Base de jurisprudence


Analyse n° 497323
28 novembre 2024
Conseil d'État

N° 497323
Publié au recueil Lebon

Lecture du jeudi 28 novembre 2024



26-055-01-08 : Droits civils et individuels- Convention européenne des droits de l'homme- Droits garantis par la convention- Droit au respect de la vie privée et familiale (art- )-

Prohibition de l'insémination post mortem et de l'exportation de gamètes à cette fin (art. L. 2141-2 et L. 2141-9 du CSP) - Loi du 2 août 2021 ayant, dans le même temps, réaffirmé ces interdictions et ouvert l'AMP aux femmes non mariées - Compatibilité de la loi à l'article 8 de la conv. EDH - Existence, compte tenu notamment de l'absence d'incohérence de la législation (1).




Si, avant l'entrée en vigueur de la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021, l'assistance médicale à la procréation (AMP) avait pour objet de remédier à l'infertilité d'un couple ou d'éviter la transmission à l'enfant ou à un membre du couple d'une maladie d'une particulière gravité, il résulte des articles L. 2141-2, L. 2141-3, L. 2141-4 et L. 2141-9 du code de la santé publique (CSP), issus de cette loi, qu'elle est désormais destinée à répondre à un projet parental et que, lorsque ce projet parental est celui d'un couple, les deux membres du couple doivent consentir préalablement à l'insémination artificielle ou au transfert des embryons. Il en résulte également qu'en cas de décès d'un membre du couple, le projet parental disparaît et il ne peut être procédé à l'insémination artificielle ou au transfert des embryons conçus in vitro dans le cadre et selon les objectifs d'une assistance médicale à la procréation destinée à répondre à ce projet parental. La sortie du territoire d'un embryon étant exclusivement destinée à permettre la poursuite du projet parental du couple ou de la femme non mariée concernés, elle ne peut légalement être autorisée par l'Agence de la biomédecine (ABM) en cas de décès d'un des membres du couple lorsque le projet parental est celui d'un couple. D'une part, si l'interdiction, pour la femme d'un couple dont le conjoint est décédé, de poursuivre, par insémination artificielle par les gamètes du conjoint ou par transfert des embryons du couple, le projet parental du couple que l'AMP était destinée à mettre en oeuvre, constitue une ingérence dans l'exercice du droit au respect de la vie privée de la femme se trouvant dans une telle situation, protégé par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (conv. EDH), cette interdiction relève de la marge d'appréciation, telle que rappelée par la Cour européenne des droits de l'homme (Cour EDH), notamment par l'arrêt qu'elle a rendu le 14 septembre 2023 dans l'affaire Barret et Caballero c. France (n°s 22296/20 et 37138/20), dont chaque Etat dispose, dans sa juridiction, pour l'application de la conv. EDH. En édictant cette interdiction, qui au demeurant est constante depuis l'ouverture de l'accès à l'assistance médicale à la procréation par la loi n° 94-654 du 29 juillet 1994, le législateur a entendu tenir compte de ce qu'au regard de l'objet désormais conféré à l'AMP, la situation d'une femme, membre d'un couple ayant conçu en commun un projet parental, dont la poursuite est subordonnée au maintien de ce projet, du consentement des deux membres du couple et de leurs liens de couple, interrompu par le décès du conjoint, destiné à devenir parent de l'enfant, est différente de celle d'une femme non mariée qui a conçu seule, dès l'origine, un projet parental à l'issue duquel l'enfant n'aura qu'une filiation maternelle. Cette situation soulève des questions et appelle des choix qui lui sont propres, s'agissant en particulier du maintien du projet parental, de la condition de consentement et de l'établissement de la filiation à l'égard du membre du couple décédé. Eu égard à l'objet qu'il a entendu attribuer à l'AMP, à la légitimité des buts poursuivis et aux différents intérêts en présence, entre lesquels il a ménagé un juste équilibre, sans porter une atteinte disproportionnée à l'exercice du droit au respect de la vie privée de la femme dont le conjoint est décédé, le législateur ne peut être regardé, en confirmant par les dispositions de l'article L. 2141-2 du CSP, lesquelles sont expresses et précises et ont été adoptées à l'issue de débats parlementaires approfondis et au vu de nombreuses consultations, comme ayant adopté une législation incohérente et, ce faisant, excédé la marge d'appréciation dont il disposait, alors même que, dans le même temps, il ouvrait l'accès à l'AMP à toute femme non mariée. L'article L. 2141-2 du CSP n'est ainsi, par lui-même, pas incompatible avec l'article 8 de la conv. EDH. D'autre part, l'article L. 2141-9 du CSP, qui interdit la sortie du territoire d'embryons conservés en France s'ils sont destinés à être utilisées, à l'étranger, à des fins qui sont prohibées sur le territoire national, visent à faire obstacle à tout contournement de l'article L. 2141-2 du même code. Il ne méconnaît pas davantage, par lui-même, l'article 8 de la conv. EDH.





61-05-05 : Santé publique- Bioéthique- Assistance médicale à la procréation-

Prohibition de l'insémination post mortem et de l'exportation de gamètes à cette fin (art. L. 2141-2 et L. 2141-9 du CSP) - Loi du 2 août 2021 ayant, dans le même temps, réaffirmé ces interdictions et ouvert l'AMP aux femmes non mariées - Compatibilité de la loi à l'article 8 de la conv. EDH - Existence, compte tenu notamment de l'absence d'incohérence de la législation (1).




Si, avant l'entrée en vigueur de la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021, l'assistance médicale à la procréation (AMP) avait pour objet de remédier à l'infertilité d'un couple ou d'éviter la transmission à l'enfant ou à un membre du couple d'une maladie d'une particulière gravité, il résulte des articles L. 2141-2, L. 2141-3, L. 2141-4 et L. 2141-9 du code de la santé publique (CSP), issus de cette loi, qu'elle est désormais destinée à répondre à un projet parental et que, lorsque ce projet parental est celui d'un couple, les deux membres du couple doivent consentir préalablement à l'insémination artificielle ou au transfert des embryons. Il en résulte également qu'en cas de décès d'un membre du couple, le projet parental disparaît et il ne peut être procédé à l'insémination artificielle ou au transfert des embryons conçus in vitro dans le cadre et selon les objectifs d'une assistance médicale à la procréation destinée à répondre à ce projet parental. La sortie du territoire d'un embryon étant exclusivement destinée à permettre la poursuite du projet parental du couple ou de la femme non mariée concernés, elle ne peut légalement être autorisée par l'Agence de la biomédecine (ABM) en cas de décès d'un des membres du couple lorsque le projet parental est celui d'un couple. D'une part, si l'interdiction, pour la femme d'un couple dont le conjoint est décédé, de poursuivre, par insémination artificielle par les gamètes du conjoint ou par transfert des embryons du couple, le projet parental du couple que l'AMP était destinée à mettre en oeuvre, constitue une ingérence dans l'exercice du droit au respect de la vie privée de la femme se trouvant dans une telle situation, protégé par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (conv. EDH), cette interdiction relève de la marge d'appréciation, telle que rappelée par la Cour européenne des droits de l'homme (Cour EDH), notamment par l'arrêt qu'elle a rendu le 14 septembre 2023 dans l'affaire Barret et Caballero c. France (n°s 22296/20 et 37138/20), dont chaque Etat dispose, dans sa juridiction, pour l'application de la conv. EDH. En édictant cette interdiction, qui au demeurant est constante depuis l'ouverture de l'accès à l'assistance médicale à la procréation par la loi n° 94-654 du 29 juillet 1994, le législateur a entendu tenir compte de ce qu'au regard de l'objet désormais conféré à l'AMP, la situation d'une femme, membre d'un couple ayant conçu en commun un projet parental, dont la poursuite est subordonnée au maintien de ce projet, du consentement des deux membres du couple et de leurs liens de couple, interrompu par le décès du conjoint, destiné à devenir parent de l'enfant, est différente de celle d'une femme non mariée qui a conçu seule, dès l'origine, un projet parental à l'issue duquel l'enfant n'aura qu'une filiation maternelle. Cette situation soulève des questions et appelle des choix qui lui sont propres, s'agissant en particulier du maintien du projet parental, de la condition de consentement et de l'établissement de la filiation à l'égard du membre du couple décédé. Eu égard à l'objet qu'il a entendu attribuer à l'AMP, à la légitimité des buts poursuivis et aux différents intérêts en présence, entre lesquels il a ménagé un juste équilibre, sans porter une atteinte disproportionnée à l'exercice du droit au respect de la vie privée de la femme dont le conjoint est décédé, le législateur ne peut être regardé, en confirmant par les dispositions de l'article L. 2141-2 du CSP, lesquelles sont expresses et précises et ont été adoptées à l'issue de débats parlementaires approfondis et au vu de nombreuses consultations, comme ayant adopté une législation incohérente et, ce faisant, excédé la marge d'appréciation dont il disposait, alors même que, dans le même temps, il ouvrait l'accès à l'AMP à toute femme non mariée. L'article L. 2141-2 du CSP n'est ainsi, par lui-même, pas incompatible avec l'article 8 de la conv. EDH. D'autre part, l'article L. 2141-9 du CSP, qui interdit la sortie du territoire d'embryons conservés en France s'ils sont destinés à être utilisées, à l'étranger, à des fins qui sont prohibées sur le territoire national, visent à faire obstacle à tout contournement de l'article L. 2141-2 du même code. Il ne méconnaît pas davantage, par lui-même, l'article 8 de la conv. EDH.


(1) Rappr., sous l'empire des précédentes dispositions, CE, Assemblée, 31 mai 2016, Mme , n° 396848, p. 208.