Conseil d'État
N° 247976
ECLI:FR:CEASS:2005:247976.20050708
Publié au recueil Lebon
Assemblée
M. Bertrand Dacosta, rapporteur
M. Guyomar, commissaire du gouvernement
SCP CELICE, BLANCPAIN, SOLTNER ; SCP COUTARD, MAYER, avocats
Lecture du vendredi 8 juillet 2005
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 19 juin 2002 et 18 octobre 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE ALUSUISSE-LONZA-FRANCE, dont le siège est 63, rue de l'Est à Boulogne (92100) ; la SOCIETE ALUSUISSE-LONZA-FRANCE demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt en date du 5 mars 2002 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement du 5 février 1998 du tribunal administratif de Marseille en tant qu'il n'a fait que partiellement droit à ses conclusions tendant à l'annulation des arrêtés du préfet des Bouches-du-Rhône des 5 janvier 1994, 10 novembre 1995 et 14 novembre 1996 lui ayant imposé des prescriptions relatives au crassier des Aygalades à Marseille et, subsidiairement, à la modification desdites prescriptions ;
2°) statuant au fond, d'annuler les articles 2 et 3 du jugement du 5 février 1998 du tribunal administratif de Marseille et les arrêtés attaqués, ou, à titre subsidiaire, d'imposer exclusivement à la commune de Marseille les prescriptions contenues dans ces arrêtés ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code civil ;
Vu le code de l'environnement ;
Vu la loi n° 76-663 du 19 juillet 1976 modifiée ;
Vu le décret n° 77-1133 du 21 septembre 1977 modifié ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Bertrand Dacosta, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de la SOCIETE ALUSUISSE-LONZA-FRANCE et de la SCP Coutard, Mayer, avocat de la commune de Marseille,
- les conclusions de M. Mattias Guyomar, Commissaire du gouvernement ;
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête :
Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 19 juillet 1976 relative aux installations classées pour la protection de l'environnement, dont les dispositions ont été reprises à l'article L. 511-1 du code de l'environnement : "Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et d'une manière générale les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature et de l'environnement (...) " ; qu'aux termes de l'article 23 de la même loi, dont les dispositions ont été reprises à l'article L. 514-1 du code de l'environnement : " I. - Indépendamment des poursuites pénales qui peuvent être exercées, et lorsqu'un inspecteur des installations classées ou un expert désigné par le ministre chargé des installations classées a constaté l'inobservation des conditions imposées à l'exploitant d'une installation classée, le préfet met en demeure ce dernier de satisfaire à ces conditions dans un délai déterminé. Si, à l'expiration du délai fixé pour l'exécution, l'exploitant n'a pas obtempéré à cette injonction, le préfet peut : 1º Obliger l'exploitant à consigner entre les mains d'un comptable public une somme répondant du montant des travaux à réaliser, laquelle sera restituée à l'exploitant au fur et à mesure de l'exécution des mesures prescrites ; il est procédé au recouvrement de cette somme comme en matière de créances étrangères à l'impôt et au domaine. Pour le recouvrement de cette somme, l'Etat bénéficie d'un privilège de même rang que celui prévu à l'article 1920 du code général des impôts ; 2º Faire procéder d'office, aux frais de l'exploitant, à l'exécution des mesures prescrites ; 3º Suspendre par arrêté, après avis de la commission départementale consultative compétente, le fonctionnement de l'installation, jusqu'à exécution des conditions imposées et prendre les dispositions provisoires nécessaires " ; enfin, qu'il résulte des dispositions figurant à l'origine à l'article 34 du décret du 21 septembre 1977, puis reprises au I de l'article 34-1 depuis l'intervention du décret du 9 juin 1994, qu'en cas de cessation définitive de l'activité, l'exploitant doit remettre le site dans un état tel qu'il ne s'y manifeste aucun des dangers ou inconvénients mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement et que le préfet peut lui imposer des prescriptions à cette fin ;
Considérant qu'il résulte de l'ensemble des dispositions de la loi du 19 juillet 1976, reprises aux articles L. 511-1 et suivants du code de l'environnement, que l'obligation de remise en état du site est applicable aux installations de la nature de celles soumises à autorisation en application du titre 1er du livre V du code de l'environnement alors même qu'elles auraient cessé d'être exploitées avant l'entrée en vigueur de la loi du 19 juillet 1976, dès lors que ces installations demeurent susceptibles de présenter les dangers ou inconvénients énumérés à l'article L. 511-1 de ce code ; que, dans cette hypothèse, l'obligation de remise en état du site imposée par l'article 34-I du décret du 21 septembre 1977 pèse sur l'ancien exploitant ou, si celui-ci a disparu, sur son ayant droit ; que lorsque l'exploitant ou son ayant droit a cédé le site à un tiers, cette cession ne l'exonère de ses obligations que si le cessionnaire s'est substitué à lui en qualité d'exploitant ;
Considérant qu'incombe ainsi à l'exploitant d'une installation classée, à son ayant droit ou à celui qui s'est substitué à lui, la mise en oeuvre des mesures permettant de remettre en état le site qui a été le siège de l'exploitation dans l'intérêt, notamment, de la santé ou de la sécurité publique et de la protection de l'environnement ; que l'administration peut contraindre les personnes en cause à prendre ces mesures et, en cas de défaillance de celles-ci, y faire procéder d'office et à leurs frais ;
Considérant que les pouvoirs de police spéciale conférés par la loi à l'autorité administrative peuvent, par leur objet et leur nature mêmes, être exercés par celle-ci à toute époque et vis à vis de tout détenteur d'un bien qui a été le siège de l'exploitation d'une installation classée, dès lors que s'y manifestent des dangers ou inconvénients de la nature de ceux auxquels la législation des installations classées a pour objet de parer ;
Considérant, toutefois, que les principes dont s'inspire l'article 2262 du code civil font obstacle à ce que le préfet impose à l'exploitant, à son ayant-droit ou à la personne qui s'est substituée à lui la charge financière des mesures à prendre au titre de la remise en état d'un site lorsque plus de trente ans se sont écoulés depuis la date à laquelle la cessation d'activité a été portée à la connaissance de l'administration, sauf dans le cas où les dangers ou inconvénients présentés par le site auraient été dissimulés ;
Considérant, en outre, que cette même charge financière ne peut être légalement imposée au détenteur d'un bien qui n'a pas la qualité d'exploitant, d'ayant-droit de l'exploitant ou qui ne s'est pas substitué à lui en qualité d'exploitant ; que lorsque l'autorité administrative entend exercer les pouvoirs qu'elle tient de l'article L. 514-1 du code de l'environnement et de l'article 34-1 du décret du 21 septembre 1977 vis à vis du détenteur actuel du bien, elle doit suivre la procédure prévue à l'article 18 du décret et prendre une décision motivée ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'en jugeant que l'obligation pour l'ancien exploitant de prendre en charge la remise en état du site est insusceptible d'être prescrite, la cour administrative d'appel a entaché son arrêt d'une erreur de droit ; qu'ainsi la SOCIETE ALCAN HOLDINGS FRANCE, qui vient aux droits de la SOCIETE ALUSUISSE- LONZA-FRANCE, est fondée à en demander pour ce motif l'annulation ;
Considérant qu'il y a lieu pour le Conseil d'Etat de régler l'affaire au fond par application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que la SOCIETE ALUSUISSE- LONZA-FRANCE a exploité à Marseille, jusqu'en 1968, une usine dans laquelle elle procédait au traitement de la bauxite et que les résidus issus de cette activité industrielle ont été déposés par ses soins, jusqu'en 1953, sur un terrain situé à proximité, chemin des Aygalades, constituant ainsi un crassier ; qu'elle a cédé ce terrain pour partie à la société UNIPOL en 1980 et pour la partie restante à la commune de Marseille en 1982 ; que le préfet des Bouches-du-Rhône, par des arrêtés en date des 5 janvier 1994, 10 novembre 1995 et 14 novembre 1996, lui a imposé, dans le cadre des pouvoirs qu'il tient de la législation relative aux installations classées, de réaliser des études et d'exécuter des travaux destinés à prévenir le risque d'éboulement du crassier situé sur la partie du terrain cédée à la commune ;
Sur les conclusions tendant à l'annulation des arrêtés préfectoraux des 5 janvier 1994, 10 novembre 1995 et 14 novembre 1996 :
En ce qui concerne l'arrêté du 14 novembre 1996 :
Considérant qu'il résulte des dispositions combinées des articles 10 et 18 du décret du 21 septembre 1977 que, lorsque le préfet envisage de prendre un arrêté imposant des prescriptions complémentaires à l'exploitant ou à l'ancien exploitant d'une installation classée, celui-ci a la faculté de se faire entendre par le conseil départemental d'hygiène ou de désigner à cet effet un mandataire ; qu'il doit, à cette fin, être informé par le préfet au moins huit jours à l'avance de la date et du lieu de la réunion du conseil et recevoir simultanément un exemplaire des propositions de l'inspection des installations classées ; que ces dispositions ont pour objet non seulement d'informer l'intéressé de la date de la réunion du conseil, mais aussi de lui laisser un délai suffisant pour préparer utilement ses observations ; que, par suite, hors le cas où l'administration peut justifier de l'urgence s'attachant à la réunion du conseil, leur méconnaissance est de nature à entacher d'irrégularité la procédure suivie ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que la lettre en date du 1er octobre 1996 par laquelle le préfet des Bouches-du-Rhône a informé la SOCIETE ALUSUISSE-LONZA-FRANCE de ce que le conseil départemental d'hygiène se réunirait le 10 octobre suivant ne lui est parvenue que le 4 octobre ; que l'administration n'établit pas, ni même n'allègue, que la méconnaissance du délai de huit jours prescrit par l'article 10 du décret du 21 septembre 1977 aurait été justifiée par l'urgence à réunir le conseil départemental d'hygiène ; que, par suite, la SOCIETE ALCAN HOLDINGS FRANCE est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Marseille a rejeté les conclusions dirigées contre l'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône du 14 novembre 1996 et à demander, outre l'annulation, dans cette mesure, du jugement attaqué, celle dudit arrêté ;
En ce qui concerne les arrêtés des 5 janvier 1994 et 10 novembre 1995 :
Considérant, en premier lieu, qu'ainsi qu'il a été dit, l'obligation de remise en état du site est applicable aux installations de la nature de celles soumises à autorisation en application du titre 1er du livre V du code de l'environnement alors même qu'elles auraient cessé d'être exploitées avant l'entrée en vigueur de la loi du 19 juillet 1976, dès lors que ces installations demeurent susceptibles de présenter les dangers ou inconvénients énumérés à l'article L. 511-1 ; qu'il résulte de l'instruction, d'une part, que l'usine exploitée par la SOCIETE ALUSUISSE-LONZA-FRANCE aurait été soumise à autorisation en application du titre 1er du livre V du code de l'environnement et l'était d'ailleurs sous l'empire de la législation antérieure et, d'autre part, que les résidus entreposés chemin des Aygalades présentaient un risque pour l'environnement ;
Considérant, en deuxième lieu, qu'à la date à laquelle le préfet a pris le premier des arrêtés contestés, la cessation définitive de l'exploitation de l'usine était intervenue depuis moins de trente ans ; que, par suite, la SOCIETE ALCAN HOLDINGS FRANCE n'est pas fondée à se plaindre de ce que le tribunal administratif de Marseille a rejeté le moyen invoqué par elle et tiré de la méconnaissance de la prescription trentenaire ;
Considérant, en troisième lieu, que l'obligation de remettre le terrain sur lequel la SOCIETE ALUSUISSE-LONZA-FRANCE avait déposé les résidus issus de son activité industrielle dans un état tel qu'il ne s'y manifeste aucun des dangers ou inconvénients mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement reposait sur cette société, la commune de Marseille ne s'étant pas substituée à elle en qualité d'exploitant ; qu'est sans incidence à cet égard la circonstance que la société a pris, avant la cessation de l'exploitation, des précautions pour assurer la stabilité du crassier et que les risques de nuisance, et notamment de pollution du ruisseau des Aygalades, ont été aggravés par des travaux de terrassement et des dépôts faits par la commune de Marseille, dès lors que ces risques sont imputables à la présence même des résidus en cause ; que la société ne peut utilement invoquer le moyen tiré de ce que la commune de Marseille aurait méconnu l'obligation d'entretien des berges du ruisseau des Aygalades qui pèserait sur elle en application du code rural ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la SOCIETE ALCAN HOLDINGS FRANCE n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation des arrêtés des 5 janvier 1994 et 10 novembre 1995 ;
Sur les conclusions tendant à ce que les prescriptions contenues dans les arrêtés attaqués soient imposées à la commune de Marseille :
Considérant qu'ainsi qu'il a été dit l'obligation de remise en état du terrain pesait sur la SOCIETE ALUSUISSE LONZA FRANCE ; que, par suite, les conclusions tendant à ce que les prescriptions fixées à cette fin par le préfet soient imposées à la commune de Marseille ne peuvent qu'être rejetées ;
Sur les frais de l'expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif :
Considérant que le tribunal administratif de Marseille, qui a estimé pouvoir statuer sur la demande dont il était saisi sans attendre que l'expert qu'il avait désigné remette son rapport, s'est néanmoins abstenu de se prononcer par le même jugement sur la dévolution des frais de l'expertise ; qu'il a ainsi méconnu la règle applicable, même sans texte, à toute juridiction administrative, qui lui impartit, sauf dans le cas où un incident de procédure y ferait obstacle, d'épuiser son pouvoir juridictionnel ; qu'ainsi le jugement en date du 5 février 1998 doit être, dans cette mesure, annulé ;
Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la charge des frais de l'expertise ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre ces frais à la charge pour moitié de l'Etat et pour moitié de la SOCIETE ALCAN HOLDINGS FRANCE ;
Sur les conclusions relatives à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il n'y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, ni de mettre à la charge de la SOCIETE ALCAN HOLDINGS FRANCE la somme que réclame la commune de Marseille au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens, ni de mettre à la charge de l'Etat la somme que réclame au même titre la SOCIETE ALCAN HOLDINGS FRANCE ;
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille du 5 mars 2002 est annulé.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Marseille du 5 février 1998 est annulé en tant, d'une part, qu'il rejette les conclusions dirigées contre l'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône du 14 novembre 1996 et, d'autre part, qu'il omet de statuer sur les frais de l'expertise.
Article 3 : L'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône en date du 14 novembre 1996 est annulé.
Article 4 : Les frais de l'expertise diligentée en première instance sont mis à la charge pour moitié de l'Etat et pour moitié de la SOCIETE ALCAN HOLDINGS FRANCE.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la SOCIETE ALCAN HOLDINGS FRANCE est rejeté.
Article 6 : Les conclusions de la commune de Marseille tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 7 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE ALCAN HOLDINGS FRANCE venant aux droits de la SOCIETE ALUSUISSE-LONZA-FRANCE, à la commune de Marseille, au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire et au ministre de l'écologie et du développement durable.
N° 247976
ECLI:FR:CEASS:2005:247976.20050708
Publié au recueil Lebon
Assemblée
M. Bertrand Dacosta, rapporteur
M. Guyomar, commissaire du gouvernement
SCP CELICE, BLANCPAIN, SOLTNER ; SCP COUTARD, MAYER, avocats
Lecture du vendredi 8 juillet 2005
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 19 juin 2002 et 18 octobre 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE ALUSUISSE-LONZA-FRANCE, dont le siège est 63, rue de l'Est à Boulogne (92100) ; la SOCIETE ALUSUISSE-LONZA-FRANCE demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt en date du 5 mars 2002 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement du 5 février 1998 du tribunal administratif de Marseille en tant qu'il n'a fait que partiellement droit à ses conclusions tendant à l'annulation des arrêtés du préfet des Bouches-du-Rhône des 5 janvier 1994, 10 novembre 1995 et 14 novembre 1996 lui ayant imposé des prescriptions relatives au crassier des Aygalades à Marseille et, subsidiairement, à la modification desdites prescriptions ;
2°) statuant au fond, d'annuler les articles 2 et 3 du jugement du 5 février 1998 du tribunal administratif de Marseille et les arrêtés attaqués, ou, à titre subsidiaire, d'imposer exclusivement à la commune de Marseille les prescriptions contenues dans ces arrêtés ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code civil ;
Vu le code de l'environnement ;
Vu la loi n° 76-663 du 19 juillet 1976 modifiée ;
Vu le décret n° 77-1133 du 21 septembre 1977 modifié ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Bertrand Dacosta, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de la SOCIETE ALUSUISSE-LONZA-FRANCE et de la SCP Coutard, Mayer, avocat de la commune de Marseille,
- les conclusions de M. Mattias Guyomar, Commissaire du gouvernement ;
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête :
Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 19 juillet 1976 relative aux installations classées pour la protection de l'environnement, dont les dispositions ont été reprises à l'article L. 511-1 du code de l'environnement : "Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et d'une manière générale les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature et de l'environnement (...) " ; qu'aux termes de l'article 23 de la même loi, dont les dispositions ont été reprises à l'article L. 514-1 du code de l'environnement : " I. - Indépendamment des poursuites pénales qui peuvent être exercées, et lorsqu'un inspecteur des installations classées ou un expert désigné par le ministre chargé des installations classées a constaté l'inobservation des conditions imposées à l'exploitant d'une installation classée, le préfet met en demeure ce dernier de satisfaire à ces conditions dans un délai déterminé. Si, à l'expiration du délai fixé pour l'exécution, l'exploitant n'a pas obtempéré à cette injonction, le préfet peut : 1º Obliger l'exploitant à consigner entre les mains d'un comptable public une somme répondant du montant des travaux à réaliser, laquelle sera restituée à l'exploitant au fur et à mesure de l'exécution des mesures prescrites ; il est procédé au recouvrement de cette somme comme en matière de créances étrangères à l'impôt et au domaine. Pour le recouvrement de cette somme, l'Etat bénéficie d'un privilège de même rang que celui prévu à l'article 1920 du code général des impôts ; 2º Faire procéder d'office, aux frais de l'exploitant, à l'exécution des mesures prescrites ; 3º Suspendre par arrêté, après avis de la commission départementale consultative compétente, le fonctionnement de l'installation, jusqu'à exécution des conditions imposées et prendre les dispositions provisoires nécessaires " ; enfin, qu'il résulte des dispositions figurant à l'origine à l'article 34 du décret du 21 septembre 1977, puis reprises au I de l'article 34-1 depuis l'intervention du décret du 9 juin 1994, qu'en cas de cessation définitive de l'activité, l'exploitant doit remettre le site dans un état tel qu'il ne s'y manifeste aucun des dangers ou inconvénients mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement et que le préfet peut lui imposer des prescriptions à cette fin ;
Considérant qu'il résulte de l'ensemble des dispositions de la loi du 19 juillet 1976, reprises aux articles L. 511-1 et suivants du code de l'environnement, que l'obligation de remise en état du site est applicable aux installations de la nature de celles soumises à autorisation en application du titre 1er du livre V du code de l'environnement alors même qu'elles auraient cessé d'être exploitées avant l'entrée en vigueur de la loi du 19 juillet 1976, dès lors que ces installations demeurent susceptibles de présenter les dangers ou inconvénients énumérés à l'article L. 511-1 de ce code ; que, dans cette hypothèse, l'obligation de remise en état du site imposée par l'article 34-I du décret du 21 septembre 1977 pèse sur l'ancien exploitant ou, si celui-ci a disparu, sur son ayant droit ; que lorsque l'exploitant ou son ayant droit a cédé le site à un tiers, cette cession ne l'exonère de ses obligations que si le cessionnaire s'est substitué à lui en qualité d'exploitant ;
Considérant qu'incombe ainsi à l'exploitant d'une installation classée, à son ayant droit ou à celui qui s'est substitué à lui, la mise en oeuvre des mesures permettant de remettre en état le site qui a été le siège de l'exploitation dans l'intérêt, notamment, de la santé ou de la sécurité publique et de la protection de l'environnement ; que l'administration peut contraindre les personnes en cause à prendre ces mesures et, en cas de défaillance de celles-ci, y faire procéder d'office et à leurs frais ;
Considérant que les pouvoirs de police spéciale conférés par la loi à l'autorité administrative peuvent, par leur objet et leur nature mêmes, être exercés par celle-ci à toute époque et vis à vis de tout détenteur d'un bien qui a été le siège de l'exploitation d'une installation classée, dès lors que s'y manifestent des dangers ou inconvénients de la nature de ceux auxquels la législation des installations classées a pour objet de parer ;
Considérant, toutefois, que les principes dont s'inspire l'article 2262 du code civil font obstacle à ce que le préfet impose à l'exploitant, à son ayant-droit ou à la personne qui s'est substituée à lui la charge financière des mesures à prendre au titre de la remise en état d'un site lorsque plus de trente ans se sont écoulés depuis la date à laquelle la cessation d'activité a été portée à la connaissance de l'administration, sauf dans le cas où les dangers ou inconvénients présentés par le site auraient été dissimulés ;
Considérant, en outre, que cette même charge financière ne peut être légalement imposée au détenteur d'un bien qui n'a pas la qualité d'exploitant, d'ayant-droit de l'exploitant ou qui ne s'est pas substitué à lui en qualité d'exploitant ; que lorsque l'autorité administrative entend exercer les pouvoirs qu'elle tient de l'article L. 514-1 du code de l'environnement et de l'article 34-1 du décret du 21 septembre 1977 vis à vis du détenteur actuel du bien, elle doit suivre la procédure prévue à l'article 18 du décret et prendre une décision motivée ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'en jugeant que l'obligation pour l'ancien exploitant de prendre en charge la remise en état du site est insusceptible d'être prescrite, la cour administrative d'appel a entaché son arrêt d'une erreur de droit ; qu'ainsi la SOCIETE ALCAN HOLDINGS FRANCE, qui vient aux droits de la SOCIETE ALUSUISSE- LONZA-FRANCE, est fondée à en demander pour ce motif l'annulation ;
Considérant qu'il y a lieu pour le Conseil d'Etat de régler l'affaire au fond par application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que la SOCIETE ALUSUISSE- LONZA-FRANCE a exploité à Marseille, jusqu'en 1968, une usine dans laquelle elle procédait au traitement de la bauxite et que les résidus issus de cette activité industrielle ont été déposés par ses soins, jusqu'en 1953, sur un terrain situé à proximité, chemin des Aygalades, constituant ainsi un crassier ; qu'elle a cédé ce terrain pour partie à la société UNIPOL en 1980 et pour la partie restante à la commune de Marseille en 1982 ; que le préfet des Bouches-du-Rhône, par des arrêtés en date des 5 janvier 1994, 10 novembre 1995 et 14 novembre 1996, lui a imposé, dans le cadre des pouvoirs qu'il tient de la législation relative aux installations classées, de réaliser des études et d'exécuter des travaux destinés à prévenir le risque d'éboulement du crassier situé sur la partie du terrain cédée à la commune ;
Sur les conclusions tendant à l'annulation des arrêtés préfectoraux des 5 janvier 1994, 10 novembre 1995 et 14 novembre 1996 :
En ce qui concerne l'arrêté du 14 novembre 1996 :
Considérant qu'il résulte des dispositions combinées des articles 10 et 18 du décret du 21 septembre 1977 que, lorsque le préfet envisage de prendre un arrêté imposant des prescriptions complémentaires à l'exploitant ou à l'ancien exploitant d'une installation classée, celui-ci a la faculté de se faire entendre par le conseil départemental d'hygiène ou de désigner à cet effet un mandataire ; qu'il doit, à cette fin, être informé par le préfet au moins huit jours à l'avance de la date et du lieu de la réunion du conseil et recevoir simultanément un exemplaire des propositions de l'inspection des installations classées ; que ces dispositions ont pour objet non seulement d'informer l'intéressé de la date de la réunion du conseil, mais aussi de lui laisser un délai suffisant pour préparer utilement ses observations ; que, par suite, hors le cas où l'administration peut justifier de l'urgence s'attachant à la réunion du conseil, leur méconnaissance est de nature à entacher d'irrégularité la procédure suivie ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que la lettre en date du 1er octobre 1996 par laquelle le préfet des Bouches-du-Rhône a informé la SOCIETE ALUSUISSE-LONZA-FRANCE de ce que le conseil départemental d'hygiène se réunirait le 10 octobre suivant ne lui est parvenue que le 4 octobre ; que l'administration n'établit pas, ni même n'allègue, que la méconnaissance du délai de huit jours prescrit par l'article 10 du décret du 21 septembre 1977 aurait été justifiée par l'urgence à réunir le conseil départemental d'hygiène ; que, par suite, la SOCIETE ALCAN HOLDINGS FRANCE est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Marseille a rejeté les conclusions dirigées contre l'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône du 14 novembre 1996 et à demander, outre l'annulation, dans cette mesure, du jugement attaqué, celle dudit arrêté ;
En ce qui concerne les arrêtés des 5 janvier 1994 et 10 novembre 1995 :
Considérant, en premier lieu, qu'ainsi qu'il a été dit, l'obligation de remise en état du site est applicable aux installations de la nature de celles soumises à autorisation en application du titre 1er du livre V du code de l'environnement alors même qu'elles auraient cessé d'être exploitées avant l'entrée en vigueur de la loi du 19 juillet 1976, dès lors que ces installations demeurent susceptibles de présenter les dangers ou inconvénients énumérés à l'article L. 511-1 ; qu'il résulte de l'instruction, d'une part, que l'usine exploitée par la SOCIETE ALUSUISSE-LONZA-FRANCE aurait été soumise à autorisation en application du titre 1er du livre V du code de l'environnement et l'était d'ailleurs sous l'empire de la législation antérieure et, d'autre part, que les résidus entreposés chemin des Aygalades présentaient un risque pour l'environnement ;
Considérant, en deuxième lieu, qu'à la date à laquelle le préfet a pris le premier des arrêtés contestés, la cessation définitive de l'exploitation de l'usine était intervenue depuis moins de trente ans ; que, par suite, la SOCIETE ALCAN HOLDINGS FRANCE n'est pas fondée à se plaindre de ce que le tribunal administratif de Marseille a rejeté le moyen invoqué par elle et tiré de la méconnaissance de la prescription trentenaire ;
Considérant, en troisième lieu, que l'obligation de remettre le terrain sur lequel la SOCIETE ALUSUISSE-LONZA-FRANCE avait déposé les résidus issus de son activité industrielle dans un état tel qu'il ne s'y manifeste aucun des dangers ou inconvénients mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement reposait sur cette société, la commune de Marseille ne s'étant pas substituée à elle en qualité d'exploitant ; qu'est sans incidence à cet égard la circonstance que la société a pris, avant la cessation de l'exploitation, des précautions pour assurer la stabilité du crassier et que les risques de nuisance, et notamment de pollution du ruisseau des Aygalades, ont été aggravés par des travaux de terrassement et des dépôts faits par la commune de Marseille, dès lors que ces risques sont imputables à la présence même des résidus en cause ; que la société ne peut utilement invoquer le moyen tiré de ce que la commune de Marseille aurait méconnu l'obligation d'entretien des berges du ruisseau des Aygalades qui pèserait sur elle en application du code rural ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la SOCIETE ALCAN HOLDINGS FRANCE n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation des arrêtés des 5 janvier 1994 et 10 novembre 1995 ;
Sur les conclusions tendant à ce que les prescriptions contenues dans les arrêtés attaqués soient imposées à la commune de Marseille :
Considérant qu'ainsi qu'il a été dit l'obligation de remise en état du terrain pesait sur la SOCIETE ALUSUISSE LONZA FRANCE ; que, par suite, les conclusions tendant à ce que les prescriptions fixées à cette fin par le préfet soient imposées à la commune de Marseille ne peuvent qu'être rejetées ;
Sur les frais de l'expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif :
Considérant que le tribunal administratif de Marseille, qui a estimé pouvoir statuer sur la demande dont il était saisi sans attendre que l'expert qu'il avait désigné remette son rapport, s'est néanmoins abstenu de se prononcer par le même jugement sur la dévolution des frais de l'expertise ; qu'il a ainsi méconnu la règle applicable, même sans texte, à toute juridiction administrative, qui lui impartit, sauf dans le cas où un incident de procédure y ferait obstacle, d'épuiser son pouvoir juridictionnel ; qu'ainsi le jugement en date du 5 février 1998 doit être, dans cette mesure, annulé ;
Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la charge des frais de l'expertise ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre ces frais à la charge pour moitié de l'Etat et pour moitié de la SOCIETE ALCAN HOLDINGS FRANCE ;
Sur les conclusions relatives à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il n'y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, ni de mettre à la charge de la SOCIETE ALCAN HOLDINGS FRANCE la somme que réclame la commune de Marseille au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens, ni de mettre à la charge de l'Etat la somme que réclame au même titre la SOCIETE ALCAN HOLDINGS FRANCE ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille du 5 mars 2002 est annulé.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Marseille du 5 février 1998 est annulé en tant, d'une part, qu'il rejette les conclusions dirigées contre l'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône du 14 novembre 1996 et, d'autre part, qu'il omet de statuer sur les frais de l'expertise.
Article 3 : L'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône en date du 14 novembre 1996 est annulé.
Article 4 : Les frais de l'expertise diligentée en première instance sont mis à la charge pour moitié de l'Etat et pour moitié de la SOCIETE ALCAN HOLDINGS FRANCE.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la SOCIETE ALCAN HOLDINGS FRANCE est rejeté.
Article 6 : Les conclusions de la commune de Marseille tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 7 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE ALCAN HOLDINGS FRANCE venant aux droits de la SOCIETE ALUSUISSE-LONZA-FRANCE, à la commune de Marseille, au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire et au ministre de l'écologie et du développement durable.