Conseil d'État
N° 349735 349736
Publié au recueil Lebon
Lecture du mercredi 13 novembre 2013
095-03 : Asile- Conditions d'octroi de la protection-
Cas d'une personne s'étant déjà vu reconnaître le statut de réfugié dans un autre Etat partie à la convention de Genève et présentant une demande en France sans avoir été préalablement admise au séjour (1) - 1) Principe - Impossibilité de solliciter de la France le bénéfice du statut de réfugié - 2) Limite - a) Condition - Ineffectivité de la protection à laquelle la personne a conventionnellement droit sur le territoire du premier Etat (2) - b) Conséquence - Examen de sa demande au regard des persécutions dont elle serait, à la date de sa demande, menacée dans le pays dont elle a la nationalité - c) Effets du rejet de la demande - Absence de droit au séjour au titre de l'asile - Impossibilité de refouler le réfugié vers son pays d'origine tant que la protection attribuée par le premier Etat est maintenue - Prise en compte des circonstances ayant conduit à l'examen de la demande d'asile pour apprécier la possibilité de reconduite vers le premier Etat - 3) Cas particulier où le premier Etat est un Etat membre de l'Union européenne - a) Principe - Présomption d'effectivité de la protection dans cet Etat (3) - Possibilité de renverser cette présomption par tout moyen - Existence - Conséquence - Fait que le demandeur n'ait pas sollicité ou tenté de solliciter la protection des autorités de cet Etat - Elément pouvant être pris en compte par le juge de l'asile - Existence - Obstacle au renversement de la présomption - Absence - b) Exception - Etat ayant pris des mesures dérogatoires au titre de l'article 15 de la Conv. EDH ou faisant l'objet d'une procédure au titre de l'article 7 du TUE.
Il résulte des stipulations du 2 du A de l'article 1er et du 1 des articles 31 et 33 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 ainsi que du protocole signé à New York le 31 janvier 1967 que, lorsqu'une personne s'est vu reconnaître le statut de réfugié dans un Etat partie à cette convention sur le fondement de persécutions subies dans l'Etat dont elle a la nationalité, elle ne peut plus, aussi longtemps que le statut de réfugié lui est maintenu et effectivement garanti dans l'Etat qui lui a reconnu ce statut, revendiquer auprès d'un autre Etat, sans avoir été préalablement admise au séjour, le bénéfice des droits qu'elle tient de la convention de Genève à raison de ces persécutions. Par suite, si une personne reconnue comme réfugiée, au titre de la convention, par un autre Etat partie que la France ne peut, aussi longtemps que la qualité de réfugié lui demeure reconnue par cet Etat, être reconduite depuis la France dans le pays dont elle a la nationalité, et s'il lui est loisible de demander à entrer, séjourner ou s'établir en France dans le cadre des procédures de droit commun applicables aux étrangers et, le cas échéant, dans le cadre des procédures spécifiques prévues par le droit de l'Union européenne, cette personne ne saurait, en principe et sans avoir été préalablement admise au séjour, solliciter des autorités françaises que lui soit accordé le bénéfice du statut de réfugié en France. 2) a) Une personne qui, s'étant vu reconnaître le statut de réfugié dans un Etat partie à la convention de Genève, sur le fondement de persécutions subies dans l'Etat dont elle a la nationalité, demande néanmoins l'asile en France, doit toutefois, s'il est établi qu'elle craint avec raison que la protection à laquelle elle a conventionnellement droit sur le territoire de l'Etat qui lui a déjà reconnu le statut de réfugié n'y est plus effectivement assurée, être regardée comme sollicitant pour la première fois la reconnaissance du statut de réfugié. b) Il appartient, en pareil cas, aux autorités françaises d'examiner sa demande au regard des persécutions dont elle serait, à la date de sa demande, menacée dans le pays dont elle a la nationalité. c) En cas de rejet de sa demande, elle ne peut, sous réserve, le cas échéant, de l'application des dispositions pertinentes du droit de l'Union européenne, se prévaloir d'aucun droit au séjour au titre de l'asile, même si la qualité de réfugié qui lui a été reconnue par le premier Etat fait obstacle, aussi longtemps qu'elle est maintenue, à ce qu'elle soit reconduite dans le pays dont elle a la nationalité, tandis que les circonstances ayant conduit à ce que sa demande soit regardée comme une première demande d'asile peuvent faire obstacle à ce qu'elle soit reconduite dans le pays qui lui a déjà reconnu le statut de réfugié. 3) a) Eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque le demandeur s'est vu en premier lieu reconnaître le statut de réfugié par un Etat membre de l'Union européenne, les craintes dont il fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées. b) Cette présomption peut être renversée. S'il appartient au demandeur d'apporter tous éléments circonstanciés de nature à établir la réalité de ses craintes et le défaut de protection des autorités de l'Etat membre de l'Union européenne qui lui a, en premier lieu, reconnu la qualité de réfugié, et si le fait qu'il n'ait pas sollicité ou tenté de solliciter la protection de ces autorités peut être pris en compte, entre autres éléments, par le juge de l'asile pour apprécier le bien-fondé de sa demande, cette circonstance ne saurait à elle seule faire obstacle à ce qu'il apporte la preuve nécessaire au renversement de la présomption selon laquelle sa demande n'est pas fondée. c) La présomption ne saurait toutefois valoir, notamment, lorsque l'Etat membre ayant accordé la protection a pris des mesures dérogeant à ses obligations prévues par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (Conv. EDH), sur le fondement de l'article 15 de cette convention, ou dans le cas où seraient mises en oeuvre à l'encontre de cet Etat membre les procédures, prévues à l'article 7 du Traité sur l'Union européenne (TUE), soit de prévention, soit de sanction d'une violation des valeurs qui fondent l'Union européenne.
(1) Comp., sur la possibilité pour un demandeur ayant transité par un pays tiers de demander l'asile en France, CE, Assemblée, 16 janvier 1981, Conté, p. 20 ; sur la possibilité pour un demandeur ayant séjourné dans un pays tiers de demander l'asile en France, CE, Assemblée, 18 décembre 1996, Ministre de l'intérieur c/ Rogers, n° 160856, p. 509. (2) Rappr., sur l'impossibilité de réadmettre un demandeur d'asile, au titre du règlement " Dublin II ", dans un Etat membre de l'Union ne présentant pas les garanties exigées par le respect du droit d'asile, CE, juge des référés, 20 mai 2010, Ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire c/ M. et Mme Othman, n° 339478, T. p. 639 ; sur l'obligation de mettre en oeuvre la clause de souveraineté lorsque la réadmission exposerait le demandeur à des traitements inhumains et dégradants prohibés par l'article 3 de la Conv. EDH, 21 janvier 2011, M.S.S. c/ Belgique et Grèce, n° 30696/09. (3) Rappr., sur la présomption de respect des droits fondamentaux par les Etats membres de l'Union, CJUE, 21 décembre 2011, N. S. c/ Secretary of State for the Home Department, aff. C-411/10.
N° 349735 349736
Publié au recueil Lebon
Lecture du mercredi 13 novembre 2013
095-03 : Asile- Conditions d'octroi de la protection-
Cas d'une personne s'étant déjà vu reconnaître le statut de réfugié dans un autre Etat partie à la convention de Genève et présentant une demande en France sans avoir été préalablement admise au séjour (1) - 1) Principe - Impossibilité de solliciter de la France le bénéfice du statut de réfugié - 2) Limite - a) Condition - Ineffectivité de la protection à laquelle la personne a conventionnellement droit sur le territoire du premier Etat (2) - b) Conséquence - Examen de sa demande au regard des persécutions dont elle serait, à la date de sa demande, menacée dans le pays dont elle a la nationalité - c) Effets du rejet de la demande - Absence de droit au séjour au titre de l'asile - Impossibilité de refouler le réfugié vers son pays d'origine tant que la protection attribuée par le premier Etat est maintenue - Prise en compte des circonstances ayant conduit à l'examen de la demande d'asile pour apprécier la possibilité de reconduite vers le premier Etat - 3) Cas particulier où le premier Etat est un Etat membre de l'Union européenne - a) Principe - Présomption d'effectivité de la protection dans cet Etat (3) - Possibilité de renverser cette présomption par tout moyen - Existence - Conséquence - Fait que le demandeur n'ait pas sollicité ou tenté de solliciter la protection des autorités de cet Etat - Elément pouvant être pris en compte par le juge de l'asile - Existence - Obstacle au renversement de la présomption - Absence - b) Exception - Etat ayant pris des mesures dérogatoires au titre de l'article 15 de la Conv. EDH ou faisant l'objet d'une procédure au titre de l'article 7 du TUE.
Il résulte des stipulations du 2 du A de l'article 1er et du 1 des articles 31 et 33 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 ainsi que du protocole signé à New York le 31 janvier 1967 que, lorsqu'une personne s'est vu reconnaître le statut de réfugié dans un Etat partie à cette convention sur le fondement de persécutions subies dans l'Etat dont elle a la nationalité, elle ne peut plus, aussi longtemps que le statut de réfugié lui est maintenu et effectivement garanti dans l'Etat qui lui a reconnu ce statut, revendiquer auprès d'un autre Etat, sans avoir été préalablement admise au séjour, le bénéfice des droits qu'elle tient de la convention de Genève à raison de ces persécutions. Par suite, si une personne reconnue comme réfugiée, au titre de la convention, par un autre Etat partie que la France ne peut, aussi longtemps que la qualité de réfugié lui demeure reconnue par cet Etat, être reconduite depuis la France dans le pays dont elle a la nationalité, et s'il lui est loisible de demander à entrer, séjourner ou s'établir en France dans le cadre des procédures de droit commun applicables aux étrangers et, le cas échéant, dans le cadre des procédures spécifiques prévues par le droit de l'Union européenne, cette personne ne saurait, en principe et sans avoir été préalablement admise au séjour, solliciter des autorités françaises que lui soit accordé le bénéfice du statut de réfugié en France. 2) a) Une personne qui, s'étant vu reconnaître le statut de réfugié dans un Etat partie à la convention de Genève, sur le fondement de persécutions subies dans l'Etat dont elle a la nationalité, demande néanmoins l'asile en France, doit toutefois, s'il est établi qu'elle craint avec raison que la protection à laquelle elle a conventionnellement droit sur le territoire de l'Etat qui lui a déjà reconnu le statut de réfugié n'y est plus effectivement assurée, être regardée comme sollicitant pour la première fois la reconnaissance du statut de réfugié. b) Il appartient, en pareil cas, aux autorités françaises d'examiner sa demande au regard des persécutions dont elle serait, à la date de sa demande, menacée dans le pays dont elle a la nationalité. c) En cas de rejet de sa demande, elle ne peut, sous réserve, le cas échéant, de l'application des dispositions pertinentes du droit de l'Union européenne, se prévaloir d'aucun droit au séjour au titre de l'asile, même si la qualité de réfugié qui lui a été reconnue par le premier Etat fait obstacle, aussi longtemps qu'elle est maintenue, à ce qu'elle soit reconduite dans le pays dont elle a la nationalité, tandis que les circonstances ayant conduit à ce que sa demande soit regardée comme une première demande d'asile peuvent faire obstacle à ce qu'elle soit reconduite dans le pays qui lui a déjà reconnu le statut de réfugié. 3) a) Eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque le demandeur s'est vu en premier lieu reconnaître le statut de réfugié par un Etat membre de l'Union européenne, les craintes dont il fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées. b) Cette présomption peut être renversée. S'il appartient au demandeur d'apporter tous éléments circonstanciés de nature à établir la réalité de ses craintes et le défaut de protection des autorités de l'Etat membre de l'Union européenne qui lui a, en premier lieu, reconnu la qualité de réfugié, et si le fait qu'il n'ait pas sollicité ou tenté de solliciter la protection de ces autorités peut être pris en compte, entre autres éléments, par le juge de l'asile pour apprécier le bien-fondé de sa demande, cette circonstance ne saurait à elle seule faire obstacle à ce qu'il apporte la preuve nécessaire au renversement de la présomption selon laquelle sa demande n'est pas fondée. c) La présomption ne saurait toutefois valoir, notamment, lorsque l'Etat membre ayant accordé la protection a pris des mesures dérogeant à ses obligations prévues par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (Conv. EDH), sur le fondement de l'article 15 de cette convention, ou dans le cas où seraient mises en oeuvre à l'encontre de cet Etat membre les procédures, prévues à l'article 7 du Traité sur l'Union européenne (TUE), soit de prévention, soit de sanction d'une violation des valeurs qui fondent l'Union européenne.
(1) Comp., sur la possibilité pour un demandeur ayant transité par un pays tiers de demander l'asile en France, CE, Assemblée, 16 janvier 1981, Conté, p. 20 ; sur la possibilité pour un demandeur ayant séjourné dans un pays tiers de demander l'asile en France, CE, Assemblée, 18 décembre 1996, Ministre de l'intérieur c/ Rogers, n° 160856, p. 509. (2) Rappr., sur l'impossibilité de réadmettre un demandeur d'asile, au titre du règlement " Dublin II ", dans un Etat membre de l'Union ne présentant pas les garanties exigées par le respect du droit d'asile, CE, juge des référés, 20 mai 2010, Ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire c/ M. et Mme Othman, n° 339478, T. p. 639 ; sur l'obligation de mettre en oeuvre la clause de souveraineté lorsque la réadmission exposerait le demandeur à des traitements inhumains et dégradants prohibés par l'article 3 de la Conv. EDH, 21 janvier 2011, M.S.S. c/ Belgique et Grèce, n° 30696/09. (3) Rappr., sur la présomption de respect des droits fondamentaux par les Etats membres de l'Union, CJUE, 21 décembre 2011, N. S. c/ Secretary of State for the Home Department, aff. C-411/10.