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Ariane Web: Conseil d'État 463222, lecture du 7 avril 2023

Analyse n° 463222
7 avril 2023
Conseil d'État

N° 463222
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Lecture du vendredi 7 avril 2023



19-06-02-01-01 : Contributions et taxes- Taxes sur le chiffre d'affaires et assimilées- Taxe sur la valeur ajoutée- Personnes et opérations taxables- Opérations taxables-

Non-assujettissement des activités des personnes morales de droit public exercées en tant qu'autorités publiques (art. 13 et 132 de la directive du 28 novembre 2006 et 256 B du CGI) - 1) Conditions - Portée - a) Activité exercée par un organisme agissant en tant qu'autorité publique - b) Non-assujettissement ne conduisant pas à des distorsions de concurrence d'une certaine importance (1) - 2) Illustration - Prestations hôtelières exercées par les EHPAD publics - Existence.




Il résulte des paragraphes 1 et 2 de l'article 13 ainsi que du g du 1 de l'article 132 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006, tels qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), notamment dans son arrêt C-174/14 du 29 octobre 2015, que le non-assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) prévue en faveur des personnes morales de droit public énumérées à ce même paragraphe 1, qui déroge à la règle générale de l'assujettissement de toute activité de nature économique, est subordonné à deux conditions cumulatives tenant, d'une part, à ce que l'activité soit exercée par un organisme agissant en tant qu'autorité publique et, d'autre part, à ce que le non-assujettissement ne conduise pas à des distorsions de concurrence d'une certaine importance. 1) a) En premier lieu, la condition selon laquelle l'activité économique est réalisée par l'organisme public en tant qu'autorité publique est remplie, selon la jurisprudence de la Cour de justice, lorsque l'activité en cause est exercée dans le cadre du régime juridique particulier aux personnes morales de droit public. Ainsi, l'activité en cause doit être exercée dans des conditions juridiques différentes de celles des opérateurs économiques privés, notamment, lorsque sont mises en oeuvre des prérogatives de puissance publique, lorsque l'activité est accomplie en raison d'une obligation légale ou dans le cadre d'un monopole ou encore lorsqu'elle relève par nature des attributions d'une personne publique. Cette condition peut également, si la législation de l'État membre le prévoit, être regardée comme remplie lorsque l'activité exercée est exonérée en application, notamment, de l'article 132 de la directive du Conseil du 28 novembre 2006. Si cette condition n'est pas remplie, la personne morale de droit public est nécessairement assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée à raison de cette activité économique, sans préjudice des éventuelles exonérations applicables. b) En second lieu, par un arrêt C-288/07 du 16 septembre 2008, la Cour de justice a dit pour droit que les distorsions de concurrence d'une certaine importance auxquelles conduirait le non-assujettissement des organismes de droit public agissant en tant qu'autorités publiques doivent être évaluées par rapport à l'activité en cause, en tant que telle, indépendamment de la question de savoir si ces organismes font face ou non à une concurrence au niveau du marché local sur lequel ils accomplissent cette activité, ainsi que par rapport non seulement à la concurrence actuelle, mais également à la concurrence potentielle, pour autant que la possibilité pour un opérateur privé d'entrer sur le marché pertinent soit réelle, et non purement hypothétique. Par un arrêt C-344/15 du 19 janvier 2017, la Cour de justice a précisé que les distorsions de concurrence d'une certaine importance doivent être évaluées en tenant compte des circonstances économiques et que la seule présence d'opérateurs privés sur un marché, sans la prise en compte des éléments de fait, des indices objectifs et de l'analyse de ce marché, ne saurait démontrer ni l'existence d'une concurrence actuelle ou potentielle ni celle d'une distorsion de concurrence d'une certaine importance. Les distorsions de concurrence mentionnées au paragraphe 1 de l'article 13 de la directive du Conseil du 28 novembre 2006 s'apprécient à la fois au regard de l'activité en cause et des conditions d'exploitation de cette activité. L'existence de telles distorsions ne saurait, dès lors, résulter de la seule constatation que des prestations réalisées par un organisme de droit public sont identiques à celles réalisées par un opérateur privé, sans examen de l'état de la concurrence réelle, ou à défaut potentielle, sur le marché en cause. 2) D'une part, par le premier alinéa de l'article 256 B du code général des impôts (CGI), la France a fait usage de la possibilité ouverte par le 2 de l'article 13 de la directive du 28 novembre 2006 lu en combinaison avec le g du 1 de l'article 132 de cette même directive, de regarder comme une activité effectuée en tant qu'autorité publique le service social d'hébergement des personnes âgées dans des structures publiques. Par suite, l'ensemble des prestations hôtelières exercées par un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) public doivent être regardées comme étant exercées par un organisme agissant en tant qu'autorité publique. D'autre part, eu égard au caractère social des EHPAD publics, qui sont habilités à accueillir entièrement ou principalement des personnes âgées à faibles ressources et qui, par suite, sont soumis en principe à une tarification administrée de leurs prestations relatives à l'hébergement de celles-ci, un opérateur privé exerçant cette activité à titre lucratif, libre de choisir sa clientèle et, par suite, de fixer ses tarifs en conséquence, ne saurait être empêché d'entrer sur le marché en cause ou y subir un désavantage du seul fait de son assujettissement à la TVA qui lui permet, à la différence d'un opérateur public placé hors du champ de celle-ci, d'obtenir le remboursement de l'excédent de la taxe ayant grevé ses charges sur celle dont il est redevable à raison de ses recettes. Par ailleurs, cette même activité exercée sans but lucratif par un opérateur privé est exonérée de la TVA en vertu du b du 1° du 7 de l'article 261 du CGI. Par suite, une cour administrative d'appel ne commet pas d'erreur de droit en jugeant que le non-assujettissement à la TVA d'un EHPAD public, dont il n'était pas contesté qu'il était habilité à recevoir des bénéficiaires de l'aide sociale à l'hébergement pour la totalité des places qu'il offre, n'était pas susceptible de générer de distorsion dans les conditions de la concurrence au sens et pour l'application de l'article 256 B du CGI, lu à la lumière des dispositions de la directive du 28 novembre 2006 qu'il a pour objet de transposer. A cet égard, la cour n'avait ni à examiner si le non-assujettissement de l'EHPAD à la TVA était susceptible de le désavantager ni à prendre en compte le nombre de résidents effectivement bénéficiaires de l'aide sociale à l'hébergement.


(1) Cf., en précisant, CE, 28 mai 2021, Commune de Sarlat-La-Caneda, n° 441739, p. 157 ; CE, 28 mai 2021, Commune de Castelnaudary, n° 442378, p. 167.

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