Conseil d'État
N° 338198
ECLI:FR:CEORD:2010:338198.20100422
Inédit au recueil Lebon
Section du Contentieux
M. Martin, président
M. Philippe Martin, rapporteur
SCP BARADUC, DUHAMEL ; SCP LYON-CAEN, FABIANI, THIRIEZ ; SCP DELAPORTE, BRIARD, TRICHET ; SCP THOMAS-RAQUIN, BENABENT, avocats
Lecture du jeudi 22 avril 2010
Vu la requête, enregistrée le 31 mars 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la société METROPOLE TELEVISION, dont le siège est situé 89, avenue Charles de Gaulle à Neuilly-sur-Seine (92575) ; elle demande au juge des référés du Conseil d'Etat :
1°) d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de la décision du 26 janvier 2010 par laquelle l'Autorité de la concurrence a autorisé la société TF1 à acquérir l'intégralité du capital de Groupe AB et ainsi à contrôler 80% du capital social de la société Télé Monte-Carlo (TMC) et 100% de la société NT1, sociétés éditrices de services de télévision généralistes diffusés par voie hertzienne terrestre en mode numérique ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
elle soutient que la requête est recevable ; que l'urgence est caractérisée car l'opération de concentration exercera des effets anticoncurrentiels dès sa réalisation, en raison de la capacité du groupe TF1 à augmenter rapidement l'audience et les recettes publicitaires de TMC et NT1, et cette opération est de nature à bouleverser de manière irréversible le marché de la publicité télévisée et les marchés des droits de diffusion de programmes de télévision ; qu'il existe un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée dès lors qu'elle est entachée, en premier lieu, de contradiction et d'erreur de droit en ce qu'elle méconnaît les dispositions de l'article L. 430-7 § III et IV du code de commerce ; qu'en effet, l'Autorité de la concurrence a autorisé l'opération en cause alors même qu'elle reconnaît son incidence irrémédiable sur la concurrence pouvant conduire à l'exclusion des concurrents de TF1 à long terme ; qu'en second lieu, la décision contestée est entachée d'une erreur de droit et d'une erreur d'appréciation puisque les engagements imposés par l'Autorité de la concurrence ne sont pas de nature à minimiser l'atteinte à la concurrence ; qu'en effet, dans un premier temps, leur durée limitée de cinq ans est insuffisante au regard des effets de l'opération sur la concurrence ; que, dans un deuxième temps, sur le marché de la publicité télévisée, les mesures sont totalement inefficaces puisque l'indépendance de TF1 Publicité imposée pour la commercialisation des espaces publicitaires de TMC et NT1 n'est qu'apparente dès lors que le directeur général de la régie TMC-NT1 devra tout de même obtenir l'accord préalable de TF1 pour de nombreuses décisions ; que de nombreux services, notamment l'informatique et les études et analyses de marché, sont mis en commun, ce qui ne permet pas une réelle autonomie entre la régie TMC-NT1 et TF1 Publicité ; que les autres engagements ne sont pas accompagnés d'un dispositif de contrôle efficace ; que, dans un troisième temps et s'agissant du marché des droits et de la dynamisation de l'audience, les engagements imposés par l'Autorité de la concurrence sont tout autant inefficaces, notamment ceux concernant les diffusions des mêmes contenus attractifs pour certaines catégories de programmes, l'acquisition et les droits de diffusion des événements sportifs et les achats groupés ; qu'enfin, la décision contestée n'imposant que des engagements comportementaux apparaît contraire à la position habituelle de l'Autorité de la concurrence préférant les engagements structurels, position partagée par la Commission européenne ;
Vu la décision dont la suspension est demandée ;
Vu la copie de la requête en annulation ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 14 avril 2010, présenté pour l'Autorité de la concurrence, qui conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société METROPOLE TELEVISION la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; elle soutient que l'urgence n'est pas constituée dès lors qu'elle doit être regardée certes à l'aune des risques de distorsion de concurrence mais également au vu des engagements pris par TF1 ; qu'en effet, s'agissant des marchés des droits de diffusion, l'atteinte à la concurrence est compensée par les engagements visant à limiter les possibilités de rediffusion sur plus de deux chaînes, et permettant de faciliter la circulation des droits au bénéfice des chaînes concurrentes dès lors qu'ils limitent le gel des droits acquis de TF1 ; que, s'agissant du marché de la publicité, les engagements pris permettent de réduire l'avantage compétitif de TMC et de NT1 en maintenant l'indépendance des offres d'espaces publicitaires ; qu'en outre, les effets de la concentration n'ont pas de caractère immédiat puisqu'ils sont nécessairement progressifs et différés, dès lors qu'ils résulteront des renégociations des contrats en cours ; qu'il n'existe aucun doute sérieux sur la légalité de la décision puisqu'en premier lieu, l'Autorité de la concurrence n'a jamais considéré que l'opération en cause heurterait d'une manière irrémédiable la concurrence ; que le choix d'un examen approfondi par l'Autorité de la concurrence de la concentration ne lui impose pas d'interdire purement et simplement l'opération mais lui permet d'autoriser l'opération en imposant aux sociétés concernées des engagements proportionnés de manière à assurer une concurrence suffisante ; qu'en deuxième lieu, les engagements imposés à TF1 sont suffisants dès lors qu'ils doivent être regardés dans leur globalité ; qu'il n'est pas envisageable d'imposer des engagements permanents dès lors qu'il convient de s'adapter à la forte évolution du marché audiovisuel ; qu'il restera toujours possible à l'Autorité de la concurrence, en cas d'abus de position dominante et en vertu des pouvoirs qui lui sont conférés par les dispositions de l'article L. 430-9 du code de commerce, de prendre des mesures nécessaires pour faire cesser l'atteinte à la concurrence ; qu'en troisième lieu, l'absence d'engagements structurels s'explique par le nécessaire équilibre entre le maintien d'une concurrence effective et le nécessaire respect de la liberté du commerce et de l'industrie ; qu'en quatrième lieu, les engagements imposés à TF1 sont suffisants ; qu'en effet, ils sont proportionnés ; que l'indépendance des politiques commerciales des trois régies publicitaires est garantie tout en laissant la possibilité à TF1 de bénéficier des gains d'efficacité attendus de l'opération ; que le moyen tiré de ce que les engagements seront aisément méconnus n'est pas fondé dès lors que TF1 aurait la possibilité d'être sanctionnée ; que les engagements pris sont contraignants et ont pour effet de permettre une meilleur circulation des oeuvres ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 14 avril 2010, présenté pour la société Télévision Française 1 (TF1), la société Télé Monte-Carlo (TMC) et la société NT1, qui concluent au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société METROPOLE TELEVISION la somme de 10 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; elles soutiennent que l'urgence n'est pas constituée puisque, d'une part, le requérant procède uniquement par voie d'allégations alors qu'il n'est pas établi par des éléments probants et applicables à l'espèce que les effets de la concentration seraient immédiats, notamment en matière d'audience ; qu'il est établi que TF1 ne se trouve pas en position dominante sur le prétendu marché global des droits ; que le moyen tiré de ce que l'intérêt public serait atteint n'est pas fondé dès lors que l'Autorité de la concurrence s'est fondée sur des analyses et des tests de marché permettant de démontrer que les effets sur la concurrence ne présentaient pas un caractère d'une gravité telle que l'opération devait être interdite ; qu'enfin, la requérante, pour fonder l'urgence à suspendre, omet de prendre en compte les engagements imposés à TF1 ; que, d'autre part, les effets identifiés par la décision sont insusceptibles de se produire de manière immédiate ; que les éventuelles atteintes à la concurrence que pourrait produire la concentration ne peuvent avoir des effets qu'à moyen ou long terme notamment s'agissant de l'accroissement de l'audience et de l'accroissement des recettes publicitaires ; que dès lors, le renforcement de la position dominante de TF1 sur le marché de la publicité ne peut constituer à lui seul l'urgence à suspendre ; qu'il n'existe aucun doute sérieux sur la légalité de la décision ; qu'il n'existe aucune contradiction dans la décision contestée dès lors que l'examen approfondi effectué par l'Autorité de la concurrence a conduit à l'autorisation de l'opération sous réserve du respect d'une série d'engagements ayant pour but de compenser les effets anticoncurrentiels inhérents à une telle opération ; que la durée des engagements de cinq ans est bien fondée puisqu'ils pourront faire l'objet d'un réexamen à l'issue de cette période et qu'en tout état de cause, elle parait proportionnée notamment au regard de l'atteinte à la liberté du commerce et de l'industrie ; qu'il convient de regarder les engagements dans leur globalité ; qu'ils permettent de maintenir une réelle indépendance entre les régies publicitaires de TF1 et les deux autres chaînes ; que la mise en commun de moyens matériels ne permet pas de compromettre l'autonomie de la régie de TMC et de NT1 ; que TF1 n'est pas en position dominante sur les marchés des droits et que les engagements souscrits ont pour effet de limiter le potentiel d'audience et publicitaire des chaînes ; qu'il est indifférent que les engagements soient structurels ou comportementaux ;
Vu l'intervention, enregistrée le 15 avril 2010, présentée pour la Société des auteurs et compositeurs dramatiques, l'Union syndicale de la production audiovisuelle et le Syndicat de producteurs de films d'animation ; la Société des auteurs et compositeurs dramatiques, l'Union syndicale de la production audiovisuelle et le Syndicat de producteurs de films d'animation demandent que le Conseil d'Etat rejette la requête de la société METROPOLE TELEVISION ; ils soutiennent que les engagements souscrits par TF1 devant l'Autorité de la concurrence et le CSA tendent à favoriser la circulation des oeuvres et à faciliter l'accès des chaînes concurrentes aux oeuvres produites par TF1 ; qu'en outre et s'agissant du marché de la création, aucune difficulté n'est à observer pour que les concurrents aient accès à la création ;
Vu le mémoire en réplique, enregistré le 16 avril 2010, présenté pour la société METROPOLE TELEVISION, qui reprend les conclusions de sa requête et les mêmes moyens ;
Vu le nouveau mémoire en défense, enregistré le 19 avril 2010, présenté pour la société Télévision Française 1 (TF1), la société Télé Monte-Carlo (TMC) et la société NT1, qui reprennent les conclusions de leur précédent mémoire et les mêmes moyens ;
Vu les pièces dont il résulte que la requête a été communiquée à Groupe AB, qui n'a pas produit de mémoire ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de commerce ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique la société METROPOLE TELEVISION, l'Autorité de la concurrence, la société Télévision Française 1, la société Télé Monte-Carlo, la société NT1 et Groupe AB, ainsi que la Société des auteurs et compositeurs dramatiques, l'Union syndicale de la production audiovisuelle et le Syndicat de producteurs de films d'animation ;
Vu le procès-verbal de l'audience du 19 avril 2010 à 10 heures au cours de laquelle ont été entendus :
- Me Thiriez, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la société METROPOLE TELEVISION ;
- les représentants de la société METROPOLE TELEVISION ;
- Me Baraduc, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de l'Autorité de la concurrence ;
- les représentants de l'Autorité de la concurrence ;
- Me Briard, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat des sociétés Télévision Française 1 (TF1), Télé Monte-Carlo (TMC) et NT1 ;
- les représentants de la société Télévision Française 1 ;
- les représentants de la société Télé Monte-Carlo ;
- les représentants de la société NT1 ;
- les représentants du Conseil supérieur de l'audiovisuel ;
- Me Thomas-Raquin, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques, de l'Union syndicale de la production audiovisuelle et du Syndicat de producteurs de films d'animation ;
Sur l'intervention de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques, de l'Union syndicale de la production audiovisuelle et du Syndicat de producteurs de films d'animation :
Considérant que la Société des auteurs et compositeurs dramatiques, l'Union syndicale de la production audiovisuelle et le Syndicat de producteurs de films d'animation ont intérêt au maintien de la décision attaquée ; qu'ainsi leur intervention est recevable ;
Sur les conclusions à fin de suspension :
Considérant que, le 24 juillet 2009, la société TF1 a notifié à l'Autorité de la concurrence, en application de l'article L. 430-3 du code de commerce, le projet d'acquisition de la totalité du capital de Groupe AB, dont l'actif sera réduit, pour les besoins de l'opération, à une participation de 100% au capital de la société NT1 et une participation de 50% au capital de la société Monte-Carlo Participations, dont TF1 détient déjà 50% ; qu'à l'issue de cette opération, TF1 devrait détenir 100% du capital de NT1, chaîne de la télévision numérique terrestre, et 100% du capital de Monte-Carlo Participations, laquelle détient 80% du capital de Télé Monte-Carlo (TMC), chaîne de la télévision numérique terrestre ; que, par décision du 26 janvier 2010, l'Autorité de la concurrence a autorisé cette opération sous réserve des engagements pris par TF1, destinés à faciliter la circulation des droits de diffusion de programmes de télévision au bénéfice des chaînes concurrentes, à limiter le renforcement de la puissance d'achat du groupe TF1 sur les marchés de droits et la dynamisation de l'audience de TMC et NT1 liée à l'opération et à maintenir l'indépendance des offres de TF1, d'une part, et de TMC et NT1, d'autre part, sur le marché de la publicité télévisuelle ; que la société METROPOLE TELEVISION (M6) demande la suspension de cette décision ;
Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l' instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ;
Considérant que l'urgence justifie la suspension de l'exécution d'un acte administratif lorsque celle-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre ; qu'il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte contesté sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue ; que l'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire ;
Considérant que, pour justifier de l'urgence à prononcer la suspension demandée, la société METROPOLE TELEVISION fait valoir, d'une part, que l'opération de concentration exercera des effets anticoncurrentiels dès sa réalisation, en raison de la capacité du groupe TF1 à augmenter rapidement l'audience et les recettes publicitaires de TMC et NT1 , et, d'autre part que cette opération est de nature à bouleverser de manière irréversible le marché de la publicité télévisée et les marchés des droits de diffusion de programmes de télévision ;
Considérant toutefois qu'eu égard aux parts relativement peu élevées des chaînes TMC et NT1 dans l'audience des chaînes de télévision et les recettes publicitaires, au caractère progressif de l'incidence de la concentration sur le développement des audiences de TMC et NT1 et à l'effet différé des éventuelles augmentations d'audience sur les parts du marché publicitaire et du marché des droits, il ne résulte pas de l'instruction que la décision contestée, qui tient d'ailleurs compte des engagements pris par TF1 pour atténuer ces effets sur les marchés de la publicité et des droits, porte, à la situation de concurrence effective sur ces marchés, une atteinte immédiate et difficilement réversible, de nature à justifier la suspension de la décision contestée dans l'intervalle séparant la présente ordonnance et le jugement de l'affaire au fond ; qu'ainsi, la condition d'urgence n'étant pas remplie, les conclusions à fin de suspension présentées par la société METROPOLE TELEVISION doivent être rejetées ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement d'une somme au titre des frais exposés par la société METROPOLE TELEVISION et non compris dans les dépens ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit au conclusions présentées par l'Autorité de la concurrence et la société TF1 au titre des mêmes dispositions ;
O R D O N N E :
------------------
Article 1er : L'intervention de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques, de l'Union syndicale de la production audiovisuelle et du Syndicat de producteurs de films est admise.
Article 2 : La requête de la société METROPOLE TELEVISION est rejetée.
Article 3 : Les conclusions présentées par l'Autorité de la concurrence et la société TF1 au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la société METROPOLE TELEVISION, à l'Autorité de la concurrence, à la société Télévision Française 1, à la société Télé Monte-Carlo, à la société NT1, à Groupe AB, à la Société des auteurs et compositeurs dramatiques, à l'Union syndicale de la production audiovisuelle et au Syndicat de producteurs de films d'animation.
N° 338198
ECLI:FR:CEORD:2010:338198.20100422
Inédit au recueil Lebon
Section du Contentieux
M. Martin, président
M. Philippe Martin, rapporteur
SCP BARADUC, DUHAMEL ; SCP LYON-CAEN, FABIANI, THIRIEZ ; SCP DELAPORTE, BRIARD, TRICHET ; SCP THOMAS-RAQUIN, BENABENT, avocats
Lecture du jeudi 22 avril 2010
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête, enregistrée le 31 mars 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la société METROPOLE TELEVISION, dont le siège est situé 89, avenue Charles de Gaulle à Neuilly-sur-Seine (92575) ; elle demande au juge des référés du Conseil d'Etat :
1°) d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de la décision du 26 janvier 2010 par laquelle l'Autorité de la concurrence a autorisé la société TF1 à acquérir l'intégralité du capital de Groupe AB et ainsi à contrôler 80% du capital social de la société Télé Monte-Carlo (TMC) et 100% de la société NT1, sociétés éditrices de services de télévision généralistes diffusés par voie hertzienne terrestre en mode numérique ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
elle soutient que la requête est recevable ; que l'urgence est caractérisée car l'opération de concentration exercera des effets anticoncurrentiels dès sa réalisation, en raison de la capacité du groupe TF1 à augmenter rapidement l'audience et les recettes publicitaires de TMC et NT1, et cette opération est de nature à bouleverser de manière irréversible le marché de la publicité télévisée et les marchés des droits de diffusion de programmes de télévision ; qu'il existe un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée dès lors qu'elle est entachée, en premier lieu, de contradiction et d'erreur de droit en ce qu'elle méconnaît les dispositions de l'article L. 430-7 § III et IV du code de commerce ; qu'en effet, l'Autorité de la concurrence a autorisé l'opération en cause alors même qu'elle reconnaît son incidence irrémédiable sur la concurrence pouvant conduire à l'exclusion des concurrents de TF1 à long terme ; qu'en second lieu, la décision contestée est entachée d'une erreur de droit et d'une erreur d'appréciation puisque les engagements imposés par l'Autorité de la concurrence ne sont pas de nature à minimiser l'atteinte à la concurrence ; qu'en effet, dans un premier temps, leur durée limitée de cinq ans est insuffisante au regard des effets de l'opération sur la concurrence ; que, dans un deuxième temps, sur le marché de la publicité télévisée, les mesures sont totalement inefficaces puisque l'indépendance de TF1 Publicité imposée pour la commercialisation des espaces publicitaires de TMC et NT1 n'est qu'apparente dès lors que le directeur général de la régie TMC-NT1 devra tout de même obtenir l'accord préalable de TF1 pour de nombreuses décisions ; que de nombreux services, notamment l'informatique et les études et analyses de marché, sont mis en commun, ce qui ne permet pas une réelle autonomie entre la régie TMC-NT1 et TF1 Publicité ; que les autres engagements ne sont pas accompagnés d'un dispositif de contrôle efficace ; que, dans un troisième temps et s'agissant du marché des droits et de la dynamisation de l'audience, les engagements imposés par l'Autorité de la concurrence sont tout autant inefficaces, notamment ceux concernant les diffusions des mêmes contenus attractifs pour certaines catégories de programmes, l'acquisition et les droits de diffusion des événements sportifs et les achats groupés ; qu'enfin, la décision contestée n'imposant que des engagements comportementaux apparaît contraire à la position habituelle de l'Autorité de la concurrence préférant les engagements structurels, position partagée par la Commission européenne ;
Vu la décision dont la suspension est demandée ;
Vu la copie de la requête en annulation ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 14 avril 2010, présenté pour l'Autorité de la concurrence, qui conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société METROPOLE TELEVISION la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; elle soutient que l'urgence n'est pas constituée dès lors qu'elle doit être regardée certes à l'aune des risques de distorsion de concurrence mais également au vu des engagements pris par TF1 ; qu'en effet, s'agissant des marchés des droits de diffusion, l'atteinte à la concurrence est compensée par les engagements visant à limiter les possibilités de rediffusion sur plus de deux chaînes, et permettant de faciliter la circulation des droits au bénéfice des chaînes concurrentes dès lors qu'ils limitent le gel des droits acquis de TF1 ; que, s'agissant du marché de la publicité, les engagements pris permettent de réduire l'avantage compétitif de TMC et de NT1 en maintenant l'indépendance des offres d'espaces publicitaires ; qu'en outre, les effets de la concentration n'ont pas de caractère immédiat puisqu'ils sont nécessairement progressifs et différés, dès lors qu'ils résulteront des renégociations des contrats en cours ; qu'il n'existe aucun doute sérieux sur la légalité de la décision puisqu'en premier lieu, l'Autorité de la concurrence n'a jamais considéré que l'opération en cause heurterait d'une manière irrémédiable la concurrence ; que le choix d'un examen approfondi par l'Autorité de la concurrence de la concentration ne lui impose pas d'interdire purement et simplement l'opération mais lui permet d'autoriser l'opération en imposant aux sociétés concernées des engagements proportionnés de manière à assurer une concurrence suffisante ; qu'en deuxième lieu, les engagements imposés à TF1 sont suffisants dès lors qu'ils doivent être regardés dans leur globalité ; qu'il n'est pas envisageable d'imposer des engagements permanents dès lors qu'il convient de s'adapter à la forte évolution du marché audiovisuel ; qu'il restera toujours possible à l'Autorité de la concurrence, en cas d'abus de position dominante et en vertu des pouvoirs qui lui sont conférés par les dispositions de l'article L. 430-9 du code de commerce, de prendre des mesures nécessaires pour faire cesser l'atteinte à la concurrence ; qu'en troisième lieu, l'absence d'engagements structurels s'explique par le nécessaire équilibre entre le maintien d'une concurrence effective et le nécessaire respect de la liberté du commerce et de l'industrie ; qu'en quatrième lieu, les engagements imposés à TF1 sont suffisants ; qu'en effet, ils sont proportionnés ; que l'indépendance des politiques commerciales des trois régies publicitaires est garantie tout en laissant la possibilité à TF1 de bénéficier des gains d'efficacité attendus de l'opération ; que le moyen tiré de ce que les engagements seront aisément méconnus n'est pas fondé dès lors que TF1 aurait la possibilité d'être sanctionnée ; que les engagements pris sont contraignants et ont pour effet de permettre une meilleur circulation des oeuvres ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 14 avril 2010, présenté pour la société Télévision Française 1 (TF1), la société Télé Monte-Carlo (TMC) et la société NT1, qui concluent au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société METROPOLE TELEVISION la somme de 10 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; elles soutiennent que l'urgence n'est pas constituée puisque, d'une part, le requérant procède uniquement par voie d'allégations alors qu'il n'est pas établi par des éléments probants et applicables à l'espèce que les effets de la concentration seraient immédiats, notamment en matière d'audience ; qu'il est établi que TF1 ne se trouve pas en position dominante sur le prétendu marché global des droits ; que le moyen tiré de ce que l'intérêt public serait atteint n'est pas fondé dès lors que l'Autorité de la concurrence s'est fondée sur des analyses et des tests de marché permettant de démontrer que les effets sur la concurrence ne présentaient pas un caractère d'une gravité telle que l'opération devait être interdite ; qu'enfin, la requérante, pour fonder l'urgence à suspendre, omet de prendre en compte les engagements imposés à TF1 ; que, d'autre part, les effets identifiés par la décision sont insusceptibles de se produire de manière immédiate ; que les éventuelles atteintes à la concurrence que pourrait produire la concentration ne peuvent avoir des effets qu'à moyen ou long terme notamment s'agissant de l'accroissement de l'audience et de l'accroissement des recettes publicitaires ; que dès lors, le renforcement de la position dominante de TF1 sur le marché de la publicité ne peut constituer à lui seul l'urgence à suspendre ; qu'il n'existe aucun doute sérieux sur la légalité de la décision ; qu'il n'existe aucune contradiction dans la décision contestée dès lors que l'examen approfondi effectué par l'Autorité de la concurrence a conduit à l'autorisation de l'opération sous réserve du respect d'une série d'engagements ayant pour but de compenser les effets anticoncurrentiels inhérents à une telle opération ; que la durée des engagements de cinq ans est bien fondée puisqu'ils pourront faire l'objet d'un réexamen à l'issue de cette période et qu'en tout état de cause, elle parait proportionnée notamment au regard de l'atteinte à la liberté du commerce et de l'industrie ; qu'il convient de regarder les engagements dans leur globalité ; qu'ils permettent de maintenir une réelle indépendance entre les régies publicitaires de TF1 et les deux autres chaînes ; que la mise en commun de moyens matériels ne permet pas de compromettre l'autonomie de la régie de TMC et de NT1 ; que TF1 n'est pas en position dominante sur les marchés des droits et que les engagements souscrits ont pour effet de limiter le potentiel d'audience et publicitaire des chaînes ; qu'il est indifférent que les engagements soient structurels ou comportementaux ;
Vu l'intervention, enregistrée le 15 avril 2010, présentée pour la Société des auteurs et compositeurs dramatiques, l'Union syndicale de la production audiovisuelle et le Syndicat de producteurs de films d'animation ; la Société des auteurs et compositeurs dramatiques, l'Union syndicale de la production audiovisuelle et le Syndicat de producteurs de films d'animation demandent que le Conseil d'Etat rejette la requête de la société METROPOLE TELEVISION ; ils soutiennent que les engagements souscrits par TF1 devant l'Autorité de la concurrence et le CSA tendent à favoriser la circulation des oeuvres et à faciliter l'accès des chaînes concurrentes aux oeuvres produites par TF1 ; qu'en outre et s'agissant du marché de la création, aucune difficulté n'est à observer pour que les concurrents aient accès à la création ;
Vu le mémoire en réplique, enregistré le 16 avril 2010, présenté pour la société METROPOLE TELEVISION, qui reprend les conclusions de sa requête et les mêmes moyens ;
Vu le nouveau mémoire en défense, enregistré le 19 avril 2010, présenté pour la société Télévision Française 1 (TF1), la société Télé Monte-Carlo (TMC) et la société NT1, qui reprennent les conclusions de leur précédent mémoire et les mêmes moyens ;
Vu les pièces dont il résulte que la requête a été communiquée à Groupe AB, qui n'a pas produit de mémoire ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de commerce ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique la société METROPOLE TELEVISION, l'Autorité de la concurrence, la société Télévision Française 1, la société Télé Monte-Carlo, la société NT1 et Groupe AB, ainsi que la Société des auteurs et compositeurs dramatiques, l'Union syndicale de la production audiovisuelle et le Syndicat de producteurs de films d'animation ;
Vu le procès-verbal de l'audience du 19 avril 2010 à 10 heures au cours de laquelle ont été entendus :
- Me Thiriez, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la société METROPOLE TELEVISION ;
- les représentants de la société METROPOLE TELEVISION ;
- Me Baraduc, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de l'Autorité de la concurrence ;
- les représentants de l'Autorité de la concurrence ;
- Me Briard, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat des sociétés Télévision Française 1 (TF1), Télé Monte-Carlo (TMC) et NT1 ;
- les représentants de la société Télévision Française 1 ;
- les représentants de la société Télé Monte-Carlo ;
- les représentants de la société NT1 ;
- les représentants du Conseil supérieur de l'audiovisuel ;
- Me Thomas-Raquin, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques, de l'Union syndicale de la production audiovisuelle et du Syndicat de producteurs de films d'animation ;
Sur l'intervention de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques, de l'Union syndicale de la production audiovisuelle et du Syndicat de producteurs de films d'animation :
Considérant que la Société des auteurs et compositeurs dramatiques, l'Union syndicale de la production audiovisuelle et le Syndicat de producteurs de films d'animation ont intérêt au maintien de la décision attaquée ; qu'ainsi leur intervention est recevable ;
Sur les conclusions à fin de suspension :
Considérant que, le 24 juillet 2009, la société TF1 a notifié à l'Autorité de la concurrence, en application de l'article L. 430-3 du code de commerce, le projet d'acquisition de la totalité du capital de Groupe AB, dont l'actif sera réduit, pour les besoins de l'opération, à une participation de 100% au capital de la société NT1 et une participation de 50% au capital de la société Monte-Carlo Participations, dont TF1 détient déjà 50% ; qu'à l'issue de cette opération, TF1 devrait détenir 100% du capital de NT1, chaîne de la télévision numérique terrestre, et 100% du capital de Monte-Carlo Participations, laquelle détient 80% du capital de Télé Monte-Carlo (TMC), chaîne de la télévision numérique terrestre ; que, par décision du 26 janvier 2010, l'Autorité de la concurrence a autorisé cette opération sous réserve des engagements pris par TF1, destinés à faciliter la circulation des droits de diffusion de programmes de télévision au bénéfice des chaînes concurrentes, à limiter le renforcement de la puissance d'achat du groupe TF1 sur les marchés de droits et la dynamisation de l'audience de TMC et NT1 liée à l'opération et à maintenir l'indépendance des offres de TF1, d'une part, et de TMC et NT1, d'autre part, sur le marché de la publicité télévisuelle ; que la société METROPOLE TELEVISION (M6) demande la suspension de cette décision ;
Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l' instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ;
Considérant que l'urgence justifie la suspension de l'exécution d'un acte administratif lorsque celle-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre ; qu'il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte contesté sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue ; que l'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire ;
Considérant que, pour justifier de l'urgence à prononcer la suspension demandée, la société METROPOLE TELEVISION fait valoir, d'une part, que l'opération de concentration exercera des effets anticoncurrentiels dès sa réalisation, en raison de la capacité du groupe TF1 à augmenter rapidement l'audience et les recettes publicitaires de TMC et NT1 , et, d'autre part que cette opération est de nature à bouleverser de manière irréversible le marché de la publicité télévisée et les marchés des droits de diffusion de programmes de télévision ;
Considérant toutefois qu'eu égard aux parts relativement peu élevées des chaînes TMC et NT1 dans l'audience des chaînes de télévision et les recettes publicitaires, au caractère progressif de l'incidence de la concentration sur le développement des audiences de TMC et NT1 et à l'effet différé des éventuelles augmentations d'audience sur les parts du marché publicitaire et du marché des droits, il ne résulte pas de l'instruction que la décision contestée, qui tient d'ailleurs compte des engagements pris par TF1 pour atténuer ces effets sur les marchés de la publicité et des droits, porte, à la situation de concurrence effective sur ces marchés, une atteinte immédiate et difficilement réversible, de nature à justifier la suspension de la décision contestée dans l'intervalle séparant la présente ordonnance et le jugement de l'affaire au fond ; qu'ainsi, la condition d'urgence n'étant pas remplie, les conclusions à fin de suspension présentées par la société METROPOLE TELEVISION doivent être rejetées ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement d'une somme au titre des frais exposés par la société METROPOLE TELEVISION et non compris dans les dépens ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit au conclusions présentées par l'Autorité de la concurrence et la société TF1 au titre des mêmes dispositions ;
O R D O N N E :
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Article 1er : L'intervention de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques, de l'Union syndicale de la production audiovisuelle et du Syndicat de producteurs de films est admise.
Article 2 : La requête de la société METROPOLE TELEVISION est rejetée.
Article 3 : Les conclusions présentées par l'Autorité de la concurrence et la société TF1 au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la société METROPOLE TELEVISION, à l'Autorité de la concurrence, à la société Télévision Française 1, à la société Télé Monte-Carlo, à la société NT1, à Groupe AB, à la Société des auteurs et compositeurs dramatiques, à l'Union syndicale de la production audiovisuelle et au Syndicat de producteurs de films d'animation.