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Ariane Web: CAA NANTES 19NT03419, lecture du 20 octobre 2020

Décision n° 19NT03419
20 octobre 2020
CAA de NANTES

N° 19NT03419

5ème chambre
M. CELERIER, président
M. Alexis FRANK, rapporteur
M. MAS, rapporteur public
CABINET BERAHYA-LAZARUS, avocats


Lecture du mardi 20 octobre 2020
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... D... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté le recours formé devant elle contre la décision des autorités consulaires françaises à Oran (Algérie) du 9 août 2016 rejetant sa demande de visa de court séjour pour visite touristique.
Par un jugement n° 1609116 du 27 juin 2019, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée les 12 et régularisée le 30 août 2019, M. A... D..., représenté par Me F..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1609116 du tribunal administratif de Nantes ;



2°) d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté la demande de visa de court séjour pour visite touristique ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer le visa sollicité ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :

- la décision contestée est entachée d'une erreur de fait et d'une erreur d'appréciation ; il dispose de ressources suffisantes pour financer son séjour ;
- la décision contestée est entachée d'une erreur de fait et d'une erreur manifeste d'appréciation s'agissant de l'existence d'un risque de détournement de l'objet du visa.
Par un mémoire en défense, enregistré le 26 septembre 2019, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir qu'aucun des moyens soulevés par le requérant n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- la convention d'application de l'accord de Schengen, signée le 19 juin 1990 ;
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour des ressortissants algériens et de leurs familles ;
- le règlement (CE) n° 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 concernant un code de l'Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) ;
- le règlement (CE) n° 810/2009 du 13 juillet 2009 du Parlement européen et du Conseil établissant un code communautaire des visas ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.


Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B...,
- et les conclusions de M. Mas, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :

1. M. A... D... est un ressortissant algérien né le 22 novembre 1952. Il a sollicité, le 4 août 2016 auprès des autorités consulaires françaises à Oran (Algérie), un visa d'entrée et de court séjour pour visite touristique. Cette demande a été rejetée par une décision du 9 août 2016. Il a formé un recours préalable contre cette décision consulaire, lequel a été implicitement rejeté par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France. Le 2 novembre 2016, M. D... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler cette
dernière décision. Par un jugement du 27 juin 2019, le tribunal administratif de Nantes a rejeté cette demande. M. D... relève appel de ce jugement.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Il ressort des pièces du dossier, et notamment du mémoire en défense du ministre de l'intérieur en première instance, que pour refuser de délivrer le visa de court séjour sollicité pour M. D..., la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée sur les motifs tirés d'une part, de l'insuffisance de ses moyens de subsistance pour la durée du séjour envisagée et, d'autre part, de l'existence d'un risque de détournement de l'objet du visa à des fins migratoires.
3. En premier lieu, aux termes de l'article 10 de la convention d'application de l'accord de Schengen signée le 19 juin 1990 : " 1. Il est institué un visa uniforme valable pour le territoire de l'ensemble des Parties contractantes. Ce visa (...) peut être délivré pour un séjour de trois mois au maximum (...) ". Aux termes de l'article 6 du règlement (CE) n° 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 concernant un code de l'Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes dit " code frontières Schengen " : " 1. Pour un séjour prévu sur le territoire des États membres, d'une durée n'excédant pas 90 jours (...) les conditions d'entrée pour les ressortissants de pays tiers sont les suivantes: (...) c) justifier l'objet et les conditions du séjour envisagé, et disposer de moyens de subsistance suffisants, tant pour la durée du séjour envisagé que pour le retour dans leur pays d'origine ou le transit vers un pays tiers dans lequel leur admission est garantie, ou être en mesure d'acquérir légalement ces moyens; (...) 4. L'appréciation des moyens de subsistance se fait en fonction de la durée et de l'objet du séjour et par référence aux prix moyens en matière d'hébergement et de nourriture dans l'État membre ou les États membres concernés, pour un logement à prix modéré, multipliés par le nombre de jours de séjour. / (...) L'appréciation des moyens de subsistance suffisants peut se fonder sur la possession d'argent liquide, de chèques de voyage et de cartes de crédit par le ressortissant de pays tiers. (...). ". Aux termes de l'article 14 du même règlement : " 1. L'entrée sur le territoire des États membres est refusée au ressortissant de pays tiers qui ne remplit pas l'ensemble des conditions d'entrée énoncées à l'article 6, paragraphe 1, et qui n'appartient pas à l'une des catégories de personnes visées à l'article 6, paragraphe 5. 2. L'entrée ne peut être refusée qu'au moyen d'une décision motivée indiquant les raisons précises du refus. (...) ".

4. Il est constant que M. D... dispose de revenus propres et réguliers de 83 euros par mois, correspondant à sa pension de retraite en Algérie. Il a présenté, à l'appui de sa demande de visa, une attestation de sa fille, Mme E... D..., s'engageant à subvenir à ses besoins durant le séjour en France, ainsi qu'une attestation de retrait en espèces de devises du 14 juillet 2016 pour un montant de 3 000 euros. La mise à disposition de cette dernière somme, justifiée par une pièce émanant d'un établissement bancaire, porte sur un montant adapté à la durée de dix jours du séjour pour lequel l'intéressé a sollicité un visa pour visite touristique. Contrairement à ce que soutient le ministre, aucune pièce du dossier ne permet d'établir que M. D... n'aurait pas effectivement disposé du montant en cause ou que celui-ci aurait été mis à sa disposition dans le seul but de faciliter la délivrance du visa sollicité. Dans ces conditions, en retenant l'insuffisance des ressources de M. D... pour refuser de délivrer le visa de court séjour demandé, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions citées au point 3.

5. En second lieu, aux termes de l'article 21 du règlement (CE) du 13 juillet 2009 : " 1. Lors de l'examen d'une demande de visa uniforme, (...) une attention particulière est accordée à l'évaluation du risque d'immigration illégale (...) que présenterait le demandeur ainsi qu'à sa volonté de quitter le territoire des États membres avant la date d'expiration du visa demandé. ". Aux termes de l'article 32 du même règlement : " 1. (...) le visa est refusé : (...) b) s'il existe des doutes raisonnables sur (...) la fiabilité des déclarations effectuées par le demandeur ou sur sa volonté de quitter le territoire des États membres avant l'expiration du visa demandé. (...) ".

6. M. D..., âgé de 64 ans à la date de la décision attaquée, perçoit une pension de retraite en Algérie. Il soutient, sans être contredit, que sa fille réside en Algérie, ainsi que plusieurs de ses petits-enfants, et qu'il souhaite entrer sur le territoire afin de se recueillir sur la tombe de son grand-oncle, tombé pour la France à Brocourt-en-Argonne (Meuse). Il ressort des pièces du dossier qu'il a réservé une chambre d'hôtel à Reims à cet effet, pour une durée de 10 jours. Dans ces conditions, alors même que son fils et un petit-fils résident en France, à Angers, M. D... apporte des éléments suffisants de nature à remettre en cause l'existence d'un risque de détournement de l'objet du visa à des fins migratoires. Dans ces conditions, la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation en retenant un tel motif.

7. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que M. D... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

8. Eu égard à ses motifs, le présent arrêt implique nécessairement qu'il soit enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à M. D... le visa sollicité. Il y a lieu, par suite, d'enjoindre au ministre de procéder à cette délivrance, sous réserve d'une évolution des circonstances de fait ou de droit, dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.

Sur les frais liés au litige :

9. Il y a lieu, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. D... de la somme de 1 200 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes n° 1609116 du 27 juin 2019 et la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à M. D... un visa d'entrée et de court séjour en France pour visite familiale dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à M. D... la somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D... et au ministre de l'intérieur.


Délibéré après l'audience du 2 octobre 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Célérier, président de chambre,
- Mme C..., présidente-assesseur,
- M. B..., premier conseiller.


Lu en audience publique, le 20 octobre 2020.
Le rapporteur,
A. B...Le président,
T. CELERIER
Le greffier,
C. POPSE
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.





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