Base de jurisprudence


Analyse n° 463162
13 février 2024
Conseil d'État

N° 463162
Publié au recueil Lebon

Lecture du mardi 13 février 2024



56-04-03 : Radio et télévision- Services privés de radio et de télévision- Services de télévision-

1) Législation visant à garantir le pluralisme des médias (art. 3-1, 13 et 42 de la loi du 30 septembre 1986) - Compatibilité avec l'article 10 de la conv. EDH (1) - Existence - 2) Obligations d'un service télévisuel d'information - a) Respect de sa qualité de « service consacré à l'information » - Espèce - Existence - b) Respect du pluralisme de l'information - Appréciation par l'Arcom - Prise en compte de l'ensemble des participants aux programmes et non des seules personnalités politiques - Existence - c) Respect de l'indépendance de l'information - Appréciation par l'Arcom - Prise en compte du fonctionnement du service dans son ensemble et des caractéristiques de sa programmation - Existence - d) Conséquence - Annulation du rejet d'une demande de mettre en demeure un service de télévision de se conformer aux obligations de pluralisme et d'indépendance - Injonction de réexamen.




1) Il découle de l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (conv. EDH) une obligation pour les Etats parties à la convention de mettre en place un cadre juridique et administratif propre à garantir le pluralisme des médias, qui doit s'entendre tant du pluralisme externe entre les différents médias d'information que du pluralisme interne qui vise, au sein de chaque média d'information, à assurer une expression pluraliste des courants de pensée et d'opinion, l'accès du public devant ainsi être garanti à des informations impartiales et exactes et à une pluralité d'opinions et de commentaires. A cet égard, les articles 1er, 3-1, 13 et 42 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 ainsi que l'article 2 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, doivent être appréciés au regard tant des principes qu'elles établissent que des pouvoirs qu'elles confèrent à l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) pour fixer des obligations à chaque éditeur de service dans la convention qu'elle conclut avec lui, pour lui adresser, en cas de manquement, une mise en demeure permettant de préciser les contours de ces obligations, puis pour lui infliger une sanction pouvant aller jusqu'au retrait de l'autorisation d'émettre. Eu égard à l'ensemble de ces éléments, elles établissent un cadre qui n'est pas insuffisant à garantir le pluralisme des médias. Dans ces conditions, les articles 3-1, 13 et 42 de la loi du 30 septembre 1986 ne sont pas incompatibles avec l'article 10 de la conv. EDH. 2) Arcom ayant refusé de mettre en demeure un éditeur de service de télévision de se conformer aux obligations prévues par sa convention de service et par la loi en matière de traitement de l'information. a) Convention conclue entre l'Arcom et l'éditeur d'un service stipulant que le service « est consacré à l'information » et qu'il « offre un programme réactualisé en temps réel couvrant tous les domaines de l'actualité ». Service proposant, sous forme de journaux ou d'émissions de plateau, un programme consacré à l'information couvrant l'ensemble des domaines de l'actualité et que la chaîne assure une actualisation régulière de son programme, sous la forme de bandeaux d'information déroulants et de rappels, tous les quarts d'heure, des principaux titres de l'actualité ainsi que, le cas échéant, par la diffusion d'éditions spéciales en lien avec l'actualité. En dépit de la place des émissions de débat dans la programmation de la chaîne, le service ne méconnait pas les obligations, résultant de sa convention, qui s'attachent à sa qualité de service consacré à l'information. b) Il résulte des articles 1er et 3-1 de la loi du 30 septembre 1986 que l'Arcom a pour mission de garantir le respect de l'expression pluraliste des courants de pensée et d'opinion dans les programmes audiovisuels, notamment dans les programmes consacrés à l'information. Il lui appartient à cet effet d'apprécier le respect par les éditeurs de service de cette exigence, dans l'exercice de leur liberté éditoriale, en prenant en compte, dans l'ensemble de leur programmation, la diversité des courants de pensée et d'opinion exprimés par l'ensemble des participants aux programmes diffusés. L'Arcom ne peut légalement apprécier le respect du pluralisme au seul regard du temps d'antenne accordé aux personnalités politiques, le non-respect de la diversité des courants de pensée et d'opinion exprimés par l'ensemble des participants aux programmes diffusés étant susceptible de constituer un manquement à cette exigence. c) Il résulte des articles 1er, 3-1 et 13 de la loi du 30 septembre 1986 que l'Arcom garantit l'indépendance de l'information en veillant notamment à ce que les conventions avec les éditeurs de services assurent le respect de l'article 2 bis de la loi du 29 juillet 1881 relatif à la protection des journalistes et aux chartes déontologiques tandis qu'un comité relatif à l'honnêteté, à l'indépendance et au pluralisme de l'information et des programmes est prévu par l'article 30-1 de la loi du 30 septembre 1986 pour contribuer au respect de ces principes. Eu égard à leur nature, les obligations d'un éditeur de service en matière d'indépendance de l'information sont au nombre de celles dont la méconnaissance peut être constatée par l'Arcom non seulement au regard d'un programme donné, mais également au regard de l'ensemble de ses conditions de fonctionnement et des caractéristiques de sa programmation. Il en résulte que l'Arcom ne peut légalement se borner, pour rejeter une demande faisant état, de la part du principal actionnaire de la chaîne, d'immixtions dans la programmation de la chaîne contraires aux exigences d'indépendance, à relever qu'elle ne pouvait intervenir que si la matérialité d'un manquement était établie au cours d'une séquence identifiée. d) Annulation de la décision de l'Arcom en tant qu'elle refuse de mettre en demeure l'éditeur de se conformer à ses obligations en matière de pluralisme et d'indépendance de l'information. Injonction à l'Arcom de réexaminer la demande de la requérante dans cette mesure et de prendre une nouvelle décision dans un délai de six mois.


(1) Rappr. Cour EDH, 5 avril 2022, n° 28470/12, NIT SRL c. République de Moldova.