Conseil d'État
N° 301572
Publié au recueil Lebon
Lecture du vendredi 22 octobre 2010
15-03-01-01 : Communautés européennes et Union européenne- Application du droit de l'Union européenne par le juge administratif français- Actes clairs- Interprétation du droit de l'Union-
Cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail (directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000) - Obligations pesant sur l'Etat - Champ d'application - Cas des avocats (dont le statut relève de l'article 3 de la loi du 31 décembre 1971) atteints d'un handicap - Inclusion de ceux exerçant une part importante de leur activité professionnelle dans des bâtiments affectés au service public de la justice - Circonstance que l'Etat ne soit pas leur employeur - Circonstance sans incidence, s'agissant d'auxiliaires de justice.
Il résulte de la combinaison des articles 2, 3 et 5 de la directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000 que cette directive, qui concerne le cadre de l'emploi et du travail, impose à titre principal, en ce qui concerne les aménagements raisonnables à réaliser pour les personnes handicapées, des obligations aux employeurs. Mais elle a également pour effet d'imposer à l'Etat, alors même qu'il n'est pas l'employeur des avocats, des obligations à l'égard de ces derniers lorsque ceux-ci, qui ont la qualité d'auxiliaires de justice aux termes de l'article 3 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 et apportent un concours régulier et indispensable au service public de la justice, exercent une part importante de leur activité professionnelle dans des bâtiments affectés à ce service public. L'Etat est en particulier tenu de prendre des mesures appropriées pour créer, en fonction des besoins dans une situation concrète, des conditions de travail de nature à permettre aux avocats handicapés d'exercer leur profession, sauf si ces mesures imposent une charge disproportionnée. Ces mesures appropriées doivent inclure, en principe, l'accessibilité des locaux de justice, y compris celle des parties non ouvertes au public mais auxquelles les avocats doivent pouvoir accéder pour l'exercice de leurs fonctions.
15-07 : Communautés européennes et Union européenne- Responsabilité pour manquement au droit de l'Union européenne-
Absence - Cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail (directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000) - Obligation d'aménager des locaux accueillant du public, notamment les palais de justice (art. L. 111-7-3 du CCH et décret du 17 mai 2006) - Existence d'un délai de 10 ans pour atteindre cette obligation - Délai compatible avec les objectifs de la directive (1).
Le décret n° 2006-555 du 17 mai 2006 a fixé au 1er janvier 2015 le délai au terme duquel les établissements existants recevant du public doivent avoir été rendus accessibles, en application de l'article L. 111-7-3 du code de la construction et de l'habitation (CCH), aux personnes handicapées. D'une part, la directive permettait que soit laissé un délai raisonnable pour la réalisation des aménagements nécessaires. D'autre part, un délai pouvait être ménagé eu égard à l'importance du patrimoine immobilier judiciaire, au grand nombre et à la diversité des édifices répartis sur l'ensemble du territoire national, aux contraintes spécifiques découlant de ce qu'une partie des bâtiments est ancienne et de ce que certains sont soumis à la réglementation sur les monuments historiques, et, enfin, au volume des engagements financiers nécessaires pour réaliser l'accessibilité de ces bâtiments aux personnes à mobilité réduite. Par conséquent, la fixation d'un délai maximal de dix ans est jugée compatible avec la directive. Absence d'engagement de la responsabilité de l'Etat à ce titre.
60-01-02-01-01 : Responsabilité de la puissance publique- Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité- Fondement de la responsabilité- Responsabilité sans faute- Responsabilité fondée sur l'égalité devant les charges publiques-
Existence (2) - Conditions de l'étalement dans le temps de l'obligation d'aménagement des bâtiments judiciaires pour permettre l'accessibilité des avocats handicapés (résultant de l'art L. 111-7-3 du CCH et du décret du 17 mai 2006) - Existence d'un préjudice anormal et spécial - Réparation du préjudice moral.
Le décret n° 2006-555 du 17 mai 2006 a fixé au 1er janvier 2015 le délai au terme duquel les établissements existants recevant du public doivent avoir été rendus accessibles, en application de l'article L. 111-7-3 du code de la construction et de l'habitation (CCH), aux personnes handicapées. Si, pour des motifs légitimes d'intérêt général, l'Etat a pu étaler dans le temps la réalisation des aménagements raisonnables destinés à permettre de satisfaire aux exigences d'accessibilité des locaux des palais de justice aux personnes handicapées, le préjudice qui résulte des conditions de cet étalement dans le temps des mesures destinées à rendre accessibles les bâtiments pour une avocate handicapée à mobilité réduite fréquentant régulièrement les locaux judiciaires, dont l'exercice de la profession a été rendu, de ce fait, plus difficile, sans que les mesures palliatives prises aient pu atténuer suffisamment les difficultés qu'elle rencontre, ne saurait, compte tenu de son caractère grave et spécial, être regardé comme une charge incombant normalement à l'intéressée. La responsabilité sans faute de l'Etat est engagée de ce fait. Le préjudice moral est indemnisé.
60-01-02-02 : Responsabilité de la puissance publique- Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité- Fondement de la responsabilité- Responsabilité pour faute-
Absence, au regard des efforts accomplis à la date où le juge statue - Etalement dans le temps de l'obligation d'aménagement des bâtiments judiciaires pour permettre l'accessibilité des avocats handicapés (résultant de l'art L. 111-7-3 du CCH et du décret du 17 mai 2006).
Le décret n° 2006-555 du 17 mai 2006 a fixé au 1er janvier 2015 le délai au terme duquel les établissements existants recevant du public doivent avoir été rendus accessibles, en application de l'article L. 111-7-3 du code de la construction et de l'habitation (CCH), aux personnes handicapées. L'Etat a engagé depuis plusieurs années un programme visant à mettre progressivement aux normes d'accessibilité aux personnes handicapées l'ensemble des bâtiments du patrimoine immobilier judiciaire. Dans le ressort spécifique de la cour dont dépend l'avocate requérante, le parc immobilier est composé de nombreux bâtiments répartis sur de multiples sites, dont plusieurs, anciens, présentent des difficultés d'accès pour les personnes handicapées, auxquelles le ministère de la justice s'efforce de remédier par la réalisation progressive d'opérations spécifiques qui demandent un effort financier notable. Les autorités judiciaires se sont par ailleurs efforcées, au-delà de l'adaptation du seul cadre bâti, de faciliter dans la mesure du possible l'accès de la requérante aux lieux d'exercice de sa profession, soit en réalisant des aménagements ponctuels, soit en mettant à sa disposition l'aide de personnel d'accueil et de sécurité, soit encore en déplaçant le lieu de l'audience pour lui permettre d'y participer. Ainsi, malgré la lenteur des progrès réalisés, l'Etat n'a pas, compte tenu des décisions prises en l'espèce au moment où le juge statue, commis de faute en étalant sur dix ans les travaux de réalisation de l'accessibilité aux personnes handicapées des locaux des palais de justice.
(1) Cf., sur le cadre juridique de la responsabilité de l'Etat du fait d'une loi inconventionnelle, Assemblée, 8 février 2007, Gardedieu, n° 279522, p. 78. (2) Rappr., sur le cadre de la responsabilité de l'Etat pour rupture d'égalité devant les charges publiques du fait des lois, Assemblée, 14 janvier 1938, Société anonyme des produits laitiers "La Fleurette", n° 51704, p. 25 ; 2 novembre 2005, Société coopérative agricole Ax'ion, n° 266564, p. 468.
N° 301572
Publié au recueil Lebon
Lecture du vendredi 22 octobre 2010
15-03-01-01 : Communautés européennes et Union européenne- Application du droit de l'Union européenne par le juge administratif français- Actes clairs- Interprétation du droit de l'Union-
Cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail (directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000) - Obligations pesant sur l'Etat - Champ d'application - Cas des avocats (dont le statut relève de l'article 3 de la loi du 31 décembre 1971) atteints d'un handicap - Inclusion de ceux exerçant une part importante de leur activité professionnelle dans des bâtiments affectés au service public de la justice - Circonstance que l'Etat ne soit pas leur employeur - Circonstance sans incidence, s'agissant d'auxiliaires de justice.
Il résulte de la combinaison des articles 2, 3 et 5 de la directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000 que cette directive, qui concerne le cadre de l'emploi et du travail, impose à titre principal, en ce qui concerne les aménagements raisonnables à réaliser pour les personnes handicapées, des obligations aux employeurs. Mais elle a également pour effet d'imposer à l'Etat, alors même qu'il n'est pas l'employeur des avocats, des obligations à l'égard de ces derniers lorsque ceux-ci, qui ont la qualité d'auxiliaires de justice aux termes de l'article 3 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 et apportent un concours régulier et indispensable au service public de la justice, exercent une part importante de leur activité professionnelle dans des bâtiments affectés à ce service public. L'Etat est en particulier tenu de prendre des mesures appropriées pour créer, en fonction des besoins dans une situation concrète, des conditions de travail de nature à permettre aux avocats handicapés d'exercer leur profession, sauf si ces mesures imposent une charge disproportionnée. Ces mesures appropriées doivent inclure, en principe, l'accessibilité des locaux de justice, y compris celle des parties non ouvertes au public mais auxquelles les avocats doivent pouvoir accéder pour l'exercice de leurs fonctions.
15-07 : Communautés européennes et Union européenne- Responsabilité pour manquement au droit de l'Union européenne-
Absence - Cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail (directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000) - Obligation d'aménager des locaux accueillant du public, notamment les palais de justice (art. L. 111-7-3 du CCH et décret du 17 mai 2006) - Existence d'un délai de 10 ans pour atteindre cette obligation - Délai compatible avec les objectifs de la directive (1).
Le décret n° 2006-555 du 17 mai 2006 a fixé au 1er janvier 2015 le délai au terme duquel les établissements existants recevant du public doivent avoir été rendus accessibles, en application de l'article L. 111-7-3 du code de la construction et de l'habitation (CCH), aux personnes handicapées. D'une part, la directive permettait que soit laissé un délai raisonnable pour la réalisation des aménagements nécessaires. D'autre part, un délai pouvait être ménagé eu égard à l'importance du patrimoine immobilier judiciaire, au grand nombre et à la diversité des édifices répartis sur l'ensemble du territoire national, aux contraintes spécifiques découlant de ce qu'une partie des bâtiments est ancienne et de ce que certains sont soumis à la réglementation sur les monuments historiques, et, enfin, au volume des engagements financiers nécessaires pour réaliser l'accessibilité de ces bâtiments aux personnes à mobilité réduite. Par conséquent, la fixation d'un délai maximal de dix ans est jugée compatible avec la directive. Absence d'engagement de la responsabilité de l'Etat à ce titre.
60-01-02-01-01 : Responsabilité de la puissance publique- Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité- Fondement de la responsabilité- Responsabilité sans faute- Responsabilité fondée sur l'égalité devant les charges publiques-
Existence (2) - Conditions de l'étalement dans le temps de l'obligation d'aménagement des bâtiments judiciaires pour permettre l'accessibilité des avocats handicapés (résultant de l'art L. 111-7-3 du CCH et du décret du 17 mai 2006) - Existence d'un préjudice anormal et spécial - Réparation du préjudice moral.
Le décret n° 2006-555 du 17 mai 2006 a fixé au 1er janvier 2015 le délai au terme duquel les établissements existants recevant du public doivent avoir été rendus accessibles, en application de l'article L. 111-7-3 du code de la construction et de l'habitation (CCH), aux personnes handicapées. Si, pour des motifs légitimes d'intérêt général, l'Etat a pu étaler dans le temps la réalisation des aménagements raisonnables destinés à permettre de satisfaire aux exigences d'accessibilité des locaux des palais de justice aux personnes handicapées, le préjudice qui résulte des conditions de cet étalement dans le temps des mesures destinées à rendre accessibles les bâtiments pour une avocate handicapée à mobilité réduite fréquentant régulièrement les locaux judiciaires, dont l'exercice de la profession a été rendu, de ce fait, plus difficile, sans que les mesures palliatives prises aient pu atténuer suffisamment les difficultés qu'elle rencontre, ne saurait, compte tenu de son caractère grave et spécial, être regardé comme une charge incombant normalement à l'intéressée. La responsabilité sans faute de l'Etat est engagée de ce fait. Le préjudice moral est indemnisé.
60-01-02-02 : Responsabilité de la puissance publique- Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité- Fondement de la responsabilité- Responsabilité pour faute-
Absence, au regard des efforts accomplis à la date où le juge statue - Etalement dans le temps de l'obligation d'aménagement des bâtiments judiciaires pour permettre l'accessibilité des avocats handicapés (résultant de l'art L. 111-7-3 du CCH et du décret du 17 mai 2006).
Le décret n° 2006-555 du 17 mai 2006 a fixé au 1er janvier 2015 le délai au terme duquel les établissements existants recevant du public doivent avoir été rendus accessibles, en application de l'article L. 111-7-3 du code de la construction et de l'habitation (CCH), aux personnes handicapées. L'Etat a engagé depuis plusieurs années un programme visant à mettre progressivement aux normes d'accessibilité aux personnes handicapées l'ensemble des bâtiments du patrimoine immobilier judiciaire. Dans le ressort spécifique de la cour dont dépend l'avocate requérante, le parc immobilier est composé de nombreux bâtiments répartis sur de multiples sites, dont plusieurs, anciens, présentent des difficultés d'accès pour les personnes handicapées, auxquelles le ministère de la justice s'efforce de remédier par la réalisation progressive d'opérations spécifiques qui demandent un effort financier notable. Les autorités judiciaires se sont par ailleurs efforcées, au-delà de l'adaptation du seul cadre bâti, de faciliter dans la mesure du possible l'accès de la requérante aux lieux d'exercice de sa profession, soit en réalisant des aménagements ponctuels, soit en mettant à sa disposition l'aide de personnel d'accueil et de sécurité, soit encore en déplaçant le lieu de l'audience pour lui permettre d'y participer. Ainsi, malgré la lenteur des progrès réalisés, l'Etat n'a pas, compte tenu des décisions prises en l'espèce au moment où le juge statue, commis de faute en étalant sur dix ans les travaux de réalisation de l'accessibilité aux personnes handicapées des locaux des palais de justice.
(1) Cf., sur le cadre juridique de la responsabilité de l'Etat du fait d'une loi inconventionnelle, Assemblée, 8 février 2007, Gardedieu, n° 279522, p. 78. (2) Rappr., sur le cadre de la responsabilité de l'Etat pour rupture d'égalité devant les charges publiques du fait des lois, Assemblée, 14 janvier 1938, Société anonyme des produits laitiers "La Fleurette", n° 51704, p. 25 ; 2 novembre 2005, Société coopérative agricole Ax'ion, n° 266564, p. 468.