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Ariane Web: CAA NANTES 19NT04979, lecture du 15 février 2022

Décision n° 19NT04979
15 février 2022
CAA de NANTES

N° 19NT04979

1ère chambre
Mme la Pdte. PERROT, président
M. Harold BRASNU, rapporteur
Mme CHOLLET, rapporteur public
SELARL REINHART MARVILLE TORRE, avocats


Lecture du mardi 15 février 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le centre hospitalier de Vire a demandé au tribunal administratif de Caen de prononcer la restitution partielle des montants de taxe sur les salaires qui ont été mis à sa charge au titre des années 2010 et 2011 et le remboursement du crédit de taxe sur la valeur ajoutée déductible dont il estimait disposer à l'expiration des années 2010 et 2011.

Par un jugement n° 1301679 du 2 décembre 2015, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 16NT00288 du 14 décembre 2017, la cour a annulé ce jugement et renvoyé l'affaire devant le tribunal administratif de Caen.
Par un jugement avant-dire droit du 1er février 2019, le tribunal administratif de Caen, avant de statuer sur la requête du centre hospitalier de Vire, a sursis à statuer afin de transmettre au Conseil d'Etat, en application de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, des questions de droit.
Le Conseil d'Etat a rendu son avis le 12 avril 2019 sous le n° 427540.

Par un jugement n° 1702353 du 6 novembre 2019, le tribunal administratif de Caen a accordé la restitution au centre hospitalier de Vire de la taxe sur les salaires pour les années 2010 et 2011, respectivement à hauteur de 120 699 euros et de 120 145 euros et a rejeté le surplus des conclusions de la requête.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête et un mémoire enregistré les 23 décembre 2019 et 8 décembre 2020 sous le n°19NT04979 le centre hospitalier de Vire, représenté par Me Goldstein, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 6 novembre 2019 en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant au remboursement de crédits de taxe sur la valeur ajoutée dégagés au titre des années 2010 et 2011, pour des montants respectifs de 2 082 euros et 13 873 euros, et à la restitution de quotes-parts de cotisations primitives de taxe sur les salaires correspondant au secteur hospitalier (secteur 2) pour ces mêmes années, respectivement d'un montant de 70 412 euros et de 104 129 euros ;

2°) de prononcer ces remboursement et restitution ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :
- le tribunal administratif a omis de se prononcer sur les conclusions tendant à la restitution des quotes-parts de cotisations primitives de taxe sur les salaires à raison de son secteur hors EHPAD ;
- les prestations d'hébergement rendues par l'EHPAD ne sont pas rendues par un organisme agissant en tant qu'autorité publique ; en conséquence, ces prestations, à l'exception des prestations de soin, sont assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée ;
- certaines activités du secteur hospitalier (secteur 2), telles que les consultations de diététique, les repas du personnel, la reprographie ou les redevances sur les installations de télévision, téléphonie, Internet sont imposables à la taxe sur la valeur ajoutée ; ce caractère imposable est prévu par l'instruction administrative référencée BOI-TVA-CHAMP-30-10-20-20 ;
- la demande de remboursement de crédits de taxe sur la valeur ajoutée est recevable ; le seul non-respect d'obligations formelles ne suffit pas à faire obstacle à la déduction de la taxe dès lors que les exigences de fond sont satisfaites, ainsi que l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne par un arrêt 8 mai 2008 (aff. 95/07 Ecotrade) et plus récemment par un arrêt du 2 mai 2019 (aff. 133/18 Sea Chefs Cruise Services GmbH) ;
- en raison de la baisse du rapport d'assujettissement du secteur 2 et de l'exonération d'une part de la rémunération des personnels de cantine, une restitution de taxe sur les salaires doit être prononcée ; il est fondé à se prévaloir de l'instruction administrative du 1er juin 1995 référencée 5L-1322 qui précise que les rémunérations des personnels de cantines travaillant pour les agents ne sont pas soumises à la taxe sur les salaires.

Par un mémoire en défense enregistré le 2 mars 2020 et un mémoire du 11 mars 2021 qui n'a pas été communiqué en l'absence d'éléments nouveaux, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par le centre hospitalier de Vire ne sont pas fondés.

II. Par une requête enregistrée le 27 décembre 2019 sous le n°19NT04996 et des mémoires enregistrés les 2 mars 2020, 11 mars 2021, 30 mars 2021, 18 juin 2021 et 12 août 2021, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué en l'absence d'éléments nouveaux, le ministre de l'économie, des finances et de la relance demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 6 novembre 2019 en tant qu'il a prononcé la restitution au centre hospitalier de Vire de la taxe sur les salaires pour les années 2010 et 2011, respectivement à hauteur de 120 699 euros et de 120 145 euros ;

2°) d'ordonner le remboursement de la taxe sur les salaires ainsi restituée au centre hospitalier de Vire.

Il soutient que :
- il y a lieu de transmettre une demande d'avis au Conseil d'Etat, sur le fondement de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, afin que celui-ci se prononce sur l'existence ou non d'une distorsion de concurrence d'une certaine importance ;
- le centre hospitalier, en ce qui concerne son activité d'hébergement de personnes âgées au sein de l'EHPAD, agit en tant qu'autorité publique ;
- cette activité ne crée pas de distorsion de concurrence d'une certaine importance ;
- en conséquence, l'activité d'hébergement de l'EHPAD n'est pas assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée ; dès lors, c'est à tort que le tribunal administratif de Caen a considéré que cette activité n'entrait pas dans le champ d'application de la taxe sur les salaires.

Par un mémoire en défense et des mémoires enregistrés les 8 décembre 2020, 16 mars 2021 et 23 juillet 2021 le centre hospitalier de Vire, représenté par Me Goldstein, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que les moyens soulevés par le ministre de l'économie, des finances et de la relance ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :
- la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée ;
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Brasnu,
- et les conclusions de Mme Chollet, rapporteure publique.


Considérant ce qui suit :

1. Le centre hospitalier de Vire, établissement public ayant notamment pour activité la gestion d'un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), a spontanément acquitté au titre des années 2010 et 2011 la taxe sur les salaires prévue par les articles 231 et suivants du code général des impôts en appliquant un rapport d'assujettissement de 100%. A la suite d'un audit, cet établissement a estimé que l'activité d'hébergement de l'EHPAD devait être assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée. Il a alors procédé à une sectorisation en distinguant l'activité EHPAD et l'activité hors EHPAD, en application de l'alinéa 2 du I de l'article 209 de l'annexe II au code général des impôts, et en a tiré les conséquences en matière de taxe sur la valeur ajoutée et de taxe sur les salaires, en déterminant pour le secteur 1 (EHPAD) et le secteur 2 (activité hospitalière) un coefficient de déduction et un rapport d'assujettissement à la taxe sur les salaires. Il a ensuite formulé deux réclamations le 26 octobre 2012 afin d'obtenir la restitution partielle des cotisations de taxe sur les salaires auxquelles il avait été assujetti au titre des années 2010 et 2011 et le remboursement du crédit de taxe sur la valeur ajoutée déductible dont il estimait disposer à l'expiration des années 2010 et 2011. Après le rejet de ces réclamations, il a demandé au tribunal administratif de Caen de prononcer ces remboursements et restitutions.

2. Par un jugement n° 1301679 du 2 décembre 2015, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande. Par un arrêt n° 16NT00288 du 14 décembre 2017, la cour a annulé ce jugement et renvoyé l'affaire devant le tribunal administratif de Caen. Par un jugement avant-dire droit du 1er février 2019, le tribunal administratif de Caen, avant de statuer sur la requête du centre hospitalier de Vire, a sursis à statuer afin de transmettre au Conseil d'Etat, en application de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, plusieurs questions de droit. Le Conseil d'Etat a rendu son avis le 12 avril 2019 sous le n° 427540. Par un jugement n° 1702353 du 6 novembre 2019, le tribunal administratif de Caen a prononcé la restitution au centre hospitalier de Vire de la taxe sur les salaires pour les années 2010 et 2011, respectivement à hauteur de 120 699 euros et de 120 145 euros, et a rejeté le surplus des conclusions de la requête. Par deux requêtes n°19NT04979 et 19NT04996, qu'il y a lieu de joindre, d'une part le centre hospitalier de Vire relève appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de ses conclusions et, d'autre part, le ministre de l'économie, des finances et de la relance relève appel du même jugement en tant qu'il a accordé au centre hospitalier de Vire une décharge partielle de la taxe sur les salaires contestée.

Sur la régularité du jugement attaqué :

3. Il ressort des termes du jugement attaqué que le tribunal administratif de Caen a omis d'examiner les conclusions du centre hospitalier tendant à la restitution de taxe sur les salaires relative à son secteur 2 (secteur hors EHPAD). Dès lors le jugement est irrégulier dans cette mesure. Par suite, il doit être annulé en tant qu'il n'a pas statué sur ces conclusions.

4. Il y a lieu pour la cour de se prononcer sur ces conclusions par la voie de l'évocation et de statuer par l'effet dévolutif de l'appel sur les autres conclusions présentées tant par le centre hospitalier que par le ministre de l'économie, des finances et de la relance.

Sur l'assujettissement de l'EHPAD à la taxe sur la valeur ajoutée :

5. Aux termes de l'article 13 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, qui reprend les dispositions du paragraphe 5 de l'article 4 de la directive 77/388/CEE du Conseil du 17 mai 1977 : " 1. Les États, les régions, les départements, les communes et les autres organismes de droit public ne sont pas considérés comme des assujettis pour les activités ou opérations qu'ils accomplissent en tant qu'autorités publiques, même lorsque, à l'occasion de ces activités ou opérations, ils perçoivent des droits, redevances, cotisations ou rétributions. / Toutefois, lorsqu'ils effectuent de telles activités ou opérations, ils doivent être considérés comme des assujettis pour ces activités ou opérations dans la mesure où leur non-assujettissement conduirait à des distorsions de concurrence d'une certaine importance. (...) / 2. Les États membres peuvent considérer comme activités de l'autorité publique les activités des organismes de droit public, lorsqu'elles sont exonérées en vertu des articles 132 (...) ". Aux termes du g du 1 de l'article 132 de cette directive, les États membres exonèrent " les prestations de services et les livraisons de biens étroitement liées à l'aide et à la sécurité sociales, y compris
celles fournies par les maisons de retraite, effectuées par des organismes de droit public ou par d'autres organismes reconnus comme ayant un caractère social par l'État
membre concerné ; ".

6. Aux termes de l'article 256 du code général des impôts : " I. Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel (...) ". Aux termes de l'article 256 A du même code : " Sont assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée les personnes qui effectuent de manière indépendante une des activités économiques mentionnées au troisième alinéa, quels que soient le statut juridique de ces personnes, leur situation au regard des autres impôts et la forme ou la nature de leur intervention. / (...) Les activités économiques visées au premier alinéa se définissent comme toutes les activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services (...) ". Aux termes de l'article 256 B du même code : " Les personnes morales de droit public ne sont pas assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée pour l'activité de leurs services administratifs, sociaux, éducatifs, culturels et sportifs lorsque leur non-assujettissement n'entraîne pas de distorsions dans les conditions de la concurrence (...) ".
7. Il résulte des dispositions citées au point 5, telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne, notamment dans son arrêt du 29 octobre 2015 (C-174/14) Saudaçor - Sociedade Gestora de Recursos e Equipamentos da Saúde dos Açores SA, que le non-assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée prévu en faveur des personnes morales de droit public énumérées au paragraphe 1 de l'article 13 de la directive du Conseil du 28 novembre 2006, qui déroge à la règle générale de l'assujettissement de toute activité de nature économique, est subordonné à deux conditions cumulatives tenant, d'une part, à ce que l'activité soit exercée par un organisme agissant en tant qu'autorité publique et, d'autre part, à ce que le non-assujettissement ne conduise pas à des distorsions de concurrence d'une certaine importance.

8. La condition selon laquelle l'activité économique est réalisée par l'organisme public en tant qu'autorité publique est remplie, selon la jurisprudence de la Cour de justice, lorsque l'activité en cause est exercée dans le cadre du régime juridique particulier aux personnes morales de droit public. Ainsi, l'activité en cause doit être exercée dans des conditions juridiques différentes de celles des opérateurs économiques privés, notamment, lorsque sont mises en oeuvre des prérogatives de puissance publique, lorsque l'activité est accomplie en raison d'une obligation légale ou dans le cadre d'un monopole ou encore lorsqu'elle relève par nature des attributions d'une personne publique. Cette condition peut également, si la législation de l'Etat membre le prévoit, être regardée comme remplie lorsque l'activité exercée est exonérée en application, notamment, de l'article 132 de la directive du Conseil du 28 novembre 2006. Si cette condition n'est pas remplie, la personne morale de droit public est nécessairement assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée à raison de cette activité économique, sans préjudice des éventuelles exonérations applicables.

9. Il résulte des dispositions de l'article 256 B du code général des impôts que la France a fait usage de la possibilité, ouverte par le dernier alinéa de l'article 13 de la directive du Conseil du 28 novembre 2006, de regarder comme des activités effectuées en tant qu'autorité publique les services à caractère sociaux rendus par les personnes morales de droit public. Or, le 6° du I de l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles prévoit que sont des établissements et services sociaux et médicaux sociaux les établissements et les services qui accueillent des personnes âgées ou qui leur apportent à domicile une assistance dans les actes quotidiens de la vie, des prestations de soins ou une aide à l'insertion sociale. En outre, l'intégralité des places de l'EHPAD géré par le centre hospitalier de Vire étant habilitées à l'aide sociale, cet établissement a vocation à accueillir des personnes âgées à faibles ressources. Ainsi, au sens des dispositions citées ci-dessus, l'EHPAD géré par le centre hospitalier de Vire constitue un établissement à caractère social. Dès lors, son activité d'hébergement doit être regardée comme exercée par un organisme agissant en tant qu'autorité publique.
10. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que les premiers juges, pour accorder la décharge partielle de la taxe sur les salaires se rapportant aux années 2010 et 2011, ont estimé que, l'activité d'hébergement de personnes âgées au sein de l'EHPAD par le centre hospitalier de Vire n'étant pas exercée par un organisme agissant en tant qu'autorité publique, le secteur EHPAD de l'établissement hospitalier entrait dans le champ d'application de la taxe sur la valeur ajoutée. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par le centre hospitalier devant le tribunal administratif et devant la cour.

11. Par un arrêt du 16 septembre 2008 (C-288/07) Commissioners of Her Majesty's Revenue et Customs contre Isle of Wight Council et autres, la Cour de justice a dit pour droit que les distorsions de concurrence d'une certaine importance auxquelles conduirait le non-assujettissement des organismes de droit public agissant en tant qu'autorités publiques doivent être évaluées par rapport à l'activité en cause, en tant que telle, indépendamment de la question de savoir si ces organismes font face ou non à une concurrence au niveau du marché local sur lequel ils accomplissent cette activité, ainsi que par rapport non seulement à la concurrence actuelle, mais également à la concurrence potentielle, pour autant que la possibilité pour un opérateur privé d'entrer sur le marché pertinent soit réelle, et non purement hypothétique. Par un arrêt du 19 janvier 2017 (C-344/15) National Roads Authority, la Cour de justice a précisé que les distorsions de concurrence d'une certaine importance doivent être évaluées en tenant compte des circonstances économiques et que la seule présence d'opérateurs privés sur un marché, sans la prise en compte des éléments de fait, des indices objectifs et de l'analyse de ce marché, ne saurait démontrer ni l'existence d'une concurrence actuelle ou potentielle ni celle d'une distorsion de concurrence d'une certaine importance. Les distorsions de concurrence mentionnées au paragraphe 1 de l'article 13 de la directive du Conseil du 28 novembre 2006 s'apprécient à la fois au regard de l'activité en cause et des conditions d'exploitation de cette activité. L'existence de telles distorsions ne saurait, dès lors, résulter de la seule constatation que des prestations réalisées par un organisme de droit public sont identiques à celles réalisées par un opérateur privé, sans examen de l'état de la concurrence réelle, ou à défaut potentielle, sur le marché en cause.

12. En l'espèce, il résulte de l'instruction que l'intégralité des places dont dispose l'EHPAD géré par le centre hospitalier de Vire sont habilitées au dispositif d'aide sociale à l'hébergement, alors que, pour les établissements privés, qu'ils soient à but lucratif ou non, les lits habilités à l'aide sociale ne représentent qu'une faible part du nombre total de lits. L'EHPAD géré par le centre hospitalier de Vire ne peut par conséquent, contrairement aux établissements privés, pas fixer librement ses tarifs d'hébergement et a ainsi vocation à accueillir un public à plus faibles ressources, et ce indépendamment du nombre de places effectivement occupées par les bénéficiaires de l'aide sociale à l'hébergement. Les établissements privés existants, qui proposent des prestations supérieures à celles des établissements publics, et à des prix nettement supérieurs, ne sont donc pas en concurrence directe avec cet établissement public. Enfin, aucun élément ne permet de démontrer qu'un opérateur privé serait empêché d'entrer sur ce marché spécifique ou pourrait y subir un désavantage du seul fait de son assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée. Dans ces conditions, le non-assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée de l'activité de l'EHPAD géré par le centre hospitalier de Vire ne génère pas de distorsion de concurrence d'une certaine importance.

13. Ainsi, l'activité d'hébergement de personnes âgées concernée dans la présente espèce étant exercée par une autorité publique et n'entraînant pas de distorsion de concurrence d'une certaine importance, elle ne peut pas être assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée. Elle doit en conséquence être intégralement soumise à la taxe sur les salaires.

14. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a prononcé en faveur du centre hospitalier de Vire une restitution de la taxe sur les salaires, pour les années 2010 et 2011, respectivement à hauteur de 120 699 euros et 120 145 euros.

Sur les autres conclusions du centre hospitalier de Vire :

En ce qui concerne les conclusions tendant à la restitution de taxe sur les salaires relative au secteur 2 (secteur hors EHPAD) :

Quant à la restitution de taxe sur les salaires découlant de l'exonération des personnels de cantine :

15. Aux termes de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales : " (...) Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l'interprétation que l'administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu'elle n'avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente. (...) ".

16. Les dispositions précitées de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales interdisent à l'administration de poursuivre un redressement à l'encontre du contribuable qui a appliqué un texte fiscal selon l'interprétation qu'elle avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu'elle n'avait pas rapportée à la date des opérations en cause. Elles n'ont en revanche ni pour objet ni pour effet de permettre au contribuable qui a fait une exacte application de la loi fiscale lors de sa déclaration au service de demander la restitution de l'impôt acquitté au motif que l'interprétation admise par l'administration à l'époque des opérations en cause aurait pu lui permettre de réduire cet impôt. Il suit de là que le centre hospitalier n'est pas fondé à demander la restitution de la taxe sur les salaires assise sur les rémunérations des personnel de cantine en se fondant sur l'instruction administrative du 1er juin 1995 référencée 5L-1322 qui précise que ces rémunérations ne sont pas soumises à la taxe sur les salaires.
Quant à la restitution de taxe sur les salaires correspondant à la baisse du rapport d'assujettissement relative au secteur 2 (hors EHPAD) :

17. Aux termes du I de l'article 209 de l'annexe II au code général des impôts : " Les opérations situées hors du champ d'application de la taxe sur la valeur ajoutée et les opérations imposables doivent être comptabilisées dans des comptes distincts pour l'application du droit à déduction. Il en va de même pour les secteurs d'activité qui ne sont pas soumis à des dispositions identiques au regard de la taxe sur la valeur ajoutée. ".

18. Ainsi qu'il a été exposé aux points 12 et 13, l'activité d'hébergement de personnes âgées au sien de l'EHPAD ne relève pas de l'assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée. Cette activité est, par suite, soumise à des dispositions au regard de la taxe sur la valeur ajoutée identiques à celles qui s'appliquent à l'activité hospitalière proprement dite. Dès lors, le ministre de l'économie, des finances et de la relance est fondé à soutenir que la sectorisation opérée, sur le fondement de l'alinéa 2 du I de l'article 209 de l'annexe II au code général des impôts, par le centre hospitalier entre secteur 1 (EHPAD) et secteur 2 (non EHPAD) n'est pas justifiée. En conséquence, les calculs réalisés par le centre hospitalier pour déterminer le montant de taxe sur les salaires restituable en ce qui concerne le secteur 2 (hors EHPAD) ne sont plus valables. Le centre hospitalier, à qui il appartient, en application de l'article R. 194-1 du livre des procédures fiscales, d'apporter la preuve du caractère exagéré des impositions primitives auxquelles il a été assujetti, n'ayant pas déterminé de rapport d'assujettissement global intégrant les activités hospitalières et celles de l'EHPAD, sa demande tendant à la restitution de taxe sur les salaires pour le secteur hospitalier n'est pas fondée et ne peut qu'être rejetée.

En ce qui concerne les conclusions tendant au remboursement de crédits de taxe sur la valeur ajoutée :

19. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 13 que, l'activité exercée par l'EHPAD géré par le centre hospitalier de Viré n'étant pas soumise à la taxe sur la valeur ajoutée, l'établissement hospitalier n'est pas fondé à demander les remboursements de crédits de taxe sur la valeur ajoutée qui seraient dus au titre de cette activité.
20. En second lieu, il résulte de la combinaison des dispositions du IV de l'article 271 du code général des impôts et des articles 208 et 242-0 A de l'annexe II au même code que la possibilité d'obtenir le remboursement d'un crédit de taxe sur la valeur ajoutée est limitée aux cas où l'assujetti n'est pas en mesure d'imputer l'intégralité de sa taxe déductible sur le montant de la taxe due. Dans ces conditions, un redevable ne peut demander le remboursement d'un crédit de taxe déductible qu'à condition de l'avoir mentionné dans les déclarations qu'il est tenu de déposer pour le paiement de la taxe sur la valeur ajoutée afin que l'administration fiscale puisse vérifier que la demande en cause correspond effectivement à un crédit de taxe dont l'imputation n'a pu être faite. Ces exigences répondent à la nécessité d'établir l'existence d'un crédit de taxe sur la valeur ajoutée et ne sont pas purement formelles au sens de l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 8 mai 2008 (C-95/07) Ecotrade.
21. En l'espèce, il résulte de l'instruction que le centre hospitalier de Vire n'a pas demandé le remboursement des crédits de taxe sur la valeur ajoutée dans les conditions fixées par l'article 242-0 A de l'annexe II au code général des impôts. Par suite, sa demande de remboursement des crédits de taxe sur la valeur ajoutée concernant son activité hors EHPAD est irrecevable et ne peut qu'être rejetée.
22. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'économie, des finances et de la relance est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a prononcé la restitution de la taxe sur les salaires, pour les années 2010 et 2011, respectivement à hauteur de 120 699 euros et 120 145 euros. Le centre hospitalier de Vire est fondé à demander l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il a omis de statuer sur les conclusions du centre hospitalier de Vire tendant à la restitution de taxe sur les salaires pour le secteur 2 (hors EHPAD). Enfin les conclusions du centre hospitalier de Vire tendant à la restitution de taxe sur les salaires pour le secteur 2 doivent être rejetées, et l'établissement n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté ses conclusions tendant au remboursement de crédits de taxe sur la valeur ajoutée.

Sur les frais liés au litige :

23. L'Etat n'étant pas la partie perdante, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées par le centre hospitalier de Vire sur ce fondement.


DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1702353 du 6 novembre 2019 du tribunal administratif de Caen est annulé en tant qu'il a omis de statuer sur les conclusions du centre hospitalier de Vire tendant à la restitution de taxe sur les salaires pour le secteur 2 (hors EHPAD).
Article 2 : Les conclusions présentées par le centre hospitalier de Vire devant le tribunal administratif de Caen et tendant à la restitution de la taxe sur les salaires à laquelle il a été assujetti pour son activité hors EHPAD sont rejetées.
Article 3 : Le jugement n° 1702353 du 6 novembre 2019 du tribunal administratif de Caen est annulé en tant qu'il a prononcé la restitution de la taxe sur les salaires à laquelle avait été assujetti le centre hospitalier de Viré, pour les années 2010 et 2011, respectivement à hauteur de 120 699 euros et 120 145 euros.
Article 4 : La taxe sur les salaires restituée au centre hospitalier de Vire, pour les années 2010 et 2011, respectivement à hauteur de 120 699 euros et 120 145 euros, est remise à sa charge.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête n°19NT4979 du centre hospitalier de Vire est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier de Vire et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.


Délibéré après l'audience du 27 janvier 2022, à laquelle siégeaient :

- Mme Perrot, présidente de chambre,
- M. Geffray, président-assesseur,
- M. Brasnu, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 février 2022.


Le rapporteur
H. BrasnuLa présidente
I. PerrotLa greffière
A. Marchais
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Nos 19NT04979, 19NT04996

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