Base de jurisprudence


Analyse n° 471147
8 novembre 2024
Conseil d'État

N° 471147
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Lecture du vendredi 8 novembre 2024



15-05-01-01-02 : Communautés européennes et Union européenne- Règles applicables- Libertés de circulation- Libre circulation des personnes- Liberté d'établissement-

Exonération de retenue à la source sur les dividendes versés à des sociétés européennes (art. 119 ter du CGI) - Condition tenant à ce que le récipiendaire soit le « bénéficiaire effectif » des sommes en cause (1) - Différence de traitement fiscal par rapport à une société mère française - Absence - 1) Eu égard à l'application du régime interne des sociétés mères (2) - 2) A la circonstance que la société française distributrice est redevable de la retenue à la source - 3) A la reconstitution du montant brut du dividende pour en calculer l'assiette.




Requérante soutenant que l'application des articles 119 bis et 119 ter du code général des impôts (CGI) serait constitutive d'une atteinte à la liberté d'établissement. 1) Le régime des sociétés mères résultant des articles 145 et 216 du code général des impôts (CGI), issu de textes législatifs antérieurs et qui n'a pas été modifié à la suite de l'intervention de la directive 90/435/CEE du 23 juillet 1990 puis de la directive 2011/96/UE du 30 novembre 2011, doit être regardé comme assurant la transposition des objectifs de cette directive. Le législateur n'ayant pas entendu traiter différemment les situations concernant uniquement des sociétés françaises et celles qui, concernant des sociétés d'Etats membres différents, sont seules dans le champ de la directive, les dispositions en cause doivent en conséquence être interprétées à la lumière de ces objectifs, dès lors qu'une telle interprétation n'est pas contraire à leur lettre. Les articles 145 et 216 du CGI devant être regardés comme transposant les objectifs de l'article 4 de la directive 90/435/CEE du 23 juillet 1990, repris à l'article 4 de la directive 2011/96/UE du 30 novembre 2011, ils doivent, par suite, être lus à la lumière de ces objectifs. Par suite, et dès lors que dans l'un et l?autre cas, la loi française est conforme aux objectifs de la directive, la société requérante ne peut utilement soutenir que les dispositions du CGI institueraient entre les sociétés mères percevant d'une filiale établie en France des dividendes dont elles ne sont pas les bénéficiaires effectives, selon qu'elles sont elles-mêmes établies en France ou dans un autre Etat-membre de l'Union européenne, une différence de traitement fiscal méconnaissant la liberté d'établissement. 2) La circonstance qu'une filiale distributrice établie en France soit redevable de la retenue à la source prévue au 2 de l'article 119 bis du CGI est inhérente à cette technique d'imposition et sans incidence sur la qualité de contribuable de la société bénéficiaire non-résidente à laquelle la filiale peut demander la restitution de cette imposition payée pour son compte. Par suite, en tout état de cause, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que la remise en cause de l'exonération de la retenue à la source pèserait uniquement sur la filiale distributrice française tandis qu'une société mère française supporterait seule la remise en cause du régime résultant des articles 145 et 216 du code général des impôts dont elle aurait indûment bénéficié. 3) La circonstance que la retenue à la source qui n'a pas été spontanément prélevée lors du versement de dividendes soit établie sur une assiette augmentée du montant de la retenue afin de reconstituer le montant brut des dividendes perçus par la société bénéficiaire n'a ni pour objet ni pour effet d'appliquer à l'assiette brute ainsi reconstituée un taux supérieur à celui prévu à l'article 187 du CGI, lequel est, au demeurant, inférieur au taux de l'impôt sur les sociétés (IS) qui aurait été appliqué, l'année de l'imposition en litige, à une société mère française ne bénéficiant pas du régime prévu par les articles 145 et 216 du même code, à raison de la perception d'un même montant brut de dividendes. Absence d'atteinte à la liberté d'établissement et moyen inopérant.





19-01-01-05 : Contributions et taxes- Généralités- Textes fiscaux- Conventions internationales-

Revenu passif versé depuis la France - Récipiendaire ne pouvant être regardé comme son bénéficiaire effectif - Application de la convention conclue par la France avec l'Etat de résidence de ce dernier - Existence (sol. impl.) (3).




Lorsqu'il apparaît que le récipiendaire d'un revenu passif versé depuis la France ne peut être regardé comme son bénéficiaire effectif et qu'il ne saurait ainsi être fait application à ce revenu de la convention d'élimination des doubles impositions conclue avec son Etat de résidence, l'administration comme le contribuable peuvent appliquer la convention fiscale conclue avec l'Etat de résidence du ou des bénéficiaires effectifs des sommes en cause (sol. impl.).





19-01-03-03 : Contributions et taxes- Généralités- Règles générales d'établissement de l'impôt- Abus de droit et fraude à la loi-

Rectification fondée sur l'absence de qualité de bénéficiaire effectif au sens de l'article 119 ter du CGI, sans écarter aucun acte - Administration se plaçant implicitement mais nécessairement sur ce terrain - Absence (4).




L'administration fiscale ne peut être regardée comme ayant implicitement mais nécessairement recouru à la procédure de répression des abus de droit, sans offrir au contribuable les garanties prévues par l'article L. 64 du livre des procédures (LPF), lorsqu'elle se borne à estimer que le contribuable ne peut être regardé comme étant le bénéficiaire effectif, au sens et pour l'application de l'article 119 ter du code général des impôts (CGI), d'une somme d'argent sans écarter aucun acte comme ne lui étant pas opposable.





19-04-01-02-06-01 : Contributions et taxes- Impôts sur les revenus et bénéfices- Règles générales- Impôt sur le revenu- Cotisations d'IR mises à la charge de personnes morales ou de tiers- Retenues à la source-

Exonération en faveur des dividendes versés à des sociétés européennes (art. 119 ter du CGI) - Condition tenant à ce que le récipiendaire soit le « bénéficiaire effectif » des sommes en cause (1) - 1) Compatibilité avec la liberté d'établissement - Exigence instaurant une différence de traitement par rapport à une société mère française - Absence - a) Eu égard à l'application du régime national des sociétés mères (2) - b) A la circonstance que la société française distributrice est redevable de la retenue à la source - c) A la reconstitution du montant brut du dividende pour en calculer l'assiette - 2) Rectification seulement fondée sur la méconnaissance de cette condition - Administration se plaçant implicitement mais nécessairement sur le terrain de l'abus de droit - Absence (4) - 3) Respect - Absence - Cas d'une société holding pure ayant procédé au reversement immédiat et intégral des sommes perçues (8).




1) Requérante soutenant que l'application des articles 119 bis et 119 ter du code général des impôts (CGI) serait constitutive d'une atteinte à la liberté d'établissement. a) Le régime des sociétés mères résultant des articles 145 et 216 du code général des impôts (CGI), issu de textes législatifs antérieurs et qui n'a pas été modifié à la suite de l'intervention de la directive 90/435/CEE du 23 juillet 1990 puis de la directive 2011/96/UE du 30 novembre 2011, doit être regardé comme assurant la transposition des objectifs de cette directive. Le législateur n'ayant pas entendu traiter différemment les situations concernant uniquement des sociétés françaises et celles qui, concernant des sociétés d'Etats membres différents, sont seules dans le champ de la directive, les dispositions en cause doivent en conséquence être interprétées à la lumière de ces objectifs, dès lors qu'une telle interprétation n'est pas contraire à leur lettre. Les articles 145 et 216 du CGI devant être regardés comme transposant les objectifs de l'article 4 de la directive 90/435/CEE du 23 juillet 1990, repris à l'article 4 de la directive 2011/96/UE du 30 novembre 2011, ils doivent, par suite, être lus à la lumière de ces objectifs. Par suite, et dès lors que dans l'un et l'autre cas, la loi française est conforme aux objectifs de la directive, il ne peut utilement soutenu que les dispositions du CGI institueraient entre les sociétés mères percevant d'une filiale établie en France des dividendes dont elles ne sont pas les bénéficiaires effectives, selon qu'elles sont elles-mêmes établies en France ou dans un autre Etat-membre de l'Union européenne, une différence de traitement fiscal méconnaissant la liberté d'établissement. b) La circonstance qu'une filiale distributrice établie en France soit redevable de la retenue à la source prévue au 2 de l'article 119 bis du CGI est inhérente à cette technique d'imposition et sans incidence sur la qualité de contribuable de la société bénéficiaire non-résidente à laquelle la filiale peut demander la restitution de cette imposition payée pour son compte. Par suite, en tout état de cause, le moyen tiré de ce que la remise en cause de l'exonération de la retenue à la source pèserait uniquement sur la filiale distributrice française tandis qu'une société mère française supporterait seule la remise en cause du régime résultant des articles 145 et 216 du code général des impôts dont elle aurait indûment bénéficié, doit être écarté. c) La circonstance que la retenue à la source qui n'a pas été spontanément prélevée lors du versement de dividendes soit établie sur une assiette augmentée du montant de la retenue afin de reconstituer le montant brut des dividendes perçus par la société bénéficiaire n'a ni pour objet ni pour effet d'appliquer à l'assiette brute ainsi reconstituée un taux supérieur à celui prévu à l'article 187 du CGI, lequel est, au demeurant, inférieur au taux de l'impôt sur les sociétés (IS) qui aurait été appliqué, l'année de l'imposition en litige, à une société mère française ne bénéficiant pas du régime prévu par les articles 145 et 216 du même code, à raison de la perception d'un même montant brut de dividendes. 2) L'administration fiscale ne peut être regardée comme ayant implicitement mais nécessairement recouru à la procédure de répression des abus de droit, sans offrir au contribuable les garanties prévues par l'article L. 64 du livre des procédures (LPF), lorsqu'elle se borne à estimer que le contribuable ne peut être regardé comme étant le bénéficiaire effectif, au sens et pour l'application de l'article 119 ter du CGI, d'une somme d'argent sans écarter aucun acte comme ne lui étant pas opposable. 3) Une société établie dans un autre Etat membre de l'Union européenne qui a reçu, de la part d'une société française dont elle détenait l'intégralité du capital social, un acompte sur dividendes qu'elle a, le lendemain, intégralement reversé à son associée unique, alors qu'elle ne disposait pas d'autres fonds disponibles, et qui n'a pas d'autre activité que celle de porter les titres de la société française ne peut être regardée comme la bénéficiaire effective de cet acompte sur dividendes, au sens et pour l'application de l'article 119 ter du CGI.


(1) Cf., sur la conformité de cette condition à la directive 90/435/CEE du 23 juillet 1990, CE, 5 juin 2020, Société Eqiom et Société Enka, n° 423809, T. pp. 670-705. (2) Cf., sur l'exigence d'interprétation du régime national des sociétés mères conforme au droit dérivé de l'UE, y compris lorsqu'il s'applique à des situations seulement régies par le droit national, CE, 15 décembre 2014, SA Technicolor, n° 380942, p. 387. (4) Cf. sol. contr., sur la notion d'abus de droit « rampant », CE, Plénière, 21 juillet 1989, Min. c/ , n° 59970, T. p. 572. (8) Rappr., s'agissant de l'organisme britannique chargé de collecter les droits d'utilisation des oeuvres de ses adhérents en France, CE, 5 février 2021, Ministre de l'action et des comptes publics c/société Performing Rights Society Ltd, n°s 430594 432845, pt. 5, T. p. 615. (3) Cf., en précisant que le contribuable peut lui aussi solliciter l'application de cette convention, CE, 20 mai 2022, Société Planet, n° 444451, T. p. 627.