Conseil d'État
N° 467982
Publié au recueil Lebon
Lecture du mercredi 10 mai 2023
44-008 : Nature et environnement- Lutte contre le changement climatique et adaptation à ses conséquences-
Injonction faite au Premier ministre de prendre, avant le 31 mars 2022, toutes mesures utiles permettant d'assurer la compatibilité des émissions nationales de GES avec les objectifs légaux et réglementaires de réduction pour 2030 - Exécution - 1) Objectifs - a) Cadre juridique actuel - b) Nouvel objectif européen (paquet « Fit for 55 ») - Modalités de prise en compte - 2) Office du juge - Prise en considération de tous les éléments recueillis permettant de s'assurer, avec une marge de sécurité suffisante et en tenant compte des aléas de prévision et d'exécution, que ces objectifs seront atteints - Modalités - 3) Mise en oeuvre - a) Niveaux d'émissions de GES relevés jusqu'à la date de la décision - Parts annuelles indicatives d'émissions prévues pour les années 2019 à 2021 ayant été respectées et part prévue pour 2022 pouvant l'être - b) Mesures invoquées par le Gouvernement - c) Appréciation de leur compatibilité avec la trajectoire de diminution - i) Considérations préalables - Incidence de la pandémie de Covid-19 et de la guerre en Ukraine - Accélération, à partir de 2022, du rythme de diminution à atteindre - ii) Méthodes d'évaluation du Gouvernement, des requérants et du HCC - iii) Appréciation - Respect des objectifs pour la période 2020-2022 - Incertitudes quant à la capacité à rendre suffisamment crédible l'atteinte d'un rythme de diminution compatible avec les objectifs fixés pour 2030 - iv) Conséquence - Décision ne pouvant être regardée comme ayant été complètement exécutée - Injonction, sans astreinte, à prendre toutes mesures supplémentaires utiles pour assurer la cohérence du rythme de diminution des émissions avec la trajectoire de réduction et à produire, à échéance du 31 décembre 2023 puis au plus tard le 30 juin 2024, tous les éléments justifiant de l'adoption de ces mesures et permettant l'évaluation de leurs incidences.
Conseil d'Etat statuant au contentieux ayant, par une décision n° 427301 du 1er juillet 2021, d'une part, annulé le refus implicite de prendre toutes mesures utiles permettant d'infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre (GES) produites sur le territoire national afin d'assurer sa compatibilité avec les objectifs de réduction fixés à l'article L. 100-4 du code de l'énergie et à l'annexe I au règlement (UE) 2018/842 du 30 mai 2018 et, d'autre part, enjoint au Premier ministre de prendre de telles mesures avant le 31 mars 2022. Requérants estimant que les mesures permettant d'assurer l'exécution complète de cette décision n'ont pas été prises et ayant saisi le Conseil d'Etat, sur le fondement des articles L. 911-5 et R. 931-2 du code de justice administrative (CJA), de demandes tendant au prononcé d'une astreinte. 1) a) Règlement (UE) 2018/842 du 30 mai 2018 fixant à -37 % l'objectif de réduction des émissions de GES en 2030, par rapport à leurs niveaux de 2005. Législateur ayant fixé un objectif de réduction de 40 % des émissions de GES en 2030 par rapport aux niveaux de 1990 à l'article L. 100-4 du code de l'énergie. Articles L. 222-1 A à L. 221-C du code de l'environnement prévoyant la fixation d'une stratégie bas-carbone et de budgets carbone. Décret n° 2020-457 du 21 avril 2020 relatif aux budgets carbone nationaux et à la stratégie nationale bas-carbone (SNBC) fixant en son article 2 les budgets carbone des périodes 2019-2023, 2024-2028 et 2029-2033, respectivement, à 422, 359 et 300 Mt de CO2eq par an, hors émissions et absorptions associées à l'utilisation des terres, aux changements d'affectation des terres et à la foresterie. Articles 3 à 5 définissant les modalités de répartition de ces budgets carbone par grands secteurs, par domaines d'activité et par catégories de GES. Article 6 précisant des tranches indicatives d'émissions annuelles, pour chacun des deuxième, troisième et quatrième budgets carbone. Parts annuelles indicatives de 443 Mt CO2eq en 2019, 436 Mt CO2eq en 2020, 423 Mt CO2eq en 2021, 410 Mt CO2eq en 2022. b) Article 4 du règlement (UE) 2021/1119 du 30 juin 2021 approuvant un nouvel objectif de réduction des émissions nettes de GES, après déduction des absorptions, à échéance 2030, à au moins - 55 % en 2030 par rapport aux niveaux de 1990. Déclinaison de ce nouvel objectif global venant d'être adoptée par le Parlement et le Conseil dans le cadre du « paquet » dit « Fit for 55 » ou « Ajustement à l'objectif -55 ». Règlement modificatif en cours de publication à la date de la présente décision portant de -37 % à -47,5 % l'objectif de réduction de ses émissions de GES par la France pour la période 2005 - 2030. La décision du 1er juillet 2021 ayant examiné, conformément à la décision avant-dire droit du 19 novembre 2020, la légalité des décisions de refus implicite attaquées initialement aux regards des objectifs fixés tant au niveau européen que national applicables à la date de son intervention, le nouvel objectif européen et ses déclinaisons nationales ne peuvent être regardés comme applicables, en tant que tels, au présent contentieux. Pour autant, cet élément ne saurait être ignoré dans l'analyse de l'évolution du niveau des émissions de GES, dès lors que cette modification du cadre règlementaire mis en place par l'Union européenne va se traduire, de façon imminente, par un renforcement sensible des objectifs à atteindre par la France. 2) Pour démontrer la correcte exécution de la décision du 1er juillet 2021, le Gouvernement doit justifier que les mesures prises, ainsi que les mesures qui peuvent encore être raisonnablement adoptées pour produire des effets dans un délai suffisamment court, permettent que la courbe des émissions de GES produites sur le territoire national soit compatible avec l'atteinte des objectifs mentionnés par le règlement (UE) 2018/842 du 30 mai 2018 et les décrets pris pour l'application des articles L. 221-A à L. 221-C du code de l'environnement, fixés à l'échéance 2030, avant l'adoption du « paquet » dit « Fit for 55 ». Pour déterminer si tel est le cas, le juge de l'exécution prend en considération tous les éléments recueillis lors de l'instruction contradictoire permettant de s'assurer, avec une marge de sécurité suffisante, et en tenant compte des aléas de prévision et d'exécution, que les objectifs fixés par le législateur pourront être atteints. Il lui appartient, en particulier, en premier lieu, d'examiner si les objectifs intermédiaires ont été atteints à la date à laquelle il statue et dans quelles conditions, en tenant compte, le cas échéant, des évènements exogènes qui ont pu affecter de manière sensible le niveau des émissions constatées. En deuxième lieu, il lui appartient de prendre en compte les mesures adoptées ou annoncées par le Gouvernement et présentées comme de nature à réduire les émissions de GES mais également, le cas échéant, les mesures susceptibles d'engendrer au contraire une augmentation notable de ces émissions. En troisième lieu, il doit prendre en considération les effets constatés ou prévisibles de ces différentes mesures et, plus largement, l'efficacité des politiques publiques mises en place, au regard des différentes méthodes d'évaluation ou d'estimation disponibles, y compris les avis émis par les experts, notamment le Haut conseil pour le climat (HCC), pour apprécier la compatibilité de la trajectoire de baisse des émissions de GES avec les objectifs assignés à la France. Au regard de l'ensemble de ces éléments, il appartient, en dernier lieu, au juge de déterminer, dans une perspective dynamique, et sans se limiter à l'atteinte des objectifs intermédiaires, mais en prenant en compte les objectifs fixés à la date de sa décision d'annulation, si, au vu des effets déjà constatés, des mesures annoncées et des caractéristiques des objectifs à atteindre ainsi que des modalités de planification et de coordination de l'action publique mises en oeuvre, les objectifs de réduction des émissions de GES fixés à l'échéance de 2030 peuvent, à la date de sa décision, être regardés comme raisonnablement atteignables. Si au terme de cette analyse, le juge de l'exécution estime que des éléments suffisamment crédibles et étayés permettent de regarder la trajectoire d'atteinte de ces objectifs comme respectée, il peut clore le contentieux lié à l'exécution de sa décision. Si au contraire il estime que tel n'est pas le cas, il lui appartient d'apprécier l'opportunité de compléter les mesures déjà prescrites ou de prononcer une astreinte, en tenant compte pour ce faire tant des circonstances de droit et de fait à la date de sa décision que des diligences déjà accomplies par l'administration pour procéder à l'exécution de la décision du 1er juillet 2021, ainsi que de celles qui sont encore susceptibles de l'être. 3) a) Emissions de GES nationales, hors utilisation des terres, s'étant élevées à 435 Mt CO2eq en 2019, à comparer à l'objectif indicatif de 443 Mt CO2eq fixé par le décret n° 2020-457 du 21 avril 2020, et à 393 Mt CO2eq en 2020, à comparer à l'objectif indicatif de 436, chiffres qui correspondent à une baisse, respectivement, de 1,9 % et 9,6 % des émissions par rapport à l'année directement précédente. Données provisoires disponibles pour 2021 situant le niveau d'émission à 418 Mt CO2eq, correspondant à une hausse des émissions de 6,4 % par rapport au niveau constaté en 2020, année qui avait été marquée par les mesures prises pour la gestion de la crise sanitaire causée par la pandémie de Covid-19. Dernières données non consolidées publiées concernant l'année 2022 mettant en évidence un niveau des émissions en baisse de 2,5 % par rapport à celui de 2021, avec une différence sensible de tendance entre les neuf premiers mois de l'année, marqués par une baisse très faible du niveau des émissions de l'ordre de - 0,3 %, et les trois derniers mois de l'année, marqués par des émissions en forte baisse, avec toutefois des évolutions contrastées selon les secteurs. Sous réserve de la confirmation de ces données provisoires pour l'année 2021 puis pour l'année 2022, éléments mettant en évidence que les parts annuelles indicatives d'émissions prévues pour le 2e budget carbone pour les années 2019, 2020 et 2021 ont été respectées et que celle prévue pour l'année 2022 pourrait l'être également. Sur la période 2019-2021, il en résulte un rythme de diminution annuel moyen des émissions de GES de l'ordre de - 1,9 %. b) Ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires faisant valoir que dans l'objectif d'accélérer le rythme de diminution des émissions de GES à un niveau compatible avec la trajectoire prévue par la SNBC, et en particulier celui prévu par les 3ème et 4ème budgets carbone tels que fixés par le décret du 21 avril 2020, de nombreuses mesures ont été adoptées par le Gouvernement depuis le 1er juillet 2021, que des budgets conséquents ont été prévus et seront consacrés au soutien de la transition écologique, et que des dispositifs de pilotage de l'action climatique de l'Etat destinés à mettre en oeuvre la SNBC ont été mis en place. S'agissant des mesures adoptées depuis le 1er juillet 2021, ministre mettant notamment en avant l'adoption de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 ainsi que les nombreux textes réglementaires d'application prévus par cette loi comportant des mesures destinées à réduire le niveau des émissions de GES. Ministre faisant également valoir différentes mesures dans les secteurs des transports, du bâtiment, de l'agriculture, de l'industrie, de l'énergie et des déchets. Ministre invoquant également les financements alloués à ces mesures ainsi que les initiatives prises en matière de gouvernance et de pilotage des politiques publiques relatives au climat. c) i) Il y a lieu de relever, tout d'abord, que les résultats constatés sont rendus d'interprétation délicate compte tenu de l'intervention, d'une part, de deux circonstances exogènes qui ont affecté de façon notable les activités générant des émissions de gaz à effet de serre, d'autre part, des mesures temporaires prises en réponse par le Gouvernement, également susceptibles d'affecter la trajectoire de réduction de ces émissions. Ainsi, les trois dernières années 2020, 2021 et 2022 ont été marquées par la grave crise sanitaire causée par la pandémie de Covid-19, qui a conduit à une forte restriction des activités qui génèrent des émissions de gaz à effet de serre, puis à un fort rebond de l'activité économique ayant fait suite à la levée de la plupart des mesures restrictives adoptées. Or, ces circonstances exceptionnelles ne permettent pas d'apprécier, d'une part, si les objectifs fixés pour 2020 auraient été atteints sur la base des seules mesures structurelles adoptées antérieurement, d'autre part, dans quelle proportion l'efficacité de ces mesures a eu une incidence sur le niveau d'émission constaté en 2021 au regard des données provisoires actuellement disponibles. La crise liée à la guerre en Ukraine a, par ailleurs, eu des incidences significatives sur l'activité économique, les conditions d'approvisionnement en énergie et les décisions de politique énergétique, à compter de février 2022, et a conduit le Gouvernement à prendre des mesures susceptibles d'aller à l'encontre des objectifs de réduction des émissions de GES, notamment en intervenant sur les prix de l'énergie et les dépenses supportées par les entreprises et les ménages et en maintenant ouvertes ou en recourant à des centrales à charbon et à des centrales électriques au gaz pour garantir l'approvisionnement en électricité du pays. Il y a également lieu de relever, comme le notait déjà la décision du 1er juillet 2021, que les 3ème et 4ème budgets carbone tels que fixés par le décret du 21 avril 2020 vont imposer un rythme de diminution des émissions de GES sensiblement supérieur au rythme annuel moyen de - 1,9 % constaté pour les années 2019 à 2021 et ce, sans prendre en compte le rehaussement de l'objectif de réduction des émissions adopté à l'échelle de l'Union européenne (UE). ii) S'agissant des modalités d'appréciation de la capacité de la France à atteindre les objectifs de réduction des émissions de GES qui lui sont assignés, mesures prises par le Gouvernement ayant fait l'objet de différents types d'évaluations qui ont été versées à l'instruction contradictoire. Gouvernement ayant mené à bien, sous l'égide du Centre interprofessionnel technique d'études de la pollution atmosphérique (CITEPA), un exercice de simulation par projection des effets de différentes mesures sélectionnées. Exercice biennal de modélisation mis en oeuvre par l'Etat au titre de l'article 18 du règlement (UE) 2018/1999 du 11 décembre 2018 et ayant pour objet de mesurer l'impact à moyen terme des politiques publiques menées afin de réduire les émissions de GES. Pour réaliser la première étape de cette évaluation (dite « run 1 »), Gouvernement ayant mis à jour les scénarios prospectifs qui avaient été communiqués dans le cadre de l'instance au fond pour y intégrer les mesures supplémentaires adoptées depuis juillet 2017 et s'étant appuyé sur une agrégation de paramètres clés, d'indicateurs et de modèles sectoriels, soit technico-économiques, soit purement physiques réalisée par le CITEPA. Selon les projections ainsi effectuées avec les mesures supplémentaires adoptées depuis juillet 2017, émissions de GES des six secteurs des transports, du bâtiment, de l'agriculture, de l'industrie, de l'énergie et des déchets devant atteindre 335,4 Mt CO2eq en 2030, correspondant à une diminution de 23 % par rapport à leur niveau de 2019 et de plus de 38 % par rapport à leur niveau de 1990. Le Gouvernement faisant dès lors valoir que compte tenu des mesures supplémentaires adoptées depuis le 31 décembre 2022 et de la marge d'erreur inhérente à un tel exercice d'évaluation, les objectifs de réduction des émissions fixés pour 2030 devraient être atteints. Toutefois, cet exercice de prévision présente un degré d'incertitude significatif à la date de la présente décision, en raison notamment de l'absence d'évaluation rétrospective sur la capacité des mesures prises en compte à permettre effectivement les réductions d'émissions de GES projetées à l'horizon 2030. L'évaluation de la réduction des émissions à laquelle il aboutit doit, dès lors, être complétée par une appréciation de l'impact des politiques sectorielles menées par rapport aux différentes orientations sectorielles fixées dans le cadre de la SNBC pour atteindre les objectifs de réduction fixés à cette échéance. Requérantes ayant produit des éléments d'analyse complémentaires à ceux qui avaient été versés lors de l'instance au fond, établis notamment par un cabinet d'étude spécialisé. Requérantes estimant qu'il résulte de cette analyse que seuls trois des onze paramètres « structurants » étudiés dans trois secteurs parmi les plus émetteurs (transports, bâtiment, agriculture) connaîtraient une évolution en cohérence avec les objectifs de la SNBC, un quatrième paramètre connaissant une évolution favorable qui lui permettrait d'approcher ces objectifs. Or, compte tenu de l'importance des paramètres structurants pris en compte dans le niveau total d'émissions constaté, le non-respect des objectifs assignés pour au moins sept d'entre eux sur les onze évalués ne serait pas susceptible d'être compensé par les résultats éventuellement plus favorables obtenus s'agissant d'autres paramètres ou secteurs. HCC ayant retenu, dans son rapport réalisé conformément à l'article L. 132-4 du code de l'environnement et publié en juin 2022, que, si des nouvelles mesures positives sont effectivement intervenues depuis son précédent rapport annuel, pour dix-neuf des vingt-cinq orientations sectorielles de la SNBC, seules six de ces orientations apparaissent en adéquation avec le niveau requis pour atteindre les budgets carbone. HCC estimant que quatre d'entre elles peuvent même être regardées comme ayant fait l'objet de mesures de nature à compromettre l'atteinte des objectifs fixés dans le cadre de la SNBC. Au total, HCC estimant qu'il existe des risques majeurs persistants de ne pas atteindre les objectifs fixés pour 2030 en matière de réduction des émissions de GES, eu égard notamment à la nécessité, à compter de la période couverte par le 3ème budget carbone (2024-2028), de doubler le rythme annuel de réduction de ces émissions par rapport à ce qui est observé depuis 2010. Rythme annuel moyen de réduction constaté depuis lors étant en effet de l'ordre de -1,7 % alors que les 3ème et 4ème budgets carbone imposent un rythme annuel moyen de l'ordre de -3,2%, et ce, sans prendre en compte le rehaussement de l'objectif de réduction des émissions adopté à l'échelle de l'Union européenne. HCC soulignant en outre qu'un véritable pilotage, reposant sur un suivi des indicateurs pertinents, des plans d'action déclinés dans tous les ministères et une évaluation systématique des politiques publiques au regard de leurs incidences sur le climat n'est pas encore en place. iii) En premier lieu, les objectifs de réduction des émissions de GES fixés pour les années 2020, 2021 et 2022, à travers les parts indicatives annuelles du deuxième budget carbone (2019-2023), ont été ou pourraient être atteints. Toutefois, ces résultats doivent être replacés dans le contexte de l'assouplissement des objectifs assignés au deuxième budget carbone auquel le décret du 21 avril 2020 a procédé, mais également de la baisse très significative des émissions constatées en 2020, compte tenu de la baisse d'activité causée par les mesures prises pour lutter contre la pandémie de Covid-19. En deuxième lieu, le Gouvernement a adopté un ensemble de mesures conséquent, qui concerne nombre d'activités ou de secteurs émetteurs de GES, et a alloué des montants importants aux investissements en lien avec la transition écologique et énergétique. Ces mesures, si elles sont mises en oeuvre pleinement et sans retard, apparaissent de nature à conduire à une diminution supplémentaire des émissions de GES. Ces éléments doivent être regardés comme manifestant la volonté du Gouvernement d'atteindre les objectifs de réduction des émissions fixés en l'état à l'échéance 2030 et d'exécuter, ce faisant, la décision du 1er juillet 2021. Cependant, si ce dernier fait valoir que ces mesures permettront d'atteindre ces objectifs de réduction des émissions, d'une part, l'évaluation prospective qu'il a produite repose sur des hypothèses de modélisation qui ne sont pas vérifiées à ce stade et ne permettent pas de considérer comme suffisamment fiables les résultats avancés, d'autre part, les conclusions de cette évaluation apparaissent en contradiction avec l'analyse par objectifs sectoriels menée par le HCC de la « stratégie nationale bas carbone », laquelle n'a été remise en cause, dans sa méthodologie ou les conclusions auxquelles elle aboutit, par aucune des parties. Dans ces conditions, et compte tenu notamment du renforcement de l'ampleur des réductions de GES attendues par les 3ème et 4ème budgets carbone par rapport au niveau constaté jusqu'ici, il demeure des incertitudes persistantes, qui n'ont pas été levées par l'instruction contradictoire menée, complétée par la séance orale d'instruction, quant à la capacité des mesures prises à ce jour et des modalités de coordination stratégique et opérationnelle de l'ensemble de l'action publique mises en oeuvre, à rendre suffisamment crédible l'atteinte d'un rythme de diminution des émissions territoriales de GES cohérent avec les objectifs de réduction fixés pour 2030 par les dispositions législatives nationales ou par le droit de l'UE pertinents. iv) Il en résulte qu'en l'état de l'instruction, la décision du 1er juillet 2021 ne peut être regardée comme complètement exécutée. Dans ces circonstances, et compte tenu notamment des diligences déjà accomplies par le Gouvernement ainsi que de celles qui sont encore susceptibles de l'être, il y a lieu, en l'état, de compléter l'injonction prononcée par cette décision en édictant, sur le fondement des articles L. 911-5 et R. 911-32 du CJA, les mesures complémentaires nécessaires pour en assurer l'exécution complète, sans qu'il soit besoin par ailleurs de prononcer une astreinte. Il y a ainsi lieu, sans prononcer d'astreinte, d'enjoindre à la Première ministre de prendre toutes mesures supplémentaires utiles pour assurer la cohérence du rythme de diminution des émissions de GES avec la trajectoire de réduction de ces émissions retenue par le décret du 21 avril 2020 en vue d'atteindre les objectifs de réduction fixés par l'article L. 100-4 du code de l'énergie et par l'annexe I du règlement (UE) 2018/842 du 30 mai 2018 avant le 30 juin 2024 et de produire, à échéance du 31 décembre 2023, puis au plus tard le 30 juin 2024, tous les éléments justifiant de l'adoption de ces mesures et permettant l'évaluation de leurs incidences sur ces objectifs de réduction des émissions de GES.
54-06-07-008 : Procédure- Jugements- Exécution des jugements- Prescription d'une mesure d'exécution-
Injonction faite au Premier ministre de prendre, avant le 31 mars 2022, toutes mesures utiles permettant d'assurer la compatibilité des émissions nationales de GES avec les objectifs légaux et réglementaires de réduction pour 2030 - Exécution - 1) Objectifs - a) Cadre juridique actuel - b) Nouvel objectif européen (paquet « Fit for 55 ») - Modalités de prise en compte - 2) Office du juge - Prise en considération de tous les éléments recueillis permettant de s'assurer, avec une marge de sécurité suffisante et en tenant compte des aléas de prévision et d'exécution, que ces objectifs seront atteints - Modalités - 3) Mise en oeuvre - a) Niveaux d'émissions de GES relevés jusqu'à la date de la décision - Parts annuelles indicatives d'émissions prévues pour les années 2019 à 2021 ayant été respectées et part prévue pour 2022 pouvant l'être - b) Mesures invoquées par le Gouvernement - c) Appréciation de leur compatibilité avec la trajectoire de diminution - i) Considérations préalables - Incidence de la pandémie de Covid-19 et de la guerre en Ukraine - Accélération, à partir de 2022, du rythme de diminution à atteindre - ii) Méthodes d'évaluation du Gouvernement, des requérants et du HCC - iii) Appréciation - Respect des objectifs pour la période 2020-2022 - Incertitudes quant à la capacité à rendre suffisamment crédible l'atteinte d'un rythme de diminution compatible avec les objectifs fixés pour 2030 - iv) Conséquence - Décision ne pouvant être regardée comme ayant été complètement exécutée - Injonction, sans astreinte, à prendre toutes mesures supplémentaires utiles pour assurer la cohérence du rythme de diminution des émissions avec la trajectoire de réduction et à produire, à échéance du 31 décembre 2023 puis au plus tard le 30 juin 2024, tous les éléments justifiant de l'adoption de ces mesures et permettant l'évaluation de leurs incidences.
Conseil d'Etat statuant au contentieux ayant, par une décision n° 427301 du 1er juillet 2021, d'une part, annulé le refus implicite de prendre toutes mesures utiles permettant d'infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre (GES) produites sur le territoire national afin d'assurer sa compatibilité avec les objectifs de réduction fixés à l'article L. 100-4 du code de l'énergie et à l'annexe I au règlement (UE) 2018/842 du 30 mai 2018 et, d'autre part, enjoint au Premier ministre de prendre de telles mesures avant le 31 mars 2022. Requérants estimant que les mesures permettant d'assurer l'exécution complète de cette décision n'ont pas été prises et ayant saisi le Conseil d'Etat, sur le fondement des articles L. 911-5 et R. 931-2 du code de justice administrative (CJA), de demandes tendant au prononcé d'une astreinte. 1) a) Règlement (UE) 2018/842 du 30 mai 2018 fixant à -37 % l'objectif de réduction des émissions de GES en 2030, par rapport à leurs niveaux de 2005. Législateur ayant fixé un objectif de réduction de 40 % des émissions de GES en 2030 par rapport aux niveaux de 1990 à l'article L. 100-4 du code de l'énergie. Articles L. 222-1 A à L. 221-C du code de l'environnement prévoyant la fixation d'une stratégie bas-carbone et de budgets carbone. Décret n° 2020-457 du 21 avril 2020 relatif aux budgets carbone nationaux et à la stratégie nationale bas-carbone (SNBC) fixant en son article 2 les budgets carbone des périodes 2019-2023, 2024-2028 et 2029-2033, respectivement, à 422, 359 et 300 Mt de CO2eq par an, hors émissions et absorptions associées à l'utilisation des terres, aux changements d'affectation des terres et à la foresterie. Articles 3 à 5 définissant les modalités de répartition de ces budgets carbone par grands secteurs, par domaines d'activité et par catégories de GES. Article 6 précisant des tranches indicatives d'émissions annuelles, pour chacun des deuxième, troisième et quatrième budgets carbone. Parts annuelles indicatives de 443 Mt CO2eq en 2019, 436 Mt CO2eq en 2020, 423 Mt CO2eq en 2021, 410 Mt CO2eq en 2022. b) Article 4 du règlement (UE) 2021/1119 du 30 juin 2021 approuvant un nouvel objectif de réduction des émissions nettes de GES, après déduction des absorptions, à échéance 2030, à au moins - 55 % en 2030 par rapport aux niveaux de 1990. Déclinaison de ce nouvel objectif global venant d'être adoptée par le Parlement et le Conseil dans le cadre du « paquet » dit « Fit for 55 » ou « Ajustement à l'objectif -55 ». Règlement modificatif en cours de publication à la date de la présente décision portant de -37 % à -47,5 % l'objectif de réduction de ses émissions de GES par la France pour la période 2005 - 2030. La décision du 1er juillet 2021 ayant examiné, conformément à la décision avant-dire droit du 19 novembre 2020, la légalité des décisions de refus implicite attaquées initialement aux regards des objectifs fixés tant au niveau européen que national applicables à la date de son intervention, le nouvel objectif européen et ses déclinaisons nationales ne peuvent être regardés comme applicables, en tant que tels, au présent contentieux. Pour autant, cet élément ne saurait être ignoré dans l'analyse de l'évolution du niveau des émissions de GES, dès lors que cette modification du cadre règlementaire mis en place par l'Union européenne va se traduire, de façon imminente, par un renforcement sensible des objectifs à atteindre par la France. 2) Pour démontrer la correcte exécution de la décision du 1er juillet 2021, le Gouvernement doit justifier que les mesures prises, ainsi que les mesures qui peuvent encore être raisonnablement adoptées pour produire des effets dans un délai suffisamment court, permettent que la courbe des émissions de GES produites sur le territoire national soit compatible avec l'atteinte des objectifs mentionnés par le règlement (UE) 2018/842 du 30 mai 2018 et les décrets pris pour l'application des articles L. 221-A à L. 221-C du code de l'environnement, fixés à l'échéance 2030, avant l'adoption du « paquet » dit « Fit for 55 ». Pour déterminer si tel est le cas, le juge de l'exécution prend en considération tous les éléments recueillis lors de l'instruction contradictoire permettant de s'assurer, avec une marge de sécurité suffisante, et en tenant compte des aléas de prévision et d'exécution, que les objectifs fixés par le législateur pourront être atteints. Il lui appartient, en particulier, en premier lieu, d'examiner si les objectifs intermédiaires ont été atteints à la date à laquelle il statue et dans quelles conditions, en tenant compte, le cas échéant, des évènements exogènes qui ont pu affecter de manière sensible le niveau des émissions constatées. En deuxième lieu, il lui appartient de prendre en compte les mesures adoptées ou annoncées par le Gouvernement et présentées comme de nature à réduire les émissions de GES mais également, le cas échéant, les mesures susceptibles d'engendrer au contraire une augmentation notable de ces émissions. En troisième lieu, il doit prendre en considération les effets constatés ou prévisibles de ces différentes mesures et, plus largement, l'efficacité des politiques publiques mises en place, au regard des différentes méthodes d'évaluation ou d'estimation disponibles, y compris les avis émis par les experts, notamment le Haut conseil pour le climat (HCC), pour apprécier la compatibilité de la trajectoire de baisse des émissions de GES avec les objectifs assignés à la France. Au regard de l'ensemble de ces éléments, il appartient, en dernier lieu, au juge de déterminer, dans une perspective dynamique, et sans se limiter à l'atteinte des objectifs intermédiaires, mais en prenant en compte les objectifs fixés à la date de sa décision d'annulation, si, au vu des effets déjà constatés, des mesures annoncées et des caractéristiques des objectifs à atteindre ainsi que des modalités de planification et de coordination de l'action publique mises en oeuvre, les objectifs de réduction des émissions de GES fixés à l'échéance de 2030 peuvent, à la date de sa décision, être regardés comme raisonnablement atteignables. Si au terme de cette analyse, le juge de l'exécution estime que des éléments suffisamment crédibles et étayés permettent de regarder la trajectoire d'atteinte de ces objectifs comme respectée, il peut clore le contentieux lié à l'exécution de sa décision. Si au contraire il estime que tel n'est pas le cas, il lui appartient d'apprécier l'opportunité de compléter les mesures déjà prescrites ou de prononcer une astreinte, en tenant compte pour ce faire tant des circonstances de droit et de fait à la date de sa décision que des diligences déjà accomplies par l'administration pour procéder à l'exécution de la décision du 1er juillet 2021, ainsi que de celles qui sont encore susceptibles de l'être. 3) a) Emissions de GES nationales, hors utilisation des terres, s'étant élevées à 435 Mt CO2eq en 2019, à comparer à l'objectif indicatif de 443 Mt CO2eq fixé par le décret n° 2020-457 du 21 avril 2020, et à 393 Mt CO2eq en 2020, à comparer à l'objectif indicatif de 436, chiffres qui correspondent à une baisse, respectivement, de 1,9 % et 9,6 % des émissions par rapport à l'année directement précédente. Données provisoires disponibles pour 2021 situant le niveau d'émission à 418 Mt CO2eq, correspondant à une hausse des émissions de 6,4 % par rapport au niveau constaté en 2020, année qui avait été marquée par les mesures prises pour la gestion de la crise sanitaire causée par la pandémie de Covid-19. Dernières données non consolidées publiées concernant l'année 2022 mettant en évidence un niveau des émissions en baisse de 2,5 % par rapport à celui de 2021, avec une différence sensible de tendance entre les neuf premiers mois de l'année, marqués par une baisse très faible du niveau des émissions de l'ordre de - 0,3 %, et les trois derniers mois de l'année, marqués par des émissions en forte baisse, avec toutefois des évolutions contrastées selon les secteurs. Sous réserve de la confirmation de ces données provisoires pour l'année 2021 puis pour l'année 2022, éléments mettant en évidence que les parts annuelles indicatives d'émissions prévues pour le 2e budget carbone pour les années 2019, 2020 et 2021 ont été respectées et que celle prévue pour l'année 2022 pourrait l'être également. Sur la période 2019-2021, il en résulte un rythme de diminution annuel moyen des émissions de GES de l'ordre de - 1,9 %. b) Ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires faisant valoir que dans l'objectif d'accélérer le rythme de diminution des émissions de GES à un niveau compatible avec la trajectoire prévue par la SNBC, et en particulier celui prévu par les 3ème et 4ème budgets carbone tels que fixés par le décret du 21 avril 2020, de nombreuses mesures ont été adoptées par le Gouvernement depuis le 1er juillet 2021, que des budgets conséquents ont été prévus et seront consacrés au soutien de la transition écologique, et que des dispositifs de pilotage de l'action climatique de l'Etat destinés à mettre en oeuvre la SNBC ont été mis en place. S'agissant des mesures adoptées depuis le 1er juillet 2021, ministre mettant notamment en avant l'adoption de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 ainsi que les nombreux textes réglementaires d'application prévus par cette loi comportant des mesures destinées à réduire le niveau des émissions de GES. Ministre faisant également valoir différentes mesures dans les secteurs des transports, du bâtiment, de l'agriculture, de l'industrie, de l'énergie et des déchets. Ministre invoquant également les financements alloués à ces mesures ainsi que les initiatives prises en matière de gouvernance et de pilotage des politiques publiques relatives au climat. c) i) Il y a lieu de relever, tout d'abord, que les résultats constatés sont rendus d'interprétation délicate compte tenu de l'intervention, d'une part, de deux circonstances exogènes qui ont affecté de façon notable les activités générant des émissions de gaz à effet de serre, d'autre part, des mesures temporaires prises en réponse par le Gouvernement, également susceptibles d'affecter la trajectoire de réduction de ces émissions. Ainsi, les trois dernières années 2020, 2021 et 2022 ont été marquées par la grave crise sanitaire causée par la pandémie de Covid-19, qui a conduit à une forte restriction des activités qui génèrent des émissions de gaz à effet de serre, puis à un fort rebond de l'activité économique ayant fait suite à la levée de la plupart des mesures restrictives adoptées. Or, ces circonstances exceptionnelles ne permettent pas d'apprécier, d'une part, si les objectifs fixés pour 2020 auraient été atteints sur la base des seules mesures structurelles adoptées antérieurement, d'autre part, dans quelle proportion l'efficacité de ces mesures a eu une incidence sur le niveau d'émission constaté en 2021 au regard des données provisoires actuellement disponibles. La crise liée à la guerre en Ukraine a, par ailleurs, eu des incidences significatives sur l'activité économique, les conditions d'approvisionnement en énergie et les décisions de politique énergétique, à compter de février 2022, et a conduit le Gouvernement à prendre des mesures susceptibles d'aller à l'encontre des objectifs de réduction des émissions de GES, notamment en intervenant sur les prix de l'énergie et les dépenses supportées par les entreprises et les ménages et en maintenant ouvertes ou en recourant à des centrales à charbon et à des centrales électriques au gaz pour garantir l'approvisionnement en électricité du pays. Il y a également lieu de relever, comme le notait déjà la décision du 1er juillet 2021, que les 3ème et 4ème budgets carbone tels que fixés par le décret du 21 avril 2020 vont imposer un rythme de diminution des émissions de GES sensiblement supérieur au rythme annuel moyen de - 1,9 % constaté pour les années 2019 à 2021 et ce, sans prendre en compte le rehaussement de l'objectif de réduction des émissions adopté à l'échelle de l'Union européenne (UE). ii) S'agissant des modalités d'appréciation de la capacité de la France à atteindre les objectifs de réduction des émissions de GES qui lui sont assignés, mesures prises par le Gouvernement ayant fait l'objet de différents types d'évaluations qui ont été versées à l'instruction contradictoire. Gouvernement ayant mené à bien, sous l'égide du Centre interprofessionnel technique d'études de la pollution atmosphérique (CITEPA), un exercice de simulation par projection des effets de différentes mesures sélectionnées. Exercice biennal de modélisation mis en oeuvre par l'Etat au titre de l'article 18 du règlement (UE) 2018/1999 du 11 décembre 2018 et ayant pour objet de mesurer l'impact à moyen terme des politiques publiques menées afin de réduire les émissions de GES. Pour réaliser la première étape de cette évaluation (dite « run 1 »), Gouvernement ayant mis à jour les scénarios prospectifs qui avaient été communiqués dans le cadre de l'instance au fond pour y intégrer les mesures supplémentaires adoptées depuis juillet 2017 et s'étant appuyé sur une agrégation de paramètres clés, d'indicateurs et de modèles sectoriels, soit technico-économiques, soit purement physiques réalisée par le CITEPA. Selon les projections ainsi effectuées avec les mesures supplémentaires adoptées depuis juillet 2017, émissions de GES des six secteurs des transports, du bâtiment, de l'agriculture, de l'industrie, de l'énergie et des déchets devant atteindre 335,4 Mt CO2eq en 2030, correspondant à une diminution de 23 % par rapport à leur niveau de 2019 et de plus de 38 % par rapport à leur niveau de 1990. Le Gouvernement faisant dès lors valoir que compte tenu des mesures supplémentaires adoptées depuis le 31 décembre 2022 et de la marge d'erreur inhérente à un tel exercice d'évaluation, les objectifs de réduction des émissions fixés pour 2030 devraient être atteints. Toutefois, cet exercice de prévision présente un degré d'incertitude significatif à la date de la présente décision, en raison notamment de l'absence d'évaluation rétrospective sur la capacité des mesures prises en compte à permettre effectivement les réductions d'émissions de GES projetées à l'horizon 2030. L'évaluation de la réduction des émissions à laquelle il aboutit doit, dès lors, être complétée par une appréciation de l'impact des politiques sectorielles menées par rapport aux différentes orientations sectorielles fixées dans le cadre de la SNBC pour atteindre les objectifs de réduction fixés à cette échéance. Requérantes ayant produit des éléments d'analyse complémentaires à ceux qui avaient été versés lors de l'instance au fond, établis notamment par un cabinet d'étude spécialisé. Requérantes estimant qu'il résulte de cette analyse que seuls trois des onze paramètres « structurants » étudiés dans trois secteurs parmi les plus émetteurs (transports, bâtiment, agriculture) connaîtraient une évolution en cohérence avec les objectifs de la SNBC, un quatrième paramètre connaissant une évolution favorable qui lui permettrait d'approcher ces objectifs. Or, compte tenu de l'importance des paramètres structurants pris en compte dans le niveau total d'émissions constaté, le non-respect des objectifs assignés pour au moins sept d'entre eux sur les onze évalués ne serait pas susceptible d'être compensé par les résultats éventuellement plus favorables obtenus s'agissant d'autres paramètres ou secteurs. HCC ayant retenu, dans son rapport réalisé conformément à l'article L. 132-4 du code de l'environnement et publié en juin 2022, que, si des nouvelles mesures positives sont effectivement intervenues depuis son précédent rapport annuel, pour dix-neuf des vingt-cinq orientations sectorielles de la SNBC, seules six de ces orientations apparaissent en adéquation avec le niveau requis pour atteindre les budgets carbone. HCC estimant que quatre d'entre elles peuvent même être regardées comme ayant fait l'objet de mesures de nature à compromettre l'atteinte des objectifs fixés dans le cadre de la SNBC. Au total, HCC estimant qu'il existe des risques majeurs persistants de ne pas atteindre les objectifs fixés pour 2030 en matière de réduction des émissions de GES, eu égard notamment à la nécessité, à compter de la période couverte par le 3ème budget carbone (2024-2028), de doubler le rythme annuel de réduction de ces émissions par rapport à ce qui est observé depuis 2010. Rythme annuel moyen de réduction constaté depuis lors étant en effet de l'ordre de -1,7 % alors que les 3ème et 4ème budgets carbone imposent un rythme annuel moyen de l'ordre de -3,2%, et ce, sans prendre en compte le rehaussement de l'objectif de réduction des émissions adopté à l'échelle de l'Union européenne. HCC soulignant en outre qu'un véritable pilotage, reposant sur un suivi des indicateurs pertinents, des plans d'action déclinés dans tous les ministères et une évaluation systématique des politiques publiques au regard de leurs incidences sur le climat n'est pas encore en place. iii) En premier lieu, les objectifs de réduction des émissions de GES fixés pour les années 2020, 2021 et 2022, à travers les parts indicatives annuelles du deuxième budget carbone (2019-2023), ont été ou pourraient être atteints. Toutefois, ces résultats doivent être replacés dans le contexte de l'assouplissement des objectifs assignés au deuxième budget carbone auquel le décret du 21 avril 2020 a procédé, mais également de la baisse très significative des émissions constatées en 2020, compte tenu de la baisse d'activité causée par les mesures prises pour lutter contre la pandémie de Covid-19. En deuxième lieu, le Gouvernement a adopté un ensemble de mesures conséquent, qui concerne nombre d'activités ou de secteurs émetteurs de GES, et a alloué des montants importants aux investissements en lien avec la transition écologique et énergétique. Ces mesures, si elles sont mises en oeuvre pleinement et sans retard, apparaissent de nature à conduire à une diminution supplémentaire des émissions de GES. Ces éléments doivent être regardés comme manifestant la volonté du Gouvernement d'atteindre les objectifs de réduction des émissions fixés en l'état à l'échéance 2030 et d'exécuter, ce faisant, la décision du 1er juillet 2021. Cependant, si ce dernier fait valoir que ces mesures permettront d'atteindre ces objectifs de réduction des émissions, d'une part, l'évaluation prospective qu'il a produite repose sur des hypothèses de modélisation qui ne sont pas vérifiées à ce stade et ne permettent pas de considérer comme suffisamment fiables les résultats avancés, d'autre part, les conclusions de cette évaluation apparaissent en contradiction avec l'analyse par objectifs sectoriels menée par le HCC de la « stratégie nationale bas carbone », laquelle n'a été remise en cause, dans sa méthodologie ou les conclusions auxquelles elle aboutit, par aucune des parties. Dans ces conditions, et compte tenu notamment du renforcement de l'ampleur des réductions de GES attendues par les 3ème et 4ème budgets carbone par rapport au niveau constaté jusqu'ici, il demeure des incertitudes persistantes, qui n'ont pas été levées par l'instruction contradictoire menée, complétée par la séance orale d'instruction, quant à la capacité des mesures prises à ce jour et des modalités de coordination stratégique et opérationnelle de l'ensemble de l'action publique mises en oeuvre, à rendre suffisamment crédible l'atteinte d'un rythme de diminution des émissions territoriales de GES cohérent avec les objectifs de réduction fixés pour 2030 par les dispositions législatives nationales ou par le droit de l'UE pertinents. iv) Il en résulte qu'en l'état de l'instruction, la décision du 1er juillet 2021 ne peut être regardée comme complètement exécutée. Dans ces circonstances, et compte tenu notamment des diligences déjà accomplies par le Gouvernement ainsi que de celles qui sont encore susceptibles de l'être, il y a lieu, en l'état, de compléter l'injonction prononcée par cette décision en édictant, sur le fondement des articles L. 911-5 et R. 911-32 du CJA, les mesures complémentaires nécessaires pour en assurer l'exécution complète, sans qu'il soit besoin par ailleurs de prononcer une astreinte. Il y a ainsi lieu, sans prononcer d'astreinte, d'enjoindre à la Première ministre de prendre toutes mesures supplémentaires utiles pour assurer la cohérence du rythme de diminution des émissions de GES avec la trajectoire de réduction de ces émissions retenue par le décret du 21 avril 2020 en vue d'atteindre les objectifs de réduction fixés par l'article L. 100-4 du code de l'énergie et par l'annexe I du règlement (UE) 2018/842 du 30 mai 2018 avant le 30 juin 2024 et de produire, à échéance du 31 décembre 2023, puis au plus tard le 30 juin 2024, tous les éléments justifiant de l'adoption de ces mesures et permettant l'évaluation de leurs incidences sur ces objectifs de réduction des émissions de GES.
(1) Rappr., sous l'empire de l'article L. 514-1 du code de l'environnement abrogé par l'ordonnance n° 2012-34 du 11 janvier 2012, CE, 9 juillet 2007, Ministre de l'écologie, du développement et de l'aménagement durables c/ Société Terrena-Poitou, n° 288367, T. p. 958 ; CE, 14 novembre 2008, Ministre d'Etat, ministre de l'écologie, du développement et de l'aménagement durables c/ Société Soferti, n° 297275, p. 420 ; Cf. CE, 26 juillet 2018, Association "Non au projet éolien de Walincourt-Selvigny et Haucourt-en-Cambrésis" et autres, n° 416831, p. 327.
N° 467982
Publié au recueil Lebon
Lecture du mercredi 10 mai 2023
44-008 : Nature et environnement- Lutte contre le changement climatique et adaptation à ses conséquences-
Injonction faite au Premier ministre de prendre, avant le 31 mars 2022, toutes mesures utiles permettant d'assurer la compatibilité des émissions nationales de GES avec les objectifs légaux et réglementaires de réduction pour 2030 - Exécution - 1) Objectifs - a) Cadre juridique actuel - b) Nouvel objectif européen (paquet « Fit for 55 ») - Modalités de prise en compte - 2) Office du juge - Prise en considération de tous les éléments recueillis permettant de s'assurer, avec une marge de sécurité suffisante et en tenant compte des aléas de prévision et d'exécution, que ces objectifs seront atteints - Modalités - 3) Mise en oeuvre - a) Niveaux d'émissions de GES relevés jusqu'à la date de la décision - Parts annuelles indicatives d'émissions prévues pour les années 2019 à 2021 ayant été respectées et part prévue pour 2022 pouvant l'être - b) Mesures invoquées par le Gouvernement - c) Appréciation de leur compatibilité avec la trajectoire de diminution - i) Considérations préalables - Incidence de la pandémie de Covid-19 et de la guerre en Ukraine - Accélération, à partir de 2022, du rythme de diminution à atteindre - ii) Méthodes d'évaluation du Gouvernement, des requérants et du HCC - iii) Appréciation - Respect des objectifs pour la période 2020-2022 - Incertitudes quant à la capacité à rendre suffisamment crédible l'atteinte d'un rythme de diminution compatible avec les objectifs fixés pour 2030 - iv) Conséquence - Décision ne pouvant être regardée comme ayant été complètement exécutée - Injonction, sans astreinte, à prendre toutes mesures supplémentaires utiles pour assurer la cohérence du rythme de diminution des émissions avec la trajectoire de réduction et à produire, à échéance du 31 décembre 2023 puis au plus tard le 30 juin 2024, tous les éléments justifiant de l'adoption de ces mesures et permettant l'évaluation de leurs incidences.
Conseil d'Etat statuant au contentieux ayant, par une décision n° 427301 du 1er juillet 2021, d'une part, annulé le refus implicite de prendre toutes mesures utiles permettant d'infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre (GES) produites sur le territoire national afin d'assurer sa compatibilité avec les objectifs de réduction fixés à l'article L. 100-4 du code de l'énergie et à l'annexe I au règlement (UE) 2018/842 du 30 mai 2018 et, d'autre part, enjoint au Premier ministre de prendre de telles mesures avant le 31 mars 2022. Requérants estimant que les mesures permettant d'assurer l'exécution complète de cette décision n'ont pas été prises et ayant saisi le Conseil d'Etat, sur le fondement des articles L. 911-5 et R. 931-2 du code de justice administrative (CJA), de demandes tendant au prononcé d'une astreinte. 1) a) Règlement (UE) 2018/842 du 30 mai 2018 fixant à -37 % l'objectif de réduction des émissions de GES en 2030, par rapport à leurs niveaux de 2005. Législateur ayant fixé un objectif de réduction de 40 % des émissions de GES en 2030 par rapport aux niveaux de 1990 à l'article L. 100-4 du code de l'énergie. Articles L. 222-1 A à L. 221-C du code de l'environnement prévoyant la fixation d'une stratégie bas-carbone et de budgets carbone. Décret n° 2020-457 du 21 avril 2020 relatif aux budgets carbone nationaux et à la stratégie nationale bas-carbone (SNBC) fixant en son article 2 les budgets carbone des périodes 2019-2023, 2024-2028 et 2029-2033, respectivement, à 422, 359 et 300 Mt de CO2eq par an, hors émissions et absorptions associées à l'utilisation des terres, aux changements d'affectation des terres et à la foresterie. Articles 3 à 5 définissant les modalités de répartition de ces budgets carbone par grands secteurs, par domaines d'activité et par catégories de GES. Article 6 précisant des tranches indicatives d'émissions annuelles, pour chacun des deuxième, troisième et quatrième budgets carbone. Parts annuelles indicatives de 443 Mt CO2eq en 2019, 436 Mt CO2eq en 2020, 423 Mt CO2eq en 2021, 410 Mt CO2eq en 2022. b) Article 4 du règlement (UE) 2021/1119 du 30 juin 2021 approuvant un nouvel objectif de réduction des émissions nettes de GES, après déduction des absorptions, à échéance 2030, à au moins - 55 % en 2030 par rapport aux niveaux de 1990. Déclinaison de ce nouvel objectif global venant d'être adoptée par le Parlement et le Conseil dans le cadre du « paquet » dit « Fit for 55 » ou « Ajustement à l'objectif -55 ». Règlement modificatif en cours de publication à la date de la présente décision portant de -37 % à -47,5 % l'objectif de réduction de ses émissions de GES par la France pour la période 2005 - 2030. La décision du 1er juillet 2021 ayant examiné, conformément à la décision avant-dire droit du 19 novembre 2020, la légalité des décisions de refus implicite attaquées initialement aux regards des objectifs fixés tant au niveau européen que national applicables à la date de son intervention, le nouvel objectif européen et ses déclinaisons nationales ne peuvent être regardés comme applicables, en tant que tels, au présent contentieux. Pour autant, cet élément ne saurait être ignoré dans l'analyse de l'évolution du niveau des émissions de GES, dès lors que cette modification du cadre règlementaire mis en place par l'Union européenne va se traduire, de façon imminente, par un renforcement sensible des objectifs à atteindre par la France. 2) Pour démontrer la correcte exécution de la décision du 1er juillet 2021, le Gouvernement doit justifier que les mesures prises, ainsi que les mesures qui peuvent encore être raisonnablement adoptées pour produire des effets dans un délai suffisamment court, permettent que la courbe des émissions de GES produites sur le territoire national soit compatible avec l'atteinte des objectifs mentionnés par le règlement (UE) 2018/842 du 30 mai 2018 et les décrets pris pour l'application des articles L. 221-A à L. 221-C du code de l'environnement, fixés à l'échéance 2030, avant l'adoption du « paquet » dit « Fit for 55 ». Pour déterminer si tel est le cas, le juge de l'exécution prend en considération tous les éléments recueillis lors de l'instruction contradictoire permettant de s'assurer, avec une marge de sécurité suffisante, et en tenant compte des aléas de prévision et d'exécution, que les objectifs fixés par le législateur pourront être atteints. Il lui appartient, en particulier, en premier lieu, d'examiner si les objectifs intermédiaires ont été atteints à la date à laquelle il statue et dans quelles conditions, en tenant compte, le cas échéant, des évènements exogènes qui ont pu affecter de manière sensible le niveau des émissions constatées. En deuxième lieu, il lui appartient de prendre en compte les mesures adoptées ou annoncées par le Gouvernement et présentées comme de nature à réduire les émissions de GES mais également, le cas échéant, les mesures susceptibles d'engendrer au contraire une augmentation notable de ces émissions. En troisième lieu, il doit prendre en considération les effets constatés ou prévisibles de ces différentes mesures et, plus largement, l'efficacité des politiques publiques mises en place, au regard des différentes méthodes d'évaluation ou d'estimation disponibles, y compris les avis émis par les experts, notamment le Haut conseil pour le climat (HCC), pour apprécier la compatibilité de la trajectoire de baisse des émissions de GES avec les objectifs assignés à la France. Au regard de l'ensemble de ces éléments, il appartient, en dernier lieu, au juge de déterminer, dans une perspective dynamique, et sans se limiter à l'atteinte des objectifs intermédiaires, mais en prenant en compte les objectifs fixés à la date de sa décision d'annulation, si, au vu des effets déjà constatés, des mesures annoncées et des caractéristiques des objectifs à atteindre ainsi que des modalités de planification et de coordination de l'action publique mises en oeuvre, les objectifs de réduction des émissions de GES fixés à l'échéance de 2030 peuvent, à la date de sa décision, être regardés comme raisonnablement atteignables. Si au terme de cette analyse, le juge de l'exécution estime que des éléments suffisamment crédibles et étayés permettent de regarder la trajectoire d'atteinte de ces objectifs comme respectée, il peut clore le contentieux lié à l'exécution de sa décision. Si au contraire il estime que tel n'est pas le cas, il lui appartient d'apprécier l'opportunité de compléter les mesures déjà prescrites ou de prononcer une astreinte, en tenant compte pour ce faire tant des circonstances de droit et de fait à la date de sa décision que des diligences déjà accomplies par l'administration pour procéder à l'exécution de la décision du 1er juillet 2021, ainsi que de celles qui sont encore susceptibles de l'être. 3) a) Emissions de GES nationales, hors utilisation des terres, s'étant élevées à 435 Mt CO2eq en 2019, à comparer à l'objectif indicatif de 443 Mt CO2eq fixé par le décret n° 2020-457 du 21 avril 2020, et à 393 Mt CO2eq en 2020, à comparer à l'objectif indicatif de 436, chiffres qui correspondent à une baisse, respectivement, de 1,9 % et 9,6 % des émissions par rapport à l'année directement précédente. Données provisoires disponibles pour 2021 situant le niveau d'émission à 418 Mt CO2eq, correspondant à une hausse des émissions de 6,4 % par rapport au niveau constaté en 2020, année qui avait été marquée par les mesures prises pour la gestion de la crise sanitaire causée par la pandémie de Covid-19. Dernières données non consolidées publiées concernant l'année 2022 mettant en évidence un niveau des émissions en baisse de 2,5 % par rapport à celui de 2021, avec une différence sensible de tendance entre les neuf premiers mois de l'année, marqués par une baisse très faible du niveau des émissions de l'ordre de - 0,3 %, et les trois derniers mois de l'année, marqués par des émissions en forte baisse, avec toutefois des évolutions contrastées selon les secteurs. Sous réserve de la confirmation de ces données provisoires pour l'année 2021 puis pour l'année 2022, éléments mettant en évidence que les parts annuelles indicatives d'émissions prévues pour le 2e budget carbone pour les années 2019, 2020 et 2021 ont été respectées et que celle prévue pour l'année 2022 pourrait l'être également. Sur la période 2019-2021, il en résulte un rythme de diminution annuel moyen des émissions de GES de l'ordre de - 1,9 %. b) Ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires faisant valoir que dans l'objectif d'accélérer le rythme de diminution des émissions de GES à un niveau compatible avec la trajectoire prévue par la SNBC, et en particulier celui prévu par les 3ème et 4ème budgets carbone tels que fixés par le décret du 21 avril 2020, de nombreuses mesures ont été adoptées par le Gouvernement depuis le 1er juillet 2021, que des budgets conséquents ont été prévus et seront consacrés au soutien de la transition écologique, et que des dispositifs de pilotage de l'action climatique de l'Etat destinés à mettre en oeuvre la SNBC ont été mis en place. S'agissant des mesures adoptées depuis le 1er juillet 2021, ministre mettant notamment en avant l'adoption de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 ainsi que les nombreux textes réglementaires d'application prévus par cette loi comportant des mesures destinées à réduire le niveau des émissions de GES. Ministre faisant également valoir différentes mesures dans les secteurs des transports, du bâtiment, de l'agriculture, de l'industrie, de l'énergie et des déchets. Ministre invoquant également les financements alloués à ces mesures ainsi que les initiatives prises en matière de gouvernance et de pilotage des politiques publiques relatives au climat. c) i) Il y a lieu de relever, tout d'abord, que les résultats constatés sont rendus d'interprétation délicate compte tenu de l'intervention, d'une part, de deux circonstances exogènes qui ont affecté de façon notable les activités générant des émissions de gaz à effet de serre, d'autre part, des mesures temporaires prises en réponse par le Gouvernement, également susceptibles d'affecter la trajectoire de réduction de ces émissions. Ainsi, les trois dernières années 2020, 2021 et 2022 ont été marquées par la grave crise sanitaire causée par la pandémie de Covid-19, qui a conduit à une forte restriction des activités qui génèrent des émissions de gaz à effet de serre, puis à un fort rebond de l'activité économique ayant fait suite à la levée de la plupart des mesures restrictives adoptées. Or, ces circonstances exceptionnelles ne permettent pas d'apprécier, d'une part, si les objectifs fixés pour 2020 auraient été atteints sur la base des seules mesures structurelles adoptées antérieurement, d'autre part, dans quelle proportion l'efficacité de ces mesures a eu une incidence sur le niveau d'émission constaté en 2021 au regard des données provisoires actuellement disponibles. La crise liée à la guerre en Ukraine a, par ailleurs, eu des incidences significatives sur l'activité économique, les conditions d'approvisionnement en énergie et les décisions de politique énergétique, à compter de février 2022, et a conduit le Gouvernement à prendre des mesures susceptibles d'aller à l'encontre des objectifs de réduction des émissions de GES, notamment en intervenant sur les prix de l'énergie et les dépenses supportées par les entreprises et les ménages et en maintenant ouvertes ou en recourant à des centrales à charbon et à des centrales électriques au gaz pour garantir l'approvisionnement en électricité du pays. Il y a également lieu de relever, comme le notait déjà la décision du 1er juillet 2021, que les 3ème et 4ème budgets carbone tels que fixés par le décret du 21 avril 2020 vont imposer un rythme de diminution des émissions de GES sensiblement supérieur au rythme annuel moyen de - 1,9 % constaté pour les années 2019 à 2021 et ce, sans prendre en compte le rehaussement de l'objectif de réduction des émissions adopté à l'échelle de l'Union européenne (UE). ii) S'agissant des modalités d'appréciation de la capacité de la France à atteindre les objectifs de réduction des émissions de GES qui lui sont assignés, mesures prises par le Gouvernement ayant fait l'objet de différents types d'évaluations qui ont été versées à l'instruction contradictoire. Gouvernement ayant mené à bien, sous l'égide du Centre interprofessionnel technique d'études de la pollution atmosphérique (CITEPA), un exercice de simulation par projection des effets de différentes mesures sélectionnées. Exercice biennal de modélisation mis en oeuvre par l'Etat au titre de l'article 18 du règlement (UE) 2018/1999 du 11 décembre 2018 et ayant pour objet de mesurer l'impact à moyen terme des politiques publiques menées afin de réduire les émissions de GES. Pour réaliser la première étape de cette évaluation (dite « run 1 »), Gouvernement ayant mis à jour les scénarios prospectifs qui avaient été communiqués dans le cadre de l'instance au fond pour y intégrer les mesures supplémentaires adoptées depuis juillet 2017 et s'étant appuyé sur une agrégation de paramètres clés, d'indicateurs et de modèles sectoriels, soit technico-économiques, soit purement physiques réalisée par le CITEPA. Selon les projections ainsi effectuées avec les mesures supplémentaires adoptées depuis juillet 2017, émissions de GES des six secteurs des transports, du bâtiment, de l'agriculture, de l'industrie, de l'énergie et des déchets devant atteindre 335,4 Mt CO2eq en 2030, correspondant à une diminution de 23 % par rapport à leur niveau de 2019 et de plus de 38 % par rapport à leur niveau de 1990. Le Gouvernement faisant dès lors valoir que compte tenu des mesures supplémentaires adoptées depuis le 31 décembre 2022 et de la marge d'erreur inhérente à un tel exercice d'évaluation, les objectifs de réduction des émissions fixés pour 2030 devraient être atteints. Toutefois, cet exercice de prévision présente un degré d'incertitude significatif à la date de la présente décision, en raison notamment de l'absence d'évaluation rétrospective sur la capacité des mesures prises en compte à permettre effectivement les réductions d'émissions de GES projetées à l'horizon 2030. L'évaluation de la réduction des émissions à laquelle il aboutit doit, dès lors, être complétée par une appréciation de l'impact des politiques sectorielles menées par rapport aux différentes orientations sectorielles fixées dans le cadre de la SNBC pour atteindre les objectifs de réduction fixés à cette échéance. Requérantes ayant produit des éléments d'analyse complémentaires à ceux qui avaient été versés lors de l'instance au fond, établis notamment par un cabinet d'étude spécialisé. Requérantes estimant qu'il résulte de cette analyse que seuls trois des onze paramètres « structurants » étudiés dans trois secteurs parmi les plus émetteurs (transports, bâtiment, agriculture) connaîtraient une évolution en cohérence avec les objectifs de la SNBC, un quatrième paramètre connaissant une évolution favorable qui lui permettrait d'approcher ces objectifs. Or, compte tenu de l'importance des paramètres structurants pris en compte dans le niveau total d'émissions constaté, le non-respect des objectifs assignés pour au moins sept d'entre eux sur les onze évalués ne serait pas susceptible d'être compensé par les résultats éventuellement plus favorables obtenus s'agissant d'autres paramètres ou secteurs. HCC ayant retenu, dans son rapport réalisé conformément à l'article L. 132-4 du code de l'environnement et publié en juin 2022, que, si des nouvelles mesures positives sont effectivement intervenues depuis son précédent rapport annuel, pour dix-neuf des vingt-cinq orientations sectorielles de la SNBC, seules six de ces orientations apparaissent en adéquation avec le niveau requis pour atteindre les budgets carbone. HCC estimant que quatre d'entre elles peuvent même être regardées comme ayant fait l'objet de mesures de nature à compromettre l'atteinte des objectifs fixés dans le cadre de la SNBC. Au total, HCC estimant qu'il existe des risques majeurs persistants de ne pas atteindre les objectifs fixés pour 2030 en matière de réduction des émissions de GES, eu égard notamment à la nécessité, à compter de la période couverte par le 3ème budget carbone (2024-2028), de doubler le rythme annuel de réduction de ces émissions par rapport à ce qui est observé depuis 2010. Rythme annuel moyen de réduction constaté depuis lors étant en effet de l'ordre de -1,7 % alors que les 3ème et 4ème budgets carbone imposent un rythme annuel moyen de l'ordre de -3,2%, et ce, sans prendre en compte le rehaussement de l'objectif de réduction des émissions adopté à l'échelle de l'Union européenne. HCC soulignant en outre qu'un véritable pilotage, reposant sur un suivi des indicateurs pertinents, des plans d'action déclinés dans tous les ministères et une évaluation systématique des politiques publiques au regard de leurs incidences sur le climat n'est pas encore en place. iii) En premier lieu, les objectifs de réduction des émissions de GES fixés pour les années 2020, 2021 et 2022, à travers les parts indicatives annuelles du deuxième budget carbone (2019-2023), ont été ou pourraient être atteints. Toutefois, ces résultats doivent être replacés dans le contexte de l'assouplissement des objectifs assignés au deuxième budget carbone auquel le décret du 21 avril 2020 a procédé, mais également de la baisse très significative des émissions constatées en 2020, compte tenu de la baisse d'activité causée par les mesures prises pour lutter contre la pandémie de Covid-19. En deuxième lieu, le Gouvernement a adopté un ensemble de mesures conséquent, qui concerne nombre d'activités ou de secteurs émetteurs de GES, et a alloué des montants importants aux investissements en lien avec la transition écologique et énergétique. Ces mesures, si elles sont mises en oeuvre pleinement et sans retard, apparaissent de nature à conduire à une diminution supplémentaire des émissions de GES. Ces éléments doivent être regardés comme manifestant la volonté du Gouvernement d'atteindre les objectifs de réduction des émissions fixés en l'état à l'échéance 2030 et d'exécuter, ce faisant, la décision du 1er juillet 2021. Cependant, si ce dernier fait valoir que ces mesures permettront d'atteindre ces objectifs de réduction des émissions, d'une part, l'évaluation prospective qu'il a produite repose sur des hypothèses de modélisation qui ne sont pas vérifiées à ce stade et ne permettent pas de considérer comme suffisamment fiables les résultats avancés, d'autre part, les conclusions de cette évaluation apparaissent en contradiction avec l'analyse par objectifs sectoriels menée par le HCC de la « stratégie nationale bas carbone », laquelle n'a été remise en cause, dans sa méthodologie ou les conclusions auxquelles elle aboutit, par aucune des parties. Dans ces conditions, et compte tenu notamment du renforcement de l'ampleur des réductions de GES attendues par les 3ème et 4ème budgets carbone par rapport au niveau constaté jusqu'ici, il demeure des incertitudes persistantes, qui n'ont pas été levées par l'instruction contradictoire menée, complétée par la séance orale d'instruction, quant à la capacité des mesures prises à ce jour et des modalités de coordination stratégique et opérationnelle de l'ensemble de l'action publique mises en oeuvre, à rendre suffisamment crédible l'atteinte d'un rythme de diminution des émissions territoriales de GES cohérent avec les objectifs de réduction fixés pour 2030 par les dispositions législatives nationales ou par le droit de l'UE pertinents. iv) Il en résulte qu'en l'état de l'instruction, la décision du 1er juillet 2021 ne peut être regardée comme complètement exécutée. Dans ces circonstances, et compte tenu notamment des diligences déjà accomplies par le Gouvernement ainsi que de celles qui sont encore susceptibles de l'être, il y a lieu, en l'état, de compléter l'injonction prononcée par cette décision en édictant, sur le fondement des articles L. 911-5 et R. 911-32 du CJA, les mesures complémentaires nécessaires pour en assurer l'exécution complète, sans qu'il soit besoin par ailleurs de prononcer une astreinte. Il y a ainsi lieu, sans prononcer d'astreinte, d'enjoindre à la Première ministre de prendre toutes mesures supplémentaires utiles pour assurer la cohérence du rythme de diminution des émissions de GES avec la trajectoire de réduction de ces émissions retenue par le décret du 21 avril 2020 en vue d'atteindre les objectifs de réduction fixés par l'article L. 100-4 du code de l'énergie et par l'annexe I du règlement (UE) 2018/842 du 30 mai 2018 avant le 30 juin 2024 et de produire, à échéance du 31 décembre 2023, puis au plus tard le 30 juin 2024, tous les éléments justifiant de l'adoption de ces mesures et permettant l'évaluation de leurs incidences sur ces objectifs de réduction des émissions de GES.
54-06-07-008 : Procédure- Jugements- Exécution des jugements- Prescription d'une mesure d'exécution-
Injonction faite au Premier ministre de prendre, avant le 31 mars 2022, toutes mesures utiles permettant d'assurer la compatibilité des émissions nationales de GES avec les objectifs légaux et réglementaires de réduction pour 2030 - Exécution - 1) Objectifs - a) Cadre juridique actuel - b) Nouvel objectif européen (paquet « Fit for 55 ») - Modalités de prise en compte - 2) Office du juge - Prise en considération de tous les éléments recueillis permettant de s'assurer, avec une marge de sécurité suffisante et en tenant compte des aléas de prévision et d'exécution, que ces objectifs seront atteints - Modalités - 3) Mise en oeuvre - a) Niveaux d'émissions de GES relevés jusqu'à la date de la décision - Parts annuelles indicatives d'émissions prévues pour les années 2019 à 2021 ayant été respectées et part prévue pour 2022 pouvant l'être - b) Mesures invoquées par le Gouvernement - c) Appréciation de leur compatibilité avec la trajectoire de diminution - i) Considérations préalables - Incidence de la pandémie de Covid-19 et de la guerre en Ukraine - Accélération, à partir de 2022, du rythme de diminution à atteindre - ii) Méthodes d'évaluation du Gouvernement, des requérants et du HCC - iii) Appréciation - Respect des objectifs pour la période 2020-2022 - Incertitudes quant à la capacité à rendre suffisamment crédible l'atteinte d'un rythme de diminution compatible avec les objectifs fixés pour 2030 - iv) Conséquence - Décision ne pouvant être regardée comme ayant été complètement exécutée - Injonction, sans astreinte, à prendre toutes mesures supplémentaires utiles pour assurer la cohérence du rythme de diminution des émissions avec la trajectoire de réduction et à produire, à échéance du 31 décembre 2023 puis au plus tard le 30 juin 2024, tous les éléments justifiant de l'adoption de ces mesures et permettant l'évaluation de leurs incidences.
Conseil d'Etat statuant au contentieux ayant, par une décision n° 427301 du 1er juillet 2021, d'une part, annulé le refus implicite de prendre toutes mesures utiles permettant d'infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre (GES) produites sur le territoire national afin d'assurer sa compatibilité avec les objectifs de réduction fixés à l'article L. 100-4 du code de l'énergie et à l'annexe I au règlement (UE) 2018/842 du 30 mai 2018 et, d'autre part, enjoint au Premier ministre de prendre de telles mesures avant le 31 mars 2022. Requérants estimant que les mesures permettant d'assurer l'exécution complète de cette décision n'ont pas été prises et ayant saisi le Conseil d'Etat, sur le fondement des articles L. 911-5 et R. 931-2 du code de justice administrative (CJA), de demandes tendant au prononcé d'une astreinte. 1) a) Règlement (UE) 2018/842 du 30 mai 2018 fixant à -37 % l'objectif de réduction des émissions de GES en 2030, par rapport à leurs niveaux de 2005. Législateur ayant fixé un objectif de réduction de 40 % des émissions de GES en 2030 par rapport aux niveaux de 1990 à l'article L. 100-4 du code de l'énergie. Articles L. 222-1 A à L. 221-C du code de l'environnement prévoyant la fixation d'une stratégie bas-carbone et de budgets carbone. Décret n° 2020-457 du 21 avril 2020 relatif aux budgets carbone nationaux et à la stratégie nationale bas-carbone (SNBC) fixant en son article 2 les budgets carbone des périodes 2019-2023, 2024-2028 et 2029-2033, respectivement, à 422, 359 et 300 Mt de CO2eq par an, hors émissions et absorptions associées à l'utilisation des terres, aux changements d'affectation des terres et à la foresterie. Articles 3 à 5 définissant les modalités de répartition de ces budgets carbone par grands secteurs, par domaines d'activité et par catégories de GES. Article 6 précisant des tranches indicatives d'émissions annuelles, pour chacun des deuxième, troisième et quatrième budgets carbone. Parts annuelles indicatives de 443 Mt CO2eq en 2019, 436 Mt CO2eq en 2020, 423 Mt CO2eq en 2021, 410 Mt CO2eq en 2022. b) Article 4 du règlement (UE) 2021/1119 du 30 juin 2021 approuvant un nouvel objectif de réduction des émissions nettes de GES, après déduction des absorptions, à échéance 2030, à au moins - 55 % en 2030 par rapport aux niveaux de 1990. Déclinaison de ce nouvel objectif global venant d'être adoptée par le Parlement et le Conseil dans le cadre du « paquet » dit « Fit for 55 » ou « Ajustement à l'objectif -55 ». Règlement modificatif en cours de publication à la date de la présente décision portant de -37 % à -47,5 % l'objectif de réduction de ses émissions de GES par la France pour la période 2005 - 2030. La décision du 1er juillet 2021 ayant examiné, conformément à la décision avant-dire droit du 19 novembre 2020, la légalité des décisions de refus implicite attaquées initialement aux regards des objectifs fixés tant au niveau européen que national applicables à la date de son intervention, le nouvel objectif européen et ses déclinaisons nationales ne peuvent être regardés comme applicables, en tant que tels, au présent contentieux. Pour autant, cet élément ne saurait être ignoré dans l'analyse de l'évolution du niveau des émissions de GES, dès lors que cette modification du cadre règlementaire mis en place par l'Union européenne va se traduire, de façon imminente, par un renforcement sensible des objectifs à atteindre par la France. 2) Pour démontrer la correcte exécution de la décision du 1er juillet 2021, le Gouvernement doit justifier que les mesures prises, ainsi que les mesures qui peuvent encore être raisonnablement adoptées pour produire des effets dans un délai suffisamment court, permettent que la courbe des émissions de GES produites sur le territoire national soit compatible avec l'atteinte des objectifs mentionnés par le règlement (UE) 2018/842 du 30 mai 2018 et les décrets pris pour l'application des articles L. 221-A à L. 221-C du code de l'environnement, fixés à l'échéance 2030, avant l'adoption du « paquet » dit « Fit for 55 ». Pour déterminer si tel est le cas, le juge de l'exécution prend en considération tous les éléments recueillis lors de l'instruction contradictoire permettant de s'assurer, avec une marge de sécurité suffisante, et en tenant compte des aléas de prévision et d'exécution, que les objectifs fixés par le législateur pourront être atteints. Il lui appartient, en particulier, en premier lieu, d'examiner si les objectifs intermédiaires ont été atteints à la date à laquelle il statue et dans quelles conditions, en tenant compte, le cas échéant, des évènements exogènes qui ont pu affecter de manière sensible le niveau des émissions constatées. En deuxième lieu, il lui appartient de prendre en compte les mesures adoptées ou annoncées par le Gouvernement et présentées comme de nature à réduire les émissions de GES mais également, le cas échéant, les mesures susceptibles d'engendrer au contraire une augmentation notable de ces émissions. En troisième lieu, il doit prendre en considération les effets constatés ou prévisibles de ces différentes mesures et, plus largement, l'efficacité des politiques publiques mises en place, au regard des différentes méthodes d'évaluation ou d'estimation disponibles, y compris les avis émis par les experts, notamment le Haut conseil pour le climat (HCC), pour apprécier la compatibilité de la trajectoire de baisse des émissions de GES avec les objectifs assignés à la France. Au regard de l'ensemble de ces éléments, il appartient, en dernier lieu, au juge de déterminer, dans une perspective dynamique, et sans se limiter à l'atteinte des objectifs intermédiaires, mais en prenant en compte les objectifs fixés à la date de sa décision d'annulation, si, au vu des effets déjà constatés, des mesures annoncées et des caractéristiques des objectifs à atteindre ainsi que des modalités de planification et de coordination de l'action publique mises en oeuvre, les objectifs de réduction des émissions de GES fixés à l'échéance de 2030 peuvent, à la date de sa décision, être regardés comme raisonnablement atteignables. Si au terme de cette analyse, le juge de l'exécution estime que des éléments suffisamment crédibles et étayés permettent de regarder la trajectoire d'atteinte de ces objectifs comme respectée, il peut clore le contentieux lié à l'exécution de sa décision. Si au contraire il estime que tel n'est pas le cas, il lui appartient d'apprécier l'opportunité de compléter les mesures déjà prescrites ou de prononcer une astreinte, en tenant compte pour ce faire tant des circonstances de droit et de fait à la date de sa décision que des diligences déjà accomplies par l'administration pour procéder à l'exécution de la décision du 1er juillet 2021, ainsi que de celles qui sont encore susceptibles de l'être. 3) a) Emissions de GES nationales, hors utilisation des terres, s'étant élevées à 435 Mt CO2eq en 2019, à comparer à l'objectif indicatif de 443 Mt CO2eq fixé par le décret n° 2020-457 du 21 avril 2020, et à 393 Mt CO2eq en 2020, à comparer à l'objectif indicatif de 436, chiffres qui correspondent à une baisse, respectivement, de 1,9 % et 9,6 % des émissions par rapport à l'année directement précédente. Données provisoires disponibles pour 2021 situant le niveau d'émission à 418 Mt CO2eq, correspondant à une hausse des émissions de 6,4 % par rapport au niveau constaté en 2020, année qui avait été marquée par les mesures prises pour la gestion de la crise sanitaire causée par la pandémie de Covid-19. Dernières données non consolidées publiées concernant l'année 2022 mettant en évidence un niveau des émissions en baisse de 2,5 % par rapport à celui de 2021, avec une différence sensible de tendance entre les neuf premiers mois de l'année, marqués par une baisse très faible du niveau des émissions de l'ordre de - 0,3 %, et les trois derniers mois de l'année, marqués par des émissions en forte baisse, avec toutefois des évolutions contrastées selon les secteurs. Sous réserve de la confirmation de ces données provisoires pour l'année 2021 puis pour l'année 2022, éléments mettant en évidence que les parts annuelles indicatives d'émissions prévues pour le 2e budget carbone pour les années 2019, 2020 et 2021 ont été respectées et que celle prévue pour l'année 2022 pourrait l'être également. Sur la période 2019-2021, il en résulte un rythme de diminution annuel moyen des émissions de GES de l'ordre de - 1,9 %. b) Ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires faisant valoir que dans l'objectif d'accélérer le rythme de diminution des émissions de GES à un niveau compatible avec la trajectoire prévue par la SNBC, et en particulier celui prévu par les 3ème et 4ème budgets carbone tels que fixés par le décret du 21 avril 2020, de nombreuses mesures ont été adoptées par le Gouvernement depuis le 1er juillet 2021, que des budgets conséquents ont été prévus et seront consacrés au soutien de la transition écologique, et que des dispositifs de pilotage de l'action climatique de l'Etat destinés à mettre en oeuvre la SNBC ont été mis en place. S'agissant des mesures adoptées depuis le 1er juillet 2021, ministre mettant notamment en avant l'adoption de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 ainsi que les nombreux textes réglementaires d'application prévus par cette loi comportant des mesures destinées à réduire le niveau des émissions de GES. Ministre faisant également valoir différentes mesures dans les secteurs des transports, du bâtiment, de l'agriculture, de l'industrie, de l'énergie et des déchets. Ministre invoquant également les financements alloués à ces mesures ainsi que les initiatives prises en matière de gouvernance et de pilotage des politiques publiques relatives au climat. c) i) Il y a lieu de relever, tout d'abord, que les résultats constatés sont rendus d'interprétation délicate compte tenu de l'intervention, d'une part, de deux circonstances exogènes qui ont affecté de façon notable les activités générant des émissions de gaz à effet de serre, d'autre part, des mesures temporaires prises en réponse par le Gouvernement, également susceptibles d'affecter la trajectoire de réduction de ces émissions. Ainsi, les trois dernières années 2020, 2021 et 2022 ont été marquées par la grave crise sanitaire causée par la pandémie de Covid-19, qui a conduit à une forte restriction des activités qui génèrent des émissions de gaz à effet de serre, puis à un fort rebond de l'activité économique ayant fait suite à la levée de la plupart des mesures restrictives adoptées. Or, ces circonstances exceptionnelles ne permettent pas d'apprécier, d'une part, si les objectifs fixés pour 2020 auraient été atteints sur la base des seules mesures structurelles adoptées antérieurement, d'autre part, dans quelle proportion l'efficacité de ces mesures a eu une incidence sur le niveau d'émission constaté en 2021 au regard des données provisoires actuellement disponibles. La crise liée à la guerre en Ukraine a, par ailleurs, eu des incidences significatives sur l'activité économique, les conditions d'approvisionnement en énergie et les décisions de politique énergétique, à compter de février 2022, et a conduit le Gouvernement à prendre des mesures susceptibles d'aller à l'encontre des objectifs de réduction des émissions de GES, notamment en intervenant sur les prix de l'énergie et les dépenses supportées par les entreprises et les ménages et en maintenant ouvertes ou en recourant à des centrales à charbon et à des centrales électriques au gaz pour garantir l'approvisionnement en électricité du pays. Il y a également lieu de relever, comme le notait déjà la décision du 1er juillet 2021, que les 3ème et 4ème budgets carbone tels que fixés par le décret du 21 avril 2020 vont imposer un rythme de diminution des émissions de GES sensiblement supérieur au rythme annuel moyen de - 1,9 % constaté pour les années 2019 à 2021 et ce, sans prendre en compte le rehaussement de l'objectif de réduction des émissions adopté à l'échelle de l'Union européenne (UE). ii) S'agissant des modalités d'appréciation de la capacité de la France à atteindre les objectifs de réduction des émissions de GES qui lui sont assignés, mesures prises par le Gouvernement ayant fait l'objet de différents types d'évaluations qui ont été versées à l'instruction contradictoire. Gouvernement ayant mené à bien, sous l'égide du Centre interprofessionnel technique d'études de la pollution atmosphérique (CITEPA), un exercice de simulation par projection des effets de différentes mesures sélectionnées. Exercice biennal de modélisation mis en oeuvre par l'Etat au titre de l'article 18 du règlement (UE) 2018/1999 du 11 décembre 2018 et ayant pour objet de mesurer l'impact à moyen terme des politiques publiques menées afin de réduire les émissions de GES. Pour réaliser la première étape de cette évaluation (dite « run 1 »), Gouvernement ayant mis à jour les scénarios prospectifs qui avaient été communiqués dans le cadre de l'instance au fond pour y intégrer les mesures supplémentaires adoptées depuis juillet 2017 et s'étant appuyé sur une agrégation de paramètres clés, d'indicateurs et de modèles sectoriels, soit technico-économiques, soit purement physiques réalisée par le CITEPA. Selon les projections ainsi effectuées avec les mesures supplémentaires adoptées depuis juillet 2017, émissions de GES des six secteurs des transports, du bâtiment, de l'agriculture, de l'industrie, de l'énergie et des déchets devant atteindre 335,4 Mt CO2eq en 2030, correspondant à une diminution de 23 % par rapport à leur niveau de 2019 et de plus de 38 % par rapport à leur niveau de 1990. Le Gouvernement faisant dès lors valoir que compte tenu des mesures supplémentaires adoptées depuis le 31 décembre 2022 et de la marge d'erreur inhérente à un tel exercice d'évaluation, les objectifs de réduction des émissions fixés pour 2030 devraient être atteints. Toutefois, cet exercice de prévision présente un degré d'incertitude significatif à la date de la présente décision, en raison notamment de l'absence d'évaluation rétrospective sur la capacité des mesures prises en compte à permettre effectivement les réductions d'émissions de GES projetées à l'horizon 2030. L'évaluation de la réduction des émissions à laquelle il aboutit doit, dès lors, être complétée par une appréciation de l'impact des politiques sectorielles menées par rapport aux différentes orientations sectorielles fixées dans le cadre de la SNBC pour atteindre les objectifs de réduction fixés à cette échéance. Requérantes ayant produit des éléments d'analyse complémentaires à ceux qui avaient été versés lors de l'instance au fond, établis notamment par un cabinet d'étude spécialisé. Requérantes estimant qu'il résulte de cette analyse que seuls trois des onze paramètres « structurants » étudiés dans trois secteurs parmi les plus émetteurs (transports, bâtiment, agriculture) connaîtraient une évolution en cohérence avec les objectifs de la SNBC, un quatrième paramètre connaissant une évolution favorable qui lui permettrait d'approcher ces objectifs. Or, compte tenu de l'importance des paramètres structurants pris en compte dans le niveau total d'émissions constaté, le non-respect des objectifs assignés pour au moins sept d'entre eux sur les onze évalués ne serait pas susceptible d'être compensé par les résultats éventuellement plus favorables obtenus s'agissant d'autres paramètres ou secteurs. HCC ayant retenu, dans son rapport réalisé conformément à l'article L. 132-4 du code de l'environnement et publié en juin 2022, que, si des nouvelles mesures positives sont effectivement intervenues depuis son précédent rapport annuel, pour dix-neuf des vingt-cinq orientations sectorielles de la SNBC, seules six de ces orientations apparaissent en adéquation avec le niveau requis pour atteindre les budgets carbone. HCC estimant que quatre d'entre elles peuvent même être regardées comme ayant fait l'objet de mesures de nature à compromettre l'atteinte des objectifs fixés dans le cadre de la SNBC. Au total, HCC estimant qu'il existe des risques majeurs persistants de ne pas atteindre les objectifs fixés pour 2030 en matière de réduction des émissions de GES, eu égard notamment à la nécessité, à compter de la période couverte par le 3ème budget carbone (2024-2028), de doubler le rythme annuel de réduction de ces émissions par rapport à ce qui est observé depuis 2010. Rythme annuel moyen de réduction constaté depuis lors étant en effet de l'ordre de -1,7 % alors que les 3ème et 4ème budgets carbone imposent un rythme annuel moyen de l'ordre de -3,2%, et ce, sans prendre en compte le rehaussement de l'objectif de réduction des émissions adopté à l'échelle de l'Union européenne. HCC soulignant en outre qu'un véritable pilotage, reposant sur un suivi des indicateurs pertinents, des plans d'action déclinés dans tous les ministères et une évaluation systématique des politiques publiques au regard de leurs incidences sur le climat n'est pas encore en place. iii) En premier lieu, les objectifs de réduction des émissions de GES fixés pour les années 2020, 2021 et 2022, à travers les parts indicatives annuelles du deuxième budget carbone (2019-2023), ont été ou pourraient être atteints. Toutefois, ces résultats doivent être replacés dans le contexte de l'assouplissement des objectifs assignés au deuxième budget carbone auquel le décret du 21 avril 2020 a procédé, mais également de la baisse très significative des émissions constatées en 2020, compte tenu de la baisse d'activité causée par les mesures prises pour lutter contre la pandémie de Covid-19. En deuxième lieu, le Gouvernement a adopté un ensemble de mesures conséquent, qui concerne nombre d'activités ou de secteurs émetteurs de GES, et a alloué des montants importants aux investissements en lien avec la transition écologique et énergétique. Ces mesures, si elles sont mises en oeuvre pleinement et sans retard, apparaissent de nature à conduire à une diminution supplémentaire des émissions de GES. Ces éléments doivent être regardés comme manifestant la volonté du Gouvernement d'atteindre les objectifs de réduction des émissions fixés en l'état à l'échéance 2030 et d'exécuter, ce faisant, la décision du 1er juillet 2021. Cependant, si ce dernier fait valoir que ces mesures permettront d'atteindre ces objectifs de réduction des émissions, d'une part, l'évaluation prospective qu'il a produite repose sur des hypothèses de modélisation qui ne sont pas vérifiées à ce stade et ne permettent pas de considérer comme suffisamment fiables les résultats avancés, d'autre part, les conclusions de cette évaluation apparaissent en contradiction avec l'analyse par objectifs sectoriels menée par le HCC de la « stratégie nationale bas carbone », laquelle n'a été remise en cause, dans sa méthodologie ou les conclusions auxquelles elle aboutit, par aucune des parties. Dans ces conditions, et compte tenu notamment du renforcement de l'ampleur des réductions de GES attendues par les 3ème et 4ème budgets carbone par rapport au niveau constaté jusqu'ici, il demeure des incertitudes persistantes, qui n'ont pas été levées par l'instruction contradictoire menée, complétée par la séance orale d'instruction, quant à la capacité des mesures prises à ce jour et des modalités de coordination stratégique et opérationnelle de l'ensemble de l'action publique mises en oeuvre, à rendre suffisamment crédible l'atteinte d'un rythme de diminution des émissions territoriales de GES cohérent avec les objectifs de réduction fixés pour 2030 par les dispositions législatives nationales ou par le droit de l'UE pertinents. iv) Il en résulte qu'en l'état de l'instruction, la décision du 1er juillet 2021 ne peut être regardée comme complètement exécutée. Dans ces circonstances, et compte tenu notamment des diligences déjà accomplies par le Gouvernement ainsi que de celles qui sont encore susceptibles de l'être, il y a lieu, en l'état, de compléter l'injonction prononcée par cette décision en édictant, sur le fondement des articles L. 911-5 et R. 911-32 du CJA, les mesures complémentaires nécessaires pour en assurer l'exécution complète, sans qu'il soit besoin par ailleurs de prononcer une astreinte. Il y a ainsi lieu, sans prononcer d'astreinte, d'enjoindre à la Première ministre de prendre toutes mesures supplémentaires utiles pour assurer la cohérence du rythme de diminution des émissions de GES avec la trajectoire de réduction de ces émissions retenue par le décret du 21 avril 2020 en vue d'atteindre les objectifs de réduction fixés par l'article L. 100-4 du code de l'énergie et par l'annexe I du règlement (UE) 2018/842 du 30 mai 2018 avant le 30 juin 2024 et de produire, à échéance du 31 décembre 2023, puis au plus tard le 30 juin 2024, tous les éléments justifiant de l'adoption de ces mesures et permettant l'évaluation de leurs incidences sur ces objectifs de réduction des émissions de GES.
(1) Rappr., sous l'empire de l'article L. 514-1 du code de l'environnement abrogé par l'ordonnance n° 2012-34 du 11 janvier 2012, CE, 9 juillet 2007, Ministre de l'écologie, du développement et de l'aménagement durables c/ Société Terrena-Poitou, n° 288367, T. p. 958 ; CE, 14 novembre 2008, Ministre d'Etat, ministre de l'écologie, du développement et de l'aménagement durables c/ Société Soferti, n° 297275, p. 420 ; Cf. CE, 26 juillet 2018, Association "Non au projet éolien de Walincourt-Selvigny et Haucourt-en-Cambrésis" et autres, n° 416831, p. 327.