réfugiée '
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution, notamment le Préambule et l'article 53-1 ;
Vu la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés et le protocole signé à New York le 31 janvier 1967 ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu la convention internationale relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990 ;
Vu la directive 2004/83 CE du Conseil du 29 avril 2004 ;
Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, notamment son article L. 733-3 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Airelle Niepce, Maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Xavier Domino, Rapporteur public ;
REND L'AVIS SUIVANT :
1. Aux termes du 2 du A de l'article 1er de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et du protocole signé à New York le 31 janvier 1967, doit être considérée comme réfugiée toute personne " qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut, ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ".
Un groupe social, au sens de ces stipulations et des dispositions de la directive du 29 avril 2004 concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié, est constitué de personnes partageant un caractère inné, une histoire commune ou une caractéristique essentielle à leur identité et à leur conscience, auxquels il ne peut leur être demandé de renoncer, ou une identité propre perçue comme étant différente par la société environnante ou par les institutions. L'appartenance à un tel groupe est un fait social objectif qui ne dépend pas de la manifestation par ses membres, ou, s'ils ne sont pas en mesure de le faire, par leurs proches, de leur appartenance à ce groupe.
Dans une population dans laquelle les mutilations sexuelles féminines sont couramment pratiquées au point de constituer une norme sociale, les enfants et les adolescentes non mutilées constituent de ce fait un groupe social et sont susceptibles de se voir reconnaître la qualité de réfugié si les éléments circonstanciés, notamment familiaux, géographiques, sociologiques, qu'elles font valoir établissent les risques de persécution qu'elles encourent personnellement, à moins qu'elles puissent avoir accès à une protection sur une partie du territoire de leur pays d'origine à laquelle elles sont en mesure, en toute sûreté, d'accéder afin de s'y établir et d'y mener une vie familiale normale. En revanche, l'opposition des parents de ces enfants ou adolescentes aux mutilations sexuelles auxquelles elles seraient exposées en cas de retour dans leur pays d'origine ne permet pas, par elle-même, de regarder ces parents comme relevant d'un groupe social et susceptibles à ce titre d'être personnellement exposés à des persécutions au sens des stipulations du 2 du A de l'article 1er de la convention de Genève.
2. Les principes généraux du droit applicables aux réfugiés, résultant notamment des stipulations de la convention de Genève, imposent, en vue d'assurer pleinement au réfugié la protection prévue par la convention, que la même qualité soit reconnue, à raison des risques de persécutions qu'ils encourent également, à la personne de même nationalité qui était unie par le mariage au réfugié à la date à laquelle il a demandé son admission au statut ou qui avait avec lui une liaison suffisamment stable et continue pour former avec lui une famille ainsi qu'aux enfants de ce réfugié qui étaient mineurs au moment de leur entrée en France.
Ces mêmes principes n'imposent pas que le statut de réfugié soit reconnu aux ascendants du réfugié, même s'ils se trouvent, ou se trouvaient dans le pays d'origine, à la charge du réfugié, sauf dans le cas d'un ascendant incapable, dépendant matériellement et moralement d'un réfugié, à la double condition que cette situation particulière de dépendance ait existé dans le pays d'origine du réfugié avant l'arrivée de celui-ci en France et qu'elle ait donné lieu à une mesure de tutelle plaçant l'intéressé sous la responsabilité du réfugié.
3. Dans le cas où une enfant ou une adolescente mineure s'est vu reconnaître la qualité de réfugié en raison de son appartenance à un groupe social d'enfants ou adolescentes non mutilées et des risques de mutilations sexuelles féminines qu'elle encourt personnellement, les exigences résultant du droit de mener une vie familiale normale résultant du dixième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales garantissant le droit au respect de la vie privée et familiale et des articles 3 et 9 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant impliquent que les parents de la réfugiée mineure puissent, en principe, régulièrement séjourner en France avec elle.
Mais il ne résulte ni des stipulations de la convention de Genève, ni des principes généraux du droit applicables aux réfugiés, que le statut de réfugié doive être accordé aux parents de cette réfugiée mineure, lesquels ne sont pas exposés aux risques de persécution qui ont conduit à ce que le statut de réfugié soit accordé à leur enfant, du seul fait que le statut a été reconnu à leur enfant et indépendamment des risques de persécutions qu'ils pourraient faire personnellement valoir.
Le présent avis sera notifié à la Cour nationale du droit d'asile, à M. B...A..., à Mme D...C...épouse A...et au ministre de l'intérieur.
Il sera publié au Journal officiel de la République française.
N° 368676
ECLI:FR:CESSR:2013:368676.20131120
Publié au recueil Lebon
2ème et 7ème sous-sections réunies
Mme Airelle Niepce, rapporteur
Lecture du mercredi 20 novembre 2013
REPUBLIQUE FRANCAISE
Vu la décision n° 12006532-12006533 du 15 mai 2013, enregistrée le 21 mai 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, par laquelle la Cour nationale du droit d'asile, avant de statuer sur les recours de M. B...A...et de Mme D...C...épouse A...tendant à l'annulation des décisions du 31 janvier 2012 par lesquelles le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a refusé de leur reconnaître le statut de réfugié ou, à défaut, de leur accorder le bénéfice de la protection subsidiaire, a décidé, en application de l'article L. 733-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de transmettre les dossiers au Conseil d'Etat en soumettant à son examen la question suivante :
Dans le cas où une enfant mineure s'est vu reconnaître la qualité de réfugié en raison de son appartenance à un groupe social d'enfants non mutilées et des risques de mutilations sexuelles féminines qu'elle encourt personnellement, le principe général du droit applicable aux réfugiés, résultant notamment des stipulations de la convention de Genève, impose-t-il, en vue d'assurer pleinement aux réfugiés la protection prévue par ladite convention, que la même qualité soit reconnue à la personne de même nationalité qui est père ou mère de l'enfant mineure à la date à laquelle elle a été reconnue réfugiée '
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution, notamment le Préambule et l'article 53-1 ;
Vu la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés et le protocole signé à New York le 31 janvier 1967 ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu la convention internationale relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990 ;
Vu la directive 2004/83 CE du Conseil du 29 avril 2004 ;
Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, notamment son article L. 733-3 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Airelle Niepce, Maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Xavier Domino, Rapporteur public ;
REND L'AVIS SUIVANT :
1. Aux termes du 2 du A de l'article 1er de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et du protocole signé à New York le 31 janvier 1967, doit être considérée comme réfugiée toute personne " qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut, ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ".
Un groupe social, au sens de ces stipulations et des dispositions de la directive du 29 avril 2004 concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié, est constitué de personnes partageant un caractère inné, une histoire commune ou une caractéristique essentielle à leur identité et à leur conscience, auxquels il ne peut leur être demandé de renoncer, ou une identité propre perçue comme étant différente par la société environnante ou par les institutions. L'appartenance à un tel groupe est un fait social objectif qui ne dépend pas de la manifestation par ses membres, ou, s'ils ne sont pas en mesure de le faire, par leurs proches, de leur appartenance à ce groupe.
Dans une population dans laquelle les mutilations sexuelles féminines sont couramment pratiquées au point de constituer une norme sociale, les enfants et les adolescentes non mutilées constituent de ce fait un groupe social et sont susceptibles de se voir reconnaître la qualité de réfugié si les éléments circonstanciés, notamment familiaux, géographiques, sociologiques, qu'elles font valoir établissent les risques de persécution qu'elles encourent personnellement, à moins qu'elles puissent avoir accès à une protection sur une partie du territoire de leur pays d'origine à laquelle elles sont en mesure, en toute sûreté, d'accéder afin de s'y établir et d'y mener une vie familiale normale. En revanche, l'opposition des parents de ces enfants ou adolescentes aux mutilations sexuelles auxquelles elles seraient exposées en cas de retour dans leur pays d'origine ne permet pas, par elle-même, de regarder ces parents comme relevant d'un groupe social et susceptibles à ce titre d'être personnellement exposés à des persécutions au sens des stipulations du 2 du A de l'article 1er de la convention de Genève.
2. Les principes généraux du droit applicables aux réfugiés, résultant notamment des stipulations de la convention de Genève, imposent, en vue d'assurer pleinement au réfugié la protection prévue par la convention, que la même qualité soit reconnue, à raison des risques de persécutions qu'ils encourent également, à la personne de même nationalité qui était unie par le mariage au réfugié à la date à laquelle il a demandé son admission au statut ou qui avait avec lui une liaison suffisamment stable et continue pour former avec lui une famille ainsi qu'aux enfants de ce réfugié qui étaient mineurs au moment de leur entrée en France.
Ces mêmes principes n'imposent pas que le statut de réfugié soit reconnu aux ascendants du réfugié, même s'ils se trouvent, ou se trouvaient dans le pays d'origine, à la charge du réfugié, sauf dans le cas d'un ascendant incapable, dépendant matériellement et moralement d'un réfugié, à la double condition que cette situation particulière de dépendance ait existé dans le pays d'origine du réfugié avant l'arrivée de celui-ci en France et qu'elle ait donné lieu à une mesure de tutelle plaçant l'intéressé sous la responsabilité du réfugié.
3. Dans le cas où une enfant ou une adolescente mineure s'est vu reconnaître la qualité de réfugié en raison de son appartenance à un groupe social d'enfants ou adolescentes non mutilées et des risques de mutilations sexuelles féminines qu'elle encourt personnellement, les exigences résultant du droit de mener une vie familiale normale résultant du dixième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales garantissant le droit au respect de la vie privée et familiale et des articles 3 et 9 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant impliquent que les parents de la réfugiée mineure puissent, en principe, régulièrement séjourner en France avec elle.
Mais il ne résulte ni des stipulations de la convention de Genève, ni des principes généraux du droit applicables aux réfugiés, que le statut de réfugié doive être accordé aux parents de cette réfugiée mineure, lesquels ne sont pas exposés aux risques de persécution qui ont conduit à ce que le statut de réfugié soit accordé à leur enfant, du seul fait que le statut a été reconnu à leur enfant et indépendamment des risques de persécutions qu'ils pourraient faire personnellement valoir.
Le présent avis sera notifié à la Cour nationale du droit d'asile, à M. B...A..., à Mme D...C...épouse A...et au ministre de l'intérieur.
Il sera publié au Journal officiel de la République française.