Base de jurisprudence


Analyse n° 494511
1 avril 2025
Conseil d'État

N° 494511
Publié au recueil Lebon

Lecture du mardi 1 avril 2025



01-05-01-01 : Actes- Validité des actes administratifs motifs- Pouvoirs et obligations de l`administration- Circonstances exceptionnelles-

1) a) Portée - Possibilité pour l'autorité administrative de prendre, sur ce fondement, toute mesure indispensable pour pourvoir aux nécessités du moment (1) - b) Contrôle du juge de l'excès de pouvoir - Contrôle entier - 2) Déclaration de l'état d'urgence (loi du 3 avril 1955) - Incidence - Absence (2) - 3) Interruption d'un service de communication au public en ligne - a) Possibilité d'y procéder en dehors des cas prévus par la loi - Principe - Absence - En cas de circonstances exceptionnelles - Existence, si cette mesure est indispensable - Conditions - Impossibilité de prendre des mesures alternatives - Limitation de sa durée - b) Espèce - Interruption du réseau social TikTok en Nouvelle-Calédonie face à des troubles à l'ordre public d'une particulière gravité - Circonstances exceptionnelles - Existence (3) - Légalité - Absence.




1) a) La survenue de circonstances exceptionnelles, de nature, notamment, à entraver le fonctionnement régulier des pouvoirs publics, à compromettre de manière immédiate la santé de la population ou son accès aux services essentiels, ou à porter atteinte à l'ordre public, dans des conditions d'une particulière gravité, permet à l'autorité administrative de prendre, en urgence, toutes mesures pour pourvoir aux nécessités du moment, lorsqu'elle est dans l'impossibilité d'agir selon les normes en vigueur, à la condition que de telles mesures soient indispensables au regard des circonstances prévalant à la date de la décision, b) sous l'entier contrôle du juge administratif. 2) La déclaration de l'état d'urgence sur tout ou partie du territoire national en application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955, en étendant les pouvoirs de l'autorité administrative aux fins de remédier à un péril imminent résultant d'atteintes graves à l'ordre public ou à un événement présentant le caractère de calamité publique, institue un régime juridique qui lui confère, en principe, les moyens de faire face à de telles circonstances. Toutefois, elle ne fait pas obstacle à ce que l'autorité administrative use, lorsque des circonstances exceptionnelles l'exigent, des pouvoirs mentionnés ci-dessus pour prendre d'autres mesures que celles relevant de la loi du 3 avril 1955, lorsqu'aucune de ces dernières mesures, pas davantage que celles relevant d'autres régimes d'exception ou de droit commun, n'est de nature à répondre aux nécessités du moment. 3) a) Eu égard aux atteintes portées à la libre communication des pensées et des opinions, à la liberté d'expression et à tous les autres droits et libertés dont un service de communication au public en ligne permet l'exercice, notamment le droit à la vie privée et familiale et la liberté du commerce et de l'industrie, l'autorité administrative ne saurait décider, en dehors des cas prévus par la loi, de l'interruption de l'accès à un tel service. Elle peut cependant recourir à une telle mesure, en cas de circonstances exceptionnelles, si elle est indispensable pour répondre aux nécessités du moment. Dans ce cadre, une interruption complète du service en cause ne saurait être légalement décidée qu'à titre provisoire, à la condition, d'une part, qu'aucun moyen technique ne permette, dans l'immédiat, de prendre des mesures alternatives moins attentatoires aux droits et libertés en cause, et, d'autre part, que l'interdiction soit prise pour une durée n'excédant pas celle requise pour rechercher et mettre en oeuvre de telles mesures. b) Décision du Premier ministre d'interrompre le service de communication au public en ligne « TikTok » en Nouvelle-Calédonie, qui était utilisé pour diffuser des contenus incitant au recours à la violence et se propageant très rapidement dans un contexte de troubles à l'ordre public d'une particulière gravité dans ce territoire. Le Premier ministre, faisant le constat que l'utilisation de ce service était de nature à aggraver la situation et à compromettre le rétablissement de l'ordre public, était en droit, au vu des circonstances exceptionnelles prévalant alors, et en l'absence d'autres moyens techniques immédiatement disponibles, de décider de l'interruption provisoire du service de communication au public en ligne « TikTok », pour une durée déterminée n'excédant pas celle nécessaire à la recherche et à la mise en oeuvre, le cas échéant en lien avec le fournisseur du service, de mesures alternatives permettant d'atteindre l'objectif recherché et moins attentatoires aux droits et libertés en cause, telles, notamment, que le blocage de certaines fonctionnalités du réseau. Or la décision du Premier ministre procède à une interruption totale du service pour une durée indéterminée, liée seulement à la persistance des troubles à l'ordre public, sans subordonner son maintien à l'impossibilité de mettre en oeuvre des mesures alternatives. Par suite, le Premier ministre a porté une atteinte disproportionnée à la liberté d'expression, à la liberté de communication des idées et opinions et à la liberté d'accès à l'information. Annulation de la décision.





49-06-01 : Police- Aggravation exceptionnelle des pouvoirs de police- État d`urgence-

Déclaration - Incidence sur la faculté, pour l'autorité administrative, de prendre d'autres mesures que celles prévues par la loi du 3 avril 1955 pour répondre à des circonstances exceptionnelles - Absence (2) - Conditions.




La déclaration de l'état d'urgence sur tout ou partie du territoire national en application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955, en étendant les pouvoirs de l'autorité administrative aux fins de remédier à un péril imminent résultant d'atteintes graves à l'ordre public ou à un événement présentant le caractère de calamité publique, institue un régime juridique qui lui confère, en principe, les moyens de faire face à de telles circonstances. Toutefois, elle ne fait pas obstacle à ce que l'autorité administrative use, lorsque des circonstances exceptionnelles l'exigent, des pouvoirs dont elle dispose alors pour prendre d'autres mesures que celles relevant de la loi du 3 avril 1955, lorsqu'aucune de ces dernières mesures, pas davantage que celles relevant d'autres régimes d'exception ou de droit commun, n'est de nature à répondre aux nécessités du moment.





51-02-03 : Postes et communications électroniques- Communications électroniques- Internet-

Interruption d'un service de communication au public en ligne - 1) Possibilité d'y procéder en dehors des cas prévus par la loi - Principe - Absence - En cas de circonstances exceptionnelles (1) - Existence, si cette mesure est indispensable - Conditions - Impossibilité de prendre des mesures alternatives - Limitation de sa durée - 2) Espèce - Interruption du réseau social TikTok en Nouvelle-Calédonie face à des troubles à l'ordre public d'une particulière gravité - Légalité - Absence.




1) Eu égard aux atteintes portées à la libre communication des pensées et des opinions, à la liberté d'expression et à tous les autres droits et libertés dont un service de communication au public en ligne permet l'exercice, notamment le droit à la vie privée et familiale et la liberté du commerce et de l'industrie, l'autorité administrative ne saurait décider, en dehors des cas prévus par la loi, de l'interruption de l'accès à un tel service. Elle peut cependant recourir à une telle mesure, en cas de circonstances exceptionnelles, si elle est indispensable pour répondre aux nécessités du moment. Dans ce cadre, une interruption complète du service en cause ne saurait être légalement décidée qu'à titre provisoire, à la condition, d'une part, qu'aucun moyen technique ne permette, dans l'immédiat, de prendre des mesures alternatives moins attentatoires aux droits et libertés en cause, et, d'autre part, que l'interdiction soit prise pour une durée n'excédant pas celle requise pour rechercher et mettre en oeuvre de telles mesures. 2) Décision du Premier ministre d'interrompre en Nouvelle-Calédonie le service de communication au public en ligne « TikTok », qui était utilisé pour diffuser des contenus incitant au recours à la violence et se propageant très rapidement dans un contexte de troubles à l'ordre public d'une particulière gravité dans ce territoire. Le Premier ministre, faisant le constat que l'utilisation de ce service était de nature à aggraver la situation et à compromettre le rétablissement de l'ordre public, était en droit, au vu des circonstances exceptionnelles prévalant alors, et en l'absence d'autres moyens techniques immédiatement disponibles, de décider de l'interruption provisoire du service de communication au public en ligne « TikTok », pour une durée déterminée n'excédant pas celle nécessaire à la recherche et à la mise en oeuvre, le cas échéant en lien avec le fournisseur du service, de mesures alternatives permettant d'atteindre l'objectif recherché et moins attentatoires aux droits et libertés en cause, telles, notamment, que le blocage de certaines fonctionnalités du réseau. Or la décision du Premier ministre procède à une interruption totale du service pour une durée indéterminée, liée seulement à la persistance des troubles à l'ordre public, sans subordonner son maintien à l'impossibilité de mettre en oeuvre des mesures alternatives. Par suite, le Premier ministre a porté une atteinte disproportionnée à la liberté d'expression, à la liberté de communication des idées et opinions et à la liberté d'accès à l'information. Annulation de la décision.





54-07-02-03 : Procédure- Pouvoirs et devoirs du juge- Contrôle du juge de l`excès de pouvoir- Appréciations soumises à un contrôle normal-

Caractère indispensable des mesures prises par l'administration pour répondre à des circonstances exceptionnelles.




Le juge de l'excès de pouvoir exerce un entier contrôle sur le point de savoir si les mesures prises en urgence par l'autorité administrative pour pouvoir aux nécessités du moment face à la survenue de circonstances exceptionnelles sont indispensables au regard des circonstances prévalant à la date de la décision.


(1) Cf. CE, 28 juin 1918, Heyriès, n° 63412, p. 651 ; CE, 28 février 1919, Isabelle Dol et Jeanne Laurent, n° 61593, p. 208 ; CE, Assemblée, 16 avril 1948, Sieur Laugier, n° 85698, p. 161. (2) Rappr., s'agissant de l'état de siège, CE, 28 février 1919, Isabelle Dol et Jeanne Laurent, n° 61593, p. 208 ; en cas de mise en oeuvre par le Président de la République des pouvoirs qu'il tire de l'article 16 de la Constitution du 4 octobre 1958, CE, Assemblée, 23 octobre 1964, Sieur d'Oriano, n° 56756, p. 486. (3) Rappr. CE, 3 novembre 1989, M. , n° 66118, p. 223.