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Ariane Web: CAA de PARIS 23PA02755, lecture du 18 octobre 2024

Décision n° 23PA02755
18 octobre 2024
CAA de PARIS

N° 23PA02755

9ème chambre
M. CARRERE, président
Mme Cécile LORIN, rapporteure
M. SIBILLI, rapporteur public
INGELAERE, avocats


Lecture du vendredi 18 octobre 2024
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante : Procédure contentieuse antérieure : M. B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 29 octobre 2021 par laquelle le préfet de police a refusé de lui accorder l'agrément nécessaire à l'exercice de la profession de policier adjoint. Par un jugement n° 2126781 du 21 avril 2023 le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Procédure devant la Cour : Par une requête et un mémoire qui n'a pas été communiqué, enregistrés les 21 juin 2023 et 23 septembre 2024, M. B..., représenté par Me Guez Guez, demande à la Cour : 1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris du 21 avril 2023 et la décision du préfet de police du 29 octobre 2021 ; 2°) de procéder à la suppression d'un passage des écritures du préfet de police en application des dispositions de l'article L. 741-2 du code de justice administrative ; 3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il soutient que : - le jugement attaqué est irrégulier dès lors que son mémoire enregistré le 31 mars 2021 n'a pas été communiqué au préfet de police en méconnaissance du principe contradictoire de la procédure ; - il est entaché d'une omission à statuer, faute pour les premiers juges d'avoir répondu à ses conclusions tendant à la suppression de certains passages des écritures du préfet de police en application des dispositions de l'article L. 741-2 du code de justice administrative ; - les premiers juges ont omis de répondre au moyen tiré de l'incompétence de la signataire de l'acte ; - la décision contestée méconnaît les dispositions de l'article L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration ; - elle est insuffisamment motivée ; - elle constitue une restriction illégale à l'accès de la fonction publique fondée sur sa pratique religieuse, le préfet de police ne démontrant pas qu'il ne disposerait pas, pour ce motif, des garanties requises à la délivrance de l'agrément nécessaire à l'exercice de la profession de policier adjoint et caractérise une discrimination illégale. Par un mémoire en défense, enregistré le 8 juillet 2024, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête. Il soutient que : - les conclusions présentées par M. B... sur le fondement de l'article L. 741-2 du code de justice administrative sont irrecevables ; - aucun des moyens soulevés par l'intéressé n'est fondé. Les parties ont été informées, par lettre du 23 août 2024, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt à intervenir est susceptible d'être fondée sur les moyens, soulevés d'office, tirés, d'une part, de l'irrecevabilité du moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision attaquée, dès lors que ce moyen, qui n'est pas d'ordre public, a été présenté à l'appui de la requête et est fondé sur une cause juridique distincte de celle soulevée en première instance à l'appui de la requête introductive d'instance de M. B... ; d'autre part, de l'irrecevabilité du moyen tenant au vice de procédure (non-respect de la procédure contradictoire) entachant la décision du 29 octobre 2021 présenté pour la première fois en appel, car reposant sur une cause juridique distincte de celle fondant les moyens de première instance présentés dans le délai de recours contentieux. La Défenseure des droits a, en application des dispositions de l'article 33 de la loi organique du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits, présenté des observations, enregistrées le 25 septembre 2024. Vu les autres pièces du dossier. Vu : - le code de la sécurité intérieure ; - le décret n° 95-654 du 9 mai 1995 fixant les dispositions communes aux fonctionnaires actifs des services de la police nationale ; - le code de justice administrative. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique : - le rapport de Mme Lorin, - les conclusions de M. Sibilli, rapporteur public, - et les observations de Me Grenaille, substituant Me Guez Guez, représentant M. B.... Considérant ce qui suit : 1. M. B... a fait acte de candidature à l'emploi de policier adjoint dans le département de Paris. Par une décision du 29 octobre 2021 le préfet de police a refusé de lui accorder l'agrément nécessaire à l'exercice de cette profession. Par la présente requête, M. B... relève régulièrement appel du jugement du tribunal administratif de Paris du 21 avril 2023 et doit être regardé comme demandant l'annulation de la décision de refus d'agrément prise par le préfet de police. En ce qui concerne les conclusions tendant à l'annulation de la décision du 29 octobre 2021 : 2. D'une part, aux termes de l'article 4 du décret du 9 mai 1995 fixant les dispositions communes applicables aux fonctionnaires actifs des services de la police nationale : " Outre les conditions générales prévues par l'article 5 de la loi du 13 juillet 1983 susvisée et les conditions spéciales prévues par les statuts particuliers, nul ne peut être nommé à un emploi des services actifs de la police nationale : (...) 3° Si sa candidature n'a pas reçu l'agrément du ministre de l'intérieur ". Aux termes de l'article L. 114-1 du code de la sécurité intérieure : " I. - Les décisions administratives de recrutement, d'affectation, de titularisation, d'autorisation, d'agrément ou d'habilitation, prévues par des dispositions législatives ou réglementaires, concernant soit les emplois publics participant à l'exercice des missions de souveraineté de l'État, soit les emplois publics ou privés relevant du domaine de la sécurité ou de la défense (...) peuvent être précédées d'enquêtes administratives destinées à vérifier que le comportement des personnes physiques ou morales intéressées n'est pas incompatible avec l'exercice des fonctions ou des missions envisagées. (...) ". Aux termes de l'article R. 114-2 du même code : " Peuvent donner lieu aux enquêtes mentionnées à l'article R. 114-1 les décisions suivantes relatives aux emplois publics participant à l'exercice des missions de souveraineté de l'État ainsi qu'aux emplois publics ou privés relevant du domaine de la sécurité ou de la défense : (...) 3° Recrutement ou nomination et affectation : (...) g) Des fonctionnaires et agents contractuels de la police nationale (...) ". 3. D'autre part, aux termes de l'article R. 434-29 du code de la sécurité intérieure : " Le policier est tenu à l'obligation de neutralité. Il s'abstient, dans l'exercice de ses fonctions, de toute expression ou manifestation de ses convictions religieuses, politiques ou philosophiques. Lorsqu'il n'est pas en service, il s'exprime librement dans les limites imposées par le devoir de réserve et par la loyauté à l'égard des institutions de la République. [...]". 4. Si les agents de police bénéficient comme tous les autres agents publics de la liberté de conscience qui interdit toute discrimination dans l'accès aux fonctions comme dans le déroulement de la carrière qui serait fondée sur leur religion, le principe de laïcité fait obstacle à ce qu'ils disposent, dans le cadre du service public, du droit de manifester leurs croyances religieuses. Il appartient à l'autorité administrative, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, d'apprécier le respect de ce principe au cours de la phase de recrutement d'un candidat ayant vocation à intégrer le service public de la police nationale. La circonstance que le préfet s'assure des garanties présentées par le candidat en vue de l'exercice de ses futures fonctions, notamment au regard du principe de laïcité, ne constitue pas par elle-même une discrimination à raison de ses convictions religieuses. 5. Il ressort des pièces du dossier que pour refuser de délivrer un agrément à M. B..., le préfet de police a retenu que l'intéressé présentait sur le front une marque visible dite " tabâa ", constituant une dermatose pigmentée, due à une pratique assidue de sa religion qui constituait une manifestation ostensible de son appartenance religieuse qu'il n'était pas en mesure de dissimuler et révélait un possible risque de repli identitaire incompatible avec le devoir de neutralité. 6. S'il est constant que la marque que porte M. B..., résultant de la friction générée par le contact régulier de son front avec le tapis de prière, constitue un signe de son appartenance religieuse, elle n'est que la conséquence physique d'une pratique religieuse exercée dans un cadre privé. En outre, en l'espèce, il ne ressort d'aucune pièce du dossier qu'elle aurait été recherchée à titre de signe distinctif. Dès lors, elle ne peut être regardée en tant que telle comme traduisant la volonté de l'intéressé de manifester ses croyances religieuses dans le cadre du service public. La seule circonstance que l'intéressé présente une " marque ", ou que cette marque révélerait une pratique religieuse assidue, n'est pas à elle seule de nature à établir, contrairement à ce que soutient le ministre de l'intérieur en faisant valoir un risque de repli identitaire, que la candidature de M. C... serait pour ce motif incompatible avec les principes de laïcité et de neutralité et qu'il ne présenterait pas les garanties requises pour l'exercice des fonctions envisagées. 7. Par voie de conséquence, M. B... est fondé à soutenir que le préfet de police ne pouvait légalement refuser de lui délivrer l'agrément en vue de l'exercice des fonctions de policier adjoint. Dès lors, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la régularité du jugement, c'est à tort que le tribunal a rejeté sa demande. Par suite, M. B... est fondé à demander l'annulation du jugement et de la décision attaqués.
En ce qui les conclusions tendant à l'application de l'article L. 741-2 du code de justice administrative : 8. Aux termes de l'article L. 741-2 du code de justice administrative : " (...) Pourront néanmoins les juges, saisis de la cause et statuant sur le fond, prononcer la suppression des discours injurieux, outrageants ou diffamatoires, et condamner qui il appartiendra à des dommages-intérêts. (...) ". 9. Il résulte de ces dispositions que le juge administratif peut exercer la faculté qu'elles lui reconnaissent de prononcer la suppression des propos tenus et des écrits produits dans le cadre de l'instance qui présenteraient un caractère injurieux, outrageant ou diffamatoire tant à l'égard des propos et écritures des parties que de pièces produites par elles. Une partie ne saurait toutefois utilement solliciter du juge la suppression d'une injure, d'un outrage ou d'une diffamation qui résulterait d'une pièce qu'elle a elle-même produite. 10. Le passage du mémoire en défense du préfet de police figurant en page 6 commençant par " de plus " et se terminant par " repli identitaire " dont la suppression est demandée par M. B..., pour regrettable qu'il soit, ne présentent pas un caractère injurieux, outrageant ou diffamatoire. Dès lors, il n'y a pas lieu d'en prononcer la suppression par application des dispositions de l'article L. 741-2 du code de justice administrative. En ce qui concerne les frais liés au litige : 11. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à M. B... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. D E C I D E : Article 1er : Le jugement n° 2126781 du tribunal administratif de Paris du 21 avril 2023 et la décision du 29 octobre 2021 du préfet de police sont annulés.Article 2 : L'Etat est condamné à verser à M. B... la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur.Copie en sera adressée au préfet de police et la défenseure des droits.Délibéré après l'audience du 27 septembre 2024, à laquelle siégeaient :- M. Carrère, président,- M. Lemaire, président assesseur,- Mme Lorin, première conseillère.Rendu public par mise à disposition au greffe de la Cour, le 18 octobre 2024. La rapporteure, C. LORIN Le président, S. CARRERE La greffière, E. LUCELa République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.N° 23PA02755