Avis sur un projet de loi relatif au développement de l’offre de logements abordables

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Le Gouvernement a décidé de rendre public l'avis rendu par le Conseil d’État sur un projet de loi relatif au développement de l’offre de logements abordables.

1. Le Conseil d’Etat a été saisi le 9 avril 2024 d’un projet de loi relatif au développement de l’offre de logements abordables. L’étude d’impact a été produite le 12 avril 2024 et a fait l’objet d’une saisine rectificative le 19 avril. 

2. Ce projet de loi comprend quinze articles regroupés en quatre chapitres, respectivement intitulés : « De nouveaux outils pour les élus bâtisseurs », « Simplifier et accélérer les procédures », « Renforcer les capacités de production des bailleurs » et « Faciliter l’accès au logement ».

3. L’étude d’impact répond dans l’ensemble aux exigences de l’article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009, pris pour l’application du troisième alinéa de l’article 39 de la Constitution, sous réserve de remarques ponctuelles qui sont formulées à l’occasion de l’examen de certaines dispositions du texte. 

4. Les consultations obligatoires du Conseil national d’évaluation des normes et du Conseil national de l’habitat ont été effectuées. Le Conseil d’Etat regrette toutefois la brève durée laissée à ces organismes pour rendre leur avis, dont il n’a lui-même eu connaissance que très peu de temps avant sa propre délibération. 

5. Au-delà de ces remarques liminaires, et outre diverses améliorations de rédaction qu’il suggère, le projet de loi appelle de la part du Conseil d’Etat les observations suivantes.

Permettre la prise en compte du logement locatif intermédiaire dans la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain (SRU) pour les communes qui s’engagent dans une trajectoire de rattrapage 

6. Les dispositions issues de la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite « loi SRU », codifiées aux articles L. 302-5 à L. 302-9 du code de la construction et de l’habitation, imposent aux communes de plus de 3 500 habitants (1 500 dans l’unité urbaine de Paris) comprises dans un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre ou une agglomération de plus de 50 000 habitants comprenant au moins une commune de plus de 15 000 habitants, d’avoir un nombre de logements locatifs sociaux, au sens du IV de l’article L. 302-5, représentant 20 % à 25 % des résidences principales de la commune, selon le niveau de tension sur la demande de logement social du territoire. En outre, les communes qui, sans appartenir à l’un de ces territoires, ont plus de 1 000 habitants, une croissance démographique importante et un niveau significatif de tension sur la demande de logements sociaux doivent atteindre le seuil de 20 %.

L’article L. 302-7 du même code prévoit un prélèvement annuel sur les ressources fiscales des communes déficitaires, proportionnel à ce déficit, sans pouvoir excéder 5 % du montant des dépenses réelles de fonctionnement de la commune. Les communes déficitaires (1 161 parmi les 2 007 communes soumises en 2023) se voient imposer un objectif triennal de rattrapage, quantitatif (en général, 33 % du déficit) et qualitatif (30 % du rattrapage au moins doit être réalisé en logements très sociaux et 30 % au plus en logements financés en prêt locatif social – PLS). Si ces objectifs ne sont pas respectés, le préfet constate la carence de la commune, ce qui entraîne des sanctions à son encontre. 

En vertu de dispositions issues de la loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, dite « 3DS », codifiées à l’article L. 302-8-1 du code de la construction et de l’habitation, les communes déficitaires peuvent conclure avec l’Etat, l’EPCI et tout acteur susceptible de contribuer à la réalisation des objectifs qu’il porte (établissement public foncier, bailleurs sociaux) un contrat de mixité sociale. Celui-ci constitue, à partir d’un constat partagé sur les contraintes pesant sur la collectivité et les leviers dont elle dispose, un cadre d’engagement et de moyens devant permettre à la commune de sortir à terme de sa situation déficitaire. Il peut prévoir un aménagement à la baisse du rythme de rattrapage triennal imposé à la commune (jusqu’à 25 % du déficit) et conduire, au niveau de l’EPCI, à une mutualisation des objectifs de rattrapage entre les communes déficitaires.

7. Le projet de loi prévoit la possibilité, pour le contrat de mixité sociale, de prévoir qu’une fraction de l’objectif triennal de rattrapage fixé par ce contrat, qui ne peut dépasser 25 %, pourra être atteinte par la construction de logements intermédiaires, tels que définis à l’article L. 302 16 du code de la construction et de l’habitation. Cette possibilité est réservée aux communes qui ont plus de 10 % de logements sociaux si leur objectif est d’en avoir 20 %, ou de 15 % de logements sociaux si elles doivent en avoir 25 %. La part cumulée des logements financés en prêts locatifs sociaux et des logements locatifs intermédiaires ne doit pas dépasser 40 % des logements locatifs sociaux à produire.

8. Le Conseil d’Etat considère que ces dispositions, qui permettent d’aménager le rythme de rattrapage du déficit en logements locatifs sociaux d’une commune située en zone tendue, sans remettre en cause l’objectif de construction à terme de tels logements, ni le prélèvement sur les ressources de la commune en proportion de ce déficit, ne se heurtent à aucun obstacle d’ordre constitutionnel ou conventionnel. 

Il recommande toutefois de compléter l’étude d’impact de façon à mettre en évidence le fait que la prise en compte de la construction de logements locatifs intermédiaires dans la trajectoire de rattrapage (objectifs triennaux à atteindre pour éviter la carence) restera sans incidence sur l’objectif final en pourcentage à atteindre par la commune.

Faire présider par les maires la commission d’attribution des logements et d’examen de l’occupation des logements (CALEOL) 

9. La décision d’attribution d’un logement locatif social relève des commissions d’attribution des logements et d’examen de l’occupation des logements (CALEOL) mentionnées à l’article L. 441-2 du code de la construction et de l’habitation. Chacune de ces commissions est composée de six représentants de l’organisme bailleur (dont un représentant des locataires), qui élisent en leur sein le président de la commission, du préfet, du président de l’EPCI ainsi que du maire de la commune. Ce dernier dispose d’une voix prépondérante en cas d’égalité des voix. 

Le projet de loi, qui s’inspire sur ce point d’une proposition de loi adoptée par le Sénat le 10 octobre 2023, modifie l’article L. 441-2 du code de la construction et de l’habitation pour prévoir que la présidence de la CALEOL sera désormais assurée par le maire de la commune où se situent les logements à attribuer (ou son représentant) ou par le président de l’EPCI qui a demandé sa création. Sauf dans ce dernier cas, lorsque la CALEOL examinera dans une même séance des attributions dans des logements situés dans plusieurs communes, la présidence sera exercée successivement par les différents maires concernés.

10. Le Conseil d’Etat relève que ces dispositions sont de nature à introduire une certaine complexité dans le fonctionnement des commissions, en imposant notamment une succession de présidences et la rédaction d’autant de procès-verbaux lors de l’examen de demandes au cours d’une même réunion. 

Accorder aux maires les primo-attributions de logements sociaux 

11. Le Conseil d’Etat rappelle que la possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent est un objectif de valeur constitutionnelle, résultant des dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946, dont les modalités de mise en œuvre relèvent du législateur et du Gouvernement, dans les limites de leurs compétences respectives. Il souligne que le législateur peut, à cette fin, modifier, compléter ou abroger des dispositions législatives antérieurement promulguées, à la seule condition de ne pas priver de garanties légales des principes à valeur constitutionnelle qu’elles avaient pour objet de mettre en œuvre (voir notamment Conseil constitutionnel n° 94-359 DC, 19 janvier 1995, considérants 5 à 8). Il incombe ainsi au législateur de définir les compétences de l’Etat et des collectivités territoriales afin d’atteindre l’objectif de valeur constitutionnelle relatif à la possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent ; il lui appartient toutefois de prévenir, par des dispositions appropriées, des ruptures caractérisées d’égalité (voir Conseil constitutionnel n° 2004-503 DC, 12 août 2004, considérants 21 à 23).

Ainsi que le précise le III de l’article L. 441-2 du code de la construction et de l’habitation, la CALEOL attribue nominativement chaque logement locatif social, dans le respect de l’article L. 441-1 de ce code, qui fixe notamment des critères de priorité, et de l’article L. 441-2-3 du même code, relatif au droit au logement opposable. Elle doit, à cette occasion, prendre en compte les objectifs fixés à l’article L. 441 du même code, à savoir satisfaire les besoins des personnes de ressources modestes et des personnes défavorisées en attribuant les logements compte tenu de la diversité de la demande constatée localement et en favorisant l'égalité des chances des demandeurs et la mixité sociale des villes et des quartiers. Les engagements pris dans le cadre de la convention intercommunale d’attribution prévue par l’article L. 441-1-6 du même code doivent en outre être respectés. Les logements sont attribués aux ménages situés sous les plafonds de ressources pour l’accès au logement social, de nationalité française ou qui attestent de la régularité de la permanence de leur séjour sur le territoire, en tenant compte de la cotation de la demande en application de l’article L. 441-2-8 du code de la construction et de l’habitation. En application de la partie réglementaire du code de la construction et de l’habitation, la CALEOL doit examiner au moins trois candidatures pour un même logement à attribuer, sauf exception. 

12. Le projet de loi précise, dans la lignée d’une recommandation de la Cour des comptes, que la commission doit fonder ses décisions sur les demandes et informations enregistrées dans le système national d’enregistrement (SNE) mentionné à l’article L. 441-2-1. Le Conseil d’Etat considère cependant que cette disposition, qui ne fait que déterminer les conditions d’application des articles L. 441-2 et L. 441-2-1, relève du domaine réglementaire et ne peut pas être retenue.

13. Par ailleurs, le projet de loi accroît les pouvoirs du maire lors de la première attribution de logements locatifs sociaux nouvellement créés, sauf si la commune a fait l’objet d’un constat de carence. C’est le maire qui proposera à la commission l’ordre de classement des candidats présentés pour l’attribution de chaque logement par les réservataires ou l’organisme de logement social. Lors de la réunion de la CALEOL, il pourra, en le motivant (motivation qui sera reprise au procès-verbal de cette réunion), s’opposer au choix de l’un des candidats par la commission. Dans ce cas, le candidat en cause ne pourra être retenu. Ce « droit de veto » ne pourra toutefois s’exercer qu’une seule fois à l’occasion de l’attribution initiale d’un même logement. Enfin, le préfet pourra lui déléguer tout ou partie de son contingent de réservations pour les primo-attributions.

Le Conseil d’Etat relève que le pouvoir d’appréciation ainsi conféré au maire ne pourra s’exercer que dans le cadre imparti à la prise de décision de la CALEOL par les dispositions législatives mentionnées au point 11. Dès lors, il considère que le pouvoir du maire s’exerce dans un cadre suffisamment défini, sans qu’il soit nécessaire de préciser les motifs pour lesquels celui-ci pourra s’opposer à une candidature, et que les dispositions proposées ne se heurtent à aucun obstacle d'ordre constitutionnel ou conventionnel. 

14. Le projet de loi remplace, enfin, les dispositions du premier alinéa de l’article L. 441-2-2 du code de la construction et de l’habitation, aux termes duquel : « Tout rejet d’une demande d’attribution doit être notifié par écrit au demandeur, dans un document exposant le ou les motifs d’attribution », par des dispositions prévoyant, d’une part, une notification motivée au demandeur d’un logement social de tout refus d’attribution s’accompagnant d’une radiation de sa demande, d’autre part, une notification motivée au réservataire de la décision de la CALEOL de ne pas donner suite à l’une de ses propositions ou de changer l’ordre de priorité de ses propositions.

S’il en résulte que les décisions de la CALEOL n’impliquant pas une radiation de leur demande ne sont pas notifiées aux candidats à l’attribution d’un logement, le Conseil d’Etat considère que cette absence de notification est néanmoins admissible, compte tenu du fait que les candidatures classées au 2e ou 3e rang par la commission peuvent être satisfaites si le demandeur retenu en premier refuse le logement, ou seront représentées à l’occasion de réunions suivantes de la commission. Le demandeur a accès via le SNE aux informations sur la présentation de sa candidature en commission et ses suites, en application de l’article R. 441-2-17 du code de la construction et de l’habitation. Enfin, et en tout état de cause, lorsqu’un certain délai, fixé en application de l’article L. 441-1-4 du même code, s’est écoulé à compter du dépôt de sa demande, le candidat à l’attribution d’un logement social qui n’a pas encore eu de proposition adaptée, peut saisir la commission de médiation mentionnée à l’article L. 441-2-3 de ce code, qui peut alors obtenir toutes informations sur les motifs de cette absence de proposition et désigner éventuellement le demandeur comme prioritaire. 

Permettre une meilleure maîtrise du foncier par les communes 

15. Les acquisitions foncières représentant le principal poste de dépenses dans une production de logements, la hausse des prix constatée depuis plusieurs années constitue un frein notable à la production de logements. Dès lors, le projet de loi prévoit deux mesures destinées à faciliter l’exercice par les collectivités territoriales de leur droit de préemption dans l’objectif de lutter plus efficacement contre la spéculation foncière en vue de répondre aux enjeux d’accès au logement.

16. En premier lieu, il fait passer à dix ans le délai de droit commun pour exercer le droit de préemption dans les zones d’aménagement différé (ZAD), qui est actuellement de six ans renouvelables à compter de la publication de l'acte qui a créé la zone, sauf dans le cadre des dispositifs de grande opération d’urbanisme (article L. 312-6 du code de l’urbanisme) et des opérations d’intérêt national (article L. 102-15 du même code), où il est déjà de dix ans. Cette mesure n’appelle pas d’observation de la part du Conseil d’Etat.

17. En second lieu, il autorise, pour une période de sept ans à compter de l’entrée en vigueur de ses dispositions, l’utilisation du droit de préemption urbain dans un objectif de régulation des marchés du foncier et de l’immobilier bâti, lorsque les conditions d’aliénation des biens sont  excessives au regard des prix constatés sur le marché pour des biens comparables et risquent de compromettre la réalisation des objectifs en matière d’accès au logement ou de mixité sociale prévus à l’article L. 301-1 du code de la construction et de l’habitation et précisés par le programme local de l’habitat prévu à l’article L. 302-1 du même code, si un tel programme est en vigueur. Le Gouvernement souhaite ainsi mettre à la disposition des maires un outil permettant d’éviter une flambée des prix du foncier ou de l’immobilier bâti, notamment en cas d’anticipation de la construction d’un grand équipement public.

Ce droit de préemption pourra s’exercer dans des zones délimitées zones urbaines ou à urbaniser, ou des espaces urbanisés, délimités par le PLU approuvé ou la carte communale compte tenu du niveau et de l’évolution des prix de vente constatés au cours d’une période de référence, déterminée par décret en Conseil d’Etat, et de l’incidence de ces prix sur la réalisation des objectifs en matière de logement et de mixité sociale. Le titulaire du droit de préemption ou son délégataire appréciera le caractère excessif du prix de vente du bien compte tenu des informations dont il dispose, et notamment des analyses de l’observatoire de l’habitat et du foncier prévu à l’article L. 302-1 du code de la construction et de l’habitation.

Les biens préemptés en vue de la régulation des prix du foncier et de l’immobilier devront être cédés par le titulaire du droit de préemption ou son délégataire, dans un délai de cinq ans à compter de l’acquisition du bien, pour être utilisés en vue de l’un des objectifs en matière d’accès au logement ou de mixité sociale prévus par l’article L. 301-1 du code de la construction et de l’habitation, éventuellement précisés par le programme local de l’habitat. Le bien préempté ne pourra être cédé qu’à une société d’économie mixte agréée mentionnée à l’article L. 481-1 du code de la construction et de l’habitation, à l’un des organismes d’habitations à loyer modéré prévus à l’article L. 411-2 du même code, à l’un des organismes agréés mentionnés à l’article L. 365-2 du même code, ou à un organisme de foncier solidaire mentionné à l’article L. 329-1 du code de l’urbanisme pour les biens nécessaires à son objet principal et ayant vocation à faire l’objet d’un bail réel solidaire mentionné à l’article L. 255-1 du code de la construction et de l’habitation. Son prix de cession ne pourra excéder le prix d’achat acquitté par le titulaire du droit de préemption ou son délégataire, majoré des frais qu’il a supportés.

Le droit de préemption que le projet de loi entend instaurer pourra être délégué à l’Etat, à une autre collectivité territoriale, à un établissement public foncier ou à un établissement public foncier et d’aménagement, qui pourront financer la préemption grâce aux produits de la taxe spéciale d’équipement.

18. Le Conseil d’Etat constate qu’il existe des précédents d’utilisation du droit de préemption dans l’objectif de lutter contre la spéculation foncière (voir, notamment, pour les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural, le 5° de l’article L.143-2 du code rural et de la pêche maritime). Il estime justifié, en l’espèce, le choix d’une législation à durée limitée, qui permettra d’apprécier les effets de cette nouvelle forme de droit de préemption urbain. Il relève toutefois que l’intérêt de cette dernière paraît devoir être limité, en pratique, aux cas où la collectivité concernée ne pourra faire usage du droit de préemption urbain de droit commun, faute de pouvoir justifier qu’elle l’exerce en vue d’un projet d’action ou d’opération d’aménagement déterminé.

Il considère que les conditions dans lesquelles ce droit de préemption pourra être utilisé, dans l’objectif d’éviter une envolée des prix du foncier dans certaines zones, sont suffisamment encadrées par la double exigence de la délimitation de secteurs dans lesquels le niveau et l’évolution des prix peuvent compromettre la réalisation des objectifs d’accès au logement et de mixité sociale, et du caractère excessif du prix de vente du bien préempté. Il suggère toutefois de mentionner dans le projet de loi l’ensemble des critères de délimitation de ces secteurs, le décret en Conseil d’Etat se bornant à les préciser. 

En accord avec le Gouvernement, il propose de prévoir que, si aucun organisme parmi ceux précédemment énumérés n’accepte d’acquérir le bien préempté dans le délai de cinq ans à compter de la décision de préemption, le titulaire du droit de préemption peut le céder à un autre bénéficiaire, sous réserve que cette cession réponde aux objectifs en matière d’accès au logement ou de mixité sociale mentionnés plus haut. Si aucune cession ne peut être faite dans le délai de trois ans, les dispositions de droit commun de l’article L. 213-11 du code de l’urbanisme, relatives à l’utilisation et l’aliénation des biens ayant fait l’objet du droit de préemption urbain, s’appliqueront.

Eu égard à tout ce qui précède, le Conseil d’Etat considère que les dispositions, ainsi modifiées, autorisant l’exercice du droit de préemption urbain en vue de réguler les prix du foncier et de l’immobilier bâti, qui garantissent que les biens préemptés sont utilisés conformément à la finalité d’intérêt général pour laquelle ce droit de préemption a été exercé, ne portent pas au droit de propriété, à la liberté d’entreprendre et à la liberté contractuelle une atteinte disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi. Il en déduit qu’elles ne se heurtent à aucun obstacle d’ordre constitutionnel ou conventionnel.

Il recommande cependant au Gouvernement de compléter l’étude d’impact pour expliquer plus précisément les apports attendus de ces dispositions par rapport aux mesures existantes, en donnant des exemples concrets de cas dans lesquels elles pourraient être mises en œuvre.

Réduire les délais de recours 

19. Le projet de loi prévoit, en premier lieu, que la condition d’urgence prévue à l’article L. 521 1 du code de justice administrative est réputée satisfaite lorsqu’un recours en référé-suspension est formé contre une décision d’opposition à déclaration préalable ou de refus de permis de construire, d’aménager ou de démolir. Il ajoute, en second lieu, que le délai imparti pour former un recours gracieux ou hiérarchique contre une décision de non-opposition à une déclaration préalable, ou un permis de construire, d’aménager ou de démolir est ramené de deux à un mois. Il dispose, en troisième lieu, que le silence gardé sur un tel recours vaut rejet au bout d’un mois et non plus de deux mois et, en quatrième lieu, que le délai de recours contentieux contre une telle mesure n’est pas prorogé par l’exercice d’un recours gracieux ou hiérarchique.

Le Conseil d’Etat constate que si l’instauration d’une présomption d’urgence peut être de nature à faciliter l’ouverture de requêtes en référé-suspension de décision d’opposition à travaux ou de refus d’autorisation d’urbanisme, cela ne pourra avoir pour effet d’accélérer ou simplifier l’obtention de la décision positive recherchée par le porteur de projet, et ne sert pas davantage l’objectif énoncé dans l’étude d’impact tenant à faire échec aux recours dilatoires en matière d’urbanisme. Il relève que cette mesure n’est pas le pendant logique du dispositif inscrit à l’article L. 600-3 du code de l’urbanisme, lequel dispose que la condition d’urgence est présumée satisfaite pour la requête en référé-suspension contre une décision d’urbanisme positive tout en prévoyant qu’un recours dirigé contre une telle décision ne peut être assorti d’une requête en référé–suspension que jusqu’à l’expiration du délai fixé pour la cristallisation des moyens soulevés devant le juge saisi en premier ressort. Il estime que le dispositif dérogatoire envisagé par le projet de loi aura pour effet de complexifier le traitement des requêtes de référé sans lien avec l’objectif recherché énoncé par l’étude d’impact.

Quant aux dispositions du projet de loi tendant à resserrer les conditions d’exercice et les délais d’instruction du recours administratif contre des décisions positives de non-opposition à travaux ou autorisations d’urbanisme, le Conseil d’Etat relève que l’étude d’impact ne précise pas l’effet attendu de ces mesures sur le contentieux contre les mêmes décisions. Il estime que ces restrictions affectant l’exercice des recours administratifs, si elles ne portent pas atteinte au droit au recours ni à aucun principe d'ordre constitutionnel ou conventionnel, sont de nature à priver d’intérêt l’exercice du recours gracieux ou hiérarchique et à engager les requérants à porter directement le litige devant le juge administratif, au rebours des efforts engagés dans de très nombreuses matières pour réguler, grâce au recours administratif, le flux de recours contentieux. Il constate, enfin, que les mesures envisagées, présentées comme un moyen de simplifier et accélérer les procédures en vue de faciliter la construction et favoriser ainsi l’offre de logements abordables, auront pour effet de définir un régime dérogatoire pour le champ d’application beaucoup plus vaste de l’ensemble des décisions d’urbanisme, excédant le sujet du logement, et sans cohérence avec les dispositions par ailleurs applicables en particulier aux installations classées pour la protection de l’environnement.

Le Conseil d’Etat, par suite, ne retient pas ces dispositions dont il n’apparaît pas qu’elles contribueraient au développement de l’offre de logements à un prix abordable en simplifiant et accélérant les procédures encadrant la construction de logements, tandis qu’elles ajoutent en revanche au caractère excessivement instable et dérogatoire des normes applicables à l’ensemble du contentieux du droit de l’urbanisme, au détriment de l’objectif de valeur constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité des normes.

Faciliter le renouvellement urbain des zones pavillonnaires et des zones d’activité économique 

20. Le Gouvernement entend faciliter le renouvellement urbain des zones pavillonnaires et des zones d’activités économiques, dans le but de permettre l’optimisation de l’utilisation du sol, dans un objectif de sobriété foncière qui justifie la densification de ces zones pour limiter l’étalement urbain. 

A cette fin, le projet de loi complète les dispositions du code de l’urbanisme relatives aux opérations d’aménagement et de programmation (OAP) prévues aux articles L. 151-6 à L. 151-7-2 de ce code et intégrées au plan local d’urbanisme (PLU). Il modifie l’article L. 151-7-3 de ce code pour prévoir que dans les secteurs urbains exclusivement ou quasi exclusivement composés d’habitat individuel ou dans les zones d’activité économique, au sens de l’article L. 318 8-1, les OAP pourront, lorsqu’est identifié un besoin de favoriser l’évolution, la requalification du bâti existant, l’optimisation de l’utilisation de l’espace ou la mixité fonctionnelle, définir des actions ou opérations contribuant au renouvellement urbain, en tenant compte des besoins supplémentaires en matière de stationnement, de desserte par les transports en commun et en équipements publics et en garantissant la qualité environnementale, l’insertion architecturale, urbaine et paysagère. 

Il institue, en outre, une catégorie nouvelle d’acte, dénommé « Opération de renouvellement urbain » (ORU), créée par un nouvel article L. 315-1 du code de l’urbanisme, dont il précise la finalité et le régime. L’ORU est définie par délibération du conseil municipal qui en détermine les objectifs, la durée et le périmètre et contient le programme prévisionnel des actions à réaliser ainsi qu’une estimation des coûts et l’indication des conditions de financement à envisager, y compris, le cas échéant, pour les besoins en équipements publics, la mise en œuvre pouvant être confiée à un opérateur public ou privé.

Le projet de loi vise également à faciliter la mise en œuvre de ce dispositif lorsqu’il vient à s’intégrer à un PLU en vigueur. Il prévoit ainsi que les OAP définissant les actions contribuant au renouvellement urbain des zones considérées, comme les ORU le cas échéant engagées pour la réalisation de ces actions, pourront être intégrées au PLU en vigueur par la procédure de modification simplifiée de l’article L. 153-45, alors même que ces actes auraient pour effet de majorer de plus de 20% les possibilités de construction dans le secteur considéré.

Le projet de loi prévoit de même que, lorsqu’un lotissement est compris dans le secteur considéré, l’autorité compétente chargée de l’élaboration du PLU ou du document en tenant lieu peut modifier d’office tout ou partie des documents du lotissement dans les conditions prévues à l’article L. 442-11, pour assurer la réalisation des orientations d’aménagement et de programmation prévues à l’article L. 151-7-3 et la mise en œuvre de l’opération de renouvellement urbain prévue à l’article L. 315-1. 

Le Conseil d’Etat relève que le dispositif ainsi prévu vise à doter la collectivité compétente de moyens d’intervention renforcés, qui resteraient cependant pour elle de maniement souple. L’OAP définissant des actions de renouvellement urbain dans un secteur considéré pourra être intégrée au PLU avant même l’adoption d’une délibération arrêtant une ORU définissant un programme d’actions sur un périmètre déterminé, avec une estimation des coûts et une simple indication des financements envisagés. La mise en cohérence des documents de lotissement avec l’OAP ou, le cas échéant, avec l’ORU pourra être engagée unilatéralement. 

Le Conseil d’Etat note également que le recours à la procédure de modification simplifiée du PLU, bien qu’il dispense d’enquête publique une augmentation importante des droits à construire prévus par le PLU, ne méconnaît aucune règle ou principe de valeur constitutionnelle dès lors que cette procédure prévoit une information et une participation effectives du public, selon des modalités certes allégées, mais lui permettant de préparer et de former d’éventuels recours contentieux contre la délibération insérant l’OAP, ou l’ORU, dans le PLU. La mise en cohérence des documents d’un lotissement se fait dans les conditions prévues à l’article L. 442 11, après délibération de la collectivité et enquête publique. Le Conseil d’Etat estime que le dispositif ainsi conçu, s’il dote la collectivité compétente de moyens d’intervention renforcés, contraignants pour les propriétaires, ne se heurte à aucun obstacle d’ordre constitutionnel ou conventionnel.

21. Le projet de loi réduit également la majorité qualifiée requise, en vertu de l’article L. 442 11 du code de l’urbanisme, pour modifier, à l’initiative des propriétaires concernés, tout ou partie des documents d’un lotissement dans un sens compatible avec la réglementation d’urbanisme applicable, en la portant à la moitié des propriétaires détenant ensemble au moins la moitié de la superficie. Ce dispositif est d’application générale, et par lui-même sans lien avec l’institution d’OAP et d’ORU, mais vise, en abaissant le seuil de la majorité qualifiée, à faciliter la modification volontaire des documents d’un lotissement pour tout motif.  

Le Conseil d’Etat relève que le projet de loi affecte ainsi le droit de propriété et la liberté contractuelle en abaissant encore la majorité qualifiée requise pour la modification des documents d’un lotissement, dix ans après leur modification par la loi dite ALUR du 26 mars 2014. Il rappelle que le Conseil constitutionnel a jugé que la précédente modification répondait à l’objectif d’intérêt général de faciliter l'évolution, dans le respect de la politique publique d'urbanisme, des règles propres aux lotissements contenues dans leurs cahiers des charges, et ne portait pas une atteinte excessive au droit de propriété et à la liberté contractuelle (décision QPC 2018 n° 2018-740 QPC du 19 octobre 2018). Il estime que les dispositions du projet de loi, bien que portant atteinte au droit de propriété et à la stabilité des contrats légalement conclus, ne méconnaissent pas ces principes de valeur constitutionnelle dès lors qu’elles sont édictées pour le motif d’intérêt général consistant à assurer le respect des règles d’urbanisme fixées dans la commune par les autorités compétentes et qu’elles ne paraissent pas manifestement disproportionnées.

22. Le projet de loi ajoute, enfin, à l’article L. 442-11 du code de l’urbanisme, relatif à la mise en concordance, à l’initiative de l’autorité compétente en matière de réglementation de l’urbanisme dans la commune, des documents d’un lotissement ayant fait l’objet d’un permis d’aménager au PLU ou d’un document en tenant lieu, lorsque ce plan ou ce document sont postérieurs à ce permis, la mention selon laquelle cette mise en concordance peut porter sur les dispositions de nature contractuelle du cahier des charges du lotissement.

L’effet recherché par le Gouvernement, tel qu’il a été indiqué au Conseil d’Etat, consiste à conforter l’état du droit selon lequel les dispositions de l’article L. 442-11, d’une part, ne prévoient aucune exception au pouvoir qu’elles confèrent au maire de modifier tous les documents du lotissement, y compris le cahier des charges, dès lors que la modification a pour objet de mettre ces documents en concordance avec le PLU ou le document d’urbanisme en tenant lieu et d’autre part, peuvent être mises en œuvre par le maire pour modifier le cahier des charges d'un lotissement devenu caduc en vertu de l'article L. 442-9 du code de l'urbanisme, mais qui continue de régir les rapports entre colotis, en cas de discordance entre ce cahier des charges et le PLU ou le document qui en tient lieu (Conseil d’Etat statuant au contentieux, 7 octobre 2013 Commune de Saint-Jean de Monts, n° 361934).

Le Conseil d’Etat propose de ne pas retenir ces dispositions, qui sont sans effet sur l’application des articles L. 442-9 et L.442-11 du code de l’urbanisme, lesquelles s’appliquent déjà et en tout état de cause, dans les conditions indiquées par la décision précitée du Conseil d’Etat du 7 octobre 2013.

Permettre aux bailleurs sociaux de produire davantage de logements locatifs intermédiaires

23. Le projet de loi entend permettre aux bailleurs sociaux de produire une part plus importante de logements locatifs intermédiaires définis à l’article L. 302-16 du code de la construction et de l’habitation. Les dispositions proposées visent faciliter la construction, l’acquisition, l’amélioration et la gestion directe de logements locatifs intermédiaires par les bailleurs sociaux. Ceux-ci ne peuvent actuellement gérer directement des logements intermédiaires qu’à hauteur de 10 % au plus de leur parc de logements locatifs sociaux. La mesure proposée vise à augmenter ce taux à hauteur de 20 %. 

Le projet de loi prévoit également d’ouvrir la possibilité pour l’organisme de logement social de consentir des avances en compte courant à sa filiale de logement intermédiaire, à la naissance de la société comme durant son existence, afin de financer de manière plus souple le lancement et le développement de l’activité de la filiale. Les dispositions prévues entendent garantir l’absence d’effet d’éviction au détriment de la production de logements sociaux en interdisant l’usage des fonds finançant le logement social. Elles interdisent à l’organisme-mère de renoncer au remboursement de l’avance et prévoient que le taux d’intérêt de celle-ci est fixé dans les conditions du marché. Ainsi, les dispositions proposées tendent à assurer un strict respect par le système français de logement social du régime applicable aux « services d’intérêt économique général » (SIEG), prévu par l’article 106, paragraphe 2, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et tel qu’applicable au logement social selon la décision de la Commission européenne du 20 novembre 2011, dite « Almunia ». 

Enfin, le projet de loi vise à permettre aux organismes de logement social de dégager des fonds propres par la vente de logements intermédiaires aux sociétés qui ont pour seul objet l'acquisition et l’entretien de biens immobiliers appartenant à des organismes de logement social, en vue de la vente de ces biens. Par cohérence, le projet de loi précise la faculté pour les sociétés de vente de détenir des logements locatifs intermédiaires appartenant à des organismes HLM et aux filiales de ces organismes, dédiées au logement locatif intermédiaire. 

Le Conseil d’Etat ne relève pas d’obstacle de nature constitutionnelle ou conventionnelle à la mise en place de ces mesures. 

Il considère que les mesures présentées sont de nature à renforcer la dynamique de construction de logements locatifs intermédiaires, même s’il n’est pas en mesure d’estimer si les objectifs chiffrés présentés par le Gouvernement pourront être atteints du fait de ces seules mesures. Le Conseil d’Etat souligne, en outre, que ces nouvelles dispositions devraient, dans certains cas, permettre aux organismes HLM d’atteindre l’équilibre d’opérations majoritairement consacrées au logement social, qui, sans une part plus importante de logements intermédiaires, ne trouveraient pas nécessairement leur équilibre économique. La notion de logement abordable ne se limite pas à celle de logement intermédiaire et le projet de loi n’entend pas réduire la production de logements sociaux, déjà faible par rapport aux objectifs réaffirmés dans différents textes. 

Le Conseil d’Etat insiste sur la nécessité de mettre en œuvre rapidement les dispositifs comptables permettant de s’assurer que les circuits de financement des organismes HLM répondent aux exigences du droit de l’Union européenne en matière de SIEG en ce qui concerne le logement social. 

Permettre aux bailleurs sociaux de mieux financer leurs investissements grâce à une politique des loyers optimisée

24. Le projet de loi offre la faculté aux bailleurs de réviser les loyers au moment de la remise en location du bien, dans le respect des plafonds réglementaires actuels, afin que les organismes de logement social disposent de ressources complémentaires pour construire et rénover davantage. Le Gouvernement souligne que près de la moitié des logements du parc social sont conventionnés avec l’Etat à des loyers inférieurs aux loyers maximaux actuellement en vigueur, conduisant à ce que deux logements aux caractéristiques comparables puissent être loués à des tarifs très différents. Cette disposition du projet de loi prévoit donc la faculté pour les bailleurs sociaux de fixer librement le loyer de tout logement dans la limite des loyers maximaux actuellement applicable à des biens s’ils étaient acquis ou conventionnés à la date de leur remise en location. 

Le Conseil d’Etat considère que la mesure présentée ne se heurte à aucun obstacle d’ordre constitutionnel ou conventionnel et peut permettre de mobiliser des ressources financières complémentaires pour conduire les opérations nécessaires de réhabilitation d’ensembles de logements sociaux. Il invite toutefois le Gouvernement à renforcer l’analyse des impacts potentiels de cette mesure dans le cadre de l’étude d’impact, notamment pour évaluer les conséquences sur les montants minimums de loyers dans le logement social si la faculté ouverte par cet article était saisie par l’intégralité des organismes de logement social. 

Le Conseil d’Etat propose de préciser dans le projet de loi les conditions dans lesquelles les hausses de loyer pourront être appliquées, afin d’éviter que la loi ne soit entachée d’incompétence négative, et de prévoir que les critères qui seront arrêtés pour définir la formule de calcul des loyers ou redevances seront fixés, eu égard à leur importance, par décret en Conseil d’Etat et non, comme le prévoit le projet de loi, par décret simple. Il estime que ce décret en Conseil d’Etat devra être adopté dans les meilleurs délais après l’entrée en vigueur de la loi afin de permettre aux organismes concernés d’anticiper et d’organiser la concertation en ce qui concerne leurs choix d’augmenter ou non les loyers à la relocation.

Il souligne que cette disposition du projet de loi ne trouvera pas à s’appliquer outre-mer en raison des mécanismes spécifiques de fixation des loyers ou redevances. 

Diversifier les ressources des bailleurs

25. Le projet de loi a également pour objet de diversifier les ressources des bailleurs sociaux et de simplifier leurs initiatives, afin d’augmenter leur capacité d’investissement dans la production et la rénovation de logements. 

Ces dispositions entendent faciliter l’exercice de l’activité de « co-promotion immobilière » par les bailleurs. En effet, la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (dite ALUR) a permis aux bailleurs sociaux et promoteurs privés de se rapprocher dans le cadre d’une structure commune afin de réaliser des opérations immobilières en co-promotion, mêlant logements en accession libre et logements sociaux. Ce dispositif expérimental, pérennisé dans le cadre de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (dite ELAN), permet aux organismes HLM de constituer des sociétés civiles de construction vente (SCCV). L’application de ces dispositions ayant mis en évidence certaines difficultés ou ambiguïtés, le projet de loi clarifie le cadre juridique applicable, notamment en ce qui concerne l’objet des SCCV, le niveau maximal des apports des organismes HLM, le critère d’appréciation du seuil de logements locatifs sociaux à réaliser, la capacité à réaliser des avances en compte courant et le recours à la vente en l’état futur d’achèvement. 

Une disposition vise également à permettre aux sociétés de vente HLM de pouvoir dissocier la nue-propriété de l’usufruit dans le processus d’acquisition et de vente de logements anciens, notamment pour favoriser l’acquisition de patrimoine en zone tendue. Ainsi, les sociétés de vente HLM pourront recourir au dispositif de l’usufruit locatif et, en particulier, l’usufruit locatif social, régi par les dispositions des articles L. 253-1 à L. 253-8 du code de la construction et de l’habitation. La disposition permettra ainsi de renforcer les fonds propres des bailleurs sociaux, qui pourront les réinvestir dans la construction ou la rénovation de logements. 

Le projet de loi comporte deux autres dispositions ayant pour objectif de diversifier les ressources des bailleurs sociaux. La première permet aux organismes HLM, au sein d’un programme mixte, de céder dans le cadre d’une vente en l’état futur d’achèvement dite « inversée » des logements à des acquéreurs à l’unité et non plus en bloc. Ainsi, les organismes HLM pourront-ils vendre ces logements à des propriétaires accédants, au même titre que des promoteurs privés. La seconde disposition élève à 50 %, au lieu de 30 % actuellement, la part maximale de logements du programme pouvant être vendus à des personnes privées, en cohérence avec l’obligation que la majorité au moins des logements du programme soit constituée de logements sociaux. 

Le projet de loi entend également apporter des mesures de simplification. D’une part, en supprimant l’accord préalable du représentant de l’Etat dans le département aujourd’hui requis lorsque les organismes d’habitations à loyer modéré souhaitent souscrire des parts ou des actions dans des sociétés de projet d’aménagement ou pouvant conclure une convention de projet urbain partenarial. D’autre part, en permettant aux organismes de logements sociaux de consentir des avances en comptes courants à ces sociétés, sans effet d’éviction sur la construction de logements sociaux, dans la mesure où ces avances ne seront pas issues des fonds liés au service économique d’intérêt général (SIEG) « logement social ». 

Enfin, le projet de loi supprime le régime de déclaration aux ministres chargés du logement et de l’économie des avances en comptes courants consenties par un organisme HLM à un autre organisme ou à un membre de son groupe. Les organismes pourront désormais y recourir sans contrôle a priori, le contrôle a posteriori de droit commun de l’Agence nationale de contrôle du logement social étant maintenu. Dans un souci identique de simplification, l’obligation d’information prudentielle de la Caisse de garantie du logement locatif social ou de la société de garantie des organismes d'habitations à loyer modéré contre les risques d'opérations immobilières est également supprimée. 

26. Le Conseil d’Etat considère que les clarifications apportées par les dispositions proposées sont de nature à renforcer la sécurité juridique des opérations plus complexes, notamment de « co-promotion » immobilière, et ne se heurtent à aucun obstacle d’ordre constitutionnel ou conventionnel. Si, un certain nombre d’organismes de logements social, mettent déjà en œuvre une partie des facultés ici clarifiées, le projet de loi vient utilement sécuriser la conduite de ces opérations

Le Conseil d’Etat souligne, pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 23, que la traçabilité et le suivi analytique des ressources affectées au logement social et au logement intermédiaire, a fortiori dans des opérations plus complexes, devront faire l’objet d’une attention particulière de tous les intervenants dans le cadre fixé par l’Etat, garant du respect de la décision de la Commission européenne du 20 novembre 2011, dite « Almunia ».

27. Le Conseil d’Etat considère, enfin, que si les différentes dispositions du projet de loi permettant de renforcer la construction de logements intermédiaires, d’augmenter et de diversifier les ressources des bailleurs ou de mettre en œuvre des opérations plus complexes avec des partenaires privés, prises séparément, ne posent pas par elles mêmes de difficultés au regard de l’objectif d’accès universel et non discriminatoire au logement social, elles pourraient, si elles étaient mobilisées simultanément sur l’ensemble du territoire, avoir des effets d’une nature différente en restreignant l’accès au logement social. Il estime que leur mise en œuvre devra, par conséquent, faire l’objet d’un suivi global, dans la durée, pour s’assurer que la nature des effets obtenus est bien conforme aux objectifs présentés en particulier dans l’étude d’impact. 

Rendre plus efficace le réexamen de la situation des locataires dans le parc social 

28. Le projet de loi prévoit de permettre aux organismes de logement social de résilier le bail lorsqu’un locataire est, par ailleurs, propriétaire d’un logement adapté à ses besoins et capacités ou susceptible de générer des revenus suffisants pour qu’il accède à un logement du parc privé.

Le Conseil d’Etat considère qu’une telle disposition poursuit l’objectif consistant à favoriser la mobilité au sein du parc locatif social pour permettre l’attribution de logements sociaux aux personnes bénéficiant des ressources et patrimoines les plus modestes, ainsi que le prévoit le premier alinéa de l’article L. 441-1 du code de la construction et de l’habitation, et contribue, par suite, à la mise en œuvre de l’objectif constitutionnel tenant à la possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent (voir Conseil constitutionnel, n° 2009-578 DC du 18 mars 2009, considérants 12 à 15). Il estime qu’en prévoyant la perte du droit au maintien dans les lieux des locataires disposant d’un patrimoine aux caractéristiques spécifiques, la différence de traitement entre, d’une part, ces locataires et, d’autre part, ceux qui disposeraient d’un patrimoine de valeur équivalente mais aux caractéristiques différentes, est justifiée par la différence de situation entre ces locataires et est en rapport direct avec l’objet de la mesure. De même, il estime que l’atteinte à l’exercice du droit de propriété, dont le droit de disposer librement de son patrimoine est un attribut, est justifiée et proportionnée au regard de l’objectif poursuivi.

Toutefois, le Conseil d’Etat considère que la mesure, qui s’appliquerait aux contrats en cours, est, telle qu’initialement proposée par le Gouvernement, insuffisamment encadrée pour pouvoir être appliquée directement par les bailleurs sociaux. Il suggère, par conséquent, de prévoir que le bail sera résilié à l’issue d’une procédure contradictoire conduite par le bailleur à l’égard du locataire concerné, et de renvoyer à un décret en Conseil d’Etat le soin d’en préciser les modalités. Il propose que ce même décret précise également les modalités selon lesquelles seront appréciés les revenus susceptibles d’être générés par le logement détenu.

Ouvrir le bail mobilité au logement social 

29. Le projet de loi comporte des dispositions tendant à étendre à l’ensemble des bailleurs sociaux la possibilité de conclure des « baux mobilité », prévus au titre Ier ter de la loi n° 89 462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86 1290 du 23 décembre 1986, avec des étudiants ou des actifs rencontrant un besoin temporaire de logement, sous certaines conditions. Il prévoit notamment que les logements en cause seront accessibles aux personnes dont les ressources n’excèdent pas les plafonds de ressources pour l’attribution de ces logements et que les loyers seront fixés dans les limites prévues par l’article L. 442-1 du code de la construction et de l’habitation ou, pour les logements conventionnés en application de l’article L. 831-1, dans la limite des loyers maximaux prévus par ces conventions.

Le Conseil d’Etat estime que de telles dispositions, qui créent un cas supplémentaire de dérogation au principe d’interdiction de la location meublée d’un logement social posé par l’article L. 442-8 du code de la construction et de l’habitation, ne se heurtent, compte tenu notamment des conditions précitées, ni au principe d’égalité, ni à aucun autre principe d’ordre constitutionnel ou conventionnel.

Il regrette, en revanche, que le Gouvernement n’ait pas davantage évalué, dans l’étude d’impact, le risque d’éviction que la mise en œuvre de ce dispositif pourrait avoir sur les attributions de logements sociaux, en particulier en zones dites « tendues », et que le projet ouvre la possibilité de passer de tels baux par dérogation à l’article L. 442-8 et à titre subsidiaire, sans préciser les conditions dans lesquelles ils pourront être conclus, de façon à prévenir un tel risque et à garantir la transparence des attributions de logements. Pour cette raison, il suggère de prévoir que ces conditions devront être précisées par décret en Conseil d’Etat. 

Encourager l’accession à la propriété par le logement intermédiaire 

30. Le projet de loi étend au logement intermédiaire le régime de location-accession prévu par la loi du 12 juillet 1984 définissant la location-accession à la propriété immobilière et permet à l’accédant devenu propriétaire de son logement de le mettre lui-même en location dans le respect des conditions du logement locatif intermédiaire. Le Conseil d’Etat invite le Gouvernement à modifier les dispositions du IX de l’article 199 tricies du code général des impôts afin d’éviter qu’un même logement puisse faire l’objet du taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée applicable au logement locatif intermédiaire puis, lors de sa mise en location par l’accédant devenu propriétaire, ouvrir droit à la réduction d’impôt sur le revenu du dispositif dit « Loc’Avantages ». 

Encourager la vente directe aux locataires dans le parc social 

31. Le projet de loi comporte des dispositions visant à confier aux communes la compétence actuellement exercée par le représentant de l’Etat dans le département pour autoriser les ventes de logements sociaux qui ne sont pas faites entre organismes de logement social, ni prévues dans le plan de mise en vente annexé à la convention d’utilité sociale et qui sont mentionnées à l’article L. 443-7 du code de la construction et de l’habitation (dites « ventes au fil de l’eau »). 

En premier lieu, le Conseil d’Etat observe qu’aucun principe ni aucune règle d’ordre constitutionnel ou conventionnel ne fait obstacle au dispositif envisagé par le Gouvernement, qui ne modifie qu’à la marge la procédure existante de délivrance des agréments d’aliénation de logements sociaux sans toucher aux conditions de fond encadrant ces ventes, en particulier dans les communes soumises à des obligations au titre de la loi « SRU » du 13 décembre 2000.

Il observe toutefois que le dispositif envisagé procède à un transfert de compétences de l’Etat aux communes et doit, à ce titre, respecter les conditions posées par l’article 72-2 de la Constitution, aux termes duquel « tout transfert de compétences entre l’Etat et les collectivités territoriales s’accompagne de l’attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice ». Par conséquent, il propose de compléter le projet de loi avec des dispositions prévoyant le transfert de ressources correspondantes aux collectivités concernées.

En second lieu, le Conseil d’Etat relève qu’en l’état du droit, le V bis de l’article L. 301-5-1 du code de la construction et de l’habitation permet à l’Etat de déléguer aux métropoles, à la métropole d’Aix-Marseille-Provence et à la métropole de Lyon, à leur demande et par convention, la compétence de la délivrance aux organismes d’habitations à loyer modéré des agréments d’aliénation de logements, prévue aux articles L. 443-7, L. 443-8 et L. 443-9 de ce code, et situés sur le territoire métropolitain. Il propose, par conséquent, de mettre en cohérence ces dispositions de l’article L. 301-5-1 du code de la construction et de l’habitation avec le dispositif que prévoit le projet de loi, et suggère de compléter également le code général des collectivités territoriales pour prévoir que les agréments d’aliénation de logements prévus à l’article L. 443-7 du code de la construction et de l’habitation seront délivrés par les métropoles précitées en lieu et place des communes. 

Dispositions n’appelant pas d’observation du Conseil d’Etat

32. Le projet de loi comporte d’autres dispositions qui ont pour objet : 

- d’ajouter à la liste des personnes pouvant participer aux travaux de la CALEOL, avec voix consultative, un représentant du conseil départemental sur le territoire duquel sont implantés les logements attribués ; 

- d’abroger les articles L. 441-1-1 à L. 441-1-3 du code de la construction et de l’habitation relatifs aux accords collectifs intercommunaux et départementaux, qui n’apparaissent plus utiles eu égard à l’existence des conventions d’attributions prévues par l’article L. 441-1-6 du code de la construction et de l’habitation ; 

- d’élargir les possibilités d’utilisation du permis d’aménager multi-sites ;

- de permettre au préfet de déléguer à la société Action Logement Services tout ou partie de son contingent de logement sociaux, à l’exception des logements réservés au bénéfice des agents civils et militaires de l’Etat, pour y loger des salariés bénéficiant d’une décision favorable de la commission de médiation du droit au logement opposable (DALO) ou identifiés préalablement par les services de l’Etat comme faisant partie des personnes prioritaires, au sens de l’article L. 441-1 du code de la construction et de l’habitation ;

- de clarifier les conditions dans lesquelles les fonctionnaires et agents de l'Etat civils et militaires ou leurs ayants droit perdent leur droit au maintien dans les lieux en cas de mutation, de cessation de services ou de décès ;

- de préciser les sanctions que peut proposer l’Agence nationale de contrôle du logement social en cas de non-respect de l’obligation de mettre fin à un bail en cas de dépassement des plafonds de ressources et en cas de manquement à l’obligation d’examiner tous les trois ans les conditions d’occupation du logement ;

- d’abaisser le seuil au-delà duquel le locataire perd son droit au maintien dans les lieux ;

- d’enrichir les modalités d’examen d’occupation des logements par les CALEOL ;

- d’étendre aux sociétés d’économie mixte l’obligation d’examen périodique des situations des locataires et de transmissions des dossiers des locataires aux CALEOL ;

- de prévoir un échange d’informations entre le système national d’enregistrement des demandes de logement social et l’administration fiscale afin de recueillir des informations nécessaires à l’instruction des demandes d’attribution de logements sociaux ainsi qu’au suivi et au contrôle de la situation des locataires ;

- de permettre à l’Agence nationale de contrôle du logement social d’accéder aux données nominatives du système national d’enregistrement des demandes de logement social, et d’élargir l’accès aux données non nominatives de ce système par les agents et personnels désignés par e projet de loi ;

- de supprimer le comité d’orientation du système national d'enregistrement des demandes de logement social, inactif depuis plusieurs années ;

- de permettre à l’Agence nationale de contrôle du logement social et à certains services de l’Etat d’accéder sans restriction aux données de l’enquête sur l’occupation du parc social, et l’utilisation de ces données par des tiers à des fins de recherche scientifique ou historique ;

- de soumettre les locataires de logements sociaux au supplément de loyer de solidarité (dit communément « surloyer »), dès le dépassement du plafond de ressources en vigueur pour l'attribution de ces logements ;

- de supprimer la possibilité d’exempter de supplément de loyer de solidarité certaines zones déterminées par le programme local de l’habitat, et d’exempter de ce surloyer les locataires situés dans une résidence à enjeu prioritaire de mixité sociale ;

- de plafonner à 50 %, pour le supplément de loyer de solidarité, le taux de cotisation à la Caisse de garantie du logement locatif social ;

- de permettre la revente de l’ensemble des logements intermédiaires à compter de la onzième année suivant leur livraison sans remise en cause du taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée ;

- de prévoir, en matière d’autorisation de ventes de logements sociaux qui ne sont pas faites entre organismes de logement social, ni prévues dans le plan de mise en vente annexé à la convention d’utilité sociale (dites « ventes au fil de l’eau »), que la commune sera spécialement informée lorsque la vente est réalisée sous le régime du bail réel solidaire ou avec application différée du statut de la copropriété ;

- de supprimer l’obligation de recueillir le double avis du préfet et du maire préalablement à toute vente dite « au fil de l’eau » d’un logement social situé dans une commune carencée au titre de la loi SRU, obligation superflue une telle vente « au fil de l’eau » étant soumise en toute hypothèse à autorisation et la vente d’un logement social ne pouvant être autorisée qu’au bénéfice d’un autre organisme d’habitation à loyer modéré lorsque la commune fait l’objet d’un arrêté de carence sans avoir conclu de contrat de mixité sociale. 
Ces dispositions n’appellent pas d’observations particulières de la part du Conseil d’Etat, sous réserve d’améliorations de rédaction qu’il suggère au Gouvernement de reprendre. 

Cet avis a été délibéré et adopté par l’assemblée générale du Conseil d’Etat dans sa séance du 2 mai 2024.