Base de jurisprudence


Analyse n° 468316
31 mai 2024
Conseil d'État

N° 468316
Publié au recueil Lebon

Lecture du vendredi 31 mai 2024



60-01-02-01-02-01-01 : Responsabilité de la puissance publique- Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité- Fondement de la responsabilité- Responsabilité sans faute- Responsabilité fondée sur le risque créé par certaines activités de puissance publique- Dommages imputables à des choses, des activités ou des ouvrages exceptionnellement dangereux- Méthodes et activités dangereuses-

Usage d'une arme par les forces de l'ordre - Personnes tierces à une opération de maintien de l'ordre (1).




L'utilisation par les forces de l'ordre d'une arme présentant un danger exceptionnel est susceptible d'engager la responsabilité de l'administration sans faute, en cas de dommage causé à des personnes tierces à une opération de maintien de l'ordre.





60-01-02-02-02 : Responsabilité de la puissance publique- Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité- Fondement de la responsabilité- Responsabilité pour faute- Application d'un régime de faute simple-

Usage d'une arme par les forces de l'ordre - Personnes visées par une opération de maintien de l'ordre (2).




L'utilisation par les forces de l'ordre d'une arme présentant un danger exceptionnel est susceptible d'engager la responsabilité de l'administration pour faute simple, en cas de dommage causé aux personnes visées par une opération de maintien de l'ordre.





60-01-02-02-03 : Responsabilité de la puissance publique- Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité- Fondement de la responsabilité- Responsabilité pour faute- Application d'un régime de faute lourde-

Conduite d'une opération de rétablissement de l'ordre public (3) - Espèce - Requérant ayant assisté comme tiers à une manifestation dans le cadre des « gilets jaunes » et demandant l'indemnisation de préjudices imputés à un tir de grenade - Absence de faute.




La responsabilité de l'Etat en raison d'une opération de maintien de l'ordre ne peut être engagée qu'en cas de faute lourde. Requérant soutenant avoir assisté en qualité de tiers pour prendre des photographies en amateur, à une manifestation dans le cadre du mouvement dit des « gilets jaunes ». Requérant demandant l'indemnisation par l'Etat de préjudices qu'il impute à un tir de grenade lacrymogène de type MP7 par un agent des forces. Forces de l'ordre ayant, pendant tout une après-midi, fait face à des tirs de projectiles incessants, notamment des jets de pavés, de la part de manifestants s'étant écartés du cortège déclaré, dont certains étaient en possession d'armes, en particulier de bombes artisanales. Forces de l'ordre ayant procédé aux sommations règlementaires avant d'utiliser à plusieurs reprises le lanceur d'eau et les gaz lacrymogènes pour tenter de rétablir l'ordre et dissiper l'attroupement. Forces de l'ordre n'ayant pas fait un usage irrégulier et disproportionné de cette arme, eu égard à la nécessité de rétablir l'ordre ainsi qu'à la violence et à la complexité du contexte. Requérant n'apportant aucun élément de nature à démontrer qu'il aurait fait l'objet d'un tir tendu, non conforme aux conditions d'emploi de l'arme en maintien de l'ordre. Dans ces conditions, les forces de police ne peuvent être regardées comme ayant commis une faute lourde dans l'opération de rétablissement de l'ordre.





60-02-03-01-01 : Responsabilité de la puissance publique- Responsabilité en raison des différentes activités des services publics- Services de police- Services de l'Etat- Intervention des forces de police-

Intervention pendant une manifestation - 1) a) Usage d'armes - Condition d'engagement de la responsabilité de l'Etat pour faute simple ou sans faute (4) - Usage normal de l'arme présentant un danger exceptionnel - b) Espèce - Grenade lacrymogène de type MP7 - Impossibilité d'engager la responsabilité de l'Etat - 2) Conduite d'une opération de rétablissement de l'ordre public - a) Possibilité d'engager sa responsabilité pour faute lourde (3) - b) Espèce - Requérant ayant assisté comme tiers à une manifestation dans le cadre des « gilets jaunes » et demandant l'indemnisation de préjudices imputés à un tir de grenade - Absence de faute - 3) a) Régime légal de responsabilité civile (art. L 211-10 du CSI) - Champ - Inclusion - Dommages provoqués par l'intervention des forces de l'ordre - b) Espèce - Imprudence de nature à exonérer l'Etat de sa responsabilité (6).




1) a) Pour apprécier si une arme présente un danger exceptionnel tel que son utilisation serait susceptible d'engager la responsabilité de l'administration pour faute simple, en cas de dommage causé aux personnes visées par une opération de maintien de l'ordre, et sans faute, à l'égard des personnes tierces à cette opération, le juge administratif prend en compte le danger présenté par l'usage normal de l'arme en cause. b) Ne présente pas un tel danger exceptionnel une grenade lacrymogène de type MP7, qui constitue une munition de rétablissement de l'ordre dite « de force intermédiaire » destinée à émettre un nuage lacrymogène important, persistant et dense, même tirée à l'aide d'un lanceur. 2) a) La responsabilité de l'Etat en raison d'une opération de maintien de l'ordre ne peut être engagée qu'en cas de faute lourde. b) Requérant soutenant avoir assisté en qualité de tiers pour prendre des photographies en amateur, à une manifestation dans le cadre du mouvement dit des « gilets jaunes ». Requérant demandant l'indemnisation par l'Etat de préjudices qu'il impute à un tir de grenade lacrymogène de type MP7 par un agent des forces. Forces de l'ordre ayant, pendant tout une après-midi, fait face à des tirs de projectiles incessants, notamment des jets de pavés, de la part de manifestants s'étant écartés du cortège déclaré, dont certains étaient en possession d'armes, en particulier de bombes artisanales. Forces de l'ordre ayant procédé aux sommations règlementaires avant d'utiliser à plusieurs reprises le lanceur d'eau et les gaz lacrymogènes pour tenter de rétablir l'ordre et dissiper l'attroupement. Forces de l'ordre n'ayant pas fait un usage irrégulier et disproportionné de cette arme, eu égard à la nécessité de rétablir l'ordre ainsi qu'à la violence et à la complexité du contexte. Requérant n'apportant aucun élément de nature à démontrer qu'il aurait fait l'objet d'un tir tendu, non conforme aux conditions d'emploi de l'arme en maintien de l'ordre. Dans ces conditions, les forces de police ne peuvent être regardées comme ayant commis une faute lourde dans l'opération de rétablissement de l'ordre. 3) a) La responsabilité civile de l'Etat en réparation des dommages résultant des attroupements et rassemblements mentionnée à l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure (CSI) s'étend à la réparation des dégâts et dommages provoqués par l'intervention des forces de l'ordre contre les membres d'attroupements ou rassemblements. b) Requérant s'étant volontairement maintenu, pendant une manifestation dans le cadre du mouvement dit des « gilets jaunes », à proximité immédiate d'affrontements violents qui duraient depuis plusieurs heures, aux seules fins de prendre des photographies d'amateur pour son intérêt personnel, alors qu'il était constant que des consignes réitérées de dispersion avaient été données aux manifestants. Requérant ne pouvant ignorer le caractère dangereux de la situation, qui se reproduisait tous les samedis depuis plusieurs semaines. Dans ces conditions, alors que les forces de l'ordre n'avaient fait usage des grenades lacrymogènes qu'après avoir procédé aux sommations règlementaires, et quand bien même il se serait installé près de professionnels de la presse, le requérant a commis une imprudence de nature, dans les circonstances de l'espèce, à exonérer l'Etat de sa responsabilité.


(4) Cf., sur le régime de responsabilité sans faute de l'usage d'armes ou d'engins comportant des risques exceptionnels à l'égard des personnes tierces, CE, Assemblée, 24 juin 1949, Consorts Lecomte et autres, n° 87335, p. 307 ; CE, 26 mai 1950, Demoiselle Bonnet, n° 89891, p. 327 ; CE, 1er juin 1951, Epoux Jung, n° 6967, p. 312 ; et pour faute simple à l'égard des personnes visées par l'opération, CE, Section 28 juillet 1951, Sieur Aubergé, n° 98323, p. 447. (3) Cf., sur le régime de responsabilité pour faute lourde dans la conduite des activités matérielles de police, CE, 10 février 1905, Thomaso Greco, p. 13. Rappr., s'agissant des carences des services de renseignements, CE, 18 juillet 2018, Mme , n° 411156, T. p. 900. (6) Rappr., sur l'application du régime de responsabilité légale même dans le cas où le manifestant a concouru, par son propre fait, à la réalisation du dommage dont il demande réparation, TC, 24 mai 1965, Préfet de la Somme, n° 1863, p. 815. (2) Cf. CE, Section 28 juillet 1951, Sieur Aubergé, n° 98323, p. 447. (1) Cf. CE, Assemblée, 24 juin 1949, Consorts Lecomte et autres, n° 87335, p. 307 ; CE, 26 mai 1950, Demoiselle Bonnet, n° 89891, p. 327 ; CE, 1er juin 1951, Epoux Jung, n° 6967, p. 312.