Conseil d'État
N° 324176
ECLI:FR:CESJS:2011:324176.20111116
Inédit au recueil Lebon
9ème sous-section jugeant seule
M. Matthieu Schlesinger, rapporteur
SCP PIWNICA, MOLINIE, avocats
Lecture du mercredi 16 novembre 2011
Vu l'ordonnance n° 08MA02382 du 12 janvier 2009, enregistrée le 16 janvier 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, par laquelle le président de la cour administrative d'appel de Marseille a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, le pourvoi présenté à cette cour par Mme Lucie A ;
Vu le pourvoi, enregistré le 7 mai 2008 au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille, présenté pour Mme Lucie A, demeurant ... et tendant l'annulation du jugement n° 062218 du 3 mars 2008 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision implicite refusant de lui accorder, à titre gracieux, la décharge de la solidarité dans le paiement des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles son mari et elle ont été assujettis au titre des années 1989 et 1990 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Matthieu Schlesinger, Auditeur,
- les observations de la SCP Piwnica, Molinié, avocat de Mme A,
- les conclusions de Mme Claire Legras, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de Mme A ;
Considérant qu'aux termes du 2 de l'article 1685 du code général des impôts, alors en vigueur : Chacun des époux est tenu solidairement au paiement de l'impôt sur le revenu (...) / Chacun des époux peut demander à être déchargé de cette obligation ; qu'aux termes de l'article L. 247 du livre des procédures fiscales : L'administration peut accorder sur la demande du contribuable : / 1° Des remises totales ou partielles d'impôts directs régulièrement établis lorsque le contribuable est dans l'impossibilité de payer par suite de gêne ou d'indigence ; / (...) L'administration peut également décharger de leur responsabilité les personnes tenues au paiement d'impositions dues par un tiers (...) ; que ces dispositions s'appliquent, par extension, au cas où l'un des époux demande à être déchargé de son obligation solidaire de payer l'impôt sur le revenu établi au nom des deux conjoints ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite du décès, en 2005, de M. Jacques B, dont elle avait divorcé le 26 janvier 1995, Mme A a adressé au trésorier-payeur général des Bouches-du-Rhône, en application de l'article L. 247 précité du livre des procédures fiscales, une demande gracieuse de décharge de solidarité dans le paiement des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles son mari et elle avaient été assujettis au titre des années 1989 et 1990, pour un montant de 493 481,13 euros ; qu'en l'absence de réponse à cette demande, reçue par l'administration le 1er décembre 2005 et complétée par courrier reçu le 10 février 2006, elle a saisi le tribunal administratif Marseille d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre la décision implicite de rejet née du silence gardé par l'administration ; que, par jugement du 3 mars 2008, contre lequel elle se pourvoit régulièrement en cassation, le tribunal administratif a rejeté sa demande au motif que la décision attaquée n'était pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
Considérant que, pour rejeter la demande de Mme A, le tribunal administratif s'est fondé sur la circonstance que, si l'intéressée disposait de revenus modestes, dont une pension de réversion depuis 2006, elle n'en était pas moins propriétaire de sa résidence principale située à Allauch, dont le produit de la vente devrait couvrir si ce n'est la totalité, du moins une partie importante des cotisations d'impôt restant dues ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher si les ressources de l'intéressée lui permettraient, dans l'hypothèse de la vente de sa résidence principale et de l'affectation du produit de cette vente à l'apurement de sa dette fiscale, de faire face à l'ensemble de ses autres dettes et charges et notamment de se reloger, le tribunal administratif a commis une erreur de droit ; que son jugement doit, par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, être annulé ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;
Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article R. 421-2 du code de justice administrative : Sauf disposition législative ou réglementaire contraire, le silence gardé pendant plus de deux mois sur une réclamation par l'autorité compétente vaut décision de rejet ; qu'aux termes de l'article R. 247-10 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction alors applicable : Pour obtenir la dispense du paiement d'impositions dues par d'autres personnes et mises à leur charge, les personnes ainsi mises en cause doivent, en ce qui concerne les impôts recouvrés par les comptables du Trésor, adresser une demande au trésorier-payeur général dont dépend le lieu d'imposition. / Après examen de la demande, la décision appartient : / a) au trésorier-payeur général sur avis conforme du directeur des services fiscaux lorsque les sommes n'excèdent pas 304 898,03 euros par cote. (...) / c) au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, dans les autres cas ;
Considérant que si le 31 mars 2006, date d'enregistrement de sa demande au greffe du tribunal administratif de Marseille, Mme A ne pouvait encore se prévaloir d'aucune décision de rejet de sa demande de décharge de responsabilité solidaire, elle a complété par des documents reçus par l'administration le 10 février 2006 la demande reçue le 1er décembre 2005 ; que le silence gardé pendant plus de deux mois sur cette demande a fait naître, conformément aux dispositions de l'article R. 421-2 du code de justice administrative, une décision implicite de rejet contre laquelle les conclusions de sa demande doivent être regardées comme dirigées ; que, dès lors, sans qu'y fasse obstacle la circonstance que le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, compétent en application des dispositions de l'article R. 247-10 du livre des procédures fiscales, n'ait pas statué sur cette demande, la fin de non-recevoir tirée du défaut de décision préalable doit être écartée ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier qu'à la date de la décision attaquée, Mme A était tenue au paiement solidaire de cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu s'élevant à 493 481,13 euros et disposait de revenus mensuels inférieurs à 1 000 euros ; que si l'administration fait valoir que la requérante avait bénéficié, lors du partage de l'actif de la communauté, de l'attribution d'une maison estimée en 2005 à une valeur de 381 500 euros, cette circonstance ne suffisait pas, compte tenu du montant de la dette qui resterait à sa charge en cas de vente de sa résidence principale et de son revenu net global ainsi que de la nécessité dans laquelle elle se trouverait alors de se reloger, à lui permettre d'assumer la responsabilité solidaire de l'intégralité des cotisations d'impôt sur le revenu mentionnées ci-dessus ; que, par suite, Mme A est fondée à soutenir que la décision implicite de rejet de sa demande gracieuse tendant à la décharge de la solidarité dans le paiement des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles son mari et elle ont été assujettis au titre des années 1989 et 1990 est entachée d'erreur manifeste d'appréciation et à en demander l'annulation pour ce motif ;
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Marseille du 3 mars 2008 et la décision implicite de rejet de la demande de Mme A sont annulés.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme Lucie A et à la ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat, porte-parole du Gouvernement.
N° 324176
ECLI:FR:CESJS:2011:324176.20111116
Inédit au recueil Lebon
9ème sous-section jugeant seule
M. Matthieu Schlesinger, rapporteur
SCP PIWNICA, MOLINIE, avocats
Lecture du mercredi 16 novembre 2011
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu l'ordonnance n° 08MA02382 du 12 janvier 2009, enregistrée le 16 janvier 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, par laquelle le président de la cour administrative d'appel de Marseille a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, le pourvoi présenté à cette cour par Mme Lucie A ;
Vu le pourvoi, enregistré le 7 mai 2008 au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille, présenté pour Mme Lucie A, demeurant ... et tendant l'annulation du jugement n° 062218 du 3 mars 2008 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision implicite refusant de lui accorder, à titre gracieux, la décharge de la solidarité dans le paiement des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles son mari et elle ont été assujettis au titre des années 1989 et 1990 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Matthieu Schlesinger, Auditeur,
- les observations de la SCP Piwnica, Molinié, avocat de Mme A,
- les conclusions de Mme Claire Legras, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de Mme A ;
Considérant qu'aux termes du 2 de l'article 1685 du code général des impôts, alors en vigueur : Chacun des époux est tenu solidairement au paiement de l'impôt sur le revenu (...) / Chacun des époux peut demander à être déchargé de cette obligation ; qu'aux termes de l'article L. 247 du livre des procédures fiscales : L'administration peut accorder sur la demande du contribuable : / 1° Des remises totales ou partielles d'impôts directs régulièrement établis lorsque le contribuable est dans l'impossibilité de payer par suite de gêne ou d'indigence ; / (...) L'administration peut également décharger de leur responsabilité les personnes tenues au paiement d'impositions dues par un tiers (...) ; que ces dispositions s'appliquent, par extension, au cas où l'un des époux demande à être déchargé de son obligation solidaire de payer l'impôt sur le revenu établi au nom des deux conjoints ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite du décès, en 2005, de M. Jacques B, dont elle avait divorcé le 26 janvier 1995, Mme A a adressé au trésorier-payeur général des Bouches-du-Rhône, en application de l'article L. 247 précité du livre des procédures fiscales, une demande gracieuse de décharge de solidarité dans le paiement des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles son mari et elle avaient été assujettis au titre des années 1989 et 1990, pour un montant de 493 481,13 euros ; qu'en l'absence de réponse à cette demande, reçue par l'administration le 1er décembre 2005 et complétée par courrier reçu le 10 février 2006, elle a saisi le tribunal administratif Marseille d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre la décision implicite de rejet née du silence gardé par l'administration ; que, par jugement du 3 mars 2008, contre lequel elle se pourvoit régulièrement en cassation, le tribunal administratif a rejeté sa demande au motif que la décision attaquée n'était pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
Considérant que, pour rejeter la demande de Mme A, le tribunal administratif s'est fondé sur la circonstance que, si l'intéressée disposait de revenus modestes, dont une pension de réversion depuis 2006, elle n'en était pas moins propriétaire de sa résidence principale située à Allauch, dont le produit de la vente devrait couvrir si ce n'est la totalité, du moins une partie importante des cotisations d'impôt restant dues ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher si les ressources de l'intéressée lui permettraient, dans l'hypothèse de la vente de sa résidence principale et de l'affectation du produit de cette vente à l'apurement de sa dette fiscale, de faire face à l'ensemble de ses autres dettes et charges et notamment de se reloger, le tribunal administratif a commis une erreur de droit ; que son jugement doit, par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, être annulé ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;
Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article R. 421-2 du code de justice administrative : Sauf disposition législative ou réglementaire contraire, le silence gardé pendant plus de deux mois sur une réclamation par l'autorité compétente vaut décision de rejet ; qu'aux termes de l'article R. 247-10 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction alors applicable : Pour obtenir la dispense du paiement d'impositions dues par d'autres personnes et mises à leur charge, les personnes ainsi mises en cause doivent, en ce qui concerne les impôts recouvrés par les comptables du Trésor, adresser une demande au trésorier-payeur général dont dépend le lieu d'imposition. / Après examen de la demande, la décision appartient : / a) au trésorier-payeur général sur avis conforme du directeur des services fiscaux lorsque les sommes n'excèdent pas 304 898,03 euros par cote. (...) / c) au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, dans les autres cas ;
Considérant que si le 31 mars 2006, date d'enregistrement de sa demande au greffe du tribunal administratif de Marseille, Mme A ne pouvait encore se prévaloir d'aucune décision de rejet de sa demande de décharge de responsabilité solidaire, elle a complété par des documents reçus par l'administration le 10 février 2006 la demande reçue le 1er décembre 2005 ; que le silence gardé pendant plus de deux mois sur cette demande a fait naître, conformément aux dispositions de l'article R. 421-2 du code de justice administrative, une décision implicite de rejet contre laquelle les conclusions de sa demande doivent être regardées comme dirigées ; que, dès lors, sans qu'y fasse obstacle la circonstance que le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, compétent en application des dispositions de l'article R. 247-10 du livre des procédures fiscales, n'ait pas statué sur cette demande, la fin de non-recevoir tirée du défaut de décision préalable doit être écartée ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier qu'à la date de la décision attaquée, Mme A était tenue au paiement solidaire de cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu s'élevant à 493 481,13 euros et disposait de revenus mensuels inférieurs à 1 000 euros ; que si l'administration fait valoir que la requérante avait bénéficié, lors du partage de l'actif de la communauté, de l'attribution d'une maison estimée en 2005 à une valeur de 381 500 euros, cette circonstance ne suffisait pas, compte tenu du montant de la dette qui resterait à sa charge en cas de vente de sa résidence principale et de son revenu net global ainsi que de la nécessité dans laquelle elle se trouverait alors de se reloger, à lui permettre d'assumer la responsabilité solidaire de l'intégralité des cotisations d'impôt sur le revenu mentionnées ci-dessus ; que, par suite, Mme A est fondée à soutenir que la décision implicite de rejet de sa demande gracieuse tendant à la décharge de la solidarité dans le paiement des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles son mari et elle ont été assujettis au titre des années 1989 et 1990 est entachée d'erreur manifeste d'appréciation et à en demander l'annulation pour ce motif ;
D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Marseille du 3 mars 2008 et la décision implicite de rejet de la demande de Mme A sont annulés.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme Lucie A et à la ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat, porte-parole du Gouvernement.