Conseil d'État
N° 80362
ECLI:FR:CESSR:1997:80362.19970305
Inédit au recueil Lebon
9 / 8 SSR
M. Dulong, rapporteur
M. Goulard, commissaire du gouvernement
Lecture du 5 mars 1997
Vu le recours, enregistré le 17 juillet 1986 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le MINISTRE D'ETAT, MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE LA PRIVATISATION ; le ministre demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le jugement du 18 février 1986 du tribunal administratif d'Orléans en tant, d'une part, qu'il a déchargé la société immobilière "La Perdrix Rouge", en droits et pénalités, de l'impôt sur les sociétés auquel elle a été assujettie au titre des années 1977 et 1978, d'autre part, qu'il lui a accordé une réduction de ses bases d'imposition à l'impôt sur les sociétés au titre des années 1975 et 1976 et, pour ces mêmes années, a substitué les intérêts de retard à la majoration de 50 % qui avait été appliquée ;
2°) en ce qui concerne les droits, de rétablir la société au rôle de l'impôt sur les sociétés à raison de l'intégralité de ceux qui lui avaient été assignés au titre des années 1975, 1976, 1977 et 1978 ou, subsidiairement, de la rétablir au rôle, au titre de 1977 et 1978, sur des bases de 313.190 F et 297.450 F ou, plus subsidiairement, sur des bases de 119.750 F et 81.220 F ;
3°) en ce qui concerne les pénalités, de remettre à la charge de la société les majorations pour mauvaise foi appliquées aux compléments d'impôt sur les sociétés établis au titre de 1976, 1977 et 1978 ou, subsidiairement, les mêmes majorations pour mauvaise foi appliquées aux compléments d'impôt correspondant aux redressements sur recettes des mêmes années, les intérêts de retard étant appliqués pour le surplus des droits remis à la charge de la société ou, plus subsidiairement, pour la totalité des compléments d'impôt remis à la charge dela société ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la convention fiscale franco-suisse du 9 septembre 1966, modifiée par l'avenant du 3 décembre 1969 ;
Vu la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;
Vu la loi n° 86-1318 du 30 décembre 1986 ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Dulong, Conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Goulard, Commissaire du gouvernement ;
Sur l'étendue du litige :
Considérant que la société immobilière "La Perdrix Rouge", qui est propriétaire en France d'un domaine comprenant plusieurs immeubles d'habitation et des terrains de chasse, mis en location, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur les années 1975 à 1978, à la suite de laquelle l'administration fiscale, estimant, notamment, que les prix des loyers fixés dans les différents baux d'habitation et de chasse consentis par la société étaient insuffisants, lui a notifié des redressements ayant consisté, pour les années 1975 et 1976, à rehausser la valeur locative des immeubles loués et, pour les années 1977 et 1978, à retenir, par application des dispositions alors, en vigueur, de l'article 209 A du code général des impôts, une base d'imposition forfaitaire égale à trois fois la valeur locative réelle des immeubles ; que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a estimé que l'administration n'établissait pas que les recettes de loyer encaissées au cours des années 1975 et 1976 procédaient d'actes anormaux de gestion et a ramené les bases d'imposition de la société de 219.210 F à 40.010 F pour 1975 et de 242.490 F à 21.820 F pour 1976, et a, en outre, substitué pour cette dernière année les intérêts de retard aux pénalités de mauvaise foi qui avaient été appliquées ; que, s'agissant des années 1977 et 1978, le tribunal administratif, jugeant que les impositions établies étaient dépourvues de base légale, en a déchargé la société, en droits et pénalités ;
Considérant que, dans le dernier état de ses conclusions, le ministre chargé du budget demande que la société soit rétablie au rôle de l'impôt sur les sociétés au titre des quatre années 1975 à 1978, en application de l'article 206-1 du code général de l'impôt, sur des basess'élevant à 219.210 F, 242.490 F, 313.190 F et 297.450 F, et que les compléments d'impôt en résultant soient assortis des intérêts de retard pour l'année 1975 et des pénalités de mauvaise foi pour les autres années ;
En ce qui concerne les années 1975 et 1976 :
Considérant qu'en vertu des articles 6 et 7 de la convention fiscale franco-suisse du 9 septembre 1966, modifiée par avenant du 3 décembre 1969, les revenus d'immeubles sont imposables dans l'Etat contractant où ils sont situés ; que, contrairement à ce que soutient la société immobilière "La Perdrix Rouge", l'article 6 de la convention ne fait pas obstacle à ce que les revenus d'immeubles situés en France, imposés selon les règles de droit commun, fassent l'objet, le cas échéant, de redressements ; qu'il appartient, toutefois, à l'administration d'apporter la preuve qu'en l'espèce, la société a sous-évalué les loyers des immeubles donnés à bail, et procédé ainsi à un acte anormal de gestion ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que deux terrains de chasse compris dans le domaine de la société, l'un d'une superficie de 325 ha, l'autre d'une superficie de 250 ha, ont fait l'objet de locations à des personnes en relation d'intérêts avec la société au prix de 35.000 F et de 20.010 F, respectivement ; que le ministre soutient que ces loyers étaient notoirement insuffisants et que les baux auraient dû stipuler des prix différents pour la location du droit de chasse attaché, d'une part, aux terres, d'autre part, aux étangs ; qu'il fait valoir, en se référant à des baux similaires consentis dans la région, ainsi qu'à un bail consenti en 1977 par la société elle-même, que la valeur du droit de chasse sur les terres aurait dû être fixée au prix de 2,5 quintaux de blé à l'hectare, soit à 150 F par hectare en 1975 et à 177 F par hectare en 1976, que la valeur du droit de chasse sur étangs aurait dû être fixée au prix de 60 quintaux de blé à l'hectare, soit à 3 600 F par hectare en 1975 et à 4 230 F par hectare en 1976 ; qu'en outre, l'administration fait valoir que les titulaires des baux de chasse avaient la jouissance des immeubles à usage d'habitation implantés sur les terrains loués et que ceux-ci ont fait l'objet d'impositions à la taxe d'habitation, qui n'ont pas été contestées ; qu'ils ne peuvent dès lors être regardés que comme ayant été effectivement mis à la disposition du locataire du terrain de chasse ; qu'il résulte de ce qui précède que l'administration apporte la preuve qu'en consentant, pour les baux de chasse, des prix très inférieurs à ceux qui auraient dû être fixés, et en renonçant à percevoir des loyers pour les immeubles d'habitation situés sur les terrains de chasse, la société a renoncé, sans contrepartie, à percevoir une partie des recettes qu'une gestion normale de son domaine lui eut procurées ;
En ce qui concerne les années 1977 et 1978 :
Considérant que le ministre, qui est en droit de le faire à tout moment de la procédure contentieuse, demande qu'au fondement légal de l'article 209 A du code général des impôts initialement retenu soit substitué celui des dispositions de droit commun de l'article 206-1 du même code ; qu'il résulte de ce qui a été dit précédemment que le ministre est fondé à soutenir que l'administration était en droit d'apporter aux revenus déclarés par la société les redressements découlant d'une réévaluation de la valeur locative des biens donnés par elle en location et de mettre en recouvrement les impositions correspondantes en application de l'article 206-1 précité ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le ministre chargé du budget est fondé à soutenir que le tribunal administratif d'Orléans s'est à tort fondé sur les motifs ci-dessus rapportés pour accorder à la société des réductions et décharge d'imposition ;
Considérant, toutefois, qu'il y a lieu pour le Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés tant devant le tribunal administratif d'Orléans que par la société immobilière "La Perdrix Rouge" ;
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
En ce qui concerne la compétence de l'agent vérificateur :
Considérant qu'aux termes de l'article 376 de l'annexe II au code général des impôts, dans sa rédaction résultant du décret du 2 août 1978 : " ... seuls les fonctionnaires titulaires ou stagiaires appartenant à des corps de catégorie A et B peuvent, dans le ressort territorial du service auquel ils sont affectés, fixer les bases d'imposition ou notifier des redressements. Les fonctionnaires territorialement compétents pour contrôler les déclarations de revenu global d'une personne physique peuvent également vérifier la situation fiscale des exploitations ou des entreprises ou celle qui résulte des activités professionnelles que cette personne ... dirige ou exerce, en droit ou en fait, directement ou par personne interposée, quels que soient le lieu où ces exploitations, entreprises ou activités sont exercées et la forme juridique qu'elles revêtent ..." ; qu'aux termes de l'article 3 de l'arrêté du 31 janvier 1969 du ministre de l'économie et des finances, portant réorganisation de certaines directions des services extérieurs de la direction générale des impôts : "Les attributions et la compétence territoriale de la direction nationale des enquêtes fiscales sont : Pour l'ensemble du territoire et concurremment avec les autres services territorialement compétents : le contrôle des impositions en matière d'impôt sur le revenu des personnes physiques ... en tant que de besoin, la vérification générale de la comptabilité des entreprises" ... ; qu'il résulte de ces dispositions combinées qu'un agent de la direction nationale d'enquêtes fiscales de catégorie A ou B, compétent pour contrôler les déclarations de revenu global d'une personne physique sur l'ensemble du territoire, est également compétent pour vérifier la situation fiscale des entreprises, quelles que soient leurs formes, que cette personne dirige, dès lors que l'administration apporte la preuve qu'elle en est le dirigeant de droit ou de fait ;
Considérant, d'une part, qu'il résulte de ce qui vient d'être dit que le moyen, tiré par la société immobilière "La Perdrix Rouge" de ce que l'arrêté du 31 janvier 1969 ne serait relatif qu'à la compétence territoriale de la direction nationale d'enquêtes fiscales et par suite, exclurait l'extension du contrôle conduit à l'égard d'une personne physique à celui de la situation fiscale de la personne morale qu'elle dirige, ne peut qu'être écarté ;
Considérant, d'autre part, que la société immobilière "La Perdrix Rouge" récuse l'existence de liens privilégiés entre M. Picard et elle-même justifiant, selon l'administration, que le service ait vérifié sa comptabilité en raison d'éléments constatés lors de la vérification de la situation fiscale d'ensemble de celui-là ; que, toutefois, la société, qui n'est pas recevable à demander directement au juge de l'impôt la communication des rapports de vérification établis à la suite des contrôles dont M. Picard et elle-même ont fait l'objet, ne conteste pas les affirmations de l'administration selon lesquelles M. Picard, président de l'Association des chasseurs de la Perdrix rouge, était l'un de ses administrateurs et son principal locataire et avait la jouissance de l'un des deux immeubles d'habitation compris dans son domaine ; qu'elle ne conteste pas davantage que M. Picard s'était, à plusieurs reprises, présenté comme le propriétaire de terrains inclus dans ce domaine pour lesquels il avait demandé des permis de construire et qu'il avait financé l'aménagement de certaines installations du même domaine ; que ces faits justifiaient que l'agent ayant vérifié la situation fiscale de M. Picard étendît son contrôle à celui de la société immobilière "La Perdrix Rouge" ; que celle-ci n'est dès lors pas fondée à soutenir que cet agent n'était pas compétent pour vérifier sa comptabilité ;
En ce qui concerne la motivation des notifications de redressements :
Considérant qu'aux termes de l'article 1649 quinquies A, alors applicable, du code général des impôts : " ... 2 Les notifications de redressements doivent être motivées de manière à mettre le contribuable en état de pouvoir formuler ses observations ou son acceptation ..." ;
Considérant que les notifications du 27 décembre 1979, afférentes à l'année 1975, et du 31 octobre 1980, afférentes aux autres années vérifiées, indiquent la nature, les motifs et les montants des rehaussements envisagés ; que les baux de chasse qui y étaient retenus comme termes de comparaison comprenaient un bail consenti par la société elle-même ; qu'ainsi, elle a été à même de présenter utilement ses observations ; que le moyen tiré de l'appréciation portée par le juge judiciaire, saisi du litige relatif aux droits d'enregistrement dus par la société, sur la motivation des mêmes notifications de redressements, est inopérant ;
Sur les pénalités :
Considérant qu'aux termes de l'article 42 de la loi de finances rectificative pour 1986 : "I. les décisions mettant à la charge des contribuables des sanctions fiscales sont motivées, au sens de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public, quand un document ou une décision, adressés au plus tard lors de la notification du titre exécutoire ou de son extrait en a porté la motivation à la connaissance du contribuable. II - Les décisions notifiées antérieurement à la publication de la présente loi, dans les conditions prévues au paragraphe I, sont réputées régulièrement motivées" ;
Considérant que, si la notification de redressement du 31 décembre 1980, relative aux trois dernières années vérifiées, au titre desquelles le ministre demande que les suppléments d'impôt sur les sociétés assignés à la société immobilière "La Perdrix Rouge" soient assortis des pénalités de mauvaise foi, détaille, année par année, les motifs de chacun des chefs de redressements envisagés, elle se borne ensuite à indiquer que "les rappels d'impôt sur les sociétés seront assortis des pénalités applicables en cas de mauvaise foi", sans préciser les considérations de droit ou de fait justifiant l'application de ces pénalités ; que cette justification ne figure pas davantage dans la réponse du service aux observations de la société ; qu'ainsi, les pénalités en cause étaient insuffisamment motivées et doivent, dès lors, être regardées comme ayant été appliquées à l'issue d'une procédure irrégulière ; que, par suite, le ministre n'est pas fondé à demander leur rétablissement ; qu'il y a, toutefois, lieu d'y substituer les intérêts de retard ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le ministre chargé du budget est seulement fondé à demander que la société immobilière "La Perdrix Rouge" soit rétablie au rôle de l'impôt sur les sociétés, en droits et intérêts de retard, au titre des années 1975, 1976, 1977 et 1978 sur des bases respectives de 219.210 F, 242.490 F, 313.190 F et 297.450 F ;
Article 1er : Les bénéfices imposables de la société immobilière "La Perdrix Rouge" au titre des années 1975, 1976, 1977 et 1978 sont respectivement fixés à 219.210 F, 242.490 F, 313.190 F et 297 450 F.
Article 2 : L'impôt sur les sociétés dû au titre des années 1975, 1976, 1977 et 1978, et calculésur les bases définies à l'article 1er ci-dessus, est remis à la charge de la société immobilière "La Perdrix Rouge", en droits et intérêts de retard.
Article 3 : Le jugement du 18 février 1986 du tribunal administratif d'Orléans est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la demande présentée par la société immobilière "La Perdrix Rouge" devant le tribunal administratif d'Orléans et le surplus des conclusions du recours du ministre devant le Conseil d'Etat sont rejetés.
Article 5 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie et des finances et à la société immobilière "La Perdrix Rouge".
N° 80362
ECLI:FR:CESSR:1997:80362.19970305
Inédit au recueil Lebon
9 / 8 SSR
M. Dulong, rapporteur
M. Goulard, commissaire du gouvernement
Lecture du 5 mars 1997
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu le recours, enregistré le 17 juillet 1986 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le MINISTRE D'ETAT, MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE LA PRIVATISATION ; le ministre demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le jugement du 18 février 1986 du tribunal administratif d'Orléans en tant, d'une part, qu'il a déchargé la société immobilière "La Perdrix Rouge", en droits et pénalités, de l'impôt sur les sociétés auquel elle a été assujettie au titre des années 1977 et 1978, d'autre part, qu'il lui a accordé une réduction de ses bases d'imposition à l'impôt sur les sociétés au titre des années 1975 et 1976 et, pour ces mêmes années, a substitué les intérêts de retard à la majoration de 50 % qui avait été appliquée ;
2°) en ce qui concerne les droits, de rétablir la société au rôle de l'impôt sur les sociétés à raison de l'intégralité de ceux qui lui avaient été assignés au titre des années 1975, 1976, 1977 et 1978 ou, subsidiairement, de la rétablir au rôle, au titre de 1977 et 1978, sur des bases de 313.190 F et 297.450 F ou, plus subsidiairement, sur des bases de 119.750 F et 81.220 F ;
3°) en ce qui concerne les pénalités, de remettre à la charge de la société les majorations pour mauvaise foi appliquées aux compléments d'impôt sur les sociétés établis au titre de 1976, 1977 et 1978 ou, subsidiairement, les mêmes majorations pour mauvaise foi appliquées aux compléments d'impôt correspondant aux redressements sur recettes des mêmes années, les intérêts de retard étant appliqués pour le surplus des droits remis à la charge de la société ou, plus subsidiairement, pour la totalité des compléments d'impôt remis à la charge dela société ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la convention fiscale franco-suisse du 9 septembre 1966, modifiée par l'avenant du 3 décembre 1969 ;
Vu la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;
Vu la loi n° 86-1318 du 30 décembre 1986 ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Dulong, Conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Goulard, Commissaire du gouvernement ;
Sur l'étendue du litige :
Considérant que la société immobilière "La Perdrix Rouge", qui est propriétaire en France d'un domaine comprenant plusieurs immeubles d'habitation et des terrains de chasse, mis en location, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur les années 1975 à 1978, à la suite de laquelle l'administration fiscale, estimant, notamment, que les prix des loyers fixés dans les différents baux d'habitation et de chasse consentis par la société étaient insuffisants, lui a notifié des redressements ayant consisté, pour les années 1975 et 1976, à rehausser la valeur locative des immeubles loués et, pour les années 1977 et 1978, à retenir, par application des dispositions alors, en vigueur, de l'article 209 A du code général des impôts, une base d'imposition forfaitaire égale à trois fois la valeur locative réelle des immeubles ; que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a estimé que l'administration n'établissait pas que les recettes de loyer encaissées au cours des années 1975 et 1976 procédaient d'actes anormaux de gestion et a ramené les bases d'imposition de la société de 219.210 F à 40.010 F pour 1975 et de 242.490 F à 21.820 F pour 1976, et a, en outre, substitué pour cette dernière année les intérêts de retard aux pénalités de mauvaise foi qui avaient été appliquées ; que, s'agissant des années 1977 et 1978, le tribunal administratif, jugeant que les impositions établies étaient dépourvues de base légale, en a déchargé la société, en droits et pénalités ;
Considérant que, dans le dernier état de ses conclusions, le ministre chargé du budget demande que la société soit rétablie au rôle de l'impôt sur les sociétés au titre des quatre années 1975 à 1978, en application de l'article 206-1 du code général de l'impôt, sur des basess'élevant à 219.210 F, 242.490 F, 313.190 F et 297.450 F, et que les compléments d'impôt en résultant soient assortis des intérêts de retard pour l'année 1975 et des pénalités de mauvaise foi pour les autres années ;
En ce qui concerne les années 1975 et 1976 :
Considérant qu'en vertu des articles 6 et 7 de la convention fiscale franco-suisse du 9 septembre 1966, modifiée par avenant du 3 décembre 1969, les revenus d'immeubles sont imposables dans l'Etat contractant où ils sont situés ; que, contrairement à ce que soutient la société immobilière "La Perdrix Rouge", l'article 6 de la convention ne fait pas obstacle à ce que les revenus d'immeubles situés en France, imposés selon les règles de droit commun, fassent l'objet, le cas échéant, de redressements ; qu'il appartient, toutefois, à l'administration d'apporter la preuve qu'en l'espèce, la société a sous-évalué les loyers des immeubles donnés à bail, et procédé ainsi à un acte anormal de gestion ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que deux terrains de chasse compris dans le domaine de la société, l'un d'une superficie de 325 ha, l'autre d'une superficie de 250 ha, ont fait l'objet de locations à des personnes en relation d'intérêts avec la société au prix de 35.000 F et de 20.010 F, respectivement ; que le ministre soutient que ces loyers étaient notoirement insuffisants et que les baux auraient dû stipuler des prix différents pour la location du droit de chasse attaché, d'une part, aux terres, d'autre part, aux étangs ; qu'il fait valoir, en se référant à des baux similaires consentis dans la région, ainsi qu'à un bail consenti en 1977 par la société elle-même, que la valeur du droit de chasse sur les terres aurait dû être fixée au prix de 2,5 quintaux de blé à l'hectare, soit à 150 F par hectare en 1975 et à 177 F par hectare en 1976, que la valeur du droit de chasse sur étangs aurait dû être fixée au prix de 60 quintaux de blé à l'hectare, soit à 3 600 F par hectare en 1975 et à 4 230 F par hectare en 1976 ; qu'en outre, l'administration fait valoir que les titulaires des baux de chasse avaient la jouissance des immeubles à usage d'habitation implantés sur les terrains loués et que ceux-ci ont fait l'objet d'impositions à la taxe d'habitation, qui n'ont pas été contestées ; qu'ils ne peuvent dès lors être regardés que comme ayant été effectivement mis à la disposition du locataire du terrain de chasse ; qu'il résulte de ce qui précède que l'administration apporte la preuve qu'en consentant, pour les baux de chasse, des prix très inférieurs à ceux qui auraient dû être fixés, et en renonçant à percevoir des loyers pour les immeubles d'habitation situés sur les terrains de chasse, la société a renoncé, sans contrepartie, à percevoir une partie des recettes qu'une gestion normale de son domaine lui eut procurées ;
En ce qui concerne les années 1977 et 1978 :
Considérant que le ministre, qui est en droit de le faire à tout moment de la procédure contentieuse, demande qu'au fondement légal de l'article 209 A du code général des impôts initialement retenu soit substitué celui des dispositions de droit commun de l'article 206-1 du même code ; qu'il résulte de ce qui a été dit précédemment que le ministre est fondé à soutenir que l'administration était en droit d'apporter aux revenus déclarés par la société les redressements découlant d'une réévaluation de la valeur locative des biens donnés par elle en location et de mettre en recouvrement les impositions correspondantes en application de l'article 206-1 précité ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le ministre chargé du budget est fondé à soutenir que le tribunal administratif d'Orléans s'est à tort fondé sur les motifs ci-dessus rapportés pour accorder à la société des réductions et décharge d'imposition ;
Considérant, toutefois, qu'il y a lieu pour le Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés tant devant le tribunal administratif d'Orléans que par la société immobilière "La Perdrix Rouge" ;
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
En ce qui concerne la compétence de l'agent vérificateur :
Considérant qu'aux termes de l'article 376 de l'annexe II au code général des impôts, dans sa rédaction résultant du décret du 2 août 1978 : " ... seuls les fonctionnaires titulaires ou stagiaires appartenant à des corps de catégorie A et B peuvent, dans le ressort territorial du service auquel ils sont affectés, fixer les bases d'imposition ou notifier des redressements. Les fonctionnaires territorialement compétents pour contrôler les déclarations de revenu global d'une personne physique peuvent également vérifier la situation fiscale des exploitations ou des entreprises ou celle qui résulte des activités professionnelles que cette personne ... dirige ou exerce, en droit ou en fait, directement ou par personne interposée, quels que soient le lieu où ces exploitations, entreprises ou activités sont exercées et la forme juridique qu'elles revêtent ..." ; qu'aux termes de l'article 3 de l'arrêté du 31 janvier 1969 du ministre de l'économie et des finances, portant réorganisation de certaines directions des services extérieurs de la direction générale des impôts : "Les attributions et la compétence territoriale de la direction nationale des enquêtes fiscales sont : Pour l'ensemble du territoire et concurremment avec les autres services territorialement compétents : le contrôle des impositions en matière d'impôt sur le revenu des personnes physiques ... en tant que de besoin, la vérification générale de la comptabilité des entreprises" ... ; qu'il résulte de ces dispositions combinées qu'un agent de la direction nationale d'enquêtes fiscales de catégorie A ou B, compétent pour contrôler les déclarations de revenu global d'une personne physique sur l'ensemble du territoire, est également compétent pour vérifier la situation fiscale des entreprises, quelles que soient leurs formes, que cette personne dirige, dès lors que l'administration apporte la preuve qu'elle en est le dirigeant de droit ou de fait ;
Considérant, d'une part, qu'il résulte de ce qui vient d'être dit que le moyen, tiré par la société immobilière "La Perdrix Rouge" de ce que l'arrêté du 31 janvier 1969 ne serait relatif qu'à la compétence territoriale de la direction nationale d'enquêtes fiscales et par suite, exclurait l'extension du contrôle conduit à l'égard d'une personne physique à celui de la situation fiscale de la personne morale qu'elle dirige, ne peut qu'être écarté ;
Considérant, d'autre part, que la société immobilière "La Perdrix Rouge" récuse l'existence de liens privilégiés entre M. Picard et elle-même justifiant, selon l'administration, que le service ait vérifié sa comptabilité en raison d'éléments constatés lors de la vérification de la situation fiscale d'ensemble de celui-là ; que, toutefois, la société, qui n'est pas recevable à demander directement au juge de l'impôt la communication des rapports de vérification établis à la suite des contrôles dont M. Picard et elle-même ont fait l'objet, ne conteste pas les affirmations de l'administration selon lesquelles M. Picard, président de l'Association des chasseurs de la Perdrix rouge, était l'un de ses administrateurs et son principal locataire et avait la jouissance de l'un des deux immeubles d'habitation compris dans son domaine ; qu'elle ne conteste pas davantage que M. Picard s'était, à plusieurs reprises, présenté comme le propriétaire de terrains inclus dans ce domaine pour lesquels il avait demandé des permis de construire et qu'il avait financé l'aménagement de certaines installations du même domaine ; que ces faits justifiaient que l'agent ayant vérifié la situation fiscale de M. Picard étendît son contrôle à celui de la société immobilière "La Perdrix Rouge" ; que celle-ci n'est dès lors pas fondée à soutenir que cet agent n'était pas compétent pour vérifier sa comptabilité ;
En ce qui concerne la motivation des notifications de redressements :
Considérant qu'aux termes de l'article 1649 quinquies A, alors applicable, du code général des impôts : " ... 2 Les notifications de redressements doivent être motivées de manière à mettre le contribuable en état de pouvoir formuler ses observations ou son acceptation ..." ;
Considérant que les notifications du 27 décembre 1979, afférentes à l'année 1975, et du 31 octobre 1980, afférentes aux autres années vérifiées, indiquent la nature, les motifs et les montants des rehaussements envisagés ; que les baux de chasse qui y étaient retenus comme termes de comparaison comprenaient un bail consenti par la société elle-même ; qu'ainsi, elle a été à même de présenter utilement ses observations ; que le moyen tiré de l'appréciation portée par le juge judiciaire, saisi du litige relatif aux droits d'enregistrement dus par la société, sur la motivation des mêmes notifications de redressements, est inopérant ;
Sur les pénalités :
Considérant qu'aux termes de l'article 42 de la loi de finances rectificative pour 1986 : "I. les décisions mettant à la charge des contribuables des sanctions fiscales sont motivées, au sens de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public, quand un document ou une décision, adressés au plus tard lors de la notification du titre exécutoire ou de son extrait en a porté la motivation à la connaissance du contribuable. II - Les décisions notifiées antérieurement à la publication de la présente loi, dans les conditions prévues au paragraphe I, sont réputées régulièrement motivées" ;
Considérant que, si la notification de redressement du 31 décembre 1980, relative aux trois dernières années vérifiées, au titre desquelles le ministre demande que les suppléments d'impôt sur les sociétés assignés à la société immobilière "La Perdrix Rouge" soient assortis des pénalités de mauvaise foi, détaille, année par année, les motifs de chacun des chefs de redressements envisagés, elle se borne ensuite à indiquer que "les rappels d'impôt sur les sociétés seront assortis des pénalités applicables en cas de mauvaise foi", sans préciser les considérations de droit ou de fait justifiant l'application de ces pénalités ; que cette justification ne figure pas davantage dans la réponse du service aux observations de la société ; qu'ainsi, les pénalités en cause étaient insuffisamment motivées et doivent, dès lors, être regardées comme ayant été appliquées à l'issue d'une procédure irrégulière ; que, par suite, le ministre n'est pas fondé à demander leur rétablissement ; qu'il y a, toutefois, lieu d'y substituer les intérêts de retard ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le ministre chargé du budget est seulement fondé à demander que la société immobilière "La Perdrix Rouge" soit rétablie au rôle de l'impôt sur les sociétés, en droits et intérêts de retard, au titre des années 1975, 1976, 1977 et 1978 sur des bases respectives de 219.210 F, 242.490 F, 313.190 F et 297.450 F ;
Article 1er : Les bénéfices imposables de la société immobilière "La Perdrix Rouge" au titre des années 1975, 1976, 1977 et 1978 sont respectivement fixés à 219.210 F, 242.490 F, 313.190 F et 297 450 F.
Article 2 : L'impôt sur les sociétés dû au titre des années 1975, 1976, 1977 et 1978, et calculésur les bases définies à l'article 1er ci-dessus, est remis à la charge de la société immobilière "La Perdrix Rouge", en droits et intérêts de retard.
Article 3 : Le jugement du 18 février 1986 du tribunal administratif d'Orléans est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la demande présentée par la société immobilière "La Perdrix Rouge" devant le tribunal administratif d'Orléans et le surplus des conclusions du recours du ministre devant le Conseil d'Etat sont rejetés.
Article 5 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie et des finances et à la société immobilière "La Perdrix Rouge".