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Ariane Web: CAA NANTES 18NT00580, lecture du 18 octobre 2019

Décision n° 18NT00580
18 octobre 2019
CAA de NANTES

N° 18NT00580

3ème chambre
Mme PERROT, président
Mme Nathalie TIGER-WINTERHALTER, rapporteur
M. GAUTHIER, rapporteur public
SELARL HOUDART & ASSOCIES, avocats


Lecture du vendredi 18 octobre 2019
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le centre hospitalier universitaire (CHU) de Rennes a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler le titre exécutoire émis le 11 mai 2016 par le Fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (FIPHFP) pour avoir paiement de la somme de 959 948,22 euros ainsi que le refus opposé à son recours gracieux, et de le décharger du paiement de la somme ainsi mise à sa charge.

Par un jugement n°1604945 du 7 décembre 2017, le tribunal administratif de Rennes a prononcé la décharge partielle de la créance et rejeté le surplus des conclusions de la demande du CHU de Rennes.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 13 février 2018 le CHU de Rennes, représenté par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 7 décembre 2017 du tribunal administratif de Rennes ;

2°) d'annuler le titre exécutoire émis le 11 mai 2016 par le FIPHFP ainsi que le refus opposé à son recours gracieux ;

3°) de le décharger du paiement de la somme mise à sa charge ;

4°) de mettre à la charge du FIPHFP la somme de 4 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :
- le titre de recettes attaqué est irrégulier car il ne porte pas les mentions permettant d'identifier l'auteur de l'acte et les bases de liquidation de la créance ne sont pas suffisamment précisées dans le titre litigieux ;
- le bien-fondé de la créance n'est pas établi ; selon sa déclaration, effectuée dans les délais impartis et son calcul des agents bénéficiaires de l'obligation d'emploi rémunérés dans l'établissement, il n'avait pas à verser de contribution au FIPHFP ;
- ce dernier a commis une erreur de droit et une erreur d'appréciation au regard des dispositions applicables régissant la contribution qui peut être mise à sa charge ; en effet il devait considérer comme bénéficiaires de l'obligation d'emploi (BOE) les agents affectés sur des postes adaptés conformément aux avis du médecin du travail et du comité médical départemental et prendre en compte les agents reconnus travailleurs handicapés dans le courant de l'année 2014 ;
- le FIPHFP doit apporter la preuve que les dépenses déductibles doivent être réduites pour passer de 46 490 à 31 350 euros (salaires des deux agents affectés à la gestion du FIPHFP) ;
- la somme de 151 278,63 euros qu'il a acquittée concerne la contribution 2016 pour l'année 2015 ; elle ne peut donc être imputée sur les sommes dues pour la contribution d'une autre année.

Par un mémoire en défense enregistré le 23 mai 2019 le Fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (FIPHFP), représenté par Me E..., conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge du centre hospitalier universitaire de Rennes la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir qu'aucun des moyens invoqués par le CHU de Rennes n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code du travail ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007 ;
- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;
- la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;
- la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 ;
- le décret n° 82-1003 du 23 novembre 1982 ;
- le décret n° 89-376 du 8 juin 1989 ;
- le décret n° 2006-501 du 3 mai 2006 ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme F...,
- les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public,
- les observations de Me C..., pour le CHU de Rennes et de Me A..., pour le Fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique.

Considérant ce qui suit :

1. Dans le cadre de l'application des dispositions du code du travail relatives à l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés, maintenues en vigueur à l'égard de l'Etat, des collectivités territoriales et des établissements publics autres qu'industriels et commerciaux par l'ordonnance du 12 mars 2007, le centre hospitalier universitaire (CHU) de Rennes a adressé au Fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (FIPHFP) une déclaration au cours de l'année 2015 portant sur les effectifs d'agents employés en 2014, en vue du calcul de sa contribution annuelle au titre des personnes handicapées non employées par lui au titre de cette année. Dans le cadre du contrôle de cette déclaration, le FIPHFP a demandé à l'établissement hospitalier, par courrier du 6 octobre 2015, d'apporter des justificatifs complémentaires. A la suite des éléments d'information apportés, le FIPHFP a informé le CHU le 15 avril 2016 du caractère non probant de certains justificatifs, et de ce que l'incidence financière des erreurs de déclaration s'élevait à une somme de 959 948,22 euros. Le Fonds a ensuite émis un titre de recettes du montant correspondant pour la contribution due au titre de l'année 2014. Sa réclamation préalable ayant été implicitement rejetée, le CHU a saisi le tribunal administratif de Rennes d'une demande tendant à la décharge de l'obligation de payer cette somme de 959 948,22 euros. Il relève appel du jugement du 7 décembre 2017 par lequel le tribunal administratif de Rennes, après avoir prononcé la décharge de la créance correspondant à l'ajout de huit agents à la liste des bénéficiaires de l'obligation d'emploi, a rejeté le surplus de ses conclusions.

Sur la régularité du titre de recettes :

2. Il y a lieu d'écarter, par adoption des motifs retenus par les premiers juges, les moyens tirés de l'irrégularité du titre de recettes à raison de l'absence de mention de la qualité de l'auteur de l'acte et d'indication des bases de liquidation de la créance.

Sur le bien-fondé du titre de recettes :

3. D'une part, selon l'article L. 323-1 du code du travail, toujours en vigueur à l'égard, notamment, des établissements hospitaliers, et relevant de la section 1 relative à l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés : " Tout employeur occupant au moins vingt salariés est tenu d'employer, à temps plein ou à temps partiel, des bénéficiaires de la présente section dans la proportion de 6 p. 100 de l'effectif total de ses salariés. (...) ". Aux termes de l'article L. 323-2 de ce code : " L'Etat et, lorsqu'ils occupent au moins vingt agents à temps plein ou leur équivalent, les établissements publics de l'Etat autres qu'industriels et commerciaux, les collectivités territoriales et leurs établissements publics autre qu'industriels et commerciaux, y compris ceux qui sont énumérés à l'article 2 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière, sont assujettis, selon des modalités fixées par décret en Conseil d'Etat, à l'obligation d'emploi instituée par l'article L. 323-1 (...) ". L'article L. 323-4-1 du même code prévoit : " Pour le calcul du taux d'emploi fixé à l'article L. 323-2, l'effectif total pris en compte est constitué de l'ensemble des agents rémunérés par chaque employeur mentionné à l'article L. 323-2 au 1er janvier de l'année écoulée. (...). ". Aux termes de l'article L. 323-5 du même code : " Dans les entreprises, collectivités et organismes mentionnés aux articles L. 323-1 et L. 323-2, les titulaires d'un emploi réservé attribué en application des dispositions du chapitre IV du titre III du livre III du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre sont pris en compte pour le calcul du nombre de bénéficiaires de l'obligation d'emploi instituée par l'article L. 323-1. / Dans les collectivités et organismes mentionnés à l'article L. 323-2, sont également pris en compte pour le calcul du nombre de bénéficiaires de cette obligation : les agents qui ont été reclassés en application (...) des articles 71 à 75 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 (...) -les agents qui bénéficient d'une allocation temporaire d'invalidité en application de l'article 80 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 (...) ". Selon le IV de l'article L. 233-8-6-1 de ce code : " IV.- La contribution mentionnée au II du présent article est due par les employeurs mentionnés à l'article L. 323-2. / Elle est calculée en fonction du nombre d'unités manquantes constatées au 1er janvier de l'année écoulée. Le nombre d'unités manquantes correspond à la différence entre le nombre total de personnes rémunérées par l'employeur auquel est appliquée la proportion de 6 %, arrondi à l'unité inférieure, et celui des bénéficiaires de l'obligation d'emploi prévue à l'article L. 323-2 qui sont effectivement rémunérés par l'employeur. (...)/ Le montant de la contribution est égal au nombre d'unités manquantes, multiplié par un montant unitaire. Ce montant ainsi que ses modalités de modulation sont identiques, sous réserve des spécificités de la fonction publique, à ceux prévus pour la contribution définie à l'article L. 323-8-2 (...) ".

4. D'autre part, la procédure de reclassement est définie par l'article 1er du décret du 8 juin 1989 relatif au reclassement des fonctionnaires de la fonction publique hospitalière pour raisons de santé, qui prévoit que " Lorsqu'un fonctionnaire n'est plus en mesure d'exercer ses fonctions, de façon temporaire ou permanente, et si les nécessités du service ne permettent pas un aménagement des conditions de travail, l'autorité investie du pouvoir de nomination, après avis du médecin du travail, dans l'hypothèse où l'état du fonctionnaire n'a pas nécessité l'octroi d'un congé de maladie, ou du comité médical, si un tel congé a été accordé, peut affecter ce fonctionnaire dans un poste de travail correspondant à son grade dans lequel les conditions de service sont de nature à permettre à l'intéressé d'assurer ses fonctions ". Aux termes de l'article 2 du même décret : " Dans le cas où l'état physique d'un fonctionnaire, sans lui interdire d'exercer toute activité, ne lui permet pas de remplir les fonctions correspondant aux emplois de son grade, l'intéressé peut présenter une demande de reclassement dans un emploi relevant d'un autre grade de son corps ou dans un emploi relevant d'un autre corps. / L'autorité investie du pouvoir de nomination recueille l'avis du comité médical départemental ".
5. Il se déduit de la combinaison des dispositions précitées que seuls les agents ayant été reconnus travailleurs handicapés, ou titulaires d'un emploi réservé ou reclassés après avoir été déclarés physiquement inaptes à exercer leurs fonctions ou encore bénéficiant d'une allocation temporaire d'invalidité à la date du 1er janvier de l'année écoulée, et rémunérés à cette date par l'employeur public, entrent dans la liste des bénéficiaires de l'obligation d'emploi prévue à l'article L. 323-2 du code du travail. En revanche, en l'état actuel de la législation et de la règlementation, ne peuvent être regardés comme bénéficiaires de l'obligation d'emploi les agents de la fonction publique hospitalière dont le poste de travail a été adapté, quels que soient les efforts administratifs et financiers fournis à cet égard par leur employeur. Enfin les agents qui, bien que rémunérés par l'établissement au 1er janvier de l'année écoulée, n'ont été reconnus comme travailleurs handicapés que postérieurement à cette date, ne sont pas au titre de l'année concernée bénéficiaires de l'obligation d'emploi.

6. Il résulte de l'instruction que le CHU de Rennes a, pour l'année 2014, déclaré 328 bénéficiaires de l'obligation d'emploi sur un effectif total en équivalent temps plein de 5 690 agents, ce qui correspondait à un taux d'emploi des personnes en situation de handicap de 5,48 % et à une contribution due au FIPHFP de 151 278,63 euros. Toutefois, à l'issue du contrôle opéré par lui, le Fonds a estimé que l'établissement avait à tort comptabilisé 26 travailleurs handicapés, 138 agents bénéficiant d'un aménagement de leur poste de travail ainsi que 32 agents bénéficiant d'un temps partiel thérapeutique. Il a ainsi ramené le nombre des bénéficiaires de l'obligation d'emploi à 143 unités et retenu un taux d'emploi des personnes en situation de handicap employées par le CHU de Rennes de 2,51 %, ce qui portait à 1 111 226,85 euros la contribution totale due par l'établissement.

7. En premier lieu, et ainsi qu'il a été rappelé plus haut, le tribunal administratif de Rennes a admis, compte tenu des pièces justificatives produites par le CHU en cours d'instance, que huit agents, qui avaient été reconnus travailleurs handicapés avant le 1er janvier 2014, devaient être inclus dans les effectifs des bénéficiaires de l'obligation d'emploi. Le FIPHFP ne conteste pas cette rectification en appel. Si le CHU fait valoir que devaient également être comptabilisés les agents rémunérés par le centre hospitalier au 1er janvier 2014 et qui avaient été déclarés travailleurs handicapés en cours d'année, il résulte de ce qui a été dit au point 5 que seuls les agents ayant obtenu au 1er janvier 2014 au plus tard la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé pouvaient être regardés comme bénéficiaires de l'obligation d'emploi, et non ceux ayant obtenu une telle reconnaissance postérieurement à cette date, alors même qu'ils étaient rémunérés par le centre hospitalier depuis le 1er janvier de l'année considérée. Ainsi, à défaut pour le CHU de rapporter la preuve que les 18 agents revendiqués par lui auraient été reconnus comme travailleurs handicapés au plus tard le 1er janvier 2014, c'est à bon droit que le tribunal a estimé que ces agents ne pouvaient être comptabilisés au nombre des bénéficiaires de l'obligation d'emploi.

8. En deuxième lieu, et toujours en vertu de ce qui a été énoncé au point 5, les 138 agents bénéficiant d'un aménagement de leur poste de travail, ainsi que les 32 agents bénéficiant d'un travail à temps partiel thérapeutique ne pouvant, en vertu des textes applicables, être assimilés à des agents reclassés au sens des dispositions du décret du 8 juin 1989 rappelées au point 4, ne pouvaient davantage être qualifiés de bénéficiaires de l'obligation d'emploi. C'est, par suite, à bon droit que les premiers juges ont rejeté la demande du CHU tendant à ce que ces agents soient pris en compte pour le calcul de la contribution au FIPHFP dont il était redevable.
9. En troisième lieu, si le CHU de Rennes a déclaré la somme de 46 490 euros, correspondant aux traitements de l'agent gestionnaire et de l'agent référent du FIPHFP, comme déductible du montant de sa contribution forfaitaire, il résulte de l'examen des fiches de poste des agents concernés que seul un tiers du temps de travail de ces agents peut être regardé comme consacré au suivi des personnes en situation de handicap. Dès lors, c'est à bon droit que le tribunal administratif de Rennes a estimé que seule la somme de 31 350 euros était déductible de la contribution due au FIPHFP.
10. Enfin, le CHU de Rennes n'apporte aucun élément au soutien de ses allégations selon lesquelles la somme de 151 278,63 euros initialement mise à sa charge au titre de la contribution due pour l'année 2014 n'aurait pas été correctement imputée.
11. Il résulte de ce qui précède que le CHU de Rennes n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté toutes ses conclusions excédant la décharge partielle qu'il a prononcée.

Sur les frais d'instance :
12. En vertu des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, le tribunal ne peut faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais qu'elle a exposés à l'occasion du litige soumis au juge. Les conclusions présentées à ce titre par le centre hospitalier universitaire de Rennes, partie perdante, doivent ainsi être rejetées. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge du CHU de Rennes une somme au titre des frais exposés par le Fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du centre hospitalier universitaire de Rennes est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par le Fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier universitaire de Rennes et au Fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique.


Délibéré après l'audience du 3 octobre 2019, à laquelle siégeaient :

- Mme Perrot, président de chambre,
- Mme F..., présidente-assesseure,
- M. Mony, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 18 octobre 2019.


La présidente rapporteure
N. F...Le président
I. Perrot

Le greffier
M. D...

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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