Base de jurisprudence

Ariane Web: Conseil d'État 308544, lecture du 19 juillet 2011, ECLI:FR:CEASS:2011:308544.20110719

Décision n° 308544
19 juillet 2011
Conseil d'État

N° 308544
ECLI:FR:CEASS:2011:308544.20110719
Publié au recueil Lebon
Assemblée
Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur
M. Edouard Geffray, rapporteur public
SCP FABIANI, LUC-THALER ; FOUSSARD, avocats


Lecture du mardi 19 juillet 2011
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu le pourvoi, enregistré le 14 août 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté pour la COMMUNE DE TRELAZE (49800), représentée par son maire ; la COMMUNE DE TRELAZE demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt n° 05NT01941 du 24 avril 2007 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté l'appel qu'elle a formé contre le jugement n° 02-3956 du 7 octobre 2005 par lequel le tribunal administratif de Nantes a annulé, à la demande de M. A... B..., les délibérations n° 6, 7 et 8 du 15 octobre 2002 par lesquelles son conseil municipal a décidé l'acquisition et la restauration d'un orgue pour l'installer dans l'église communale de Saint-Pierre et, par voie de conséquence, la délibération du 29 octobre 2002 par laquelle le conseil municipal a autorisé le maire à signer l'acte d'acquisition de cet orgue ;


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution, notamment son Préambule et ses articles 1er et 72 ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code général des collectivités territoriales ;

Vu la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat ;

Vu la loi du 2 janvier 1907 concernant l'exercice public des cultes ;

Vu le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, auditeur,

- les observations de la SCP Fabiani, Luc-Thaler, avocat de la COMMUNE DE TRELAZE et de Me Foussard, avocat de M.B...,

- les conclusions de M. Edouard Geffray, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Fabiani, Luc-Thaler, avocat de la COMMUNE DE TRELAZE et à Me Foussard, avocat de M.B... ;


Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la COMMUNE DE TRELAZE a, par trois délibérations de son conseil municipal du 15 octobre 2002, décidé de procéder à l'acquisition et à la restauration d'un orgue en vue de l'installer dans l'église Saint-Pierre, dont elle est propriétaire, puis a, par une délibération du 29 octobre 2002, autorisé le maire à signer l'acte d'acquisition de cet orgue ; que, par un jugement du 7 octobre 2005, le tribunal administratif de Nantes a annulé, à la demande de M. B..., contribuable de la commune, ces délibérations ; que la COMMUNE DE TRELAZE se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 24 avril 2007 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté l'appel qu'elle a formé contre ce jugement ;

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi ;

Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat : " La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public " ; qu'aux termes de l'article 2 de cette loi : " La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront supprimées des budgets de l'Etat, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l'exercice des cultes (...). " ; qu'aux termes de l'article 13 de la même loi : " Les édifices servant à l'exercice public du culte, ainsi que les objets mobiliers les garnissant, seront laissés gratuitement à la disposition des établissements publics du culte, puis des associations appelées à les remplacer auxquelles les biens de ces établissements auront été attribués par application des dispositions du titre II. La cessation de cette jouissance et, s'il y a lieu, son transfert seront prononcés par décret (...). L'Etat, les départements, les communes et les établissements publics de coopération intercommunale pourront engager les dépenses nécessaires pour l'entretien et la conservation des édifices du culte dont la propriété leur est reconnue par la présente loi. " ; qu'aux termes du dernier alinéa de l'article 19 de cette même loi, les associations formées pour subvenir aux frais, à l'entretien et à l'exercice d'un culte " ne pourront, sous quelque forme que ce soit, recevoir des subventions de l'Etat, des départements et des communes. Ne sont pas considérées comme subventions les sommes allouées pour réparations aux édifices affectés au culte public, qu'ils soient ou non classés monuments historiques. " ; qu'enfin, aux termes du premier alinéa de l'article 5 de la loi du 2 janvier 1907 concernant l'exercice public des cultes : " A défaut d'associations cultuelles, les édifices affectés à l'exercice du culte, ainsi que les meubles les garnissant, continueront, sauf désaffectation dans les cas prévus par la loi du 9 décembre 1905, à être laissés à la disposition des fidèles et des ministres du culte pour la pratique de leur religion. " ;

Considérant qu'il résulte des dispositions précitées de la loi du 9 décembre 1905 que les collectivités publiques peuvent seulement financer les dépenses d'entretien et de conservation des édifices servant à l'exercice public d'un culte dont elles sont demeurées ou devenues propriétaires lors de la séparation des Eglises et de l'Etat ou accorder des concours aux associations cultuelles pour des travaux de réparation d'édifices cultuels et qu'il leur est interdit d'apporter une aide à l'exercice d'un culte ; que, par ailleurs, les dispositions de l'article 5 de la loi du 2 janvier 1907 garantissent, même en l'absence d'associations cultuelles, un droit de jouissance exclusive, libre et gratuite des édifices cultuels qui appartiennent à des collectivités publiques, au profit des fidèles et des ministres du culte, ces derniers étant chargés de régler l'usage de ces édifices, de manière à assurer aux fidèles la pratique de leur religion ;

Considérant, toutefois, que ces dispositions ne font pas obstacle à ce qu'une commune qui a acquis, afin notamment de développer l'enseignement artistique et d'organiser des manifestations culturelles dans un but d'intérêt public communal, un orgue ou tout autre objet comparable, convienne avec l'affectataire d'un édifice cultuel dont elle est propriétaire ou, lorsque cet édifice n'est pas dans son patrimoine, avec son propriétaire, que cet orgue sera installé dans cet édifice et y sera utilisé par elle dans le cadre de sa politique culturelle et éducative et, le cas échéant, par le desservant, pour accompagner l'exercice du culte ; qu'à cette fin, il y a lieu que des engagements soient pris afin de garantir une utilisation de l'orgue par la commune conforme à ses besoins et une participation de l'affectataire ou du propriétaire de l'édifice, dont le montant soit proportionné à l'utilisation qu'il pourra faire de l'orgue afin d'exclure toute libéralité et, par suite, toute aide à un culte ; que ces engagements qui peuvent notamment prendre la forme d'une convention peuvent également comporter des dispositions sur leur actualisation ou leur révision, sur les modalités de règlement d'éventuels différends ainsi que sur les conditions dans lesquelles il peut être mis un terme à leur exécution et, le cas échéant, à l'installation de l'orgue à l'intérieur de l'édifice cultuel ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'en jugeant que les dispositions précitées de la loi du 2 janvier 1907 impliquent que tout équipement installé dans une église ne peut qu'être exclusivement affecté à l'exercice du culte et en en déduisant qu'une telle installation était nécessairement constitutive d'une aide au culte, sans rechercher si, compte tenu notamment de la nature de l'équipement en cause et des conditions convenues entre le desservant et la commune, les délibérations litigieuses avaient pu prévoir son installation dans l'église sans méconnaître les dispositions précitées des lois des 9 décembre 1905 et 2 janvier 1907, la cour a commis une erreur de droit ; que son arrêt doit, par suite, être annulé ;

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la COMMUNE DE TRELAZE, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement à M. B...d'une somme au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la COMMUNE DE TRELAZE au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes du 24 avril 2007 est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Nantes.
Article 3 : Le surplus des conclusions du pourvoi de la COMMUNE DE TRELAZE et les conclusions de M. B...tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la COMMUNE DE TRELAZE et à M. A... B....
Une copie en sera adressée pour information au ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration.


Voir aussi