Base de jurisprudence


Analyse n° 472155
13 mai 2024
Conseil d'État

N° 472155
Publié au recueil Lebon

Lecture du lundi 13 mai 2024



10-01-03 : Associations et fondations- Questions communes- Ressources-

Subvention versée par une collectivité territoriale au titre de son action extérieure - Mise en oeuvre ou soutien d'une action internationale de coopération, d'aide au développement ou à caractère humanitaire (art. L. 1115-1 du CGCT) - Légalité - 1) Conditions (1) - a) Intérêt public local - Absence - Rattachement aux domaines de compétence de la collectivité - Absence - Implication d'une autorité locale étrangère - Absence - b) Respect des engagements internationaux de la France - Portée - c) Action ne conduisant pas à prendre parti dans un conflit de nature politique ou un conflit collectif du travail (2) - Portée - d) Cas du soutien à une organisation prenant des positions dans le débat public - Conditions et engagements appropriés - e) Conclusion d'une convention - Absence, sauf texte spécial le prescrivant (3) - 2) Illustration - Association menant une activité de sauvetage en mer - a) Action humanitaire - Existence - b) Prises de position et actions de l'association de nature à faire obstacle au soutien par une collectivité - Absence - c) Conditions et engagements appropriés - Existence (4).




1) a) Il résulte de l'article L. 1115-1 du code général des collectivités territoriales (CGCT), éclairé par les travaux préparatoires de la loi n° 2007-147 du 2 février 2007 et de la loi n° 2014-773 du 7 juillet 2014, dont elles sont issues, que les collectivités territoriales et leurs groupements ont compétence pour mettre en oeuvre ou soutenir toute action internationale de coopération, d'aide au développement ou à caractère humanitaire, le législateur n'ayant subordonné cette possibilité ni à la condition que cette action réponde à un intérêt public local, ni à la condition qu'elle s'inscrive dans les autres domaines de compétences attribués par la loi aux collectivités territoriales, ni à l'exigence qu'elle implique une autorité locale étrangère. b) Il résulte en outre de ces dispositions que les actions menées ou soutenues sur ce fondement doivent respecter les engagements internationaux de la France. Elles ne doivent pas interférer avec la conduite par l'Etat des relations internationales de la France. c) Par ailleurs, les actions menées ou soutenues sur le fondement de ces dispositions ne sauraient conduire une collectivité territoriale ou un groupement de collectivités territoriales à prendre parti dans un conflit de nature politique ou un conflit collectif du travail. Si la seule circonstance qu'une organisation prenne des positions dans le débat public ne fait pas obstacle à ce qu'une collectivité territoriale ou un groupement lui accorde un soutien pour des actions mentionnées à l'article L. 1115-1 du CGCT, ces collectivités et groupements ne sauraient légalement apporter leur soutien à une organisation dont les actions de coopération, d'aide au développement ou à caractère humanitaire doivent être regardées en réalité, eu égard à son objet social, ses activités et ses prises de position, comme des actions à caractère politique. d) En outre, si une collectivité ou un groupement accorde un soutien à une organisation qui prend des positions dans le débat public, ils doivent s'assurer, par les conditions qu'ils posent et par des engagements appropriés qu'ils demandent à l'organisation de prendre, que leur aide sera exclusivement destinée au financement des actions de coopération, d'aide au développement ou à caractère humanitaire qu'ils entendent soutenir, et ne sera pas utilisée pour financer les autres activités de cette organisation. e) Enfin, si l'article L. 1115-1 du CGCT prévoit que les collectivités territoriales ou leurs groupements décidant de mener ou de soutenir des actions internationales de coopération, d'aide au développement ou à caractère humanitaire peuvent conclure à cette fin une convention avec des autorités locales étrangères, elles ne subordonnent pas la conduite ou le soutien à une telle action à la conclusion d'une convention avec les personnes ou autorités concernées par cette action. Il résulte néanmoins de l'article 10 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 que la conclusion d'une telle convention est obligatoire lorsqu'est attribuée à un organisme de droit privé une subvention d'un montant supérieur à un certain seuil, fixé à 23 000 euros par le décret n° 2001-495 du 6 juin 2001 pris pour l'application de ces dispositions. En outre, pour pouvoir bénéficier d'une subvention publique, les associations ou fondations soumises à l'article 10-1 de la loi du 12 avril 2000 doivent respecter, depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021, les engagements qui y sont mentionnés. 2) Organe délibérant d'une collectivité territoriale ayant, par la délibération attaquée, attribué à une association une subvention pour un programme de sauvetage en mer et de soins aux migrants dans le cadre de l'aide d'urgence et autorisé son exécutif à signer à cette fin une convention avec l'association. a) L'activité de sauvetage en mer de cette association, qui s'effectue en dehors du territoire français au profit de personnes en situation de détresse, constitue une action internationale à caractère humanitaire, au sens des dispositions de l'article L. 1115-1 du CGCT. b) Responsables de cette association ayant pris publiquement des positions critiquant tant le refus opposé par certains Etats membres de l'Union européenne (UE) au débarquement des personnes qu'elle a secourues que les orientations de l'UE incitant à privilégier le débarquement des personnes secourues en Libye, pays de départ des embarcations, et, plus généralement, plaidé pour une politique de sauvetage en mer plus volontariste et mieux coordonnée de la part de l'UE et de ses Etats membres. Il ressort des pièces du dossier que l'association agit systématiquement en coordination avec l'ensemble des autorités nationales compétentes en matière de sauvetage en mer et en conformité avec les principes du droit maritime international. Si elle a effectivement privilégié le débarquement dans les ports européens des personnes secourues dans les eaux internationales au large de la Libye, elle l'a justifié par le motif que le droit maritime international prévoit l'obligation de secourir les personnes se trouvant en détresse en mer et de les débarquer dans un lieu sûr dans un délai raisonnable quel que soit leur nationalité ou leur statut et qu'un débarquement en Libye, exposant ces personnes à un risque de traitements inhumains et dégradants documenté notamment par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), contreviendrait au principe d'un débarquement en lieu sûr et aux dispositions du règlement (UE) n° 656/2014 du 15 mai 2014 prohibant la remise des personnes secourues aux autorités d'un pays où il existe un risque sérieux qu'elles soient soumises à de tels traitements. S'il est par ailleurs soutenu que son action de sauvetage en mer aurait provoqué des différends entre la France et les autorités d'autres pays, il ressort des pièces du dossier que les navires de l'association ont toujours déféré aux refus de débarquement qui leur ont été opposés par les autorités de certains Etats membres, refus dont les autorités françaises ont d'ailleurs contesté elles-mêmes la conformité aux principes du droit maritime international. Dans ces conditions, le soutien financier apporté par une collectivité à cette association ne peut être regardé comme interférant avec la conduite par l'Etat des relations internationales de la France, la seule circonstance qu'au cours des débats au sein de l'organe délibérant de cette collectivité certains élus aient plaidé en faveur d'une politique plus volontariste en matière de sauvetage en mer et d'accueil des personnes secourues n'étant pas susceptible de caractériser une telle interférence. Cette activité de sauvetage en mer ne saurait enfin être regardée, au seul motif que des débats existent entre Etats membres de l'UE sur ces sujets et que l'association a pris parti dans ces débats, comme constituant, en réalité, une action à caractère politique. Dans ces conditions, les prises de position de l'association en cause ne faisaient pas obstacle par principe à ce que la collectivité accorde légalement à cette association une subvention destinée à ses activités relevant de l'action humanitaire internationale, sous réserve de s'assurer que cette aide serait exclusivement destinée au financement de ces activités. c) A cet égard, d'une part, il ressort de l'exposé des motifs et de l'objet de la délibération en litige que la subvention accordée par l'organe délibérant de la collectivité est exclusivement destinée à financer l'affrètement d'un nouveau navire en vue de permettre à l'association de reprendre ses activités de secours en mer, d'autre part, la convention conclue entre la collectivité et l'association en application de cette délibération stipule que l'utilisation de la subvention à d'autres fins entraîne la restitution de tout ou partie des sommes déjà versées et que la collectivité peut effectuer des contrôles, y compris sur pièces et sur place, pour s'assurer du respect de ces obligations. Légalité de la délibération attaquée.





135-01 : Collectivités territoriales- Dispositions générales-

Action extérieure des collectivités territoriales - Mise en oeuvre ou soutien d'une action internationale de coopération, d'aide au développement ou à caractère humanitaire (art. L. 1115-1 du CGCT) - Légalité - 1) Conditions (1) - a) Intérêt public local - Absence - Rattachement aux domaines de compétence de la collectivité - Absence - Implication d'une autorité locale étrangère - Absence - b) Respect des engagements internationaux de la France - Portée - c) Action ne conduisant pas à prendre parti dans un conflit de nature politique ou un conflit collectif du travail (2) - Portée - d) Cas du soutien à une organisation prenant des positions dans le débat public - Conditions et engagements appropriés - e) Conclusion d'une convention - Absence, sauf texte spécial le prescrivant (3) - 2) Illustration - Association menant une activité de sauvetage en mer - a) Action humanitaire - Existence - b) Prises de position et actions de l'association de nature à faire obstacle au soutien par une collectivité - Absence - c) Conditions et engagements appropriés - Existence (4).




1) a) Il résulte de l'article L. 1115-1 du code général des collectivités territoriales (CGCT), éclairé par les travaux préparatoires de la loi n° 2007-147 du 2 février 2007 et de la loi n° 2014-773 du 7 juillet 2014, dont elles sont issues, que les collectivités territoriales et leurs groupements ont compétence pour mettre en oeuvre ou soutenir toute action internationale de coopération, d'aide au développement ou à caractère humanitaire, le législateur n'ayant subordonné cette possibilité ni à la condition que cette action réponde à un intérêt public local, ni à la condition qu'elle s'inscrive dans les autres domaines de compétences attribués par la loi aux collectivités territoriales, ni à l'exigence qu'elle implique une autorité locale étrangère. b) Il résulte en outre de ces dispositions que les actions menées ou soutenues sur ce fondement doivent respecter les engagements internationaux de la France. Elles ne doivent pas interférer avec la conduite par l'Etat des relations internationales de la France. c) Par ailleurs, les actions menées ou soutenues sur le fondement de ces dispositions ne sauraient conduire une collectivité territoriale ou un groupement de collectivités territoriales à prendre parti dans un conflit de nature politique ou un conflit collectif du travail. Si la seule circonstance qu'une organisation prenne des positions dans le débat public ne fait pas obstacle à ce qu'une collectivité territoriale ou un groupement lui accorde un soutien pour des actions mentionnées à l'article L. 1115-1 du CGCT, ces collectivités et groupements ne sauraient légalement apporter leur soutien à une organisation dont les actions de coopération, d'aide au développement ou à caractère humanitaire doivent être regardées en réalité, eu égard à son objet social, ses activités et ses prises de position, comme des actions à caractère politique. d) En outre, si une collectivité ou un groupement accorde un soutien à une organisation qui prend des positions dans le débat public, ils doivent s'assurer, par les conditions qu'ils posent et par des engagements appropriés qu'ils demandent à l'organisation de prendre, que leur aide sera exclusivement destinée au financement des actions de coopération, d'aide au développement ou à caractère humanitaire qu'ils entendent soutenir, et ne sera pas utilisée pour financer les autres activités de cette organisation. e) Enfin, si l'article L. 1115-1 du CGCT prévoit que les collectivités territoriales ou leurs groupements décidant de mener ou de soutenir des actions internationales de coopération, d'aide au développement ou à caractère humanitaire peuvent conclure à cette fin une convention avec des autorités locales étrangères, elles ne subordonnent pas la conduite ou le soutien à une telle action à la conclusion d'une convention avec les personnes ou autorités concernées par cette action. Il résulte néanmoins de l'article 10 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 que la conclusion d'une telle convention est obligatoire lorsqu'est attribuée à un organisme de droit privé une subvention d'un montant supérieur à un certain seuil, fixé à 23 000 euros par le décret n° 2001-495 du 6 juin 2001 pris pour l'application de ces dispositions. En outre, pour pouvoir bénéficier d'une subvention publique, les associations ou fondations soumises à l'article 10-1 de la loi du 12 avril 2000 doivent respecter, depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021, les engagements qui y sont mentionnés. 2) Organe délibérant d'une collectivité territoriale ayant, par la délibération attaquée, attribué à une association une subvention pour un programme de sauvetage en mer et de soins aux migrants dans le cadre de l'aide d'urgence et autorisé son exécutif à signer à cette fin une convention avec l'association. a) L'activité de sauvetage en mer de cette association, qui s'effectue en dehors du territoire français au profit de personnes en situation de détresse, constitue une action internationale à caractère humanitaire, au sens des dispositions de l'article L. 1115-1 du CGCT. b) Responsables de cette association ayant pris publiquement des positions critiquant tant le refus opposé par certains Etats membres de l'Union européenne (UE) au débarquement des personnes qu'elle a secourues que les orientations de l'UE incitant à privilégier le débarquement des personnes secourues en Libye, pays de départ des embarcations, et, plus généralement, plaidé pour une politique de sauvetage en mer plus volontariste et mieux coordonnée de la part de l'UE et de ses Etats membres. Il ressort des pièces du dossier que l'association agit systématiquement en coordination avec l'ensemble des autorités nationales compétentes en matière de sauvetage en mer et en conformité avec les principes du droit maritime international. Si elle a effectivement privilégié le débarquement dans les ports européens des personnes secourues dans les eaux internationales au large de la Libye, elle l'a justifié par le motif que le droit maritime international prévoit l'obligation de secourir les personnes se trouvant en détresse en mer et de les débarquer dans un lieu sûr dans un délai raisonnable quel que soit leur nationalité ou leur statut et qu'un débarquement en Libye, exposant ces personnes à un risque de traitements inhumains et dégradants documenté notamment par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), contreviendrait au principe d'un débarquement en lieu sûr et aux dispositions du règlement (UE) n° 656/2014 du 15 mai 2014 prohibant la remise des personnes secourues aux autorités d'un pays où il existe un risque sérieux qu'elles soient soumises à de tels traitements. S'il est par ailleurs soutenu que son action de sauvetage en mer aurait provoqué des différends entre la France et les autorités d'autres pays, il ressort des pièces du dossier que les navires de l'association ont toujours déféré aux refus de débarquement qui leur ont été opposés par les autorités de certains Etats membres, refus dont les autorités françaises ont d'ailleurs contesté elles-mêmes la conformité aux principes du droit maritime international. Dans ces conditions, le soutien financier apporté par une collectivité à cette association ne peut être regardé comme interférant avec la conduite par l'Etat des relations internationales de la France, la seule circonstance qu'au cours des débats au sein de l'organe délibérant de cette collectivité certains élus aient plaidé en faveur d'une politique plus volontariste en matière de sauvetage en mer et d'accueil des personnes secourues n'étant pas susceptible de caractériser une telle interférence. Cette activité de sauvetage en mer ne saurait enfin être regardée, au seul motif que des débats existent entre Etats membres de l'UE sur ces sujets et que l'association a pris parti dans ces débats, comme constituant, en réalité, une action à caractère politique. Dans ces conditions, les prises de position de l'association en cause ne faisaient pas obstacle par principe à ce que la collectivité accorde légalement à cette association une subvention destinée à ses activités relevant de l'action humanitaire internationale, sous réserve de s'assurer que cette aide serait exclusivement destinée au financement de ces activités. c) A cet égard, d'une part, il ressort de l'exposé des motifs et de l'objet de la délibération en litige que la subvention accordée par l'organe délibérant de la collectivité est exclusivement destinée à financer l'affrètement d'un nouveau navire en vue de permettre à l'association de reprendre ses activités de secours en mer, d'autre part, la convention conclue entre la collectivité et l'association en application de cette délibération stipule que l'utilisation de la subvention à d'autres fins entraîne la restitution de tout ou partie des sommes déjà versées et que la collectivité peut effectuer des contrôles, y compris sur pièces et sur place, pour s'assurer du respect de ces obligations. Légalité de la délibération attaquée.


(1) Rappr., s'agissant du contrôle du juge de cassation, CE, Section, décision du même jour, M. , n° 474507, à publier au Recueil. (2) Cf., sur l'intervention dans un conflit de nature politique, CE, 23 octobre 1989, Commune de Pierrefitte-sur-Seine, commune de Saint-Ouen et commune de Romainville, n°s 93331 et autres, p. 209 ; CE, Section, 28 juillet 1995, Commune de Villeneuve-d'Ascq, n° 129838, p. 324 ; sur la prise de parti dans un conflit collectif du travail, CE, 20 novembre 1985, Commune d'Aigues-Mortes, n° 57139, p. 330. (3) Cf., en l'étendant, sur la condition tenant à ce que la commune s'assure par des engagements appropriés que l'aide est destinée à financer seulement les activités qu'elle peut légalement soutenir, CE, 8 juillet 2020, Mme du , n° 425926, T. p. 628. (4) Comp., sur l'existence d'engagements appropriés, CE, Section, décision du même jour, M. , n° 474652, à publier au Recueil.