Conseil d'État
N° 26188
ECLI:FR:CEASS:1957:26188.19570531
Publié au recueil Lebon
Assemblée
M. Aurillac, rapporteur
M. Gazier, commissaire du gouvernement
Lecture du vendredi 31 mai 1957
Vu 1) enregistrée sous le n° 26188 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 24 juin 1953 la lettre des sieurs Galleron (Xavier), Titeca-Beauport, Abouna (Félix), Sanier (Théogène), Magona (Sulpice), Herem (Hilarion), Beaujean (Jean-Jacques), Melon (Maurice), Gene (Euvrémond), Loques (Wilfrid), Lerus (Charles), Hourlier (Camille), Guizonne (Ferdinand), Joga (Fernand), Daridan (Blanche), Daville (Hubert), Mezence (Norbert), Roux (Alphonse), de la dame veuve Gosnave (Michel), des sieurs Talange (Joseph), Berville (Joseph), de la dame Kader (Victor), des sieurs Sioudan (Donatien), Gradel (Ferdeline), Periao (Joseph), domiciliés ... ;
Vu 2) sous le n° 26325, la requête sommaire et le mémoire ampliatif présentés pour le sieur Rosan Girard demeurant ..., ladite requête et ledit mémoire enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 2 juillet 1953 et 19 février 1954, et tendant à ce qu'il plaise au Conseil annuler pour excès de pouvoir un décret en date du 2 mai 1953 instituant une délégation spéciale dans la commune du Moule ; Vu la loi du 5 avril 1884 ; Vu l'ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953 ;
Considérant que le document enregistré sous le n° 26188 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat ne constitue pas une requête dirigée contre le décret du 2 mai 1953 mais seulement une demande tendant à ce qu'il fût statué d'urgence par ledit conseil sur le pourvoi que le sieur Rosan Girard devait former contre le décret susmentionné ;
Sur la requête du sieur Rosan Girard : Considérant qu'aux termes de l'article 44 de la loi du 5 avril 1884 lorsqu'aucun conseil municipal ne peut être constitué une délégation spéciale en remplit les fonctions ; que le décret attaqué, qui a institué une délégation spéciale dans la commune du Moule (Guadeloupe), a été pris en application de cet article ;
Considérant qu'il ressort des pièces versées au dossier qu'un procès-verbal de recensement général des votes, qui mentionne la proclamation de l'élection de 27 conseillers municipaux et qui, d'après ses indications, a été dressé le 26 avril 1953 à 24 heures, a été établi par le président et les membres du 1er bureau, chargé des fonctions de bureau centralisateur, à la suite des opérations électorales auxquelles il avait été procédé ledit jour dans la commune du Moule pour le renouvellement du conseil municipal ; que, si le Ministre de l'Intérieur soutient, dans ses observations sur le pourvoi, qu'aucune proclamation n'aurait été faite publiquement et que le procès-verbal susmentionné constituerait un document purement fictif, aucune pièce versée au dossier n'apporte un commencement de preuve à l'appui de ces allégations, expressément démenties par le requérant qui avait présidé le bureau centralisateur. Que ni la circonstance que des incidents s'étaient produits pendant le scrutin, ni le fait qu'en raison de la saisie par la gendarmerie de l'urne du 2ème bureau et de son transfert à la préfecture en vue de son dépouillement par le conseil de préfecture, siégeant en bureau électoral en vertu d'un arrêté préfectoral du 26 avril 1953, d'ailleurs rapporté le lendemain, le recensement général opéré par le bureau centralisateur n'avait porté que sur les résultats de 3 bureaux sur 4, ne sauraient faire regarder comme inexistante la proclamation faite par ledit bureau ; que les vices qui entachaient cette proclamation étaient seulement de nature à justifier l'annulation des opérations électorales par le juge de l'élection, régulièrement saisi à cette fin par un déféré du préfet ou par une protestation d'un électeur ; que dès lors, le préfet de la Guadeloupe, en prétendant constater, par son arrêté 53-618 du 27 avril 1953, l'inexistence des opérations électorales effectuées le jour précédent dans la ville du Moule, est intervenu dans une matière réservée par la loi à la juridiction administrative ; qu'eu égard à la gravité de l'atteinte ainsi portée par l'autorité administrative aux attributions du juge de l'élection ledit arrêté doit être regardé comme un acte nul et non avenu. Que, par suite, bien qu'il n'ait pas été déféré au juge compétent en premier ressort pour en déclarer la nullité, il ne saurait faire obstacle aux effets de la proclamation faite par le bureau centralisateur ;
Considérant que, si le conseil de préfecture, siégeant comme bureau électoral, a constaté, le 29 avril 1953, qu'il n'y avait lieu à proclamation, il ressort de ce qui a été dit ci-dessus qu'en l'état de l'instruction la proclamation de l'élection de 27 conseillers municipaux doit être regardée comme ayant été faite le 26 avril 1953 par le bureau centralisateur ; que cette proclamation, qui n'a pas été attaquée devant le conseil de préfecture, est devenue définitive ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les dispositions susreproduites de l'article 44 de la loi du 5 avril 1884 ne pouvaient recevoir légalement application en l'espèce ; que, dès lors, le sieur Rosan Girard est fondé à soutenir que le décret attaqué, instituant une délégation spéciale au Moule en exécution de cet article, est entaché d'excès de pouvoir ;
DECIDE :
Article 1er : Le décret susvisé, en date du 2 mai 1953, instituant une délégation spéciale dans la commune du Moule (Guadeloupe) est annulé. Article 2 : Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre de l'Intérieur.
N° 26188
ECLI:FR:CEASS:1957:26188.19570531
Publié au recueil Lebon
Assemblée
M. Aurillac, rapporteur
M. Gazier, commissaire du gouvernement
Lecture du vendredi 31 mai 1957
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu 1) enregistrée sous le n° 26188 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 24 juin 1953 la lettre des sieurs Galleron (Xavier), Titeca-Beauport, Abouna (Félix), Sanier (Théogène), Magona (Sulpice), Herem (Hilarion), Beaujean (Jean-Jacques), Melon (Maurice), Gene (Euvrémond), Loques (Wilfrid), Lerus (Charles), Hourlier (Camille), Guizonne (Ferdinand), Joga (Fernand), Daridan (Blanche), Daville (Hubert), Mezence (Norbert), Roux (Alphonse), de la dame veuve Gosnave (Michel), des sieurs Talange (Joseph), Berville (Joseph), de la dame Kader (Victor), des sieurs Sioudan (Donatien), Gradel (Ferdeline), Periao (Joseph), domiciliés ... ;
Vu 2) sous le n° 26325, la requête sommaire et le mémoire ampliatif présentés pour le sieur Rosan Girard demeurant ..., ladite requête et ledit mémoire enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 2 juillet 1953 et 19 février 1954, et tendant à ce qu'il plaise au Conseil annuler pour excès de pouvoir un décret en date du 2 mai 1953 instituant une délégation spéciale dans la commune du Moule ; Vu la loi du 5 avril 1884 ; Vu l'ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953 ;
Considérant que le document enregistré sous le n° 26188 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat ne constitue pas une requête dirigée contre le décret du 2 mai 1953 mais seulement une demande tendant à ce qu'il fût statué d'urgence par ledit conseil sur le pourvoi que le sieur Rosan Girard devait former contre le décret susmentionné ;
Sur la requête du sieur Rosan Girard : Considérant qu'aux termes de l'article 44 de la loi du 5 avril 1884 lorsqu'aucun conseil municipal ne peut être constitué une délégation spéciale en remplit les fonctions ; que le décret attaqué, qui a institué une délégation spéciale dans la commune du Moule (Guadeloupe), a été pris en application de cet article ;
Considérant qu'il ressort des pièces versées au dossier qu'un procès-verbal de recensement général des votes, qui mentionne la proclamation de l'élection de 27 conseillers municipaux et qui, d'après ses indications, a été dressé le 26 avril 1953 à 24 heures, a été établi par le président et les membres du 1er bureau, chargé des fonctions de bureau centralisateur, à la suite des opérations électorales auxquelles il avait été procédé ledit jour dans la commune du Moule pour le renouvellement du conseil municipal ; que, si le Ministre de l'Intérieur soutient, dans ses observations sur le pourvoi, qu'aucune proclamation n'aurait été faite publiquement et que le procès-verbal susmentionné constituerait un document purement fictif, aucune pièce versée au dossier n'apporte un commencement de preuve à l'appui de ces allégations, expressément démenties par le requérant qui avait présidé le bureau centralisateur. Que ni la circonstance que des incidents s'étaient produits pendant le scrutin, ni le fait qu'en raison de la saisie par la gendarmerie de l'urne du 2ème bureau et de son transfert à la préfecture en vue de son dépouillement par le conseil de préfecture, siégeant en bureau électoral en vertu d'un arrêté préfectoral du 26 avril 1953, d'ailleurs rapporté le lendemain, le recensement général opéré par le bureau centralisateur n'avait porté que sur les résultats de 3 bureaux sur 4, ne sauraient faire regarder comme inexistante la proclamation faite par ledit bureau ; que les vices qui entachaient cette proclamation étaient seulement de nature à justifier l'annulation des opérations électorales par le juge de l'élection, régulièrement saisi à cette fin par un déféré du préfet ou par une protestation d'un électeur ; que dès lors, le préfet de la Guadeloupe, en prétendant constater, par son arrêté 53-618 du 27 avril 1953, l'inexistence des opérations électorales effectuées le jour précédent dans la ville du Moule, est intervenu dans une matière réservée par la loi à la juridiction administrative ; qu'eu égard à la gravité de l'atteinte ainsi portée par l'autorité administrative aux attributions du juge de l'élection ledit arrêté doit être regardé comme un acte nul et non avenu. Que, par suite, bien qu'il n'ait pas été déféré au juge compétent en premier ressort pour en déclarer la nullité, il ne saurait faire obstacle aux effets de la proclamation faite par le bureau centralisateur ;
Considérant que, si le conseil de préfecture, siégeant comme bureau électoral, a constaté, le 29 avril 1953, qu'il n'y avait lieu à proclamation, il ressort de ce qui a été dit ci-dessus qu'en l'état de l'instruction la proclamation de l'élection de 27 conseillers municipaux doit être regardée comme ayant été faite le 26 avril 1953 par le bureau centralisateur ; que cette proclamation, qui n'a pas été attaquée devant le conseil de préfecture, est devenue définitive ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les dispositions susreproduites de l'article 44 de la loi du 5 avril 1884 ne pouvaient recevoir légalement application en l'espèce ; que, dès lors, le sieur Rosan Girard est fondé à soutenir que le décret attaqué, instituant une délégation spéciale au Moule en exécution de cet article, est entaché d'excès de pouvoir ;
DECIDE :
Article 1er : Le décret susvisé, en date du 2 mai 1953, instituant une délégation spéciale dans la commune du Moule (Guadeloupe) est annulé. Article 2 : Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre de l'Intérieur.