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Ariane Web: Conseil d'État 434441, lecture du 3 mai 2023

Analyse n° 434441
3 mai 2023
Conseil d'État

N° 434441
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Lecture du mercredi 3 mai 2023



19-01-01-05 : Contributions et taxes- Généralités- Textes fiscaux- Conventions internationales-

Convention franco-allemande du 21 juillet 1959 - Espèce - Revenus perçus par une société française à raison de contrats de cession-bail conclus avec des sociétés allemandes - 1) Abus de droit (1) - Condition tenant à ce que les contrats ne répondent à aucun motif autre que celui d'éluder ou d'atténuer l'impôt - Respect - Absence - 2) Requalification, sur demande de l'administration (2), des revenus litigieux en « intérêts et autres produits des obligations, bons de caisse, prêts et dépôts ou de toutes autres créances » au sens de l'article 10 - Existence, les restrictions apportées à l'exercice du droit d'usufruit étant telles que les contrats doivent être regardés comme ayant une substance essentiellement financière et non immobilière.




Article 3 de la convention fiscale franco-allemande signée le 21 juillet 1959 stipulant que les « revenus provenant de biens immobiliers » ne sont imposables que dans l'Etat contractant où ces biens sont situés. Article 10 stipulant que les intérêts et autres produits des prêts ne sont imposables que dans l'Etat dont le bénéficiaire est résident. Société établie en France spécialisée dans les opérations de crédit-bail ayant été, à la suite de la mise en oeuvre de la procédure de répression des abus de droit prévue à l'article L. 64 du livre des procédures fiscales (LPF), assujettie à des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés (IS) à raison de revenus résultant de l'exécution de contrats de cession-bail conclus avec deux sociétés de droit allemand. 1) Les deux contrats litigieux avaient pour objet, pour la société requérante, d'accorder aux sociétés allemandes des financements, garantis par le transfert temporaire de l'usufruit d'immeubles. Eu égard à leur objet, qui a été effectivement mis en oeuvre, ces contrats, que l'administration n'a d'ailleurs pas écartés pour procéder au redressement contesté, ne peuvent être regardés comme ne répondant à aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que la société, si elle n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées, compte tenu de sa situation ou de ses activités réelles. Ils ne constituaient pas un montage artificiel dépourvu de toute substance économique et ne pouvaient pas conduire à regarder les opérations litigieuses comme contraires aux objectifs poursuivis par les Etats signataires de la convention fiscale franco-allemande. Il en résulte que ces actes n'étaient pas constitutifs d'un abus de droit au sens de l'article L. 64 du LPF. 2) Toutefois, l'administration, qui ne peut renoncer à appliquer la loi fiscale, est en droit à tout moment de justifier l'impôt sur un nouveau fondement légal qu'elle a compétence liée pour appliquer. Ministre demandant à ce titre de requalifier les contrats litigieux en contrats de financements avec intérêts. D'une part, alors que le code civil allemand ne subordonne pas la cession de l'exercice de l'usufruit, par l'usufruitier, au consentement préalable du propriétaire, la convention de cession-bail conclue entre la société requérante et la société allemande A stipule que « l'usufruitier n'est pas habilité à céder l'exercice de l'usufruit à un quelconque tiers sans le consentement écrit préalable du propriétaire », sauf si le contrat de crédit-bail est résilié et si le preneur « n'a pas payé la valeur de résiliation en temps voulu ». Le préambule du contrat de crédit-bail adossé à cette convention énonce, par ailleurs, qu'il « n'y aura aucune cession réelle de l'utilisation des biens au bailleur et que l'usage économique reste au preneur ». Si l'option d'achat n'est pas exercée par la société A, celle-ci peut prolonger la durée de location jusqu'à l'expiration des droits d'usufruit. D'autre part, en application du contrat conclu entre la société requérante et la société allemande B, le bailleur n'est pas habilité à céder l'exercice de l'usufruit sans l'accord préalable du preneur. Le bailleur n'est, par ailleurs, pas autorisé à transformer ou à modifier la propriété, sauf si la durée du crédit-bail a expiré. Le contrat stipule que le preneur « a le droit de faire toute modification y compris la destruction de certains immeubles » sans le consentement du bailleur si les coûts de ces « modifications sont inférieurs à 25% du paiement de l'usufruit et/ou (?) ne diminuent pas la valeur de la propriété » et « si le preneur souhaite abandonner les parties de la propriété pendant la durée, le bailleur devra abandonner l'usufruit concernant lesdites parties : à condition, toutefois, que (i) le preneur propose au bailleur d'étendre le présent contrat à une propriété alternative se trouvant en Allemagne raisonnablement similaire à et de valeur équivalente ou supérieure à la partie de la propriété devant être abandonnée ou (ii) le preneur paie la valeur normale de résiliation basée sur la valeur au prorata de la partie de la propriété devant être abandonnée ». Si le preneur n'exerce pas son option d'achat au terme de la durée du crédit-bail, il bénéficie d'un droit de préférence en cas de cession à un tiers. Enfin, d'une part, en vertu du contrat de crédit-bail conclu avec la société A, la détermination des loyers est calculée selon un taux d'intérêt de 45 points de base en dessous du taux d'intérêt de référence, correspondant à la moyenne des cours des titres échangés sur les taux d'intérêt divulgués sur l'écran Icapeuro de Reuters pour les taux de 1 à 10 ans. D'autre part, le contrat conclu avec la société B définit le « taux d'intérêt du crédit bail » comme « (i) le taux swap en euro amortissable chaque semestre applicable pendant dix ans avec une durée de vie moyenne de 5,5 ans ? tiré de la courbe du taux d'intérêt indiquée sur la page ICAE de Bloomberg ou sur la page ICAPEUR de Reuters moins (?) (ii) la marge », cette marge étant égale à 50 points de base. Par ailleurs, les contrats prévoient, en cas de remise en cause de la double exonération des revenus versés par les sociétés allemandes à la société requérante, soit une majoration des taux d'intérêt, soit leur résiliation. Eu égard à ces stipulations contractuelles, les restrictions apportées à l'exercice du droit d'usufruit de la société requérante sont telles que les contrats doivent être regardés comme ayant une substance essentiellement financière et non immobilière. Les revenus tirés de ces contrats par la société requérante, à hauteur des intérêts et à l'exclusion des loyers et amortissements comptabilisés, devaient être qualifiés, non de « revenus de biens immobiliers » au sens de l'article 3 de la convention fiscale franco-allemande, mais d'« intérêts et autres produits des obligations, bons de caisse, prêts et dépôts ou de toutes autres créances » au sens de l'article 10 de la même convention, ainsi que l'a d'ailleurs estimé l'administration fiscale allemande.





19-01-03-03 : Contributions et taxes- Généralités- Règles générales d'établissement de l'impôt- Abus de droit et fraude à la loi-

Espèce - Convention franco-allemande du 21 juillet 1959 (1) - Revenus perçus par une société française à raison de l'exécution de contrats de cession-bail conclus avec des sociétés allemandes - Condition tenant à ce que les contrats ne répondent à aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer l'impôt - Respect - Absence.




Article 3 de la convention fiscale franco-allemande signée le 21 juillet 1959 stipulant que les « revenus provenant de biens immobiliers » ne sont imposables que dans l'Etat contractant où ces biens sont situés. Article 10 stipulant que les intérêts et autres produits des prêts ne sont imposables que dans l'Etat dont le bénéficiaire est résident. Société établie en France spécialisée dans les opérations de crédit-bail ayant été, à la suite de la mise en oeuvre de la procédure de répression des abus de droit prévue à l'article L. 64 du livre des procédures fiscales (LPF), assujettie à des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés (IS) à raison de revenus résultant de l'exécution de contrats de cession-bail conclus avec deux sociétés de droit allemand. Les deux contrats litigieux avaient pour objet, pour la société requérante, d'accorder aux sociétés allemandes des financements, garantis par le transfert temporaire de l'usufruit d'immeubles. Eu égard à leur objet, qui a été effectivement mis en oeuvre, ces contrats, que l'administration n'a d'ailleurs pas écartés pour procéder au redressement contesté, ne peuvent être regardés comme ne répondant à aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que la société, si elle n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées, compte tenu de sa situation ou de ses activités réelles. Ils ne constituaient pas un montage artificiel dépourvu de toute substance économique et ne pouvaient pas conduire à regarder les opérations litigieuses comme contraires aux objectifs poursuivis par les Etats signataires de la convention fiscale franco-allemande. Il en résulte que ces actes n'étaient pas constitutifs d'un abus de droit au sens de l'article L. 64 du LPF.





19-04-02-01-04-082 : Contributions et taxes- Impôts sur les revenus et bénéfices- Revenus et bénéfices imposables règles particulières- Bénéfices industriels et commerciaux- Détermination du bénéfice net- Acte anormal de gestion-

Espèce - Contrats de cession bail conclu par une société française avec des sociétés allemandes - Administration se prévalant de l'insuffisance des taux d'intérêt prévus - Caractère anormal - Absence (4).




Société établie en France spécialisée dans les opérations de crédit-bail ayant été assujettie à des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés (IS) à raison de revenus résultant de l'exécution de contrats de cession-bail conclus avec deux sociétés de droit allemand A et B. Administration ayant par ailleurs qualifié d'acte anormal de gestion la stipulation d'intérêts calculés à des taux inférieurs aux taux de marché au profit des sociétés allemandes et imposé les libéralités correspondantes comme des revenus distribués à ces sociétés. Pour établir que la société requérante aurait décidé de s'appauvrir à des fins étrangères à son intérêt, le ministre soutient que les taux d'intérêt prévus par les contrats sont insuffisants au regard de taux de référence calculés, soit en les majorant de 100 points de base comme le prévoient les stipulations contractuelles en cas de modification des hypothèses fiscales, soit en fonction du niveau de solvabilité des sociétés allemandes. En l'espèce, d'une part, en vertu du contrat de crédit-bail conclu avec la société A, la détermination des loyers est calculée selon un taux d'intérêt de 45 points de base en dessous du taux d'intérêt de référence, correspondant à la moyenne des cours des titres échangés sur les taux d'intérêt divulgués sur l'écran Icapeuro de Reuters pour les taux de 1 à 10 ans. D'autre part, le contrat conclu avec la société B définit le « taux d'intérêt du crédit bail » comme « (i) le taux swap en euro amortissable chaque semestre applicable pendant dix ans avec une durée de vie moyenne de 5,5 ans ? tiré de la courbe du taux d'intérêt indiquée sur la page ICAE de Bloomberg ou sur la page ICAPEUR de Reuters moins (?) (ii) la marge », cette marge étant égale à 50 points de base. Par ailleurs, les contrats prévoient, en cas de remise en cause de la double exonération des revenus versés par les sociétés allemandes à la société requérante, soit une majoration des taux d'intérêt, soit leur résiliation. En prévoyant, compte tenu des hypothèses fiscales qu'elle avait retenues, les taux d'intérêts mentionnés ci-dessus, la société requérante ne peut être regardée comme ayant décidé, à la date de la signature des actes en cause, de s'appauvrir à des fins étrangères à son intérêt. Dans ces conditions, le ministre n'établit pas que les contreparties que la société requérante a retirées des opérations de cession-bail seraient inexistantes ou insuffisantes au regard de l'avantage consenti aux sociétés allemandes, de sorte que la société aurait, en concluant ces contrats, commis un acte anormal de gestion.


(1) Cf. sol. contr., sur la faculté dont dispose l'administration d'écarter un acte constitutif d'un abus de droit en application de l'article L. 64 du LPF lorsque le contribuable recherche le bénéfice d'une norme procédant d'une convention fiscale ne prévoyant pas explicitement l'hypothèse de fraude à la loi, CE, Plénière, 25 octobre 2017, M. Verdannet et autres, n° 396954, p. 321. (2) Cf., sur la faculté dont dispose l'administration de solliciter en cours d'instance la modification, lorsqu'elle ne prive le contribuable d'aucune garantie, du fondement d'une imposition initialement établie conformément à l'article L. 64 du LPF, CE, 26 octobre 2001, SA Darty, n° 217228, p. 511. (4) Cf., sur la définition de l'acte anormal de gestion, CE, Plénière, 21 décembre 2018, Société Croë Suisse, n° 402006, p. 467 ; sur la charge de la preuve, CE, 4 juin 2019, Société d'investissements maritimes et fonciers, n° 418357, T. p. 671.

Voir aussi