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Ariane Web: Conseil d'État 238689, lecture du 12 avril 2002

Analyse n° 238689
12 avril 2002
Conseil d'État

N° 238689
Publié au recueil Lebon

Lecture du vendredi 12 avril 2002



36-07-10 : Fonctionnaires et agents publics Statuts, droits, obligations et garanties- Garanties et avantages divers-

Protection du fonctionnaire qui fait l'objet de condamnations civiles (article 11 de la loi du 13 juillet 1983) - a) Règles de partage de la charge des condamnations civiles entre l'administration et le fonctionnaire - b) Cas de partage - Conjonction des effets d'une faute personnelle et d'une faute de service distincte dans la réalisation du dommage (1) - Existence - Concours actif, constitutif d'un comportement inexcusable, prêté par un fonctionnaire, entre 1942 et 1944, à l'arrestation et à l'internement de personnes d'origine juive déportées et décédées en camp de concentration dont les actes ou agissements de l'administration française ont été le prélude.




a) Aux termes du deuxième alinéa de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : "Lorsqu'un fonctionnaire a été poursuivi par un tiers pour faute de service et que le conflit d'attribution n'a pas été élevé, la collectivité publique doit, dans la mesure où une faute personnelle détachable de l'exercice de ses fonctions n'est pas imputable à ce fonctionnaire, le couvrir des condamnations civiles prononcées contre lui". Pour l'application de ces dispositions, il y a lieu - quel que soit par ailleurs le fondement sur lequel la responsabilité du fonctionnaire a été engagée vis-à-vis de la victime du dommage - de distinguer trois cas. Dans le premier, où le dommage pour lequel l'agent a été condamné civilement trouve son origine exclusive dans une faute de service, l'administration est tenue de couvrir intégralement l'intéressé des condamnations civiles prononcées contre lui. Dans le deuxième cas, où le dommage provient exclusivement d'une faute personnelle détachable de l'exercice des fonctions, l'agent qui l'a commise ne peut au contraire, quel que soit le lien entre cette faute et le service, obtenir la garantie de l'administration. Dans le troisième cas, où une faute personnelle a, dans la réalisation du dommage, conjugué ses effets avec ceux d'une faute de service distincte, l'administration n'est tenue de couvrir l'agent que pour la part imputable à cette faute de service. Il appartient dans cette dernière hypothèse au juge administratif, saisi d'un contentieux opposant le fonctionnaire à son administration, de régler la contribution finale de l'un et de l'autre à la charge des réparations compte tenu de l'existence et de la gravité des fautes respectives. b) Il ressort des faits constatés par le juge pénal, dont la décision est revêtue sur ce point de l'autorité de la chose jugée, que le secrétaire général de la préfecture de la Gironde a, entre 1942 et 1944, prêté son concours actif à l'arrestation et à l'internement de 76 personnes d'origine juive qui ont été ensuite déportées à Auschwitz où elles ont trouvé la mort. Si l'intéressé soutient qu'il a obéi à des ordres reçus de ses supérieurs hiérarchiques ou agi sous la contrainte des forces d'occupation allemandes, il résulte de l'instruction qu'il a accepté, en premier lieu, que soit placé sous son autorité directe le service des questions juives de la préfecture de la Gironde alors que ce rattachement ne découlait pas de la nature des fonctions occupées par le secrétaire général, qu'il a veillé, en deuxième lieu, de sa propre initiative et en devançant les instructions venues de ses supérieurs, à mettre en oeuvre avec le maximum d'efficacité et de rapidité les opérations nécessaires à la recherche, à l'arrestation et à l'internement des personnes en cause, et qu'il s'est enfin attaché personnellement à donner l'ampleur la plus grande possible aux quatre convois qui ont été retenus à sa charge par la cour d'assises de la Gironde, sur les 11 qui sont partis de ce département entre juillet 1942 et juin 1944, en faisant notamment en sorte que les enfants placés dans des familles d'accueil à la suite de la déportation de leurs parents ne puissent en être exclus. Un tel comportement, qui ne peut s'expliquer par la seule pression exercée sur l'intéressé par l'occupant allemand, revêt, eu égard à la gravité exceptionnelle des faits et de leurs conséquences, un caractère inexcusable et constitue par là-même une faute personnelle détachable de l'exercice des fonctions. La circonstance, invoquée par l'intéressé, que les faits reprochés ont été commis dans le cadre du service ou ne sont pas dépourvus de tout lien avec le service est sans influence sur leur caractère de faute personnelle pour l'application des dispositions de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983. Si la déportation entre 1942 et 1944 des personnes d'origine juive arrêtées puis internées en Gironde dans les conditions rappelées ci-dessus a été organisée à la demande et sous l'autorité des forces d'occupation allemandes, la mise en place du camp d'internement de Mérignac et le pouvoir donné au préfet, dès octobre 1940, d'y interner les ressortissants étrangers "de race juive", l'existence même d'un service des questions juives au sein de la préfecture, chargé notamment d'établir et de tenir à jour un fichier recensant les personnes "de race juive" ou de confession israélite, l'ordre donné aux forces de police de prêter leur concours aux opérations d'arrestation et d'internement des personnes figurant dans ce fichier et aux responsables administratifs d'apporter leur assistance à l'organisation des convois vers Drancy - tous actes ou agissements de l'administration française qui ne résultaient pas directement d'une contrainte de l'occupant - ont permis et facilité, indépendamment de l'action du secrétaire général de la préfecture, les opérations qui ont été le prélude à la déportation. La faute de service ainsi analysée engage la responsabilité de l'Etat.





60-01-03 : Responsabilité de la puissance publique- Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité- Agissements administratifs susceptibles d'engager la responsabilité de la puissance publique-

a) Actes et agissements commis par l'administration française, entre le 16 juin 1940 et le rétablissement de la légalité républicaine sur le territoire continental, dans l'application des actes de l'autorité de fait dite "gouvernement de l'Etat français" appliquant une discrimination fondée sur la "qualité de juif" (2) - b) Actes et agissements de l'administration française ayant été le prélude à la déportation entre 1942 et 1944 des personnes d'origine juive arrêtées puis internées en Gironde.




a) Si l'article 3 de l'ordonnance du 9 août 1944 relative au rétablissement de la légalité républicaine sur le territoire continental constate expressément la nullité de tous les actes de l'autorité de fait se disant "gouvernement de l'Etat français" qui "établissent ou appliquent une discrimination quelconque fondée sur la qualité de juif", ces dispositions ne sauraient avoir pour effet de créer un régime d'irresponsabilité de la puissance publique à raison des faits ou agissements commis par l'administration française dans l'application de ces actes, entre le 16 juin 1940 et le rétablissement de la légalité républicaine sur le territoire continental. Tout au contraire, les dispositions précitées de l'ordonnance ont, en sanctionnant par la nullité l'illégalité manifeste des actes établissant ou appliquant cette discrimination, nécessairement admis que les agissements auxquels ces actes ont donné lieu pouvaient revêtir un caractère fautif. b) Si la déportation entre 1942 et 1944 des personnes d'origine juive arrêtées puis internées en Gironde a été organisée à la demande et sous l'autorité des forces d'occupation allemandes, la mise en place du camp d'internement de Mérignac et le pouvoir donné au préfet, dès octobre 1940, d'y interner les ressortissants étrangers "de race juive", l'existence même d'un service des questions juives au sein de la préfecture, chargé notamment d'établir et de tenir à jour un fichier recensant les personnes "de race juive" ou de confession israélite, l'ordre donné aux forces de police de prêter leur concours aux opérations d'arrestation et d'internement des personnes figurant dans ce fichier et aux responsables administratifs d'apporter leur assistance à l'organisation des convois vers Drancy - tous actes ou agissements de l'administration française qui ne résultaient pas directement d'une contrainte de l'occupant - ont permis et facilité, indépendamment de l'action du secrétaire général de la préfecture, les opérations qui ont été le prélude à la déportation. La faute de service ainsi analysée engage la responsabilité de l'Etat.





60-03-01-02 : Responsabilité de la puissance publique- Problèmes d'imputabilité- Faute personnelle de l'agent public- Existence-

Concours actif, constitutif d'un comportement inexcusable, prêté par un fonctionnaire, entre 1942 et 1944, à l'arrestation et à l'internement de personnes d'origine juive déportées et décédées en camp de concentration.




Il ressort des faits constatés par le juge pénal, dont la décision est revêtue sur ce point de l'autorité de la chose jugée, que le secrétaire général de la préfecture de la Gironde a, entre 1942 et 1944, prêté son concours actif à l'arrestation et à l'internement de 76 personnes d'origine juive qui ont été ensuite déportées à Auschwitz où elles ont trouvé la mort. Si l'intéressé soutient qu'il a obéi à des ordres reçus de ses supérieurs hiérarchiques ou agi sous la contrainte des forces d'occupation allemandes, il résulte de l'instruction qu'il a accepté, en premier lieu, que soit placé sous son autorité directe le service des questions juives de la préfecture de la Gironde alors que ce rattachement ne découlait pas de la nature des fonctions occupées par le secrétaire général, qu'il a veillé, en deuxième lieu, de sa propre initiative et en devançant les instructions venues de ses supérieurs, à mettre en oeuvre avec le maximum d'efficacité et de rapidité les opérations nécessaires à la recherche, à l'arrestation et à l'internement des personnes en cause, et qu'il s'est enfin attaché personnellement à donner l'ampleur la plus grande possible aux quatre convois qui ont été retenus à sa charge par la cour d'assises de la Gironde, sur les 11 qui sont partis de ce département entre juillet 1942 et juin 1944, en faisant notamment en sorte que les enfants placés dans des familles d'accueil à la suite de la déportation de leurs parents ne puissent en être exclus. Un tel comportement, qui ne peut s'expliquer par la seule pression exercée sur l'intéressé par l'occupant allemand, revêt, eu égard à la gravité exceptionnelle des faits et de leurs conséquences, un caractère inexcusable et constitue par là-même une faute personnelle détachable de l'exercice des fonctions. La circonstance, invoquée par l'intéressé, que les faits reprochés ont été commis dans le cadre du service ou ne sont pas dépourvus de tout lien avec le service est sans influence sur leur caractère de faute personnelle pour l'application des dispositions de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983. .


(1) Cf. Assemblée 28 juillet 1951, Delville, p. 465. (2) Ab. jur. Assemblée 4 janvier 1952, Epoux Giraud, p. 14 ; Section 25 juillet 1952, Delle Remise, p. 401.

Voir aussi